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Liste des extraits

— Pas besoin d’être un génie pour comprendre que tu es tombée amoureuse et que tu t’es enfuie, Maddie. Ta mère a fait la même chose quand on était jeunes. Mais tu sais quoi, Mad ? Tu dois te battre pour l’amour, parce que ça ne vient pas si facilement, pas le vrai, en tout cas. Je ne sais pas qui est ce garçon, ni ce qui s’est passé, mais fuir n’arrangera pas les choses, mon bébé. (Il effleure mon menton du bout des doigts et me relève légèrement la tête.) La réalité de la vie, c’est que, peu importe de quoi il s’agit – le deuil, le chagrin d’amour, le bonheur, l’amour –, ces émotions sont tellement puissantes qu’elles nous suivent où qu’on aille. Tu pourrais aller au bout du monde que l’amour te suivrait jusque là-bas. Ce n’est ni un endroit ni un souvenir, oh non. L’amour, c’est quelque chose à l’intérieur de toi, c’est quelque chose que toi seule peux ressentir, parce que cet amour t’appartient. Tu ne l’oublieras jamais. Tu pourrais traverser le pays et les océans et même aller sur la lune que cet amour serait toujours là, enfoui dans un recoin sombre de ton cœur, à attendre simplement que tu le reconnaisses.

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Extrait ajouté par candice74 2015-01-10T20:42:55+01:00

Quand les choses se compliquent, Google est ton ami.

Google sait tout.

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Extrait ajouté par Jensen-Addict 2014-10-21T15:39:46+02:00

J’ai appris trois choses hier soir. Premièrement, Maddie Stevens tient dans mes bras à la perfection. Deuxièmement, j’ai sérieusement envie de la baiser. Genre une putain de méchante envie. Et troisièmement, ses cheveux sentent la pomme.

Lune&PLume

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Extrait ajouté par Jensen-Addict 2014-10-21T15:38:57+02:00

- Le chemin qui mène au cœur de Braden passe par sa bite.

Lune & PLume

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Extrait ajouté par Manon2910 2014-10-02T19:56:27+02:00

Ce Cupidon, j'aurais adoré lui enfoncer sa fichue flèche dans le cul.

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Extrait ajouté par AntanasiaD 2023-06-21T13:39:12+02:00

Je l’ai détesté au premier regard.

Je ne suis pourtant pas une personne haineuse. En réalité, je suis même particulièrement amicale, mais il y a quelque chose chez Braden Carter qui me hérisse les poils, et ce depuis la première fois que je l’ai vu, il y a cinq semaines. C’est peut-être ce sourire arrogant et suffisant qu’il affiche quand les filles le suivent des yeux avec admiration, ou peut-être cette façon qu’il a de les déshabiller du regard. C’est peut-être son attitude je-m’en-foutiste et prétentieuse, ou la certitude qu’il a de pouvoir conclure avec n’importe quelle fille du campus. Ou, plutôt, n’importe quelle fille du pays.

C’est peut-être que je suis attirée par lui alors que c’est bien la dernière chose dont j’ai envie, et qu’il me rappelle tout ce que j’ai laissé chez moi, à Brooklyn.

Je m’efforce de chasser ces pensées et continue d’examiner la résidence de la fraternité comme s’il n’existait pas. Ce qui est loin d’être évident, surtout avec les trois filles collées à son bras et à d’autres parties de son corps que je ne nommerai pas. Faut-il préciser que ce type est diaboliquement sexy ? Il a des cheveux blonds, ébouriffés et dorés par le soleil, des reflets naturels pour lesquels la plupart des filles seraient prêtes à payer une fortune – et d’ailleurs, c’est ce qu’elles font. Ses yeux sont d’un bleu si intense qu’ils paraissent électriques, et sa peau naturellement cuivrée par le climat californien. Inutile d’ajouter qu’il a un corps de rêve, mince et musclé car, après tout, on est bel et bien en Californie et, ici, apprendre à surfer dès qu’on tient sur ses deux jambes, c’est une question de survie.

— Arrête de le reluquer.

Kayleigh s’approche de moi et me donne une petite tape sur l’épaule.

— Tu as autant de chances de me voir le re- luquer que de me voir faire un strip-tease pour toute la résidence, je réplique.

— Chérie, j’en connais plusieurs qui seraient vraiment pas contre.

Kyle m’adresse un clin d’œil de l’autre côté du bar dans la cuisine et je pousse un soupir.

— Ils peuvent toujours rêver. Ça risque pas d’arriver, Kay.

— Dommage. (Elle me sourit.) Je serais pas forcément contre, moi non plus.

Je secoue la tête, mais avec un sourire. Dès le premier jour où elle est entrée dans notre chambre, il y a cinq semaines, Kay a ouvertement affiché son orientation. Elle est bisexuelle et se fiche que les gens soient au courant. J’ai éprouvé

du respect pour elle à la seconde où je l’ai vue. Je trouve sa spontanéité plutôt rafraîchissante.

— Tu es incorrigible, je lui dis d’un air fausse- ment réprobateur.

— Parle pour toi ! (Elle me fait un clin d’œil et claque des doigts vers Kyle.) À boire, trouduc !

— Attends ton tour, la relou, répond-il en rem- plissant deux shots de vodka avant de les tendre à

quelqu’un à l’autre bout du bar.

— Je parie qu’il se précipiterait si c’était toi qui avais demandé, murmure-t-elle à voix pas si basse.

— Tu crois pas si bien dire, Kay ! (Kyle se retourne et me décoche son sourire à cent mille watts.) Tu veux un verre, sublime créature ?

— Ça va, merci, je réponds avec un sourire poli. Mais je suis sûre que Kay est partante, elle.

— Tu déconnes ! (Kay se penche en avant et fait claquer sa main sur le bar.) Quatre shots de vodka, Kyle. Ce soir, je vais lui apprendre la vie,

à Miss Maddie.

— C’est parti !

Il aligne quatre petits verres à liqueur.

— Kay, je murmure d’une voix sifflante. Tu sais bien que je ne bois pas !

— Buvais, corrige-t-elle. Buvais pas. Mais maintenant, si.

— Kay.

— Maddie, fait-elle en imitant le ton de ma voix avant de s’emparer des verres que Kyle fait glisser vers nous. Un, deux et paf. C’est comme

ça qu’on fait, petite fille. Tu réfléchis pas, tu gâches pas. Tu me descends les deux.

— C’est vraiment une mauvaise idée, je mur- mure en prenant les deux verres, les yeux rivés sur le liquide à l’odeur puissante. Si je vomis, c’est toi qui nettoies.

— Toujours. (Elle fait un clin d’œil.) Prête ?

Un, deux et paf !

Envoyer. Avaler. Envoyer. Avaler.

L’alcool me brûle en glissant le long de ma gorge et je me tapote la poitrine comme si ça pouvait atténuer la sensation de feu. Kyle m’adresse un petit sourire malicieux.

— Je croyais que tu buvais pas ? demande-t-il.

— Je ne bois pas, je réponds en reposant les verres.

— Je sens qu’elle va nous donner du fil à retor- dre, celle-là. (Kay s’essuie le menton.) T’es sûre que t’as jamais bu avant, Mad ?

Je hausse une épaule et le mensonge sort de ma bouche sans difficulté.

— Évidemment que j’ai déjà bu de l’alcool, mais pas au point de me saouler.

— … Mais ça, c’était avant ! (Kay frappe de nouveau sur le comptoir.) Kyle, six autres shots.

— De ?

— De n’importe quelle putain de boisson que tu voudras bien nous verser.

— Tant que t’y es, fais-en douze ! s’exclame

Lila en se glissant à côté de moi. Trois pour moi, trois pour Megan quand elle arrivera.

— Douze ? Combien de verres vous pensez que j’ai en réserve, les filles ? plaisante Kyle av- ant d’ouvrir un autre placard.

À l’intérieur, des verres à liqueur sont soigneusement alignés sur toute une étagère.

— J’aimerais pas être à la place de celui qui va devoir nettoyer tous ces verres demain, je glisse.

— Braden. (Kyle éclate de rire.) Moi, je me contente de les servir à vos jolis minois. C’est pas de chance pour lui, mais c’est tout l’inverse pour moi.

Il se penche en avant et dépose trois verres devant moi, avec un sourire qui ferait fondre le cœur de n’importe quelle autre fille. Je hausse un sourcil et attends patiemment qu’il distribue tous les shots.

— J’ai loupé quelque chose ? (Megan se faufile entre Lila et moi, ses cheveux blonds re- bondissent comme elle sautille d’excitation.) Oh,

ça en fait des verres ! Qu’est-ce qu’on fête ?

— La cuite que Maddie va se payer ! annonce

Kay en levant le premier verre.

— Sans blague ! (Megan tourne la tête vers moi.) Pour de vrai ?

— Apparemment, je réponds sèchement.

— Mince alors, Mad. C’est cool !

Elle se trémousse, et aussitôt les yeux de Kyle se posent sur sa poitrine. Côté nichons, Megan est très bien équipée, et elle aime le faire savoir au monde entier.

— Assez discuté ! souffle Lila en attrapant un verre. Un, deux, trois et paf ?

— Ouais, carrément !

Kay part d’un grand rire et lève le deuxième verre.

Je prends une profonde inspiration et m’empare de deux shots. Bon sang, mais qu’est- ce qui cloche chez moi, ce soir ? Je ne bois pas, du moins pas de cette manière. Je ne peux pas perdre le contrôle.

— Paf ! s’exclame Kay.

Un. Deux. Trois. Feu.

Woooow.

Je cligne plusieurs fois des yeux et déglutis.

— Bord… bon sang !

— Ça marche, glousse Lila. Normalement,

Maddie ne dit jamais un seul gros mot !

— Je n’ai pas dit de gros mot ! je lui rétorque.

« Bon sang » n’est pas un gros mot.

— D’accord, tu as presque dit un gros mot.

(Elle lève au ciel ses yeux noirs soulignés de khôl.) Je vais te faire sortir un vilain mot de ces jolies lèvres roses avant la fin de la soirée !

Je résiste à l’envie de lever les yeux au ciel à

mon tour.

— Et moi y a plusieurs choses que j’aimerais faire sortir de ces jolies lèvres roses, fait remar- quer Kyle en m’adressant un clin d’œil.

— Sale porc !

Kay lui donne un coup dans le bras par-dessus le bar.

— Bon sang, Kay ! T’as une putain de masse à

la place du poing ou quoi ?

Il se frotte le bras.

— Pour toi, mon Kyle chéri, mon poing sera tout ce que tu voudras. (Elle lui jette un regard malicieux et se relève d’un coup en me prenant la main.) Viens, petite fille, on va aller remuer nos popotins !

Je jette un regard implorant à Lila et tire sur le tee-shirt de Megan.

— D’accord, d’accord, j’arrive !

Megan se retourne et entraîne Lila avec elle.

La pièce principale est bondée. Les haut-par- leurs crachent de la musique à plein tube et les corps se pressent au milieu de la piste. Un couple s’embrasse sur le canapé – oh mon Dieu. Ah non, ils ont indéniablement dépassé le stade du baiser.

Je détourne les yeux et laisse les filles me tirer

à travers la foule frénétique. L’alcool se répand dans mon corps et je me détends un peu, certaine de devoir m’arrêter là ce soir, en ce qui concerne l’alcool. Pas besoin de tenter le diable.

Megan m’attrape par la main et m’oblige à

danser, à me laisser aller. De la folie. Voilà ce que c’est. Boire, et maintenant danser.

Ces filles ruinent tous mes efforts.

— Lâche-toi, petite fille ! s’écrie Kay. Ce cher

Carter en personne est en train de mater ton petit corps sexy !

Formidable. Tout ce que je voulais – être la prochaine sur sa liste. La prochaine sur une très, très longue liste.

— Il peut toujours mater, je réponds en captant son regard dans le coin de la pièce. C’est tout ce qu’il aura.

Je lui tourne le dos et Lila s’approche de moi en secouant sa chevelure sombre.

— Quelqu’un devrait le remettre un peu à sa place, dit-elle. Certes, il a le corps d’un Apollon, mais il a la tête comme un melon.

— C’est clair, acquiesce Megan. Mais il a tou- jours été comme ça. C’est Braden, quoi.

Megan et Braden sont tous les deux originaires de la même ville et, d’après ce qu’elle nous a ra- conté, leurs parents étant assez proches, ils ont grandi ensemble. À part nous, c’est à peu près la seule fille de la soirée qui ne se prosterne pas à

ses pieds.

— Tu sais quoi ? fait Kay.

On jette un autre regard vers lui et on découvre une nouvelle blonde pendue à son cou.

— Quoi ? je demande en me détournant de lui, un air de dégoût sur le visage.

— Ce garçon a besoin de savoir ce que ça fait aux autres, de se comporter comme lui. Ce que ça fait de se faire baiser et larguer.

Tous les yeux se tournent vers moi. Je secoue la tête en reculant.

— Oh, non. Non, non, certainement pas !

Je fais volte-face et quitte la pièce, me frayant un chemin dans la cuisine jusqu’au jardin, les trois filles sur mes talons.

— Mad, ça va être trop drôle ! (Lila me prend les mains et se met à sautiller.) Allez !

— Hum. (Megan observe la maison, puis ses yeux glissent vers moi.) Je pense que ça lui ferait pas de mal.

— Non !

Je secoue de nouveau la tête.

— Il suffit que tu te le tapes une fois, argu- mente Kay. En plus, c’est pas comme s’il était moche, hein ? Je me verrais bien lui claquer ses petites fesses, moi.

— Alors vas-y toi, fais-le !

— Oh, non. (Megan soupire.) Elle peut pas.

Kay est peut-être bi, mais tout le monde sait qu’elle préfère les filles, alors il tentera jamais ri- en. Lila, elle, sort pile avec un de ses amis, et moi j’ai grandi avec lui. C’est un peu comme si c’était mon frère. T’es la seule à pouvoir le faire.

— Je ne comprends pas ce que ça va nous ap- porter.

Je les regarde à tour de rôle.

— La satisfaction de savoir que ce mec aura fi- nalement envie de ce qu’il ne peut pas avoir, ex- plique Kay en haussant les épaules. Allez quoi,

Mad. Ça prendra deux semaines, trois maximum.

— Peut-être un mois, ajoute Megan. Après tout, soit il se lassera et il laissera tomber, soit il tombera amoureux de toi. Il arrête pas de te re- garder, Mad. Même en cours, quand tu penses le contraire. Il refuse de me parler de toi, et ça c’est la preuve que tu l’attires. En général, il me dé- taille par le menu ses conquêtes du week-end.

— Et puis Meg sait comment il fonctionne, ajoute Lila. Alors on a l’avantage.

— En gros, je peux pas vous dire non, c’est

ça ?

Je pousse un soupir et passe mes doigts dans mes cheveux.

— C’est ça.

Kay hoche la tête.

— Oh, bon sang. J’ai comme le sentiment que je vais le regretter.

— Maddie Stevens, votre mission, si toutefois vous l’acceptez (elle fait un sourire et tend les mains. Lila et Megan posent les leurs par-dessus), sera de piéger le joueur à son propre jeu.

L’acceptez-vous ?

Je prends une profonde inspiration, chaque parcelle de mon cerveau me hurle de dire non et de m’enfuir en courant. Piéger le joueur à son propre jeu. Le type que je déteste parce qu’il in- carne tout ce que je voulais laisser derrière moi en quittant Brooklyn.

Mais, plutôt que de prendre la fuite, je pose la main sur la pile devant moi.

— Oui, je l’accepte.

Je ne suis pas foutu de dire qui est la nana ac- crochée à mon bras. Je suis presque sûr de ne l’avoir jamais vue de ma vie, mais elle est plutôt sexy, elle a de beaux nichons, du coup je me dis qu’elle peut rester un peu. En même temps, elle n’est pas assez sexy pour que je me la tape, alors elle ne restera pas très longtemps.

Blondinette colle ses lèvres contre mon oreille et je dissimule ma grimace en jetant un regard circulaire sur la résidence de la fraternité. Mes yeux se posent sur Maddie Stevens – Princesse de l’université de Californie à Berkeley.

Elle est assise au bar avec cette fille qui est bi.

Merde, comment elle s’appelle, déjà ? Oh, peu im- porte. Megan et Lila sont avec elle, et je les re- garde enchaîner les shots que Kyle leur fait in- gurgiter ce soir, avec je ne sais quoi dedans. Elle secoue ses cheveux auburn et la bi l’entraîne avec elle.

Je balaye son corps du regard, vaguement con- scient que Blondinette est désormais assise sur mes genoux. Deux globes fermes se pressent contre mon torse, et je sais maintenant sans doute possible que ses nichons sont des faux. Bien trop beaux pour être vrais.

Megan prend Maddie par la main, alors elle sourit, presque timidement. Elle commence à

bouger au rythme de la musique et, tout à coup, putain, elle est plus du tout timide. Elle glisse sa main libre dans ses cheveux, regarde le sol et re- mue les hanches en cadence. Elle relève briève- ment les yeux et sourit de nouveau, avec plus d’assurance cette fois.

— Putain, elle est trop sexy, dit Aston en fais- ant irruption à côté de moi.

Ryan apparaît derrière lui.

— Maddie ? je demande, le regard toujours rivé sur son corps en mouvement.

— C’est qui, Maddie ? ronronne Blondinette.

Merde, elle est encore là, elle ?

Maddie relève la tête, et ses yeux verts et bril- lants se posent sur Blondinette, toujours sur mes genoux. Elle pince les lèvres de dégoût et se dé- tourne.

