Je veux ton enfant

Mais elles n'avaient pas l'air d'en être si sûres, toutes les deux. Elles échangèrent toutes les deux un regard, mais cette fois elles semblaient plus proches, elles avaient davantage l'air de comploter comme si elles étaient liées par leur maternité. J'eus l'impression d'avoir été virée du Club d'Anime.

Bon sang, où est Chantelle ? me dis-je. D'habitude, elle est tellement douée pour faire irruption au milieu des conversations, et maintenant voilà qu'elle n'est nulle part en vue. Je tendis le cou pour voir jusqu'à l'autre bout de la piste de danse, en espérant pouvoir l'apercevoir quelque part, mais on aurait dit qu'elle s'était volatilisée. Je priais pour qu'elle ne soit pas en train de faire ce que je pensais qu'elle faisait.

— Et ton mec, il ne veut pas avoir d'enfants ? demanda Carrie.

C'était une question innocente, mais elle était lourde de sens. Elle savait très bien ce que j'allais dire et elle jubilait, les lèvres recourbées en un demi-sourire tandis que ses yeux étincelaient.

— J'ai… pas de mec, reconnus-je comme si c'était la chose la plus honteuse au monde.

Elles échangèrent toutes les deux un nouveau regard conspirateur. Je commençais à les détester.

— Tu es… Tu es célibataire ! cria Tammy d'une voix perçante.

— Ouais. Mariée à mon boulot, dis-je avec un soupçon de fierté.

Et je le pensais vraiment, en plus. J'adorais mon boulot et jusqu'à présent, il m'avait procuré tout l'épanouissement dont j'avais besoin. Enfin, presque.

— Mariée à ton boulot, gloussa Carrie. On dirait les propos de quelqu'un qui se sent seul.

Je fus submergée par l'envie de la frapper.

— Hé, je ne me sens pas seule. Ce n'est pas parce qu'on est solitaire qu'on se sent seul.

Elles retroussèrent leurs lèvres et jubilèrent, comme si elles savaient que c'était faux.

— Donc tu n'es pas mariée et tu n'as pas d'enfants, poursuivit Carrie.

Elle savourait chaque seconde.

— Tu as un copain, non ?

Une fois encore, je ne pus rien faire hormis secouer la tête, sauf que cette fois-ci, je le fis sur un air de défi. Qu'est-ce que ça pouvait faire, que je n'aie pas de copain ?

— Même pas de copain, soupira Tammy.

Elles se comportaient toutes les deux comme de belles connasses. Pourquoi fallait-il qu'elles soient si hautaines et imbues d'elles-mêmes ? J'étais juste sur le point de reculer mon siège et de m'en aller lorsque Tammy se pencha en avant et serra étroitement ma main dans la sienne. Pendant un bref instant, je crus qu'elle allait dire quelque chose de réconfortant, au lieu de quoi elle fronça les sourcils et demanda :

— Est-ce que c'est parce que tu es lesbienne, Gabby ? Tu peux me le dire. Ça ne fait rien.

— Je ne suis pas gay, dis-je.

Enfin, je ne l'étais pas si on omettait cette nuit pendant mas première année de fac, quand j'avais couché avec ma coloc. C'était une des nuits les plus sexy de ma vie et j'avais toujours un peu espéré pouvoir le refaire mais ce n'était arrivé que sous l'effet de l'alcool. Cependant, le fantasme était toujours là.

— J'ai connu type au bureau qui était gay, une fois, lâcha Carrie. Il était vraiment, euh, sympa, en fait.

— D'accord, je crois que je vous ai bien assez vues, toutes les deux, dis-je en arrachant ma main à celle de Tammy.

— Allez, ne sois pas comme ça, dit Carrie en faisant la moue.

— Je ne suis comme rien du tout. C'est vous qui vous comportez comme des connasses.

Elles tressaillirent comme si le les avais frappées physiquement.

— T’as pas besoin de dire des gros mots, s'écria Tammy.

— Laissez tomber.

Alors même que je m'éloignais, je les entendis toutes les deux ricaner à mon sujet.

— Bon sang, c'est quoi, son problème ? s'esclaffa Carrie.

J'aurais vraiment dû laisser couler. J'aurais dû être plus mature et me contenter de les ignorer mais j'étais plus ivre que je ne voulais bien l'admettre et toutes les pensées qui jaillissaient dans ma tête finissaient par jaillir de ma bouche à la vitesse de l'éclair.

— Bon sang, c'est quoi mon problème ? m'exclamai-je en me retournant pour fondre droit sur elles. Mon problème, c'est que vous vous extasiez toutes les deux tellement sur vos vies chiantes que vous pensez que je devrais être exactement comme vous.

Elles se contentèrent toutes les deux de me regarder en battant des paupières, stupéfaites. De toute évidence, elles ne s'étaient pas aperçues du fait que je les avais entendues. Alors mêmes qu'elles pensaient que j'en avais terminé, je poursuivis :

— Et vous pensez que d’une manière ou d'une autre vous valez mieux que moi parce que, quoi ? Vous avez un mari et des gosses ? Eh bien, permettez-moi de vous le dire clairement parce que j'ai une vie bien plus épanouissante que ce que vous connaîtrez jamais. J'ai un boulot qui me rend plus heureuse que vos morveux ne le pourront jamais !

Et je m'éloignai au pas de charge, en laissant un sillage de gens bouche bée. À présent, il fallait seulement que je trouve Chantelle, et on allait se tirer d'ici.