Ajouter un extrait
Liste des extraits
Quand on t'arrache ton innocence, quand on dénigre ton peuple, quand la famille d'où tu viens est méprisée et que ton mode de vie et tes rituels tribaux sont décrétés comme arriérés, primitifs, sauvages, tu en arrives à te voir comme un être inférieur. C'est l'enfer sur terre, cette impression d'être indigne. C'était ce qu'ils nous infligeaient.
Afficher en entierNous venions de nations de guerriers et jeter les gants et les crosses par terre, donner de violents coups de poing et se battre étaient un prolongement de cette identité. Quand une bagarre se terminait, les deux joueurs se serraient la main. La foule les acclamait, applaudissait, tapait des pieds, et le match reprenait.
Afficher en entierJe n’avais jamais entièrement suivi le rivage du lac. Mais je le fis ce jour-là et chaque pas qui me rapprochait du vieux campement familial me ramenait un peu plus en arrière. L’angoisse qui étreignait mon ventre disparut. Mes pensées s’éclaircirent. Je marchais dans une sérénité que je n’avais pas souvenir d’avoir connue auparavant. Je tendis les bras pour toucher les larges éventails des fougères, les troncs des arbres, les feuilles, les herbes. Une partie de mon être se remémorait chaque sensation. L’odeur qui flottait dans l’air était riche et terreuse, chargée d’un soupçon de marécage et de tourbière. L’union des choses mortes et des choses vivantes. L’air était plein du chant des oiseaux. Je me frayai un chemin entre les arbres à cinquante verges du pied de la falaise. Tandis que je m’agenouillais sur une pierre de la grève, en levant les yeux vers le haut de la falaise, je vis les nuages suivre son arête supérieure, semblables à des êtres vivants, de chair et de sang. Au bord des larmes, je baissai les paupières et j’entendis mumurer mon nom. J’ouvris les yeux pour découvrir une flottille de canots glissant vers le rivage.
Afficher en entierLa rivière s’élargissait pour tracer des chenaux et ouvrir des percées entre des îlots rocheux répartis ici et là et de plus importantes masses de terre boisée. La lumière faiblissait, conférant au rivage un aspect mystique, et je me rappelais les histoires que ma grand-mère racontait sur ce cours d’eau qui nourrissait les âmes de notre peuple. Le silence était profond. Il n’y avait pas de vent. Je relâchai délicatement l’accélérateur et je maintins une main sur le bras du moteur. J’étais comme une épave flottante, dérivant à la merci du bon vouloir du courant
Afficher en entierJe ne sais pas si j’étais éveillé ou si je rêvais quand j’entendis un bruit dans les arbres. Il y avait un filet de lune dans le ciel et une nappe de brouillard juste au-dessus du sol. L’air était calme. Le brouillard amplifiait le moindre frémissement dans les arbres, et au loin, j’entendis les pas prudents d’un chevreuil. Mais le bruit qui me réveilla n’était pas celui d’un animal. C’était comme une plainte, un murmure sourd. Il cessa, puis reprit un instant plus tard. Cette fois-ci, je scrutai la rangée d’arbres, mais il n’y avait rien. Que le brouillard. Puis une silhouette commença à se dessiner. Ce ne fut d’abord qu’une image floue, mais tandis que j’observais, cette forme imprécise avança. Elle ne marchait pas. Elle flottait. Mes tripes étaient nouées par la peur. Mais je ne pouvais en détacher mes yeux. La plainte reprit. Elle semblait désespérée. Humaine.
Afficher en entierC’est drôle comme les serveurs vous invitent toujours à finir votre verre. Quand on est paumé comme je l’étais, on boit toujours pour oublier. Pour oublier les choses banales et admises comme un foyer, un boulot, une famille, des voisins. On boit pour oublier les pensées, l’émotion. L’espoir. On boit pour oublier parce qu’après toutes les routes qu’on a prises, c’est la seule direction qu’on connaisse par cœur. On boit pour oublier afin de ne plus entendre les voix, ne plus voir les visages, ne plus toucher les choses, ne plus sentir. On boit pour oublier afin d’effacer ce lieu que seuls les poivrots de la pire espèce connaissent; ce monde au fond du puits où l’on se réfugie dans le noir, hanté à jamais par la conscience de la lumière. Je fus au fond de ce puits pendant un long moment. Revenir à la lumière du jour faisait un mal de chien.
Afficher en entierErv Sift était un ange. Je n’en ai aucun doute. Il comprenait que je portais de vieilles blessures et ne me poussait pas à les mettre au jour. Il se contentait de me proposer la sécurité, l’amitié et mon premier foyer depuis bien longtemps. Mais il y avait des moments où je me levais soudain, saisi du besoin de marcher, d’être loin. Ça montait en moi comme un nuage. Il ne disait rien, moi non plus. Je marchais alors au-delà des limites de ses champs et j’entrais dans la forêt. La plupart du temps, il me suffisait d’aller au hasard. Parfois, je trouvais un arbre ou un rocher, je m’asseyais là, j’observais la nature et je laissais le silence entrer en moi. Pendant un moment, l’effet de la nature suffisait à me faire sentir bien dans ma peau.
Afficher en entierLe soir suivant, j’étais seul dans la grange, en train de pratiquer mes tirs sur le lino. J’étais tellement absorbé par l’aspect mécanique de mon tir du poignet que je ne remarquai pas les toutes premières notes. Mais celles qui suivirent me firent relever la tête et écouter. Une voix vibrait dans l’air du soir et j’avançai jusqu’à la porte de la grange pour voir d’où elle provenait. Rebecca se tenait debout dans l’herbe du carré des Indiens, paumes levées vers le ciel, et elle chantait en ojibwé. C’était un chant funèbre. Je pouvais le dire aux sensations que faisaient naître les syllabes. Sa souffrance était si pure que j’eus l’impression qu’on m’arrachait le cœur.
Afficher en entierMais Toronto était comme une chimère – une grossière combinaison d’éléments disparates. C’était un insensé fatras de vitesse, de bruit et de personnes. Cette ville desséchait mes yeux et j’avais toujours dans la bouche le goût de la suie, du mazout et de l’essence. Il y avait des arbres, mais aucun des grands pins, ni des épinettes, ni des sapins auxquels j’étais habitué. Il n’y avait pas de rochers. Il n’y avait rien de sauvage. La seule fois où je sortis tard le soir et où je surpris un raton laveur au milieu du tas de poubelles, nous nous dévisageâmes avec stupéfaction. Lui en voyant un Indien au milieu de ce fouillis de verre, d’acier et de béton, moi en voyant une créature faite pour l’arrière-pays où le vent est porteur de traces d’animaux plutôt que d’effluves de pourriture et de décomposition.
Afficher en entierEh bien, je vais me réveiller dans dix, quinze ans et je vais continuer à marcher d’un pas lourd pour me rendre à la patinoire et je vais te voir décrire des cercles sur la glace avec le palet. Je vais te voir comme je t’ai toujours vu. Comme quelque chose de sacrément spécial. Et je vais avancer jusqu’à cette bande, quinze années plus tard, tout raide et perclus de douleurs à force de traîner du bois d’œuvre à longueur de journée et je vais te voir là, en sachant que tout aurait pu être différent. Que j’aurais pu vivre une partie de mon rêve à travers toi. Mais tu seras encore ici. Alors la grande chose qui va t’arriver? C’est que je vais te faire passer par-dessus cette bande et te botter sérieusement le derrière pour avoir tout foutu en l’air. Pour ne pas avoir répondu à l’appel.
Afficher en entier