— Personne, bébé, t’inquiète. (Je l’écarte de moi.) Sois mignonne, va me chercher une bière.

Elle fait battre ses cils tartinés de mascara.

— Bien sûr.

Elle saute à terre et je lui tapote les fesses en reportant mon attention sur les gars.

— C’était qui, elle ? demande Ryan.

— Bonne question, mec. (Je hausse les épaul- es.) Une meuf.

J’aperçois Maddie qui se fraye un chemin à

travers la foule, avec Megan, Lila et Miss Bi- sexuelle sur les talons.

— Hé, tu crois que les filles seraient furax si je lui courais après ? demande Aston en la suivant des yeux.

— Megan te foutrait la trempe de ta vie. (Ryan lui donne un coup de coude et s’appuie sur le bord du canapé.) Lila et Kay aussi, d’ailleurs.

Kay. C’est ça, le prénom de la bi.

— Même à moi, Maddie me botterait sûrement le cul, j’ajoute en les regardant. Cette fille, avant qu’elle accepte de tomber la culotte, faut passer devant le prêtre avec elle.

— Le mariage ? Tu peux toujours crever.

(Aston secoue la tête.) Je suis trop sexy pour ces conneries, mec.

C’est presque vrai, du moins aux yeux des filles du coin. Il n’est jamais à court d’un ou deux petits coups d’un soir pendant le week-end.

— Le mariage ? répète Ryan. Nan, tout ce qu’il faut, c’est faire en sorte que cette nana tombe amoureuse de toi. Tu la fais tomber amoureuse et hop, le tour est joué. T’as gagné un cul, et pas des moindres.

Je penche légèrement la tête pour les observer tous les deux.

— Peut-être, mais on dirait une putain de poupée en porcelaine. Si t’y vas trop fort, elle risque de se briser.

— Je la briserais volontiers, moi, dit Aston.

Mais ces conneries d’histoire d’amour, ça, je pourrais pas.

— Je pense que toi, tu pourrais, me dit Ryan.

Il me jette un regard tout en buvant une gorgée de sa bière.

— En une semaine ? fait Aston en se tapotant le menton.

— Nan, je dis.

— Un mois, lance Ryan d’un ton catégorique.

Ça va pas être du gâteau de lui faire baisser sa garde, mais elle cédera avant la fin du mois. Tu peux y arriver, Braden.

— Mec, t’es conscient que c’est la copine de ta nana ? Tu me demandes de la séduire, de la baiser et de la larguer.

Non pas que je cracherais sur l’occasion de me taper Maddie Stevens. Ma parole, je serais même prêt à payer pour une occasion pareille.

Ryan hausse les épaules.

— Comme si Lila risquait de l’apprendre ! Ce truc reste entre nous trois. Braden Carter qui sé- duit une fille, c’est pas non plus exceptionnel, si ?

— Vas-y. (Aston sourit.) Fais-la tomber amoureuse. Si quelqu’un en est capable, c’est bi- en toi.

— J’sais pas.

Je m’enfonce dans le canapé et observe la piste de danse. Elle est de retour – elles le sont toutes les quatre.

Elle fait de nouveau ce truc avec les hanches, en les balançant d’un côté et de l’autre. Elle secoue la tête en riant, agitant sa chevelure. Lila lance un clin d’œil théâtral à Ryan, et il lui ren- voie un petit sourire satisfait. Puis elle leur tourne le dos et dit quelque chose qui incite Maddie à

jeter un regard par-dessus son épaule. Ses yeux verts croisent les miens. Je lui souris lentement, avec ce sourire qui me fait obtenir tout ce que je veux, suivi d’un petit clin d’œil. Un côté de ses lèvres brillantes se retrousse et elle détourne de nouveau le regard. Ses cheveux suivent le mouvement de sa tête.

— Alors ? Ryan s’enquit avant de me donner une tape sur la tête. Tu tentes le coup ?

— Défi relevé, les gars, je réponds en plaçant les mains derrière ma tête. Dans un mois pile,

Maddie Stevens sera folle de moi et dans mon lit.

Vous pouvez grave compter là-dessus.

Je roule sur le côté, et la lumière qui filtre à

travers les rideaux m’arrache une grimace. Quelle quantité j’ai bue, hier soir, exactement ? Trop, vis- iblement.

— Bonjour, ma belle ! s’exclame Kay en refer- mant du pied la porte de la chambre.

— Non, on peut pas vraiment dire que c’est un bon jour, je réplique en plongeant de nouveau sous ma couverture.

— J’ai du café et des muffins !

Elle tire sur la couverture et j’ouvre les yeux avec un grognement.

— Pourquoi ? Pourquoi ?

— Pourquoi quoi ?

— Pourquoi j’ai l’impression qu’un troupeau de gnous m’est passé sur le corps ?

— D’une, je vois pas trop le rapport avec les genoux, et de deux, on appelle ça la gueule de bois.

Kay me tend un gobelet de chez Starbucks et mon muffin préféré à la myrtille.

Je m’assois.

— Merci. Et toi, comment tu fais pour être en pleine forme ?

— Je fais partie des chanceuses. (Elle glousse et se jette sur son lit.) Moi, la gueule de bois, je connais pas. Toi par contre, on dirait que si. Meg est comme toi. En général elle est clouée au lit toute la journée.

— Ça me tente bien.

Je bois une gorgée de café.

— Mais pas aujourd’hui, gazouille-t-elle. Au- jourd’hui, on se met au boulot.

— Quel boulot ?

Elle lève un sourcil vers moi.

— Tu te rappelles du marché qu’on a passé

hier soir ? Ta mission, Miss Bond ?

Ah. L’Opération Piéger le Joueur.

— Je pensais qu’on plaisantait.

— Tu m’as déjà vue plaisanter sur un sujet aussi sérieux que le sexe ?

— D’accord, d’accord. (Je pousse un soupir.)

Qu’est-ce que tu entends par se mettre au boulot ?

— On doit élaborer un plan d’attaque !

Elle croise les jambes, à l’indienne, et rebondit deux fois sur le lit.

— Un plan d’attaque, je répète bêtement.

— Ben oui, tu crois qu’on va se lancer là-de- dans à l’aveugle ? Oh non, chérie. (Elle secoue la tête.) Braden Carter a nettement plus de charme qu’un farfadet.

— Qui sont des créatures imaginaires.

— Et c’est bien pour ça qu’il est dangereux.

Tu essaies de le séduire, mais si jamais il met le paquet, c’est toi qui pourrais finir par tomber amoureuse de lui.

— Et alors, ni baise ni largage, et toute l’Opération Piéger le Joueur tomberait à l’eau.

Je soupire.

— Précisément ! (Elle tape dans ses mains.)

Alors on doit mettre au point un plan infaillible pour s’assurer qu’il te donne son cœur sans que toi, tu donnes le tien. Ce serait tout simplement désastreux.

— Kay, je ne sais pas. (Je soupire de nouveau.)

Braden Carter ne tombe pas amoureux. S’il a bien une règle, c’est celle-là, juste au-dessus de la règle qui dit que les règles sont réservées aux losers. J’ai un mois pour y arriver, c’est ça ? Je ne vois pas comment c’est possible.

— Rien n’est impossible si tu y crois vraiment.

— Mais je ne sais pas si j’y crois.

— Ça viendra, dit-elle avec assurance. Ça viendra.

— J’espère que tu as raison. Parce que ça sent l’échec avant même d’avoir commencé.

— Toc, toc, toc, les coloc !

Lila ouvre la porte et entre, accompagnée de

Megan, un grand rouleau de papier et des mar- queurs sous le bras.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? je leur de- mande.

— L’Opération Piéger le Joueur, répond

Megan en s’asseyant par terre entre nos deux lits.

Elle déroule le papier, pose un livre à chaque extrémité pour le maintenir à plat, et écrit « OPLJ

– Opération Piéger le Joueur » en haut de la feuille.

Je secoue la tête, incrédule. C’est vraiment moi, là, qui suis en train de faire ça ? Moi qui croyais qu’aller à l’université signifiait « devenir adulte », je me trompais. J’ai l’impression d’avoir de nouveau treize ans et d’essayer de coincer mon amoureux pour le forcer à admettre qu’il a lui aussi le béguin pour moi.

— Arrête de secouer la tête, fait Lila en grimpant à côté de moi sur le lit. Ça va bien se passer. Tu peux y arriver.

— Les filles, vous vous rendez compte qu’en matière d’amour et de relations, un mois, c’est court ? Et qu’en matière de Braden Carter, un mois, c’est une éternité ? Qui vous dit qu’il ne va pas se lasser et aller voir une de ses pouffes pour réchauffer son lit ?

— Tu dois empêcher ça, me dit doucement

Megan. Tu dois faire en sorte qu’il n’ait jamais envie de te quitter. Je te donne une semaine pour

éveiller son intérêt, le prendre dans tes filets et ensuite c’est dans la poche.

— Une semaine ?

— Si tu arrives à devenir intime avec lui en une semaine, il tombera amoureux en trois, explique-t-elle en ôtant le bouchon d’un mar- queur. Première étape : L’Intérêt.

Elle le note sur le papier et me donne jusqu’à

dimanche.

— Attends, tu ne commences même pas à

partir de demain !

— Erreur.

Kay secoue la tête.

Lila hoche la sienne, d’accord avec Kay.

— Les gars font un match sur le terrain de la résidence de la fraternité tout à l’heure. On y va toutes.

Je souffle.

— D’accord. Ça commence ce soir.

Megan m’adresse un sourire, le marqueur vert

à la main.

— Deuxième étape, la semaine prochaine : At- tachement et Test public.

— Ce qui signifie, concrètement ?

Je fronce les sourcils.

— Bisous en public, main dans la main, ex- clusivité.

Je ricane.

— Les filles, vous avez vraiment une sacrée confiance en moi, vous savez.

— Troisième étape, troisième semaine, pour- suit Kay. Sexe imminent, Couple de notoriété

publique.

— Tout le monde sera au courant ?

— Ben oui. (Lila hausse un sourcil dans ma direction.) Ce sera tellement plus satisfaisant de coucher avec lui et de le larguer si tout le monde est au courant !

— Ça me semble un peu… dur.

— Il faut frapper fort pour bien faire passer le message, petite fille, dit Kay.

— Elles ont raison, approuve Megan sans re- lever les yeux de la feuille. J’aime pas trop l’idée de lui faire du mal, mais il faut qu’il comprenne bien la leçon. Vu son attitude au bout de cinq se- maines d’université, j’ose pas imaginer comment il sera dans deux ans. Il faut lui faire passer le message clairement, et vite.

— Pourquoi ne pas simplement lui parler ? je tente. Pourquoi tout de suite les mesures ex- trêmes ?

— Parce que Braden Carter ne comprend que les choses extrêmes.

— D’accord, alors admettons que ça marche.

(J’enfonce l’index dans le lit.) Et qu’il tombe amoureux de moi. Je couche, je le largue, et en- suite ? Vous savez bien qu’il ne va pas abandon- ner comme ça. Il se battra pour me récupérer. Et je ferai quoi ?

Tout le monde se fige, et Megan se redresse en posant l’extrémité du marqueur dans sa bouche.

Kay penche la tête sur le côté et Lila se ronge un ongle.

— Je n’ai pas pensé à ça, dit lentement Megan.

Si Brad a bien un truc pour lui…

— En plus de l’évidence, tu veux dire ?

glousse Lila.

— En plus de l’évidence, acquiesce Megan avec un petit sourire, c’est que quand il veut quelque chose, il ne renonce jamais. Les filles, je n’aime pas devoir dire ça, mais Maddie marque un point. S’il tombe amoureux d’elle et qu’elle le laisse tomber, il va nous péter un plomb pour es- sayer de la récupérer. Il ne la laissera pas partir si facilement. S’il la laisse partir tout court.

J’écarquille les yeux.

— Et si c’est Maddie qui tombe amoureuse de lui ? demande Lila. Et si elle n’arrive pas à

coucher et le larguer ?

— Je t’en prie, je réponds en secouant la tête.

Braden représente tout ce que je déteste. Il est arrogant, égoïste, et c’est un porc. Aucun risque que je tombe amoureuse de ça.

— Mais il est aussi marrant, prévenant et, sous sa façade d’obsédé sexuel, c’est le genre de mec que tu as envie de présenter à ta mère. (Megan soupire.) Je le connais, Mad. S’il veut quelque chose, il fera tout pour l’avoir.

— Alors on lui rappellera tous les jours pour- quoi elle le déteste, fait Kay dans un haussement d’épaules.

— Il se peut que ça ne suffise pas.

— Mais si, je réplique fermement. Si, ça suf- fira.

— D’accord, revenons-en au problème initial.

S’il tombe amoureux.

Lila bascule d’avant en arrière en balançant ses jambes.

— On s’en occupera le jour où ça arrivera.

(Kay hausse les épaules.) Je vois pas ce qu’on peut faire d’autre.

Hum.

— D’accord. Et la dernière étape ? je de- mande.

— Quatrième étape, Coucher et Larguer.

(Megan l’écrit sur la feuille et l’entoure de petites fioritures.) Je pense que c’est inutile de donner des détails.

— En effet, j’acquiesce. C’est inutile.

J’observe la feuille de papier colorée par-des- sus son épaule. Elle est divisée en quatre, une couleur par étape. Je pousse un soupire. Dans quelle histoire elles m’ont convaincue de m’embarquer cette fois-ci ?

Je m’essuie le visage avec le bas de mon tee- shirt. Ces températures automnales élevées, c’est pas un temps à jouer au football pour la plupart des gars de cette maison. Même moi, j’ai du mal par- fois, alors que je joue depuis que je suis en âge de lancer un foutu ballon.

— Pause, crie Tony Adams. S’il vous plaît ?

Je secoue la tête.

— T’es une putain de mauviette, Adams.

— Désolé, je viens du Maine et j’ai pas l’habitude de ces températures désertiques.

— On est pas dans le désert, crétin.

Kyle lui donne une tape à l’arrière du crâne et on se dirige vers l’endroit où sont assises toutes les filles – et Maddie.

— C’est tout comme, grommelle Adams.

Je secoue la tête, attrape une bouteille d’eau et, avec Ryan, je m’approche de Megan et les autres.

— Mesdemoiselles, je fais en souriant à Mad- die.

Elle me renvoie un petit sourire.

— Mollo sur la drague, Casanova, me lance

Megan en tirant sur mon tee-shirt pour que je m’assoie. Personne n’est intéressé par ici.

— Sauf moi.

Je lance un clin d’œil à Maddie.

— Oui, Braden, on connaît tous l’intérêt que tu portes à ta personne, dit Lila en levant les yeux au ciel.

— Ryan, tiens ta meuf, je taquine.

— Fais gaffe, Carter, Lila rétorque, ou moi c’est tes couilles que je vais tenir.

Je souris et capte le regard de Maddie. Elle rit en silence, sexy comme pas deux dans une petite robe estivale qui met ses jambes minces en valeur.

— Alors, Maddie…

Je me penche en arrière.

— Alors, Braden… elle répond en me regard- ant par-dessous ses épais cils recourbés.

— Pousse ton cul, dit Kyle avant de venir s’asseoir à côté de moi. Salut, les gars, salut,

Maddie.

Il lui fait un signe de tête.

— Kyle.

Elle lui adresse un grand sourire et mes poils se hérissent un peu. Je savais que ce mec était grossier, mais putain !

— Comment ça va, sublime créature ?

— Bien et toi ?

— Mieux maintenant que je te vois, ça c’est sûr.

Il fait un clin d’œil, elle sourit.

Je plisse légèrement les yeux et Megan me donne un coup de coude.

— Jaloux, Brad ?

Je ricane.

— De Kyle, c’est ça, ouais.

— D’accord, elle murmure, incrédule. Mais t’es en train de te transformer en Mister Jalousie.

— Cause toujours, Meggy.

— Sérieusement, Brad, si tu veux lui parler, parle-lui. Elle va pas te mordre.

— Ça pourrait me plaire.

— Quel porc ! (Elle secoue la tête.) Je vois bi- en qu’elle t’intéresse, alors propose-lui de sortir.

— Je sors pas en couple, Meggy, tu le sais. Et si je décidais de l’emmener quelque part, je saur- ais même pas où.

— Tu lui proposerais un rencard ?

Elle fait un sourire malicieux.

— Je ne dis ni oui ni non. Mais je pourrais l’envisager.

— Au Starbucks. Elle adore les muffins à la myrtille. (Elle sourit, satisfaite et amusée.)

Laisse-la juste apprendre à te connaître. Pas le

Braden chaud lapin, le vrai Braden.

— Peut-être.

Je tourne de nouveau la tête vers Maddie, et elle nous regarde, Megan et moi, en plissant légèrement les yeux. Elle secoue la tête et je jette un regard interrogateur à Megan. Elle détourne la tête et je secoue la mienne. Les filles. Je serai ja- mais foutu de les comprendre.

Un rencard. Pourquoi j’ai pas pensé à ça quand j’ai accepté le plan d’Aston et Ryan hier soir ?

Comment j’ai pu penser qu’il ne serait pas ques- tion de rencard ? Bien sûr qu’il en est question, et il en est déjà question maintenant.

Aston nous appelle pour qu’on reprenne le match, et je me lève en tendant ma bouteille d’eau à Maddie avec un clin d’œil. Elle la prend, un demi-sourire aux lèvres, et, quand je m’éloigne pour rejoindre les autres, je sens son regard sur moi. Kyle retire son tee-shirt et alors, je comprends que tout ça va se transformer en concours de muscles.

