Extraits

Pendant de longues minutes, nous tournons autour de la lettre sans que l’une ou l’autre ose tenter un geste dans sa direction. Finalement, entourant doucement Sabine de mes bras, je propose que nous l’ouvrions ensemble, ce qu’elle accepte. Je vois le papier trembler sous l’effet de la nervosité lorsqu’elle décachette la lettre.

Nul besoin d’en lire le contenu en entier : la terrible phrase est écrite en caractère gras, au milieu de la page et, en la lisant, il me semble que mon cœur vient de s’écrabouiller au sol.

Je peux lire : « …vous êtes donc tenue, chère madame Welby, de quitter la propriété, dûment vidée des biens vous appartenant en propre (à l’exception des meubles, propriétés de la pension), et ce dans un délai de quinze jours à compter de la réception de ce courrier. »

Comme dans un film au ralenti, je n’ai le temps que de voir le papier s’échapper lentement des mains de ma tante. Celui-ci vole quelques secondes avant de choir sur le sol pendant que je me précipite pour soutenir Sabine qui chancelle en le regardant d’un air absent.

Cette fois, nous savons.

Et c’est le pire qui vient d’arriver.

Il suffit donc d’un simple morceau de papier pour perdre tout ce à quoi vous êtes attaché en ce monde. Cette pensée me révolte…

Sally, comme toujours, est ravie de découvrir de nouvelles têtes. Les jumeaux semblent dotés d’une éternelle bonne humeur et je remarque que Sam est toujours très empressé auprès de moi, ce que note instantanément Violaine, armée de son œil super-aiguisé pour tout ce qui touche à ces questions.

Tous ensemble, nous nous dirigeons joyeusement vers l’arrière de la maison pour commencer notre séance de slackline. Désormais, nous avons nos habitudes : chacun occupe la ligne pendant quelques minutes, quel que soit son niveau, bénéficie des conseils et des encouragements de l’équipe, puis laisse la place au suivant.

Je suis heureuse de faire découvrir ce nouveau sport à Violaine, qui ne démontre qu’un intérêt mesuré pour la discipline, plus enthousiasmée par l’idée de rencontrer un nouveau groupe d’amis que par l’activité elle-même… Et je ne peux m’empêcher de remarquer les regards en coin qu’elle lance à Luke, pendant que celui-ci rougit, blêmit et bafouille chaque fois qu’elle lui adresse la parole, de sa façon franche et directe.

Robin, comme à son habitude, est plus effacé, mais il apprécie visiblement la compagnie de Sally et des jumeaux. De mon côté, je suis heureuse de le voir à nouveau dans son état normal.

Le regard de William n’a pas cillé d’un millimètre. Il sait garder son calme, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais le silence, entre nous, distille une tension palpable. On dirait que, dans l’attente de ce qui va se passer, mon cœur, par contre, s’est carrément arrêté.

Alors, lentement, sans doute après avoir pesé le pour et le contre, et comme à regret, je l’entends me dire:

– Effectivement, j’étais bien là-bas. Comment as-tu su?

– La télévision. Les infos, dis-je laconiquement.

– Mais qu’est-ce qui t’a fait penser à moi?

– Le bleu que tu as, là, dans le cou, dis-je avec lassitude.

– Oh… ajoute-t-il en massant doucement sa peau à l’emplacement de la marque. Très bien. Que veux-tu savoir exactement?

– Mais je veux TOUT savoir! dis-je, agacée. Qu'est-ce que tu faisais là-bas? Pourquoi suis-je enfermée ici? Pourquoi tu me caches tant de choses, William? Quel est le secret que tu sembles si décidé à garder?

Je rougis et ignore superbement l’énorme bond que vient de faire mon cœur. Voilà deux fois en moins de deux heures que l’on associe William à une véritable histoire d’amour…

– Oh, dis-je, évasive… C’est compliqué.

Mais mon sourire ne trompe pas mon ami qui s’emballe.

– Je trouve ça merveilleux ! Une belle jeune fille française débarque aux Bahamas et fait fondre le distant millionnaire américain de l’île… C’est d’un romantisme échevelé, tu ne trouves pas ?

En l’écoutant parler, je glousse comme une collégienne. Je voudrais tant que ce soit si simple… Mais je sais que la réalité est beaucoup, beaucoup moins fleur bleue. Un esprit moins romantique que celui de Luke estimerait probablement que j’entretiens seulement une relation malsaine avec un type maboul…

Au moment où ses lèvres rencontrent les miennes, une onde de chaleur se répand dans mon corps à la vitesse de la lumière. Et même, il me semble, au delà de mon corps. Mon coeur, qui s'était arrêté, s'emballe comme un cheval fou qui aurait découvert quelque chose de grand et beau comme la liberté.

– Vous vous êtes beaucoup amusée, ce soir.

La raideur dans sa voix m’indique que, même s’il tente de se maîtriser, quelque chose l’agace prodigieusement. J’essaie donc de ne pas alimenter sa mauvaise humeur en répondant vaguement :

– Oui, c’était très réussi.

– Et ce Luke ? dit-il, inquisiteur.

– Oui ?

– Il vous plaît ?

Pardon ? Qu’est-ce que c’est que cet interrogatoire ?

– Comment ça, « Il me plaît » ?

– Vous, en tout cas, vous lui plaisez, martèle-t-il d’un ton qui ne souffre aucune réplique.

Mais je ne peux m’empêcher de me défendre vivement.

– Mais non ! Pas du tout ! Il veut seulement être aimable, m’aider à m’installer ici, me faire des amis.

– Solveig, vous ne vous rendez compte de rien. Quel homme ne voudrait pas davantage quand il est près de vous ? me dit-il doucement.

En disant cela, il prend mon visage dans mes mains, me forçant à le regarder dans les yeux. Mon sang, d’un coup, se fige dans mes veines. Que cet homme est beau et attirant. Tout, dans ma tête, semble soudain s’effacer. Il peut être business man, milliardaire, maître du monde ou chauffeur de taxi, en cet instant, ça ne fait absolument plus aucune différence.