Extraits

- Je ne peux pas tout te raconter, gargouilla t-il, c'est pas racontable : des décharges électriques pour les faire avancer, des coups de bâton sur les reins, derrière la tête, sur le groin, les cochons qui titubent, qui hurlent de douleur, et qui encaissent, qui encaissent sans pouvoir se défendre.

C'est injuste, c'est .... dégueulasse.

Et puis, ils les font passer entre deux barrières, comme dans un couloir, toujours en les frappant, et tu les vois plus.

Mais tu t'en doutes, d'où ils vont hein ? On va les égorger vivants, plus ou moins étourdis, les uns après les autres, avec méthode.

Le seul souci des humains, c'est comment tuer le plus de bêtes possible dans le moins de temps possible.

.... Y en avait plein de bêtes parquées en attente.

.... ça puait l'angoisse...

- Asseyez-vous, les invita-t-elle en leur indiquant un canapé à fleurs. Et ne faites pas attention au désordre.

C'est ce que recommandent en général les maniaques du rangement. Tout, chez Carole, était parfaitement en ordre et Jefferson y fut sensible.

Le voisin de palier, alerté par le bruit, se tenait en pyjama sur son paillasson et il assista, la bouche ouverte, au spectacle des vingt-huit animaux qui franchissaient les uns après les autres la porte pulvérisée. Tous le saluèrent avec courtoisie avant de prendre l'escalier. Une renarde lui susurra :

- C'est un rêve, monsieur, juste un rêve.

Il en était là de ce constat accablant quand son téléphone portable vibra de nouveau. Gilbert ! Si un réconfort pouvait venir de quelque part, ce serait forcément de lui. Ils étaient amis depuis l’enfance, comme des frères, davantage que des frères même, puisqu’ils s’étaient choisis.

Ils remontaient dans leur chambre quand l’employé de la réception les interpella, le sourire aux lèvres et l’œil rigolard :

– Alors, cette soirée Scrabble ?

Peut-être pensait-il que ces drôles de clients savaient à peine lire et écrire.

– C’était bien, répondit Jefferson, merci.

– Vous avez trouvé des mots très longs ?

– Oui, j’ai trouvé SOLIDARITÉ.

– Ah, pas de Z, pas de W, ça ne doit pas rapporter des masses.

– Si, fit Jefferson, ça peut rapporter beaucoup. Bonne nuit, monsieur.

Il tourna donc les talons et reprit le sentier par lequel il était venu. Ne pas pouvoir rentrer chez soi parce que c’est dangereux est une expérience très angoissante à vivre, car où trouver en principe meilleur refuge que chez soi ?

C’est un des avantages qu’il y a à vivre seul : on peut chanter fort et faux, se promener tout nu, manger quand on en a envie et pleurer à son aise.

"Nous sommes deux faux journalistes, se dit-il, nous sommes deux faux détectives, mais nous sommes surtout deux vrais imbéciles."

Les vieilles gens ont peu de larmes mais cela n'enlève rien à leur chagrin.

Il se dit aussi, hélas, que les serments d'ados ne comptent pas, que la vraie vie se charge de les faire oublier.