C’est un secret pour personne que Kyle a des vues sur Maddie, et si je veux relever le défi que m’ont lancé les gars, je vais devoir passer à la vitesse supérieure.

Je jette un regard par-dessus mon épaule, et son regard est sur Kyle. Putain. J’attrape le bas de mon tee-shirt, le retire et le jette sur Megan. Elle plisse le nez et je ris, remarquant au passage que

Maddie a reposé les yeux sur moi.

Parfait.

Kyle plisse les siens et j’affiche un putain de sourire jubilatoire. Je sais que quand je suis torse nu, je le fais passer pour un gamin de dix ans en comparaison.

On se remet tous en place et le match reprend.

J’ai bien l’impression que Kyle me cherche de plus en plus souvent, et je sais qu’il essaie de m’afficher comme un con. Heureusement, tout le monde sait que j’en suis un et en ce qui concerne le football, il peut aller se faire foutre bien pro- fond.

Il attrape le ballon et je le plaque. Il tombe la tête la première dans l’herbe et jure.

— J’ai glissé. Désolé, je souris.

— T’as glissé, mon cul !

Il se relève et s’approche de moi.

— Oh là, oh là ! (Ryan bondit pour s’intercaler entre nous lorsqu’il voit mes muscles se crisper.)

On descend d’un cran sur la testostérone, les gars.

C’est qu’un match de foot.

— Ouais, Kyle, descends d’un cran.

— Si t’essaies de la convaincre que t’es le meilleur de nous deux, bon courage. Elle est pas aussi stupide que ta clientèle habituelle.

Je pars au quart de tour et Ryan pose une main sur mon torse pour me retenir.

— Non, mec. Va te calmer.

Je prends une profonde inspiration et hoche la tête.

— Très bien.

Je shoote dans le ballon et retourne auprès des filles.

— T’es même pas capable de faire un match de foot sans que ça devienne un concours de muscles, Brad ? lance Megan en éclatant de rire.

Je lui jette un regard, récupère mon tee-shirt et reprends ma bouteille des mains de Maddie.

— Tout va bien ? elle demande doucement.

Je bois une gorgée en la regardant.

— Ouais, tout va bien, mon ange.

— Tant mieux.

Elle me sourit et Kay pousse un soupir.

— Je vais me décaler, elle dit d’un air fausse- ment agacé.

— Oh, Kay. (Je m’assois à la place qu’elle vi- ent de libérer.) Comment t’as deviné ?

— Ça se voit que t’as besoin de te reposer.

Elle cligne des yeux et Megan éclate de rire.

— Te reposer avec Maddie, surtout, Lila glousse.

Maddie se met à rougir légèrement.

— Il y a un paquet de choses que j’aimerais faire avec Maddie, mais aucune qui se fasse en public…

Elle ouvre la bouche, la referme. Megan, Lila et Kay éclatent toutes les trois de rire, et je donne un petit coup de coude à Maddie.

— Désolé. Je t’ai pas embarrassée au moins ?

— Non, elle répond d’une voix grinçante. Pas du tout.

Je ris en passant un bras autour de ses épaules.

— Moi je pense que si, et je suis désolé. C’était pas mon intention.

— Ça va, elle réplique, un peu crispée par ma proximité.

— Non, ça va pas, j’insiste.

— Fin du match ! Megan s’exclame, et tout le monde se lève.

Je les imite et tends la main à Maddie. Elle l’accepte et je l’aide à se relever avec un sourire.

— Merci.

Elle me rend mon sourire, retire sa main et commence à suivre les filles.

— Hé, Maddie ?

Elle s’arrête et revient vers moi en calant une mèche de cheveux derrière son oreille.

— Ouais ?

— On a cours de littérature anglaise demain, c’est ça ?

— Ouais.

— Tu as un cours avant ?

— Non, j’ai une heure de libre. En général je vais réviser à la bibliothèque.

— Tu ferais une exception demain ? je de- mande en m’appuyant contre le mur, face à elle.

— Pourquoi ?

Elle sourit légèrement.

— On pourrait prendre un café avant le cours.

J’ai entendu dire que tu aimais les muffins du

Starbucks.

Je lui prends une mèche de cheveux et une lueur d’amusement s’allume dans son regard.

— Braden Carter, est-ce que tu es en train de me proposer un rencard ?

Elle hausse les sourcils.

— Hum. (Je jette un regard autour de moi et

Megan me tourne le dos. Elle hoche une fois la tête, rapidement.) Oui. Ouais, c’est ça.

— Dis-le.

— Dire quoi ?

— Je veux t’entendre me proposer un rencard, parce que c’est un moment historique.

— Hé ! je proteste. D’accord. Maddie, tu voudrais venir boire un café avec moi demain av- ant le cours d’anglais ?

Elle fait un grand sourire.

— J’adorerais.

— On se retrouve au Starbucks environ une demi-heure avant le cours, alors ?

— Alors on a rencard, elle acquiesce avant de tourner les talons et de rejoindre les filles.

Je pousse un soupir et secoue la tête. Putain de merde.

Je fais un détour par la chambre après mes cours de la matinée. Je referme bruyamment la porte der- rière moi et m’y adosse.

Je suis sur le point de sortir avec Braden Carter, le play-boy en titre, tout ça à cause d’un stupide défi. Mais est-ce le défi qui est stupide, ou moi de l’avoir accepté ?

Je vote pour les deux.

Je me brosse les cheveux et retouche mon ma- quillage en jetant un œil à la feuille de papier au mur. Première étape, l’Attachement. L’objectif d’aujourd’hui est de lui donner envie de plus, de lui donner envie de revenir demain. Je soupire et quitte la chambre, descends les escaliers en cour- ant et sors sous le soleil de Californie. Ma jupe volette autour de mes cuisses tandis que je me di- rige vers le Starbucks du campus, des papillons qui dansent la java dans le ventre. Pourquoi des papillons ? Je hais ce type. Et ce n’est même pas un vrai rencard.

Cette pensée n’atténue en rien les battements sourds de mon cœur quand je l’aperçois. Il est ap- puyé contre la façade, les écouteurs dans les or- eilles, et hoche la tête en rythme. Il a les mains dans les poches de son jean noir moulant. Comme s’il avait senti ma présence, il relève les yeux et son regard bleu électrique croise le mien.

Il sourit en me voyant approcher et les papil- lons dans mon ventre se transforment en troupeau d’éléphants. J’ai mal au cœur.

— Salut, mon ange, dit Braden en ouvrant la porte pour me laisser entrer.

— Salut. Merci.

— Je t’en prie. (Il pose une main dans mon dos et me guide vers le comptoir.) Qu’est-ce que tu prends ?

— Un double Frappuccino aux pépites de chocolat, s’il te plaît. (Je souris devant son air confus.) Quoi ?

— Des pépites de chocolat dans un café ?

Pourquoi ?

— Pourquoi pas ? je réponds avec un hausse- ment d’épaules. C’est délicieux.

— D’accord, je vais essayer aussi.

— Qu’est-ce que tu prends, d’habitude ?

— Heu, un café normal. Tu sais, ce que boivent les gens normaux ?

Il rit.

— Tu es en train de dire que je ne suis pas nor- male ? je demande en fronçant les sourcils tout en approchant du comptoir.

— Pas du tout. (Il sourit.) Bonjour, je voudrais un, heu, comment t’as dit déjà ?

Il me jette un regard penaud. Je soupire, lève les yeux au ciel et secoue la tête.

— Deux doubles Frappuccino aux pépites de chocolat, s’il vous plaît.

— Et deux muffins aux myrtilles, ajoute

Braden en me regardant.

Je rougis légèrement et il glisse une main au- tour de ma taille. La serveuse vole des regards vers lui alors qu’elle prépare nos boissons. Je me retiens de lever de nouveau les yeux au ciel. On prend nos gobelets et Braden paie.

— C’est toujours comme ça pour toi ? je lui demande tandis qu’on s’assoit.

— Comment ?

— Les filles qui te dévisagent.

— Qui me dévisage ?

— La serveuse. T’as pas remarqué ?

Il hausse négligemment une épaule.

— J’y fais pas trop attention. J’y fais attention seulement s’il y a une bonne raison.

— Oh, je me sens tellement privilégiée, je réplique avec sarcasme.

— Hé, dit-il en haussant un sourcil. Je suis en rencard avec toi, alors tu n’es pas seulement une bonne raison. En fait, tu es probablement une trop bonne raison.

Je sirote mon café et arrache un bout de muffin que je fourre dans ma bouche.

— Alors qu’est-ce que tu fais là ? Si je suis une trop bonne raison.

— Parce qu’on ne sait jamais avant d’avoir es- sayé, non ? Comme ce café. Je savais pas à quel point c’était bon avant d’essayer. Je saurai jamais si je suis assez bon pour toi avant d’avoir essayé.

Waouh. Braden Carter veut coucher avec moi.

Et pas qu’un peu.

— T’as gagné, je dis avec un sourire.

— Et Kyle a des vues sur toi. Je supporte pas la concurrence.

— Ah, alors c’était ça, hier.

Ils se battaient pour moi ?

De vrais hommes des cavernes.

— Ça se peut bien, ma belle.

— C’est même sûr. (Je soupire.) Donc vous vous battiez vraiment pour moi ! Moi ? Waouh.

Je secoue la tête.

— Fais pas comme si t’étais choquée, Maddie.

On n’est pas les seuls mecs de cette maison à

avoir des vues sur toi, avoue-t-il.

— Tu t’es juste dit que tu devais passer le premier ? je fais sèchement remarquer.

— Oui. Enfin, non. Enfin. Merde. (Il grogne.)

C’est vraiment pas comme ça que je voulais que

ça se passe.

Je jette un coup d’œil à l’horloge.

— Oui. Je me suis dit que je devais passer le premier, mais seulement parce que j’aurais été

carrément jaloux de te voir avec un de ces types.

— D’accord. Bon, il faut aller en cours. Ça commence dans cinq minutes.

Braden soupire et on se lève tous les deux.

J’emporte ma boisson et on se dirige vers la porte. On retourne sur le campus principal en si- lence, et je regrette presque qu’on ait cours en- semble. Le silence est tendu, même si je déteste ce mec.

— Maddie, dit-il en m’attirant sur le côté avant d’entrer dans la salle. C’était pas censé se passer comme ça. Je suis désolé.

Je jette un regard à l’intérieur de la classe.

— C’est pas grave, Braden. Enfin, je veux dire, tu ne fais pas dans le rencard toi, d’accord ? Donc maintenant tu sais avec certitude que c’est pas ton truc.

Il tend la main pour caler une mèche de cheveux derrière mon oreille.

— Si, pour moi c’est grave. Laisse-moi re- tenter ma chance. S’il te plaît ?

Je plisse les yeux.

— Est-ce que tu es en train de me proposer un deuxième rencard ?

— Ouais, dit-il d’une voix douce. Je te propose un deuxième rencard.

— Je vais y réfléchir et je t’appelle.

— Tu n’as pas mon numéro.

Il m’adresse un petit sourire.

Je me dirige vers la salle et me retourne en ar- rivant devant la porte. Il n’a pas bougé et me re- garde toujours avec la même expression sur les lèvres.

— Alors on dirait que tu vas devoir attendre, non ?

Je lui fais un petit sourire narquois et Megan apparaît. Elle nous regarde à tour de rôle.

— Combien de temps ? demande Braden.

— Le temps que j’aurai envie de te faire at- tendre. (J’adoucis mon sourire.) Allez viens, tu vas être en retard en cours.

J’entre avec Megan et on se glisse à nos places.

— Un deuxième rencard ? me murmure-t-elle

à l’oreille.

— Ouais, je réponds. Mais il ne le sait pas en- core.

Je la quitte pas des yeux pendant le cours. Me faire attendre ? C’est pas mon putain de genre, d’attendre. Mais voilà où j’en suis.

J’attends.

Je secoue la tête pour chasser ces pensées et me concentrer sur le cours, mais c’est impossible.

La fille que je suis censé rendre amoureuse est en train de mener la danse. J’imagine que c’est ce qui arrive quand on foire le premier rencard, c’est ça ?

C’est déjà le bordel, et c’est seulement le deux- ième jour. Et où je suis censé l’emmener pour un deuxième rencard ?

Le cours se termine, et je suis Maddie et Megan

à l’extérieur. En passant à côté d’elles, je tire sur une mèche de cheveux de Megan et caresse le bras de Maddie du bout des doigts. Elle lève les yeux vers moi et me sourit. Je lui fais un clin d’œil en m’éloignant dans la direction opposée, vers la résidence de la fraternité.

Quand j’arrive là-bas, Ryan est assis sur le canapé, les pieds relevés.

— Comment ça s’est passé ?

— J’ai foiré, évidemment. (Je me laisse tomber

à côté de lui.) Je connais absolument que dalle

à ces conneries de rencards, mec. J’arrive pas à

croire que tu me fasses faire ça.

— Je te fais rien faire du tout. C’est toi qui as accepté.

— Ouais, eh ben, si jamais elle accepte, faut que je trouve un endroit où l’emmener pour un deuxième rendez-vous.

Ryan se met à rire.

— Qu’est-ce qu’il y a de drôle ?

— Braden Carter qui me demande des conseils en matière de rencard ! (Il glousse.) J’aurais ja- mais cru voir ça un jour.

— J’aurais jamais cru me voir un jour filer des foutus rencards.

— T’as qu’à essayer vendredi.

— Vendredi ? C’est dans quatre jours et il y a une fête.

— Quel meilleur moyen de lui montrer que tu es sérieux en faisant l’impasse sur ta propre soirée ? Ryan fait en haussant les sourcils.

— Et où j’emmène la princesse pour notre ren- card ?

— À la plage ? Faire une balade sous les

étoiles, Ryan suggère en imitant une voix de fille, avant de soupirer.

— Génial, je réponds en soufflant. Et en at- tendant ?

— Pointe-toi quand elle s’y attend le moins.

Passe du temps avec elle. (Il hausse les épaules.)

Ces conneries, ça a marché avec Lila.

— D’accord. Elle a dit qu’elle passait ses heures de perm à la bibliothèque. Là, par ex- emple ?

— T’as qu’à demander à Megan quand elle a des heures de perm, mais fais gaffe qu’elle se doute de rien.

— Mec, c’est elle qui m’a dit où emmener

Maddie pour notre premier « rencard ». Tu peux

être sûr que Megan a une idée derrière la tête.

Il me jette un regard entendu.

— Alors assure-toi de t’en tenir à notre plan et de pas tomber dans le sien.

— Je tombe pas amoureux, Ry. (Cette idée me fait ricaner.) Et certainement pas de princesses comme Maddie.

— Et pourtant t’es prêt à faire semblant pour l’attirer dans ton lit.

— Aux grands maux les grands remèdes, mon pote. J’obtiens toujours ce que je veux, et je veux

Maddie dans mon lit.

— Dans ce cas, j’espère que tu sais ce que tu fais. On sait tous comment est Megan quand elle a une idée derrière la tête.

— Megan peut bien se les garder, ses idées. J’y ai jamais fait attention quand on était gamins, et c’est pas aujourd’hui que ça va commencer. En plus, c’est pas comme si ce truc avec Maddie était réel. Tout ça c’est qu’un jeu, mec.

— Un jeu dangereux ? Ryan fait en gloussant.

— Un truc dans le genre. Et celui qui tombe amoureux perd la partie.

— Et Braden ne perd jamais, c’est ça ? Ryan dit avec un sourire ironique.

— C’est ça.

Je frappe à la porte de la chambre de Lila et

Megan avant d’ouvrir. Elles sont toutes les deux allongées sur leur lit en train de travailler, et je me laisse tomber par terre entre elles, laissant la porte se refermer toute seule.

— Où est Kay ? demande Lila avec un regard vers moi.

— Elle, heu, est en train de se divertir.

— Oh.

Elle entrouvre légèrement la bouche.

— Ouais. Oh.

— C’est qui cette fois ? demande Megan en se redressant.

— Darla quelque chose. Aucune idée, et pour

être honnête, je préfère ça. C’est pas comme si j’allais la revoir.

Elle hoche la tête.

— Des nouvelles de Brad ?

— Pourquoi j’en aurais ? Il n’a pas mon numéro.

— Pourquoi ? sourit Lila.

— Parce que je le tiens à distance.

— Parce qu’il a foiré le premier rencard, lui en a proposé un deuxième et qu’elle lui a pas encore répondu, précise Megan.

— Ah bon ? s’exclame Lila. Oh, joli, Mad.

C’est pas ça qui va le retenir.

— C’est pas pour ça. (Je retire une petite pe- luche de mon jean.) Je vois bien l’effet qu’il fait aux filles. Ça me rend malade. Et je compte pas faire comme elles, me pavaner à ses pieds juste parce que le tristement célèbre Braden a pronon- cé mon nom. Si je dois piéger ce mec à son propre jeu et le faire tomber amoureux de moi, j’ai l’intention qu’il me respecte pendant tout ce temps.

Megan sourit.

— Et c’est pour ça, chérie, que tu es parfaite pour le job.

Lila hoche la tête.

— C’est vrai, et ça va marcher justement parce que tu sais ce que tu fais.

Parce que je sais comment gérer les connards têtus et arrogants.

— Bref. Je veux juste en finir. L’idée de faire semblant de tomber amoureuse de lui me donne envie de vomir.

Le téléphone de Megan se met à carillonner et elle s’empare de l’appareil posé à côté d’elle.

Elle sourit en regardant l’écran et écrit un mes- sage sans tarder.

