Ivy Granger, détective paranormale, Tome 0.5 : Les Crocs de l'hiver

– Quel joli chat, Mademoiselle Granger.

Je fronçai les sourcils, mais laissai glisser. Je n'avais pas d'animaux, à moins que l'on compte les moutons de poussière sous mon bureau.

Jess Braxton, dite La Poisse, leva un sourcil interrogateur, mais je haussai les épaules. Je n'avais rien d'utile à partager avec ma partenaire d'affaires rockabilly. La frêle dame titubant à côté de La Poisse avait besoin de nouvelles lunettes, ou alors elle était bonne à enfermer.

Mme Boyd ne serait pas ma première cliente siphonnée. Travailler pour quelqu'un qui voit des choses qui ne sont pas vraiment là fait partie des risques du métier quand on se présente comme la meilleure (et unique) détective paranormale de la ville.

Qui étais-je pour juger ? Un de mes talents spéciaux est la capacité à voir à travers les envoûtements. Beaucoup de créatures surnaturelles utilisent l'envoûtement pour se dissimuler au grand jour et mon don me permet de voir au-delà des paillettes le vrai visage des vampires et des fées. Ce n'est pas aussi fun que ça en a l'air. J'ai vu des choses qu'aucun humain ne devrait jamais voir.

La seconde vue est à la fois une bénédiction et une malédiction.

Des monstres se baladent dans les rues de Harborsmouth. Si ça rampe, glisse, vole ou suinte, alors j'ai probablement déjà eu le déplaisir de faire sa connaissance. Le fait que certaines de ces choses changent de trottoir pour m'éviter ne m'a non plus échappé. Le boulot d'une détective, c'est de remarquer les petites choses, les menus détails pouvant être la clé d'une affaire. Mais que des morveux anthropomorphiques vous traitent comme si vous puiez pire qu'un pet de troll, ça peut complexer. Dans certains cas, il vaut mieux ignorer les choses ou mettre ça sur le compte d'autre chose.

J'adressai mon plus beau sourire à notre cliente et, d'un geste de ma main gantée, je l'invitai à prendre place sur le siège devant mon bureau. Elle recula et s'accrocha au bras tatoué de La Poisse, se blottissant comme un poussin griffon sous l'aile de sa mère. Ma partenaire me lança un regard de mise en garde et je baissai mon niveau de charme.

– Bien, en quoi pouvons-nous vous aider, Mme Boyd ? demandai-je en me calant dans ma chaise.

Il valait mieux ne pas effrayer la cliente, du moins pas avant qu'elle n'ait payé. La Poisse me le rappelait assez souvent, et c'était elle qui tenait les comptes. Si elle disait que nous étions dans le rouge, alors nos derniers centimes étaient comme des dernières gouttes de sang. Les armes magiques et les sorts de protection n'étaient pas donnés et La Poisse se plaignait quand nous n'avions plus rien à manger. Alors, je posai mes mains gantées sur le bureau, là où ma cliente pouvait les voir, adoptai une pause détendue et essayai de ne pas laisser le commentaire de la femme concernant le chat remuer de douloureux souvenirs d'enfance. Fluffy était morte et vivre dans le passé était dénué de sens. Survivre dans le présent était déjà assez difficile comme ça.

– Juste Maggie, dit-elle en s'asseyant.

Mme Boyd, Maggie, lança un regard nerveux vers La Poisse. Je soupirai, mais hochai la tête pour indiquer à La Poisse qu'elle pouvait rester. Il semblait que nous allions travailler ensemble sur cette affaire.