— Quelque chose d’intéressant ? lui demande

Lila.

— Non, répond-elle en roulant sur le dos.

Alors, on en est où de l’Opération Piéger le

Joueur ?

— On attend pour le deuxième rencard. On le fait mijoter un peu.

Je m’adosse contre son lit et elle attrape un car- net.

— Et quand est-ce qu’on va lui donner une ré- ponse ?

Je n’y ai pas réfléchi. Du tout.

— Vendredi, certainement.

Elles hochent la tête toutes les deux.

— Vendredi c’est parfait. Ça lui laisse le temps de prévoir quelque chose pour le week-end.

— Mais est-ce qu’on est pas censés être « ex- clusifs », la semaine prochaine ?

Je les regarde à tour de rôle, confuse.

— Vous le serez. (Megan referme le carnet.)

Vous avez deux cours ensemble, c’est ça ? Alors vous vous verrez à ce moment-là, et en plus vous avez une heure de perm qui tombe en même temps.

— Et ?

Lila grogne.

— T’as jamais eu de rencard ou quoi ?

— Si, un.

— Un ? (Elle se redresse.) Un seul ?

— Oui.

— Pourquoi ?

Parce que tous les mecs de Brooklyn étaient re- poussants.

— Parce que, c’est tout.

— Attends une minute. (Megan s’assoit et me regarde.) Maddie, ma chérie. Est-ce que tu es vi- erge ? Parce que si t’es vierge on va pas te faire faire ça.

Nous y voilà. Ma chance d’en sortir. Pour une raison qui m’échappe, je ne la saisis pas.

— Non. Je ne suis pas vierge.

— Pff ! (Elle s’effondre en arrière, soulagée.)

Je ne t’aurais jamais poussée à perdre ta virginité

comme ça.

— Qu’est-ce qu’on fait alors ? demande Lila.

Est-ce que Mad et Braden vont passer du temps ensemble hors rencard ?

— Oui, répond Megan. À partir de demain.

J’échangerai ma place avec lui en anglais. Il est à

côté d’Aston, et je suis sûre que ce sera pas diffi- cile de convaincre Aston que je suis intéressée.

Elle plisse le nez.

— Et tu l’es pas ? je lui demande. Il est plutôt sexy.

— J’avoue que ces petits cheveux courts sont plutôt sexy, mais il est aussi un peu trop féminin pour un hétéro. Il passe trop de temps à se pré- parer.

Lila grogne.

— T’as jamais vu mon petit copain ? Ryan est pareil.

Elles continuent à parler d’Aston et Ryan pendant que je me perds dans mes pensées tout en me rongeant les ongles. D’abord les rencards, ensuite passer du temps en dehors, et maintenant

échanger nos places ? Ça devient de la folie.

Enfin, je me doute que ça doit bien arriver à un moment ou un autre, mais c’est trop rapide. Com- ment voulez-vous que je passe autant de temps avec un type que je déteste ?

J’enroule une mèche de cheveux autour de mon doigt tout en fredonnant doucement, et entre dans la bibliothèque.

Je jette un rapide coup d’œil à l’horloge :

10 h 55. J’ai cinq minutes d’avance pour mon rendez-vous avec Megan – même si ça ne veut ri- en dire étant donné qu’elle est toujours en retard, de toute façon.

Je m’assois à ma place habituelle tout au fond et jette mon sac sur la table, arrachant un écouteur au passage. Je pousse un soupir tout en le re- mettant en place et sors les cours d’anglais que j’avais repoussés jusque-là. S’il y a bien une chose que je déteste, c’est Shakespeare. Je ne le comprends tout simplement pas ; trop de tragédie dans son œuvre. Je suis plus sensible au « et ils vécurent heureux » de Disney.

Je suppose que quand on a eu sa dose de tragédie dans la vie, vivre heureux pour l’éternité

peut devenir une ambition à part entière.

J’ouvre le manuel à la bonne page et fais tourn- er mon stylo entre mes doigts. Les lettres s’embrouillent sous mes yeux et je les frotte pour m’éclaircir la vue.

Je n’arrive pas à me concentrer, et je sais pour- quoi. C’est ce défi. Ça me tape déjà sur les nerfs.

Il me tape déjà sur les nerfs.

Foutu Braden Carter, foutues copines et foutu créateur qui a inventé le jeu dangereux de la sé- duction. Ce Cupidon, j’aurais adoré lui enfoncer sa fichue flèche dans le cul.

— Ce livre a vraiment l’air très intéressant, dit une voix douce et suave par-dessus mon épaule.

Ça fait cinq minutes que tu le regardes fixement.

— Braden, dis-je sans avoir besoin de me re- tourner pour savoir que c’est lui.

Les poils qui se dressent sur ma nuque sont un indice suffisant.

— Tu veux de la compagnie, mon ange ?

Il se glisse sur le siège à côté de moi.

Je le regarde.

— Apparemment, tu as décidé de rester quoi qu’il arrive.

Une lueur d’amusement brille dans ses yeux.

— C’est un oui ?

— C’est plutôt « j’attends Megan mais peu im- porte ».

— En fait, non. (Il me pousse légèrement le pied avec le sien. Je fronce les sourcils.) Elle m’a dit qu’elle devait aller quelque part et m’a de- mandé de venir te prévenir. Et puisque j’ai une heure de perm, je me suis dit que j’allais venir te voir. Si ça te dérange pas.

La petite sournoise !

— Eh bien, non, alors. Mais je te préviens, quand je travaille, je ne suis pas très bavarde.

— Moi non plus.

Il me sourit et, en mon for intérieur, je soupire.

J’ai l’impression de soupirer un peu trop souvent, ces temps-ci.

Je lance la musique sur mon iPod en mode aléatoire et place le deuxième écouteur dans mon oreille. Je reporte mon attention sur Beaucoup de bruit pour rien, et essaie de me concentrer sur la langue ancienne de Shakespeare. Rien à faire.

Je me débats avec des vieilles expressions désuètes pendant un long moment quand je sens le bras de Braden posé sur le dossier de ma chaise. Il attrape une mèche de mes cheveux et joue avec du bout des doigts. Je l’ignore. Ou plutôt, j’essaie.

Il est assis à côté de moi, comme si de rien n’était. Il mâchouille le bout de son stylo et tourne les pages de ce qui ressemble à un bouquin de chimie. Il ne semble pas se rendre compte que je l’observe.

Que je l’observe ? Zut. Je reporte de nouveau mon attention sur mon livre, en le laissant me tri- fouiller les cheveux, et reprends l’analyse de la scène pour M. Jessop.

Un écouteur tombe de mon oreille.

— Prête ? demande Braden.

— Pour quoi ?

Je fronce les sourcils.

— Pour aller en cours. (Il sourit.) T’es vraiment à fond quand tu travailles, hein ?

— Ça m’arrive. (Je fourre toutes mes affaires dans mon sac. Il me le prend des mains.) Je peux porter mon sac, tu sais.

— Je sais.

Il se met en marche et je le suis en secouant la tête. Il me tient la porte de la bibliothèque, je sors et tends la main.

— Mon sac. S’il te plaît.

— Pourquoi tu ne veux pas me laisser le port- er ?

Je hausse un sourcil.

— Braden, je ne crois pas t’avoir jamais vu porter le sac de qui que ce soit.

Il hausse les épaules et pose une main dans mon dos pour me guider vers la salle d’anglais.

— Tu n’es pas n’importe qui.

Je pince les lèvres et écarquille les yeux en voyant Megan assise à la place de Braden à côté

d’Aston. Je lui jette un regard noir et elle me ren- voie un sourire.

— Je m’assois à côté de toi, apparemment, dit

Braden avec le même sourire.

— Apparemment. (Je m’installe et il me tend mes affaires.) Merci. Ce n’était pas nécessaire, mais merci.

— Quand tu veux. (Il tourne ses yeux bleus vers moi par-dessous sa touffe de cheveux blonds en pagaille.) Tu t’es décidée pour ce deuxième rencard ?

Je tourne la tête vers M. Jessop qui entre dans la salle.

— Je réfléchis toujours.

Braden se penche vers moi, sa bouche à

quelques millimètres de mon oreille.

— Tu vas céder, Maddie.

— Ah bon ?

— Ouais, souffle-t-il. J’aurai un deuxième ren- card, et un troisième, et ainsi de suite.

— Tu es vraiment sûr de toi pour quelqu’un qui a foiré le premier.

— Et c’est pour ça que tu vas m’en accorder d’autres. C’est autant de chances de me racheter.

Il a raison. Il aura d’autres rencards, bien sûr que oui.

Mais pas pour les raisons qu’il pense.

Je suis sûr que c’est pas censé être aussi com- pliqué de fixer des putains de rencards. Un simple oui ou non devrait suffire. Toute cette foutue at- tente me rend fou. Alors qu’est-ce que je fais là, à

l’attendre devant sa résidence ?

Parce qu’on est mercredi, deux jours après notre premier « rencard » et deux jours avant le deux- ième. Pour lequel je vais louper ma soirée.

La porte s’ouvre et Kay apparaît.

— T’as une raison valable de rôder devant ma chambre, Carter ?

Elle pose une main sur sa hanche et me regarde de la tête aux pieds.

— Maddie est dans le coin ?

— Tu pourrais appeler pour poser la question, tu sais. Poireauter devant la résidence des filles,

ça fait mauvais genre.

Ma mâchoire se crispe.

— Contente-toi de répondre à ma question,

Kay.

— Oui. (Elle lève les yeux au ciel.) Elle a cours dans une demi-heure.

— Y a moyen que tu lui demandes de des- cendre maintenant ?

Elle pousse un soupir et sort son téléphone.

Elle appuie sur un bouton et colle l’appareil contre son oreille.

— Il y a un admirateur qui t’attend en bas.

Elle raccroche et s’éloigne d’un pas vif.

— Merci, Kay ! je lui lance et elle me fait un doigt d’honneur.

Poufiasse.

Je passe la main dans mes cheveux et Maddie apparaît à la porte. Deux filles la dépassent en courant et en pouffant, et elle secoue la tête.

— Est-ce que ce n’est pas un peu indigne de toi de venir rôder comme ça, Braden ?

Ses lèvres roses et brillantes s’étirent d’un côté. Elle a de grands yeux verts soulignés d’un léger trait de crayon brun, et ses cheveux auburn sont coiffés sur le côté, laissant apparaître son cou très légèrement bronzé.

— À toi de me le dire, Maddie, je réplique.

(Elle s’appuie contre le mur, et je l’imite.) Tu m’accordes un deuxième rencard ou bien je dois continuer à te harceler ?

Elle joue avec une mèche de ses cheveux, fais- ant glisser ses doigts de haut en bas. Et je me de- mande ce qu’elle peut faire glisser d’autre entre ses doigts.

C’est pas le moment, Braden. Tu dois la faire tomber amoureuse, pas la prendre sauvagement sur le trottoir.

— Peut-être, elle répond en me ramenant au présent.

Sauf que maintenant, mon cerveau est con- centré sur la manière dont elle bouge les lèvres quand elle parle.

— Peut-être que oui, ou peut-être que je dois rôder encore un peu ? Je dois dire, ma belle, que je suis partant pour les deux.

Je balaye son corps du regard, le débardeur moulant et le minishort, et je remonte.

— Le harcèlement peut avoir ses avantages.

Elle lâche un hoquet et me donne une tape sur le bras. Aïe. Ça fait mal.

— T’es un porc.

— C’est ce qu’on n’arrête pas de me dire. (Je soupire.) Mais au moins, je suis un porc honnête.

— En effet. (Elle rit.) Disons que ça dépend de ce que tu as en tête pour ce deuxième rencard.

— On dirait que tu vas devoir attendre pour le savoir.

— Parce que tu n’en as aucune idée ?

Merde. Trop maligne.

— J’ai juste deux ou trois choses à finaliser.

— Quelle prétention, elle dit d’un air de défi.

— Je trouvais ça plutôt prometteur, je contre en riant. Qu’est-ce que tu dis, Maddie ? S’il te plaît ?

Elle se mord le coin du pouce et j’enfonce les mains dans mes poches.

— D’accord. Un autre rencard.

— Vraiment ?

— Vraiment, Braden. (Elle ferme les yeux une seconde et se tourne vers la porte. Elle tape le code et l’ouvre avant de me jeter un regard par- dessus son épaule.) Si tu foires celui-là, ce sera le dernier. Je suis pas là pour jouer.

Elle entre et les portes se referment derrière elle. Je me retourne et m’éloigne.

Maddie n’est pas là pour jouer. Sauf qu’elle n’a pas conscience d’être déjà en pleine partie.

Je n’ai aucune idée de ce qu’on va pouvoir faire. Honnêtement, trouver une idée avec mon cerveau anti-rencard, c’est loin d’être gagné.

C’est juste impossible. Je reconsidère les conner- ies de balade sur la plage que Ryan m’a sug- gérées, mais je peux quand même pas me con- tenter de ça. Si ? Merde.

Quand les choses se compliquent, Google est ton ami. Google sait tout.

Je sors mon ordinateur de sous mon lit et l’allume, la jambe tremblante. Se donner autant de mal juste pour s’envoyer en l’air, ça devrait

être interdit dans ce foutu pays. Est-ce que les gens font ça dans la vraie vie ?

C’est n’importe quoi. Je fais n’importe quoi.

Je double-clique sur la souris et lance Google.

Je tape : Où emmener une fille pour un deuxième rendez-vous ? J’appuie sur « entrée » et mon télé- phone se met à sonner. Je le cale contre mon

épaule et épluche les résultats.

— Ouais ?

— Tu lui as parlé ? Megan demande.

— Ouaip. J’ai poireauté devant sa chambre tout à l’heure.

— Pardon ? Tu as fait quoi ? (Elle éclate de ri- re.) Tu l’as vraiment attendue dehors ?

— Je voulais une réponse. Tu sais que je suis pas patient.

Je clique sur un lien qui semble prometteur.

— D’accord. Et qu’est-ce qu’elle a dit ?

— Elle a dit oui. Quoi, tu t’attendais à ce qu’elle dise non ?

— C’était cinquante-cinquante.

Je sais qu’elle fait un sourire narquois, et j’adorerais pouvoir l’effacer de son petit visage d’effrontée.

— Elle a toujours eu l’intention de dire oui,

Meggy. Tu le sais très bien.

— Peu importe. Qu’est-ce que tu vas faire ? Tu as quelque chose de prévu pour le grand soir ?

— J’y travaille, je réponds d’un air vague.

— Ça veut dire non. (Elle soupire.) Tu as une idée de ce à quoi tu joues ?

— Si tu voulais bien te taire deux minutes, j’en aurais dix.

— Est-ce que tu es en train de faire ce que je crois ?

— Ça dépend de ce que tu crois que je suis en train de faire.

— Braden William Carter, est-ce que tu es sur

Google ?

Merde.

— Heu…

Elle pousse un profond soupir.

— Vas-y. Dis-moi ce que ça dit.

— OK. (Je fais défiler la page.) Dîner au resto, dîner à la maison, cinéma, opéra – sans blague, un opéra ? Tu peux toujours courir. Bon, heu, un pique-nique, du roller, un café – déjà essayé, sans succès –, un bowling. Bowling ? Ça pourrait le faire.

— Et vous pourriez manger un morceau là-bas,

Meggy suggère. Ce serait fun.

— Mais ça plairait à Maddie ?

— Est-ce que tu es vraiment en train de me de- mander si ça lui plairait ? Notre cher insatiable qui se montre prévenant ?

— Va te faire foutre. (J’étouffe un rire.) Je comprends rien à ces histoires de rencards et tu le sais. Tire-moi de là.

— Est-ce que tu sors avec elle juste pour la mettre dans ton lit, Bray ?

Elle pose la question si vite que j’ai un temps d’arrêt.

Oui.

— Non. Pourquoi tu me demandes ça ?

— J’ai peut-être du mal à croire que tu l’aimes vraiment bien et que tu ne veux pas juste te la faire.

C’est peut-être parce que tu as raison.

— Elle me plaît, Meggy. Elle est belle, drôle et intelligente…

— Et toi, on dirait un robot.

— Tu vois bien que j’essaie, là.

— Tu essaies tout le temps, Bray. Alors qu’est- ce que tu vas faire ?

Je soupire.

— Le bowling, ensuite une balade sur la plage, et je verrai si elle a envie de revenir ici pour la fête.

— Ça me semble pas mal. Allez, salut.

Elle raccroche et la tonalité résonne dans mon oreille. Je me demande parfois si je l’aurais pas déjà tuée si je la considérais pas un peu comme ma petite sœur.

Je compose le numéro du bowling et réserve une piste pour deux pour vendredi soir. La fille à

l’autre bout du fil glousse quand je lui donne mon nom, et je pousse un long soupir. Parfois – et ja- mais je ne le dirai à personne – les filles trop dé- monstratives me fatiguent un peu. Je réserve et je raccroche illico.

Je repose mon téléphone, ferme l’ordinateur et pose ma tête contre le mur. Rencard numéro deux ? Affaire réglée.

Je fixe mon téléphone des yeux, incrédule. J’ai quitté Brooklyn il y a six semaines et c’est main- tenant, seulement maintenant, que mon frère

Pearce s’est souvenu de moi. Ce message est le premier depuis mon arrivée à Berkeley. Enfin, son premier message. Je lui en ai envoyé un le premier jour pour lui dire que j’étais bien arrivée, et aucune nouvelle. Jusqu’à aujourd’hui.

Je regarde de nouveau mon téléphone. Je ne sais pas pourquoi je m’attendais à autre chose de sa part. Il ne prend contact avec moi que quand il a besoin de quelque chose. Et comme d’habitude, il est question d’argent. Je ne veux pas savoir pour- quoi il en a besoin, mais compte tenu de la somme qu’il m’a demandée, huit cents dollars, je dirais que c’est pour le loyer. Tout ça parce que ce connard égoïste et arrogant n’arrive pas à garder un boulot assez longtemps pour soutenir notre père suicidaire.

Je me frotte le front en essayant de chasser ces mauvais souvenirs, et je réponds à Pearce que j’appellerai la banque et virerai l’argent sur le compte de papa. Même si ça ne changera pas grand-chose. Pearce utilisera l’argent comme il veut de toute façon, en faisant passer papa en deuxième.

Une vague de culpabilité me submerge d’avoir laissé papa, mais je me force à rappeler que c’est ce qu’il voulait, et ce que maman aurait voulu pour moi. Pearce a toujours été trop égocentrique pour faire quelque chose de sa vie. C’était moi le cerveau, et c’était pour ça qu’elle avait économ- isé une somme à laquelle j’avais accédé à ma ma- jorité.

Elle avait un jour appelé ça les fonds d’études, en disant qu’elle avait économisé depuis le jour où elle avait appris que j’arrivais, qu’elle voulait que j’aie une bonne vie. Elle avait aussi épargné

pour Pearce, mais il s’est acheté une voiture et

Dieu sait quoi d’autre. Elle aurait honte de lui si elle le voyait aujourd’hui. Elle serait furieuse.

Je ferme les yeux pour chasser ces pensées de mon esprit. Au bout de trois ans, la plaie est tou- jours trop fraîche, trop vive. La douleur suinte toujours comme le sang coule d’une coupure, mais c’est supportable. Ce n’est qu’une partie de ma vie. Une autre partie que j’aurais dû laisser

à Brooklyn en partant. Mais, comme toute bonne tragédie, elle me poursuit.

Je décide de faire l’impasse sur la bibliothèque pendant mon heure libre et préfère travailler dans la bulle sécurisé de ma chambre. En plus, en al- lant à la bibliothèque, je risque de tomber sur

Braden.

La version californienne de mon frère.

Mes pensées dérivent sur notre « rencard » de demain soir. Il doit vraiment avoir envie de moi s’il est encore en train d’attendre. En général il traîne une demi-heure – si vous manifestez de l’intérêt, tant mieux. Sinon, il passe à la suivante.

Ouais, on ne peut pas nier qu’il ne plaisante pas avec sa vie sexuelle. En fait, une partie de moi re- specte presque sa façon de tout faire pour obtenir ce qu’il veut.

Mais une infime partie, de la taille de mon petit orteil. Le reste pense toujours que c’est un porc.

Je me demande ce que maman dirait si elle avait connaissance de ce défi. En tant que femme forte et indépendante, elle serait probablement un peu fière de savoir que j’allais le remettre à

sa place. En tant que mère, elle me conseillerait d’être prudente et de ne pas y laisser mon cœur en cours de route. Je ricane à cette idée. Laisser mon cœur à Braden Carter ?

Ça risque pas d’arriver.

— Décontracté, s’exclame Kay depuis la salle de bains.

— Non, décontracté chic, soutient Lila en sec- ouant la tête.

— Lila, ils vont au bowling, souffle Megan.

Elle doit être décontractée mais confortable. Une robe décontractée ou un joli haut et ton jean moulant, là.

— Celui qui fait un cul à mon cul ?

Je hausse un sourcil.

— Oui. Il faut bien appâter le client.

Elle se dirige vers ma commode.

— J’ai l’impression d’être une pancarte « Pro- motions » de supermarché, pas vous ? (Je lève les yeux au ciel.) En plus, je pensais qu’il devait tomber amoureux de moi, pas se transformer en

érection sur pattes.

— Le chemin qui mène au cœur de Braden passe par sa bite.

Elle s’empare du jean, referme le tiroir d’un coup de hanche et le plaque sur moi. Kay rit aux

éclats et revient dans la chambre.

— Braden a un cœur ? Elle est bonne celle-là,

Meg, très bonne.

— Hé. (Megan se retourne et pointe un doigt sur elle.) Oui, il en a un. C’est juste qu’il est en- veloppé dans du latex et en général enfoncé entre les jambes d’une fille.

— Charmant, je murmure en prenant le jean.

Lila me tapote le bras avec compassion.

— Ce sera pas si méchant, Maddie, dit-elle pour me rassurer. En plus, si tu lui dis que tu veux revenir à la soirée après, on sera là et tu pourras t’échapper quelques minutes.

— Mais ça va faire au moins deux heures. (Je regarde Megan dévaliser le contenu de ma pend- erie.) Deux heures toute seule avec Braden. Ça va

être une torture. Vous comprenez même pas, les filles.

— Tu ne peux pas le détester autant, Mad, s’étonne Megan en se retournant. Si ?

Je soupire en regardant la moquette.

— Vous avez pas idée. Je ne rigolais pas quand je vous ai dit qu’il incarnait tout ce que je déteste.

— Alors le fais pas. (Kay me transperce de son regard.) Laisse tomber. Abandonne.

Elle hausse une épaule.

— Quoi ?

Je fronce les sourcils.

— Si c’est à ce point, alors arrête tout. On ne t’en voudra pas, mais c’est toi qui n’arrêteras pas de te demander si ça aurait marché ou pas.

— Fais pas tes saloperies de psychologie in- versée avec moi, Kay.

Une moue sur le visage, je me lève et m’approche de ma penderie. Je sors un haut long et blanc avec des motifs floraux et attrape mes spartiates blanches.

— Vous savez toutes que je ne vais pas laisser tomber. Je vais devoir souffrir juste pour vous di- vertir.

Je pivote et me rue dans la salle de bains pour me changer. Abandonner. Ça m’irrite peut-être de devoir faire ça, mais je ne vais pas laisser tomber. J’ai dit que je le ferais, alors je vais le faire.

Je me change rapidement, me brosse les cheveux et les attache en queue de cheval. Une touche rapide de mascara, une pointe de poudre sur les joues suivie d’un peu de gloss sur mes lèvres, et je décide que ça suffira bien.

Kay m’accueille en sifflant quand je reviens dans la chambre.

— Sexy lady !

Elle m’adresse un clin d’œil et je lui renvoie un sourire.

— Ça vous va ?

Je tourne et fais une courbette.

— Parfait, déclare Megan. Braden sera incap- able de te résister.

Je m’approche du miroir et arrange ma frange.

Oui, ma frange, bien sûr, c’est le seul truc qui m’inquiète.

Un klaxon retentit dehors et Lila pousse un couinement en se ruant à la fenêtre.

— Il est là !

— Génial, je murmure en attrapant mon sac.

Amusez-vous bien sans moi et essayez de ne pas trop penser à moi, d’ac ?

— Tout ira bien, petite fille, dit Kay avec un sourire. Remue ton cul, agite tes cheveux, fais- moi battre tes cils deux ou trois fois et c’est dans la poche !

— C’est ça.

Je soupire et leur adresse un signe de la main par-dessus mon épaule avant de refermer la porte derrière moi. Je descends les marches en traînant des pieds pour raccourcir comme je peux la durée du « rencard ».

Je l’aperçois à l’entrée. Il a les mains dans les poches d’un autre jean noir délavé, et porte un tee-shirt noir sur son torse musclé. Il me sour- it, ses yeux bleus étincelant sous ses cheveux blonds.

Je comprends pourquoi les filles lui tombent dans les bras. Ce sourire est complètement désar- mant.

— Maddie, dit-il d’une voix douce. Tu es sub- lime.

Braden met le paquet ce soir, apparemment.

— Merci. Toi aussi, t’es pas si mal.

— Tu veux dire que tu vas pouvoir supporter d’être vue en public avec moi ?

Il me jette un regard interrogateur et je souris tout en faisant un pas sous les rayons du soleil du soir.

— Peut-être. Par contre, je te préviens, si on croise quelqu’un qu’on connaît, c’est moi qui vais me cacher.

Je le suis jusqu’à sa voiture – une Jetta noire.

Bien sûr. Je parie que c’est pas lui qui paye la fac- ture.

Il m’ouvre la portière. Je grimpe à l’intérieur et m’enfonce dans les sièges en cuir. Classe.

— Jolie voiture, je complimente quand il monte à côté de moi.

— Merci. (Il sourit.) Cadeau de diplôme. J’ai travaillé dur pour avoir ce bébé.

Il tapote le tableau de bord et démarre le moteur. Il s’éloigne lentement de ma résidence.

— J’en suis sûre, je murmure en regardant par la fenêtre.

— Quoi ?

Il me jette un coup d’œil rapide.

— Rien.

J’ai eu tout le temps de reculer plus tôt. En trois jours, j’ai eu deux occasions de mettre le holà et je ne l’ai pas fait. Pourquoi ? Parce que je suis probablement à la limite de la démence clinique.

Ou sinon, je suis juste sacrément stupide.

Le fait d’avoir eu des nouvelles de Pearce hier a remodelé Braden dans mon esprit. Quand je le regarde, je vois toutes les choses que mon frère a faites à mon ancienne meilleure amie. Je prends une profonde inspiration et souffle lentement. Je ne vais pas penser à ça maintenant. Je ne vais pas penser à la façon dont il l’a détruite, elle et notre amitié au passage.

— Tu m’as l’air d’avoir des pensées bien trop sérieuses, mon ange.

Braden remue sur son siège et je me rends compte qu’il s’est garé devant le bowling. Je me tourne vers lui.

— Je pensais à ma famille, c’est tout, je ré- ponds en débouclant ma ceinture. (J’entends sa portière s’ouvrir et se refermer, puis la mienne s’ouvrir. Il joue la carte du gentleman.) Merci, je dis en acceptant la main qu’il me tend.

— Je suis désolé, reprend-il en verrouillant la voiture et en posant une main dans mon dos. J’ai oublié que tu venais de Brooklyn. Ça doit être dur d’être loin de sa famille.

Ce qu’il en reste.

— Oui, parfois. Mais parfois je suis contente de la liberté que j’ai ici.

— Tu m’étonnes. (Il me sourit.) Tu leur parles beaucoup ?

— C’est un interrogatoire ?

Je m’amuse.

— Ça t’embêterait si je disais oui ?

— Pas du tout. (Je laisse échapper un petit ri- re.) Aux dernières nouvelles, une fille pouvait s’estimer chanceuse si Braden Carter lui de- mandait seulement son prénom.

Il me jette un petit sourire et m’entraîne jusqu’au comptoir.

— Alors tu devrais t’estimer très chanceuse.

Il tourne les yeux vers la fille derrière le comptoir qui lui jette un sourire radieux tout en tortillant ses cheveux autour de son doigt, la poitrine bombée.

C’est pourtant évident qu’il est en rencard. Ces filles n’ont donc aucune morale ?

Non pas que ça me fasse quelque chose. C’est juste écœurant.

— J’ai réservé une piste pour six heures et demie. Au nom de Carter, dit-il sans prêter atten- tion à ses tentatives pour se faire remarquer.

Waouh, il est doué.

— Bien sûr, votre nom est juste là. En fait, je pense que c’est moi que vous avez eue au télé- phone.

Son sourire s’élargit encore et Nichons raye son nom de la liste avec une petite fioriture.

Beurk. Elle s’est vue, celle-là ? On dirait une Bar- bie à taille réelle.

— Sûrement, répond Braden avec un sourire poli mais crispé.

Et ça ne semble pas forcé. Holà, attendez. Est- ce que notre cher play-boy détesterait toute cette attention ? Certainement pas. Un autre regard vers lui. Ouais. Il n’est effectivement pas impres- sionné. Je range cette information pour l’autopsie du rencard demain avec les filles. Intéressant.

— Maddie ? (Il me tapote les côtes.) Tu veux quelle pointure pour les chaussures ?

— Oh, heu, du 38 s’il te plaît.

Je fais un gentil sourire à Nichons. Elle me jette un regard glacial et attrape une paire de chaussures. Je vérifie la taille quand elle les glisse vers moi.

— C’est du 41, je lui dis. J’ai dit 38.

Elle les reprend brusquement et me tend une autre paire. Du 38.

— Merci.

Un autre gentil sourire et je suis Braden vers les banquettes en face pour changer de chaus- sures.

— Fougueuse, me murmure-t-il quand on s’assoit.

— Elle m’a donné la mauvaise pointure. (Je sors des chaussettes de mon sac.) En plus je suis sûre qu’elle est jalouse.

— Oh, encore ça ?

Il me fait un clin d’œil. Je lève les yeux au ciel et lui tends mes sandales pendant qu’on se relève.

— Essaie de ne pas te faire aspirer par ses seins quand tu les lui donneras.

— Eh ben, Maddie. (Il s’approche et pose l’index sous mon menton pour me relever la tête.)

Est-ce que tu serais jalouse ?

Je bats deux fois des paupières.

— Ça t’embêterait si je te disais oui ?

Il rit aux éclats et passe son pouce sur ma joue.

— Non, mon ange. Ça m’embêterait pas. En fait, je pense que ça me plairait si t’étais jalouse.

En plus, je suis sûr que la jalousie ça doit te rendre super sexy. Tu serais intenable et il faudrait partir.

Il tend les chaussures à Nichons, revient vers moi et passe un bras autour de ma taille.

— Ce serait regrettable, je murmure en me mordant la lèvre pour m’empêcher de rire.

— Pas de mon point de vue, me dit-il dans l’oreille avec une voix rauque.

Joue. Le. Jeu.

— Alors je pourrais très bien être jalouse.

— Tu l’es ?

Il hausse les sourcils.

— Oui, mais il y a une boule de bowling juste là avec mon nom dessus et un mec à côté de moi dont je dois botter le cul. Alors oui, ce serait re- grettable de devoir partir.

Je m’écarte et recule avec un sourire taquin. Il paraît amusé, il a les yeux qui brillent.

— Alors on fait un marché. Si tu me bottes le cul, je peux toucher le tien.

Nous y voilà. Premier round, ding, ding.

— Braden, dans ce cas tu ne perds pas, je dis innocemment en soulevant la boule bleue que j’utilise toujours.

— Je sais. (Il s’approche de moi et je me mords la lèvre. Il baisse les yeux sur ma bouche.) J’aime pas perdre.

Je lâche ma lèvre et mon cœur se met à battre la chamade. C’est un défi, ou une promesse ?

— Moi non plus, je murmure. Alors prépare- toi à te prendre une raclée.

J’emporte la boule et me place au début de la piste. Je sens qu’il me tire une mèche de cheveux en s’approchant par-derrière.

— Je vais adorer te le toucher, Maddie.

— Je vais adorer te botter le tien, Braden.

— Fougueuse, répète-t-il avec ce sourire désarmant.

Je lui renvoie un sourire de défi et m’apprête

à lancer ma première boule. D’une certaine man- ière, en fait, tout ça est plutôt amusant.

Maddie lève les bras pour retirer l’élastique dans ses cheveux. Ses boucles rousses ardentes s’étalent autour de ses épaules et rebondissent dans son dos. Elles lui arrivent juste au-dessus des fesses – le cul que j’ai réussi à toucher plus tôt, comme si j’avais gagné.

En fait, c’est elle qui a gagné, mais j’ai quand même réussi à toucher ce petit derrière coquin, donc tout le monde est content.

— Bon, je dis tandis qu’on marche sur le sable.

Tu n’as jamais répondu à ma question tout à

l’heure.

— Quelle question ?

Elle me regarde avec ses grands yeux verts.

— Tu parles souvent à ta famille ?

— Avec mon père, environ une fois par se- maine, le dimanche en général. C’est devenu une sorte d’habitude. Mon frère ? Pas des masses.

— Vous êtes pas proches ?

— À peu près aussi proches que les deux pôles.

— Et ta mère ? Vous vous parlez jamais ?

Elle s’arrête au bord de l’eau et dessine une ligne dans le sable du bout de son pied. Son re- gard se voile légèrement et je m’approche d’elle.

Elle relève la tête et je vois une douleur pure et brute dans ses yeux. Une douleur qui me prend totalement au dépourvu.

— Ma mère est morte il y a trois ans, elle mur- mure doucement en baissant de nouveau les yeux.

Victime d’une fusillade en voiture.

Merde.

— Je suis désolé, je dis comme un con.

Mais qu’est-ce que vous voulez répondre à ça ?

— Ne le sois pas. (Maddie me regarde.) C’est toi qui lui as tiré dessus ? Non. Ce n’est pas ta faute. Alors ne t’excuse pas pour ce que quelqu’un d’autre a fait.

Je tends la main pour caler une mèche de cheveux derrière son oreille. C’est quoi le truc avec ses cheveux ?

— Je suis désolé que tu aies vécu ça.

Quand elle entend mes paroles, son regard reste étonnamment clair. Elle ne cille pas, ne pleure pas et ne s’effondre pas. Elle a un cœur de pierre ou quoi ?

— Moi aussi, elle finit par répondre. Mais c’est fait. Pas la peine de ressasser ce qui aurait pu ou aurait dû se passer, parce que ça ne changera ri- en pour personne. En fait, ce serait probablement pire. Elle n’est plus là. Je ne peux rien y changer, je ne peux que vivre avec. Et c’est ce que je fais.

(Elle continue en baissant la voix.) Je vis avec et elle me manquera toujours, mais ce n’est pas parce qu’elle n’est plus là que je ne peux pas de- venir la personne que je veux être.

Merde, voilà qui est perspicace. Que répondre

à ça ? Comment cette petite fille arrive-t-elle à

me laisser sans voix ? J’ai toujours réponse à

tout.

Certes, c’est généralement un juron ou quelque chose qui a un rapport au sexe, mais c’est quand même une réponse.

Je pose la main sur son épaule et la fais glisser le long de son bras. J’enlace ses doigts et les serre légèrement.

— Tu es vraiment forte, tu le sais ?

— Non, je suis seulement moi.

— Ça change rien. Tu es forte.

— Et toi ? elle dit soudain, le voile quittant son regard.

C’est tout ce que je tirerai d’elle pour au- jourd’hui. Mais si elle s’ouvre à moi, c’est qu’elle est en confiance, non ? C’est ça que ça veut dire ?

Et la confiance mène à l’amour. Où est Megan quand j’ai besoin d’elle ?

Merde. Je suis un sacré con de penser à ces conneries alors qu’elle vient tout juste de m’ouvrir son cœur.

— Il y a pas grand-chose à dire. (On reprend notre marche, balançant doucement nos mains jointes entre nous.) J’ai grandi à Palm Springs avec Megan, la belle vie, et puis j’ai déployé mes ailes et je suis venu à la fac.

— Avec Megan.

— Ouais. On avait fait le pacte d’aller à la fac ensemble. J’ai que deux mois de plus qu’elle et on a grandi côte à côte en se voyant tous les jours.

Elle est comme ma sœur.

Maddie hoche la tête et je vois qu’elle com- prend. C’est un soulagement parce que ça va rendre toute cette histoire de « rencard » plus fa- cile, mais même les gars ne comprennent pas pourquoi je suis aussi protecteur avec elle. Pro- tecteur du genre : tu touches à un de ses cheveux je te bute.

— Je trouve ça chouette que vous soyez aussi proches. Ça me manque, d’avoir une telle prox- imité avec quelqu’un. Peut-être que je retrouverai

ça un jour.

— J’en suis sûr. Qui sait ? Peut-être que nous aussi un jour, on sera aussi proches.

Bon sang, je mets vraiment le paquet au- jourd’hui.

Elle se tourne vers moi, un petit sourire aux lèvres, les sourcils tordus.

— Quelle prétention.

— Je dirais plutôt que c’est prometteur. (Je fais une petite grimace et elle éclate de rire en secou- ant la tête.) Sérieusement.

— D’accord, Braden. (Elle est toujours en train de secouer la tête.) Ce sera un miracle si ça…

(elle agite la main entre nous)… va au-delà de ce soir.

— C’est vraiment ce que tu penses ? je dis en m’arrêtant devant elle et en lui prenant l’autre main.

— Pourquoi pas ? J’ai ton attention depuis, oh, six jours. C’est déjà un miracle en soi.

Je secoue la tête. Elle est foutrement intelli- gente, et maintenant je dois la jouer tout aussi malin. Tout ça, c’est qu’un jeu. Aimer ou être aimé. Je ne pratique pas le premier, alors faudra que ça soit la deuxième option. Megan m’a fait regarder assez de comédies romantiques dans ma vie. Je suis parfaitement capable de simuler ces conneries à l’eau de rose.

— Mon ange, je reprends doucement en passant mon pouce sur sa joue, sur les minuscules taches de rousseur que j’avais jamais remarquées jusque-là. Et si je te demandais de me donner une chance ?

— Une chance ? De quoi ?

— Une chance de devenir plus que ton ami.

Elle scrute mon visage pour juger de ma sincérité. Heureusement, je sais garder un masque bien en place.

— Et ? elle demande.

— Et quoi ?

— Et si tu foires ? Alors quoi ?

Maddie baisse les yeux.

— Alors je te donne la permission de lâcher

Kay à mes trousses, je dis doucement en lui rel- evant le menton. C’est promis. Je ne suis pas par- fait, Maddie, loin de là, et je suis le premier à

l’admettre. Mais si tu me laisses faire, je vais es- sayer de le devenir pour toi. Et tu connaîtras cette proximité que tu recherches.

Je suis un vrai connard.

— D’accord, elle dit après un moment. Une chance, Braden. C’est tout.

Je souris lentement et pose mon front contre le sien. Mon souffle passe sur sa bouche et elle fer- me les yeux. Embrasse-la et l’affaire est dans le sac.

Je me penche vers ses lèvres et mon putain de téléphone se met à sonner. Je soupire et m’écarte pour décrocher.

— Quoi ?

— Oh-oh, j’interromps quelque chose ? ricane

Ryan.

— T’aurais pas pu tomber plus mal.

Je jette un regard à Maddie qui rougit et dé- tourne les yeux.

— Vraiment ?

— Ouais. Qu’est-ce que tu veux, trouduc ?

— Tu reviens ici ? Lila veut savoir comment s’est passé ton rencard. Elle est hystérique, mec.

Je couvre le bas du téléphone et regarde Mad- die.

— Tu veux retourner à la résidence ? Les filles sont déjà là-bas.

— Bien sûr.

Elle sourit.

— On arrive, je dis dans le téléphone. À toute.

(Je raccroche et range le téléphone dans ma poche.) Trouduc.

Maddie se mord l’intérieur de la joue pour con- trôler son rire.

— Hé (je lui donne un petit coup de coude et lui prends de nouveau la main), rigole pas.

— Désolée.

Ses yeux brillent d’amusement.

— Non, c’est pas vrai.

— Tu as raison. C’est pas vrai. (Elle hausse les

épaules avec un petit sourire, et me tire en avant.)

Allez viens, je parie que Kay a déjà aligné mes shots et si je les bois pas, c’est elle qui va le faire !

Je lève les yeux au ciel en secouant la tête et je la suis jusqu’à ma voiture.

J’ai une petite amie. Une fausse petite amie, mais une petite amie quand même.

Qui l’aurait cru, hein ?

On entre dans la résidence et la musique résonne

à plein tube. Braden me prend la main et entremêle ses doigts avec les miens. Je le laisse faire en ser- rant légèrement, et il m’entraîne dans la maison bondée. On débouche dans la cuisine où Kay,

Megan et Lila sont assises au bar.

— Je vais chercher Ryan. (Il se penche et mur- mure à mon oreille.) Tu m’attends au bar ?

Je hoche la tête et lâche sa main. Je lui jette un sourire par-dessus mon épaule et il me répond par un clin d’œil. Bon sang, ça ne fait que vingt minutes et j’en ai déjà marre de faire comme si j’en avais quelque chose à foutre de tout ça. En re- vanche, je me demande pourquoi je me suis con- fiée à lui comme ça, tout à l’heure. Peut-être parce que je m’en fiche et que c’est essentiel pour qu’il tombe amoureux de moi. Pathétique, hein ? Pauvre petite Maddie. Je me moque de moi-même.

Dès que je m’approche, Megan me prend par le bras.

— Alors ?

— C’est lancé, je murmure avec un sourire pour Lila et Kay.

— Yeees ! s’exclame Kay en faisant signe à

Kyle. Huit shots, deux chacune, une, deux, paf !

— Ça marche !

Kyle m’adresse un clin d’œil et je lui réponds par un sourire poli. Chère université de Californie

à Berkeley, je déclare officiellement être en couple avec Braden Carter. Kyle ne va certaine- ment pas comprendre.

— Bonne soirée ? demande-t-il en glissant deux verres vers nous.

— On dirait que oui, glousse Lila en levant son verre.

Tout le monde avale le premier verre, bientôt suivi du second.

— Et comment ça se fait ?

Il se penche en avant pour approcher son vis- age du mien.

— Parce qu’elle a un petit copain, répond

Megan avec un sourire satisfait.

— Tu déconnes.

Kyle se fige.

— Heu, ou pas, je fais avec un geste désin- volte.

— Tu es avec Braden ?

— En effet, acquiesce Braden qui apparaît der- rière moi. Un problème, Kyle ?

Kyle relève les yeux, et la fureur se lit sur ses traits.

— Ouais, en fait. Ouais, y a un problème.

— Alors je t’en prie, dis-nous en quoi tu es tellement meilleur que moi.

Kyle me jette un regard et je préfère me mettre sur le côté.

— De vrais animaux, je murmure.

Lila opine.

— Non, Maddie. (Braden se tourne vers moi.)

Je veux juste savoir ce qu’il pense pouvoir te don- ner de plus que moi.

— Bray… avertit Megan.

— Ce que je peux lui donner de plus que toi ?

Peut-être une relation solide et basée sur la con- fiance, où elle aura pas à s’inquiéter que tu te barres pour aller baiser une de tes putes. (Kyle le regarde avec un profond dégoût.) Et le reste. Une journée entière suffirait pas pour décrire à quel point t’es un connard avec les filles.

— Hé ! proteste Megan en faisant claquer une main sur le comptoir. Mollo, Kyle.

— C’est lui qui a demandé.

— Ouais, et maintenant c’est moi qui te dis que

ça suffit !

— Non, Meggy, laisse-le continuer.

Braden arbore un visage de pierre.

— Tu veux pas intervenir ? me murmure Kay.

— À quoi bon ? (Je hausse les épaules.) Ça les empêchera pas de continuer ce concours de muscles. En plus, on aura ce qu’on voulait.

— Quoi ?

— Attirer l’attention sur notre relation.

Elle me donne une tape sur l’épaule.

— Petite maligne.

— Braden, on sait tous que tu vas pas traîner longtemps avec elle. Tu veux juste la sauter et passer à autre chose. Tu vaux pas mieux qu’une merde. Pourquoi ne pas la laisser à quelqu’un qui la traitera bien et pas comme une de tes pétasses ?

s’exclame Kyle bruyamment.

Braden se jette par-dessus le bar en renversant une bouteille de vodka qui se brise par terre. Il at- trape Kyle par le col et le plaque contre le mur.

— Tu veux répéter ça, Kyle ? siffle Braden, les dents serrées.

— Oh, bon sang, soupire Megan en secouant la tête.

— Si tu veux, mais je pense que t’as très bien entendu, répond Kyle. En plus, t’es pas vraiment en train de montrer tes vertus à ta meuf là, si ?

— Ouais, Kyle, t’as raison. Ma meuf. Maddie est à moi, et t’avise pas de l’oublier. (Braden le relâche avec un regard noir.) Tente quoi que ce soit avec elle et tu verras qu’il y aura pas qu’une bouteille cassée.

— Bon d’accord. (Ryan s’interpose.) Le spec- tacle est terminé, les garçons. Allez, vous faites le bisou de réconciliation ou vous dégagez de là.

— Oh, mieux vaut tard que jamais, murmure

Lila. Il serait en retard à son propre enterrement.

Je ricane et plaque ma main sur ma bouche.

C’est pas le moment. Je la retire de nouveau et re- garde Braden.

Megan lui dit quelque chose qui le pousse à

tourner la tête vers moi, une lueur de regret dans ses yeux bleus. Je ne bouge pas et soutiens son re- gard. Megan lui dit autre chose et il hoche la tête avant de s’approcher de moi. Il me prend la main en silence et m’entraîne hors de la pièce.

— Allez les gars. Y a plus rien à voir !

s’exclame Ryan pendant qu’on monte à l’étage.

Braden me fait monter deux volées de marches et ouvre une porte. Sa chambre.

Elle est impeccable. Curieusement, je suis sur- prise, et je lui jette un bref coup d’œil. Sa couette noire tranche sur les murs blancs ; un bureau trône dans un coin, recouvert d’une pile de bouquins. Le seul indice indiquant que c’est la chambre d’un jeune, c’est l’énorme écran plat ac- croché au mur au-dessus d’une Xbox. Naturelle- ment.

— Maddie ? (Il ferme la porte et pose une main sur ma joue.) Je suis désolé, mon ange. Je voulais pas que ça se passe comme ça.

— On dirait qu’il se passe souvent des choses contre ton gré, Braden.

— Je sais. Et toujours avec toi. (Il fait un souri- re ironique.) Je voudrais pas que tu me voies différemment à cause de ça.

Joue le jeu, Maddie.

— À cause de quoi ?

Il hausse un sourcil avec une grimace.

— Le fait que j’ai failli lui coller mon poing dans la figure.

— Pourquoi tu voudrais que je te voie différemment ? C’est pas ce que t’es censé faire ?

Mon regard dérive sur nos mains jointes avant de revenir sur son visage.

— Je pense que si.

Je ris.

— Waouh. T’y connais vraiment rien aux ren- cards.

— Connaissais, je connaissais vraiment rien.

Je sais pas si t’as remarqué, mais la moitié des gens en bas viennent de me voir jouer le rôle du protecteur avec toi.

— Ah, oui. La performance de l’homme des cavernes. Moi Braden. Toi Maddie m’appartenir.

Ça ?

Il glousse.

— Oui, ça.

— Eh bien, je doute que quiconque essaie de me draguer maintenant, je dis. Y en a un qui croit que je lui appartiens, et tout le monde a bien com- pris qui c’était.

— Qui croit ?

Il se rapproche.

— Oui, il croit. (Je plisse lentement les yeux.)

Je n’appartiens à personne d’autre que moi- même. C’est moi qui contrôle mon corps et ma vie, et c’est pas parce que je suis la petite amie de quelqu’un que ça va changer.

— D’habitude, à ce niveau, je devrais admettre

à quel point je suis excité, mais je pense que je vais juste te dire ça : Maddie, tu es à moi. Que ça te plaise ou non, c’est comme ça.

Il pose la main sur ma joue.

— Je suis ta copine. C’est tout. Je ne t’appartiens toujours pas.

— Pourquoi tu transformes ça en dispute ?

grogne-t-il.

— Mais non ! Seulement je ne marche pas dans ce truc d’homme des cavernes, d’accord ?

— Mais si !

— Qui cherche la bagarre, là ?

— Maddie.

— Braden.

— Tu la fermes jamais ?

— Non. Jamais.

— Génial. Il fallait que je choisisse la pipelette de service.

— Alors je vais aller me trouver quelqu’un qui m’écoute et qui est pas resté coincé à l’âge de pierre.

Je retire vivement ma main et pivote en direc- tion de la sortie.

— Certainement pas !

Il grogne de nouveau et me plaque contre la porte.

— Tu m’arrêtes déjà ?

Il est exaspérant. Rappelez-moi pourquoi je me suis lancée dans ce stupide challenge, déjà ?

— Non, je me demande juste si tu es meilleure quand t’embrasses que quand tu parles.

Son regard se fixe sur mes lèvres et je sors le bout de ma langue pour les humecter.

— Peut-être bien que oui, mais si toi tu contin- ues à parler, tu le sauras jamais, si ?

Il penche la tête et pose doucement ses lèvres sur les miennes. Il glisse une de ses mains autour de ma taille pour m’attirer contre lui, et passe l’autre dans mes cheveux. Je retiens mon souffle quand il me mord doucement la lèvre inférieure et saisit l’occasion de glisser sa langue dans ma bouche. Je pose les mains sur ses bras, remonte le long de ses épaules et les relie derrière sa nuque.

Son baiser est doux mais pénétrant et je ne peux plus contrôler les battements frénétiques de mon cœur. J’ai à la fois envie de lui et envie de le repousser, et ces sensations s’opposent en moi en une confusion délicieuse.

Une vague de chaleur parcourt mon corps et

Braden me serre plus fort. Je suis plaquée contre lui et je sens chaque courbe et chaque contour des muscles de son torse. Je sépare les mains et les fais glisser dans ses cheveux.

— Maddie, murmure-t-il contre mes lèvres en s’écartant légèrement. On doit arrêter ou j’en serai plus capable.

Arrêter ? Arrêter quoi ? Les baisers ? Oh.

Vraiment ?

— D’accord.

— Mon ange, c’est seulement parce que je sais que t’es pas comme la plupart des filles. On ira plus loin quand tu seras prête, d’accord ?

Je hoche la tête et il m’embrasse de nouveau, une légère caresse sur mes lèvres gonflées.

Il pose ses deux mains dans mon dos et plonge la tête dans le creux de mon cou. Il enfouit son visage dans mes cheveux et je le laisse faire en m’abandonnant dans ses bras.

À cette seconde précise, je ne pense plus au défi. Je ne pense plus à Brooklyn, ni pourquoi je déteste Braden. Je ne pense qu’à ce baiser, qui est le meilleur putain de baiser de toute ma vie.

Et qui représente le début des problèmes.

Je me réveille et secoue la tête pour moi-même.

La soirée d’hier défile dans ma tête en avance rap- ide et c’est là que je me souviens… j’ai une petite amie. Putain. Ça fait bizarre.

Et il y a eu Kyle. Ce mec est vraiment furax que je sorte avec Maddie – et je peux pas lui en vouloir, à sa place, je réagirais sûrement pareil. Je sais ce que la moitié des gens à la soirée pensaient.

Ils se demandaient en quoi Maddie est si différente des autres et ce qu’elle a de si spécial. Les filles la maudissaient parce qu’elle avait obtenu ce qu’elles voulaient, et les mecs se retranchaient dans leur coin en voyant leur chance de la séduire leur pass- er sous leur nez.

Ouais, qu’ils aillent tous se faire foutre.

— Alors ? Ryan demande en ouvrant ma porte.

— Pas la peine de frapper, je dis avec sarcasme en reposant mon téléphone. J’adore quand des trouducs m’interrompent sans prévenir.

— Heu, ouais. (Il hausse un sourcil et referme la porte avant de s’asseoir sur mon fauteuil de bureau.) C’était quoi cette connerie ?

— J’étais sur le point de l’embrasser. J’allais conclure quand t’as fait sonner mon putain de téléphone.

— Merde, mec. Désolé. Si j’avais su…

— Alors tu serais un foutu télépathe. (Je ris en me redressant sur mon lit.) Peu importe.

— Alors t’as conclu après ?

— Hier soir après ma performance d’homme des cavernes.

— Ta performance d’homme des cavernes ?

Il ricane.

— C’est ses mots, mec, ses mots. (Je grimace et attrape mon téléphone en l’agitant vers lui.) Tu permets ? Je dois envoyer un texto à ma petite amie.

Ryan éclate d’un rire sonore et se frappe la cuisse.

— Ah la vache, elle est bien bonne. Est-ce que tu viens de dire petite amie ?

— T’es sourd ? C’est bien ce que j’ai dit.

— Attends, t’es sérieux là ?

Il s’arrête net.

— Mec, c’est officiel. T’aurais dû savoir que je mettrais pas longtemps pour rendre ça exclusif.

(J’agite les doigts vers lui.) Tu vois ces doigts ?

Eh ben avec ça, je la mène par le bout du nez.

— Tu vois mes doigts ? Eh ben, avec ça, je le mène par le bout du nez.

— J’en doute pas, ricane Megan. Je l’ai vu de- venir dingue avec Kyle, tu te souviens ?

Kay s’allonge sur son lit, croise les bras derrière sa tête et pousse un soupir de béatitude.

— C’est divertissant ces conneries. Et qu’est-ce que ça fait du bien.

— Du bien ? répète Lila en la regardant.

— Ouais. Braden Carter, notre cher play-boy en personne qui se fait mener par le bout du nez par notre petite Maddie. Comme une mouche prise dans une toile d’araignée.

— Sauf que j’ai pas l’intention d’en faire mon dîner, je lui rappelle. Je suis pas cannibale.

— Eh ben… (Elle roule sur le côté et fait frétiller ses sourcils.) Tu peux toujours…

— Stop, l’interrompt Megan en levant la main.

Arrête-toi là, Kayleigh. C’est déjà bien assez.

— Quel esprit mal placé, glousse Lila.

Je grimace et Megan sort le plan Piéger le

Joueur.

— Bon, on a un jour d’avance sur le pro- gramme. (Elle fait défiler son doigt sur le papier.)

Pas mal, Mad. Qu’est-ce qui se passe au- jourd’hui ? Vous devez vous voir ?

— Hum, je sais pas trop. (Je souris d’un air penaud.) Mais je lui ai enfin donné mon numéro.

(Kay siffle.) Alors il va probablement appeler, ou quelque chose.

Mon téléphone carillonne et je tends la main pour m’en emparer.

— Quand on parle du loup, fait Lila.

Salut, mon ange. T’es libre aujourd’hui ?

Je relève les yeux, agite mon téléphone et sour- is.

— Bingo.

Des sourires malicieux apparaissent lentement sur les trois visages devant moi et je sais qu’on est sur la bonne voie. Megan se lèche les lèvres.

— Ne réponds pas tout de suite, dit-elle en

ôtant le capuchon du stylo. Après hier soir, la deuxième étape devrait être assez facile. Il a sorti les griffes pour protéger ton joli petit cul, et tout le monde à la fraternité l’a vu, l’a entendu ou en a entendu parler.

— Mais personne va vouloir y croire, fait re- marquer Lila.

— Alors chaque fois que vous êtes en public, assure-toi qu’il y ait des bisous, des caresses ou des éclats de rire, ajoute Kay. C’est pas dur, les gars.

Megan lui jette le capuchon du stylo.

— Surveillez votre langage, Kayleigh.

— La ferme, réplique Kay en lui renvoyant le bouchon.

— Les enfants, j’interviens en riant. C’est quoi le plan ? Je sais que vous en avez un.

— En effet. (Megan griffonne quelque chose en posant un point d’exclamation à la fin.) Vous allez sortir à quatre avec Ryan et Lila un soir de la semaine.

— Quoi ? nous exclamons-nous en cœur, Lila et moi.

— Vous allez sortir à quatre avec Ryan et Lila, répète-t-elle.

— Quoi ?

— Vous. Allez. Sortir. À. Quatre. Avec. Ryan.

Et. Lila, répète lentement Kay en articulant chaque mot à la perfection.

— J’avais entendu, je réplique, les dents ser- rées. Le prends pas mal, Lila, mais s’il y a pire que de sortir avec Braden Carter, c’est bien de faire un double rendez-vous avec Ryan.

— Eh bien, estime-toi heureuse que ce soit Ry- an, dit Lila d’un air songeur. C’est un boulet, mais Aston est encore pire.

— C’est bien vrai, acquiesce Kay. Mais Aston est un putain de beau gosse.

— Je croyais que tu préférais les filles ?

— Oui. Ça veut pas dire que j’aime pas la…

— D’accord ! je l’interromps. Et c’est pour quand, ce rencard à quatre ? Je dois me préparer psychologiquement.

— Et répondre à Bray, ajoute Megan.

— Ah oui. (Je reprends mon téléphone.) Heu, qu’est-ce que je dis ?

Elles soupirent toutes les trois.

— Qu’est-ce qu’il a dit ?

— Il m’a demandé ce que je faisais au- jourd’hui.

— Alors dis-lui que tu es libre.

— D’accord.

Salut :) rien de prévu. Et toi ?

J’appuie sur « envoyer » et hausse les épaules.

— Ça m’a pas l’air bien compliqué.

J’espérais te voir. On peut peut-être retenter le coup du café ? il répond.

Oui on peut. On se retrouve là-bas dans une demi-heure ?

À toute.

— Je le retrouve au Starbucks dans une demi- heure, je leur annonce.

— Je viens avec toi ! lance Megan avec un sourire en refermant le stylo.

— Ça annule pas le coup du rencard, ça ? de- mande Lila avec un regard interrogateur.

— Non.

— Ah bon et comment ?

Megan soupire et lève les yeux au ciel.

— Bray et moi, on est comme de la même fa- mille, d’accord ? Tout le monde croit toujours qu’il y a un truc entre nous – et vraiment pas, hein, genre… beurk – alors en nous voyant tous les trois ensemble, tout le monde saura que c’est sérieux. Ils verront qu’il y a rien entre Bray et moi, qu’il y a bien quelque chose entre Mad et lui, qu’elle accepte notre proximité, et officialise par conséquent l’annonce du couple Braden-

Maddie ! Et que c’est sérieux.

— Mais il n’y a rien entre nous.

Confusion. Rappelez-moi de nouveau pour- quoi j’ai accepté ce défi ?

Parce que je déteste tout ce qu’il représente pour les femmes. Et il embrasse à merveille.

Et c’est totalement contradictoire.

— Toi tu le sais. Moi je le sais. Lila et Kay le savent, mais Mad… Braden, lui, il le sait pas.

Elle défroisse sa tenue.

— Ni le reste du campus, achève Kay. Donc, pour le reste du monde, il y a quelque chose entre vous.

— Génial. (Je soupire.) Vous pouviez pas me lancer un défi facile ou amusant, non ?

Parce qu’hier soir je ne me suis pas du tout amusée. Bon sang.

— Certainement pas. (Lila tape un message sur son téléphone.) Tout le monde va à la plage ce soir. Une nouvelle occasion de répandre la nou- velle que Braden Carter s’est fait mettre le grap- pin dessus.

Kay sourit.

— Répandre une nouvelle ? Je m’en occupe.

Elle attrape son téléphone et je secoue la tête.

— On va les laisser, Meg, d’accord ? (Je ramasse mes affaires.) On dirait qu’elles ont la situation bien en main.

Les yeux bleu clair de Megan étincellent.

— C’est parti.

J’entends le rire de Megan avant de la voir ap- paraître au coin avec Maddie. De la compagnie.

Super. Je sais pourquoi elle l’a accompagnée.

Megan va me refiler discrètement des infos en lançant ses fameux clins d’œil.

Je fais abstraction de ma vieille amie et me concentre sur Maddie. Pour un plan drague fictif, putain, j’ai vraiment pas choisi la plus moche !

Même dans une simple jupe en jean et un bête tee-shirt, je devine sa silhouette – elle est ni trop grosse ni trop maigre. C’est un mélange parfait de muscles fermes et de courbes qui me donne envie de caresser le moindre centimètre carré de sa peau nue. Et le baiser d’hier n’arrange rien. J’ai senti ce foutu corps contre moi.

Je chasse mes pensées classées X et je l’accueille avec un sourire. Elle me rend le même et je me penche lentement, je prends son visage dans ma main et dépose un baiser sur ses lèvres douces. Elle pose une main sur ma taille pour se tenir et de l’autre, elle agrippe le bras qui la serre. Elle répond à mon baiser presque avec im- patience et je ne suis pas pressé de m’écarter.

Cette fille sait faire des putains de trucs avec sa bouche sur la mienne. Je vais pas mentir et dire que j’aurais pas envie de sentir cette bouche ail- leurs sur mon corps, parce que c’est le cas, mais jusqu’à ce que ça arrive, je pourrais rester là et l’embrasser toute la sainte journée.

Megan tousse discrètement et je lâche Maddie

à contrecœur.

— Salut, mon ange, je dis doucement.

— Salut.

Elle se mord la lèvre du haut et me regarde avec ses jolies petits yeux verts.

— Salut, Bray. J’allais te demander comment

ça allait aujourd’hui, mais tu m’as l’air sacrément bien, dit Megan avec sarcasme.

— Salut, Meggy. (Je passe mon bras autour de

Maddie.) Ça va comme sur des roulettes, ce mat- in. Et toi ?

— Oh, alors tu m’as entendue ?

Elle lève les yeux au ciel. Maddie sourit à côté

de moi.

Je lui tire une petite mèche de cheveux.

— Faudrait vraiment être sourd pour pas t’entendre.

— Ouais, ou bien être trop occupé à lui racler les amygdales.

Elle ouvre la porte du Starbucks en me lançant un clin d’œil.

— Il a rien raclé du tout, répond Maddie d’un ton désinvolte. J’ai pas encore bu mon café.

Alors, s’il avait essayé, je crois que je l’aurais mordu.

Maddie Stevens, me mordre ? Oui ! Fais-toi plaisir.

— Ça donne envie, je murmure.

Megan me donne un coup de coude.

— Espèce de porc.

— Tu devrais le savoir. (On s’approche du comptoir.) Je comprends pas pourquoi tu joues la surprise.

— Qu’est-ce que je vous sers ? demande la serveuse.

Je crois que c’est la même que l’autre jour – et elle est canon. Aussi brune que Maddie est rousse et peut-être un peu plus en chair. En tout cas, je lui mettrais bien un petit coup. Ou deux.

— Je m’en occupe. (Je lance un clin d’œil à

Maddie.) Deux doubles Frappuccino aux pépites de chocolat.

— Impressionnant.

— C’est bien ça ?

— Oui, mais tu as oublié les muffins.

Je ris et l’attire contre moi.

— Et deux muffins à la myrtille.

— Et pour moi, un Frappuccino caramel avec double dose de crème, ajoute Megan. C’est lui qui paye.

Je hausse les épaules, l’air de dire « qu’est-ce que je peux faire ? » mais je m’en fiche. C’est ja- mais rien que des cafés.

La serveuse s’affaire et dépose nos com- mandes sur le comptoir, bombant sa poitrine dans ma direction. Je lis sur son badge qu’elle s’appelle Amanda. Comme si ça m’intéressait –

son nom n’a aucune importance.

Je prends un café et le tends à Maddie, m’efforçant d’ignorer la manière dont les nichons d’Amanda sortent de son chemisier. Merde, c’est rude, ces conneries d’exclusivité. Maddie prend son café et se blottit contre moi en jetant un re- gard à Amanda. Oh oui, cette fille m’a dans la peau.

— Il a une copine, manifestement. (Megan récupère sa boisson.) C’est petit, ce que tu fais.

Je souris et Maddie s’étouffe avec la gorgée de café qu’elle vient d’avaler. Je lui frotte le dos.

— Ça va, Maddie ?

— Oui tout va bien, elle couine. C’est parfait.

Meggy adresse un sourire à Amanda et se di- rige vers les canapés confortables dans le coin op- posé de la salle. Je m’assois à côté de Maddie en m’assurant que mes jambes touchent les siennes.

Elle pose son café sur la table et prend un mor- ceau de son muffin comme elle l’a fait mardi, en arrachant des petits bouts qu’elle fourre dans sa bouche.

J’adorerais être ce muffin, là tout de suite.

Je suis fasciné par la façon qu’elle a de se léch- er les lèvres après chaque bouchée, en sortant délicatement le bout de sa langue pour essuyer les miettes. J’adorerais aussi être ces petites miettes.

— Braden ?

Je me tourne vers Meggy.

— Quoi ?

— Je disais, est-ce que tu vas à la soirée sur la plage, ce soir ?

Un sourire entendu apparaît lentement sur son visage. Elle m’a surpris en train de mater Maddie.

Grillé.

— Ça dépend, je réponds en glissant ma main sur la cuisse de Maddie.

Elle a la peau douce comme de la soie. Je sens ma queue se dresser et je visualise immédiate- ment ses cuisses enroulées autour de ma taille…

de mes jambes… de mon cou…

— De quoi ?

— Ça dépend si ma nana y va.

Je croise son regard et trace des petits cercles sur sa peau nue. Je suis en train de me torturer.

— Lila a dit tout à l’heure qu’elle y allait avec

Ryan. Ça m’est égal, elle dit. Ça peut être fun.

— Alors oui, je viens, je dis à Meggy. (Je pince les lèvres avec un sourire amusé et me mordille la lèvre du bas.) Quoi ?

— Rien. (Elle s’enfonce dans le canapé.) Rien du tout.

Putain de menteuse.

La porte s’ouvre et je jette un coup d’œil mach- inal. Puis je regarde de nouveau – dans le groupe qui vient d’entrer, Blondinette du week-end dernier. Celle que j’ai dégagée. Ça risque d’être un peu gênant.

Elle tourne la tête vers moi et agite ses doigts.

— Salut, Braden !

Je vois Maddie tourner les yeux vers elle, re- venir sur moi, retourner vers elle. Je sais qu’elle fait le rapprochement et je sais ce qu’elle pense.

Merde.

Je retire ma main de sa cuisse et entremêle mes doigts avec les siens, puis je lève sa main pour dé- poser un doux baiser sur ses doigts. Elle me jette un regard circonspect, dur, et il n’y a plus rien de la lueur espiègle qu’elle avait tout à l’heure.

— Tu ignores toujours les filles avec qui tu couches ? elle demande d’une voix calme en re- gardant un point sur le mur derrière moi.

Meggy se lève en murmurant quelque chose à

propos des toilettes. Peu importe.

— Maddie, j’ai pas couché avec elle. (Je tire sur sa main.) Elle a essayé, mais j’étais pas in- téressé. Pas après que je t’ai vue ce soir-là.

Ça au moins, c’est pas un mensonge.

Elle plante ses yeux verts dans les miens.

— Je sais pas si je dois te croire. On dirait qu’elle te connaît plutôt bien.

— C’est parce qu’elle a passé une bonne ving- taine de minutes à frotter ses faux nichons contre moi pendant que, moi, je te regardais.

Elle laisse échapper un petit rire sarcastique et secoue la tête.

— Waouh. C’est un compliment ou une in- sulte ?

Je crois que je suis pas censé répondre à ça.

Si ? Trop compliquées, ces nanas.

— Crois-moi quand je te dis que je n’ai d’yeux que pour toi. Je ne m’intéresse à personne d’autre. (Quand on est tous les deux. Je tourne doucement son visage vers le mien et je me penche.) Il n’y a que toi, mon ange, d’accord ? Et pas Blondinette là-bas.

J’effleure ses lèvres. C’est peut-être qu’un jeu, mais je pourrais m’habituer à l’embrasser.

Elle sourit contre ma bouche.

— Blondinette ? Tu sais même pas comment elle s’appelle ?

Je m’écarte un peu et pose mon front contre le sien.

— Non. Comme je t’ai dit, j’étais trop occupé

à te regarder et je me fous qu’elle s’appelle Laura ou Duchnoque.

Maddie glousse et je souris.

— D’accord, elle dit doucement. Je te crois.

— Bien, je murmure en l’embrassant de nou- veau, plus longtemps cette fois.

Ouf, c’était limite.

— Ton « Tu ignores toujours les filles avec qui tu couches », c’était magique, Maddie. Carrément magique.

Megan éclate de rire et je m’interromps, mon bâton de mascara suspendu en l’air, et je lui envoie un sourire dans le miroir. Je suis ravie qu’elle pense au plan, parce que moi pas.

Je suis préoccupée par ce que je ressens quand il me touche.

Quand il a posé la main sur ma cuisse tout à

l’heure, j’ai eu envie de le castrer. Vraiment, j’avais envie de lui arracher ses bijoux de famille et de les passer à la râpe à fromage. Plusieurs fois.

Quand il s’est mis à me caresser la jambe, j’ai eu envie de le frapper, et pourtant quand il a retiré sa main, j’ai eu envie de la reprendre et de lui dire de la laisser là.

Cette pensée me rend légèrement malade. Je voulais que Braden Carter me touche, et il le faisait, et j’adorais ça. Bon sang, j’ai aussi adoré

ce geste innocemment sexy avec son pouce à

l’intérieur de ma jambe. Cette histoire commence

à devenir dangereuse.

Ça ne fait qu’une semaine et je sens déjà une petite fissure dans le barrage de mon attirance pour lui. Ouais, l’attirance que j’ai enfermée dans une boîte en fer avec la totale, gros cadenas et mot de passe crypté.

Ce qui m’énerve et que je ne comprends pas, c’est comment il peut me dégoûter un instant, et comment je peux l’embrasser la minute d’après.

Sans que ça me dérange. Ni sur le coup, ni après.

Beurk, comment je peux aimer embrasser quelqu’un que je déteste autant ? Je ne dois pas oublier que c’est un jeu, et pour gagner, il faut que je joue. Que je joue selon les règles. Ses règles. Le seul moyen de gagner, c’est de jouer selon les règles du joueur.

Et le jeu est gouverné par le sexe. C’est le but, le grand prix. Tout ce qui ne relève pas de l’attirance et du désir sexuels n’a pas sa place ici, pas sous ma responsabilité.

Une semaine de passée, encore trois à venir.

Il ressent plus qu’une simple envie de coucher avec moi, c’est clair. Mon attitude est crédible et je sais qu’il est en train de craquer, en train de craquer pour moi. Je ne dois juste pas oublier que je le déteste.

Mes cheveux volent au vent et je les retiens d’un côté de mon cou. Mais cette petite brise est la bienvenue par ce temps automnal anor- malement chaud, alors je m’en fiche. J’aurais seulement dû penser à emporter un élastique.

Lila se met à fredonner tout fort quand on ar- rive, guidées par les rires et les éclats de voix à

l’autre bout de la plage. Toutes les première an- née sont là, on dirait, et de la musique jaillit de quelque part. Quelqu’un prépare un feu et Megan pousse un gémissement.

— Pourquoi ils ont besoin d’un feu ? Il fait toujours près de trente degrés dehors.

— Parce qu’ils sont trop frais, tiens, dit Kay en riant. Pauvres cons.

Je grogne pour approuver et parcours la foule des yeux, à la recherche de Braden. Est-ce que je peux m’accorder cinq minutes pour profiter de cette soirée avant d’être forcée de jouer la nou- velle petite amie transie d’amour ?

Apparemment oui.

On trouve une place et Lila fouille immédiate- ment le sable des yeux à la recherche de galets ou de bois flotté. Je plains le moindre fragment de bois qui oserait égratigner ou écorcher sa jambe.

Estimant visiblement qu’on peut s’asseoir en toute sécurité, elle s’installe et s’appuie contre un arbre. Megan secoue la tête, et Kay et elle se lais- sent à leur tour tomber sur le sable. Je les imite, mais de manière plus conventionnelle.

Je passe ma main dans mes cheveux et démêle quelques nœuds à l’extrémité de mes mèches légèrement bouclées. Je sens le sable bouger der- rière moi. Deux mains m’agrippent par la taille et je sursaute en laissant échapper un petit cri.

— Qu’est-ce que… (Je me retourne et tombe sur un regard bleu et amusé.) Braden. Tu m’as fait peur.

— Désolé, mon ange, je voulais te faire la sur- prise, répond-il en s’approchant encore de moi.

— Je crois que c’est réussi, je murmure en détestant l’effet que me fait le contact de sa peau.

Ou en détestant le fait d’aimer l’effet que ça me fait ? Je ne sais même pas.

Il pose le menton sur mon épaule et appuie sa joue contre la mienne.

— J’ai cru que vous aviez commencé la fête sans moi, les filles.

— Comme si on était capables de faire ça, dit

Kay d’un ton faussement agréable. On sait tous que tu es le roi de la soirée, Carter.

— Rentre tes griffes, minette, réplique Lila en lui collant un gobelet en plastique sous le nez.

Tais-toi donc et bois.

— Oui, maîtresse, répond Kay en levant les yeux au ciel.

Lila sourit avant de se tourner vers Braden.

— Où est Ryan ?

— Il prend de la bière dans le coffre avec

Aston. Ils arrivent, répond-il en tournant la tête vers moi, et je sens son souffle contre ma joue.

— Lila, tu me sers à boire ? je lui demande.

Il me faut un truc pour tenir le coup, ce soir.

— Ma mission est accomplie, déclare Kay en posant sa boisson dans le sable pour lever les mains. J’ai corrompu Maddie avec succès.

— Pas complètement, objecte Megan avec un demi-sourire. Elle n’en est pas encore à jurer et à

s’envoyer tout ce qui bouge.

— Et ça risque pas d’arriver, murmure Braden.

De s’envoyer tout ce qui bouge, en tout cas.

— Parce que tu es bien placé pour parler, toi, rétorque Lila.

— Hé. (Il pointe un doigt sur elle.) J’étais célibataire. Aujourd’hui je suis un homme trans- formé.

J’ai envie de lever les yeux au ciel. Plusieurs fois. Bien sûr qu’il est transformé – et si c’est pas le cas, ce le sera bientôt, grâce à votre serviteur.

Parce que je peux y arriver.

Ryan et Aston font leur apparition. Ryan se dirige droit vers Lila pendant qu’Aston s’assoie nonchalamment près de Megan. Oh-oh, quelqu’un aurait-il le béguin ? Non, ce serait idi- ot. Tout ce qui l’intéresse, c’est ce qu’elle a sous la ceinture.

— T’es bien silencieuse, me dit Braden d’une voix douce.

Je souris en me tournant vers lui.

— Non, j’écoute c’est tout.

— Oh, tu sais écouter ?

Il me chatouille légèrement les côtes et je me tortille.

— Me chatouille pas.

— Pourquoi ? T’es chatouilleuse ?

— Non. Nan. Absolument pas.

— Je parie que si.

— Non !

Il déplace ses doigts autour de ma taille et je couine en essayant de lui échapper en gigotant dans tous les sens.

— Arrête, Braden ! je bredouille en contrôlant mon rire.

— Seulement si t’avoues que t’es chatouil- leuse, me taquine-t-il en continuant de plus belle.

Je pousse un petit cri, tombe en arrière et donne un petit coup de pied dans le sable. Il me suit, à moitié allongé sur moi, son bras toujours autour de ma taille.

— Dis-le, murmure-t-il, les yeux rivés sur les miens.

— Non. Je ne céderai pas.

— Moi non plus.

Il penche la tête et ses lèvres capturent les miennes, douces et chaudes. Je ferme les yeux et pose la main sur sa nuque. J’appuie mes doigts contre sa peau pour le maintenir contre moi.

Braden sort sa langue, la passe sur ma lèvre in- férieure et la suce tout doucement. Il la mordille légèrement avant de la relâcher. J’ignore le râle qui a envie de s’échapper de ma bouche et la chaleur qui se répand dans tout mon corps. Elle s’accumule au creux de mon ventre comme de la lave en fusion, une masse bouillonnante et tour- billonnante de désir.

C’est là que je me souviens que je le déteste.

— Hé, je gémis. Interdit de me distraire avec des bisous.

Il relève la tête et sourit. Une espèce de sourire sexy qui m’aurait fait fondre si c’était n’importe qui d’autre que Braden. Oui. Braden. Play-boy, joueur, qui se sert des femmes pour son plaisir personnel.

Et voilà. Ça marche.

Je me glisse sur le côté, me relève et secoue le sable dans mes cheveux.

— Fais gaffe où tu balances tes trucs, là !

s’exclame Kay en me donnant un petit coup dans les cheveux. Tu pourrais me crever un œil. C’est une putain d’arme de destruction massive, Mad !

— Oh, la ferme, toi.

Je lui donne une chiquenaude du bout de mes longues mèches bouclées et remarque que les autres ont disparu.

— Où est-ce qu’ils sont tous passés ?

— Ils sont partis chercher à manger au barbe- cue pendant que ton Casanova et toi vous vous léchiez la poire.

Je secoue la tête. Elle peut être vulgaire par- fois, mais elle est comme ça. Je ne voudrais la changer pour rien au monde.

— Hé, Kay. (Braden s’allonge derrière moi.)

C’est pas ta pote, là-bas ? Darla ou je sais pas quoi ?

Oh, génial. Kay souffle.

— Si vous voulez être tous seuls, dites-le.

Elle se lève et m’adresse un signe espiègle, avant de partir en sautillant rejoindre la bombe blonde qu’est Darla.

Je tourne la tête et regarde, derrière le feu et la foule, les vagues qui viennent s’écraser sur le sable. C’est toujours pareil, ce genre de fêtes.

Que ce soit une fête de fraternité, une fête de dortoir ou une fête sur la plage, j’ai toujours l’impression d’être la seule à ne pas m’amuser.

Mais après avoir passé six mois à les écumer avec mon ancienne meilleure amie pendant qu’elle courait après mon frère, tout ça pour finir avec le cœur brisé, est-ce qu’on peut me le re- procher ? Non. Moi non plus je ne me le reproche pas.

— Tu es ailleurs, fait remarquer Braden.

Ce serait tellement plus simple de me rappeler que je le déteste s’il n’était pas, déjà aussi atten- tionné avec moi !

— Je réfléchis, c’est tout, je réponds sans quit- ter la mer des yeux. Tu n’es pas obligé de rester là, tu sais. Tu peux aller retrouver les gars.

— Non.

Il s’appuie contre le tronc et tapote la place à

côté de lui. Soupire.

Je recule pour m’asseoir à côté de lui. Il passe un bras autour de moi et je me blottis contre lui.

Je pose la tête sur son épaule et il soulève mes jambes pour les étendre sur les siennes. Il relève les genoux et je me retrouve enroulée autour de lui comme une couverture. Il pose sa joue sur le sommet de mon crâne.

J’ai conscience du regard des gens sur nous.

Ça me hérisse les poils et me donne envie de me lever et de m’enfuir loin de cette satanée farce.

Mais en même temps… il y a une petite partie de moi qui est bien là où elle est.

J’ai appris trois choses hier soir.

Premièrement, Maddie Stevens tient dans mes bras à la perfection. Deuxièmement, j’ai sérieuse- ment envie de la baiser. Genre une putain de méchante envie. Et troisièmement, ses cheveux sentent la pomme.

Ça fait neuf jours aujourd’hui que Ryan et

Aston m’ont mis au défi de faire tomber Maddie amoureuse de moi, dans une limite d’un mois. À

ce rythme, j’aurai pas besoin d’un foutu mois. Elle est déjà en train de craquer – et de craquer bien comme il faut. Je me donne dix jours pour leur prouver que je peux y arriver, et ensuite je me cas- se.

Parce que, soyons honnêtes, si j’étais le genre de mec à tomber amoureux, ce serait de quelqu’un comme elle. Sous son petit corps bien roulé et ses cheveux flamboyants, derrière ces jolis yeux verts, il y a une fille qui ne ressemble à

rien de ce que j’ai connu. Et ce qui est sûr, c’est que j’en rencontrerai pas deux comme elle non plus.

Et c’est bien le problème. Quand elle me sour- it, qu’elle me sourit vraiment, je peux la voir me transformer et faire de moi le genre de mec à

tomber amoureux. Ça la rend dangereuse, un pu- tain de danger ambulant, et il faut que je la mette dans mon lit et que je la quitte avant qu’il soit trop tard.

Elle apparaît et marche dans ma direction tout en tapant un message sur son téléphone, les sour- cils froncés. Ses cheveux sont ramenés sur le côté

et dissimulent son visage au reste du monde. Je me lève des marches sur lesquelles je suis assis, je lui attrape la main et je la fais tournoyer vers moi.

Elle lève de grands yeux surpris et s’appuie contre ma poitrine.

— Bon sang, Braden ! Il faut que t’arrêtes de me faire ça.

— Faire quoi ? je demande avec un sourire es- piègle.

— Me faire peur, elle souffle en rangeant son téléphone dans sa poche.

— Tout va bien ?

Je repousse ses cheveux de son visage.

— Ouais, c’était juste mon frère. (Elle fronce de nouveau les sourcils et secoue la tête.) Peu im- porte. Il est juste fidèle à lui même, stupide.

— Sûre ?

Je frotte les rides sur son front pour les faire disparaître.

— Oui ! elle répond vivement.

Un peu trop vivement d’ailleurs. Elle me sour- it, mais il n’y a aucun éclat dans ses yeux, pas comme hier soir. Et que je sois maudit si je cher- che à comprendre ce qui se passe plutôt que de vouloir la baiser par tous les moyens possibles et sur-le-champ.

C’est parce que c’est la copine de Megan. Ça explique toute cette histoire d’attention que je suis en train de commencer à lui porter. Bien sûr.

Je dépose un baiser sur son front et lui prends la main. On quitte les marches et on se dirige vers la cafétéria du campus. Ils servent pas la meilleure bouffe du monde, mais je sais qu’elle a cours dans une demi-heure. Je vous jure qu’elle suit tous les cours possibles.

On s’introduit dans la queue pour entrer et on se trouve une petite table dans un coin. J’ai déjà

remarqué qu’elle déteste être le centre de l’attention.

Elle picore et touche à peine à son plat. J’ai envie de lui parler, mais je ne sais absolument pas quoi lui dire. Je dois être le mec le plus in- sensible du monde, mais j’ai jamais accordé trop d’importance aux sentiments. Pour moi, les seuls sentiments qui veulent dire quelque chose et qui sont bien réels se passent dans la chambre.

Jusqu’à ce que je me plonge dans les yeux tristes de Maddie. Et là, ses sentiments sont très, très réels.

Plutôt que de parler, je décide de glisser ma main par-dessus la table pour prendre la sienne.

J’ai vu des mecs faire ça dans les stupides films que Meggy m’obligeait à regarder. Maddie relève la tête et m’adresse un sourire triste et préoccupé, et je me dis que ça la réconforte un petit peu.

Mais bordel, qu’est-ce que j’en sais au final ?

— Salut, Braden.

Une fille aux longs cheveux blonds s’approche de moi. La distraction parfaite.

Enfin, si j’étais pas dans cette putain de fausse relation.

— Salut… ?

Je suis sûr d’être censé connaître son prénom, mais c’est le blanc total.

— Je me demandais si t’étais libre ce soir. Tu sais, on pourrait reprendre là où on s’est arrêtés la dernière fois ?

Elle fait tourner une mèche de cheveux autour de son doigt, une hanche en avant.

Merde. Pourquoi ce genre de trucs n’arrête pas d’arriver ?

— Non, désolé, je dis en sentant le regard de

Maddie sur moi. Je ne suis plus disponible.

— Comment ça, plus disponible ?

La blonde nous regarde à tour de rôle. Est-ce que toutes les filles que je me tape sont blondes ?

Merde.

— Comme genre j’ai une petite amie.

— Qui se trouve être assise juste en face de lui, marmonne Maddie.

Y a pas assez de « merde » pour décrire com- ment je me sens à cet instant précis. Pourquoi y a-t-il toujours une meuf pour venir saboter mes plans soigneusement échafaudés ?

— Oh, d’accord. Je t’avais pas vue. (La blonde se tourne vers Maddie.) Enfin… tu n’es pas son type habituel, chérie.

— C’est peut-être pour ça que je suis sa petite amie, et que toi t’es qu’un plan cul du week-end vite fait oublié et dont il se rappelle même pas le nom, chérie.

C’est Maddie qui vient de balancer ça ? Putain de merde. Oui. Elle s’est fait lobotomiser par des extraterrestres cette nuit ou quoi ?

Je regarde les deux filles. Les yeux de la blonde lancent des éclairs sur le côté de la tête de Maddie, qui, elle, continue tranquillement de grignoter son plat comme si de rien n’était.

— Tu devrais peut-être y aller, je dis à la blonde avec un signe de tête.

Elle jette un regard mauvais à Maddie et se tourne vers moi, un sourire doux sur le visage.

— Quand t’as fini avec elle, tu m’appelles,

OK ?

Elle s’éloigne en exagérant son déhanché.

— T’as vraiment un sale goût en matière de filles, dit Maddie quand la blonde a disparu.

Apparemment.

— Et tu t’inclus dedans ?

Elle relève les yeux vers la blonde, et son re- gard triste est désormais glacial. Il ferait geler l’enfer, j’en suis sûr.

— Déconne pas avec moi, Braden. Pas au- jourd’hui. Je vais pas rester assise là à regarder défiler des bandes de pétasses à faux nichons qui viennent me dire que je suis pas ton « type habituel ».

Elle retire brusquement sa main de la mienne, se lève et s’en va comme un ouragan.

Je penche la tête en arrière et pousse un soupir, puis je me lève pour la rattraper. Pourquoi, mais putain pourquoi est-ce que c’est aussi compli- qué ?

Je la suis dehors jusqu’à une zone à l’ombre des arbres. Elle est debout sous les rayons du soleil qui filtrent à travers les branches et font briller le sommet de sa tête. Elle a les bras croisés sur sa poitrine qui se soulève rapidement et est appuyée contre un tronc d’arbre, sa tête contre l’écorce rugueuse.

— Bon, mon ange, je dis en m’approchant. Tu veux pas me dire ce qui t’arrive ?

— Je ne suis pas d’humeur à discuter de tes an- ciens plans cul, Braden, elle répond en fermant les yeux.

— Je parle pas de ça. (Je m’approche encore.)

Pourquoi tu me dis pas d’où tu sors tous ces mots vulgaires, parce que je suis sûr de t’avoir jamais entendu parler comme ça avant. Jamais.

— C’est une sale journée. Un dérapage. Fais comme si t’avais rien entendu.

— Pourquoi ?

— Parce que je te le dis.

— Si tu passes une sale journée, parle-moi.

C’est à ça que je sers, non ? (Je m’interromps.) Je t’ai dit que je voulais être là pour toi, alors laisse- moi le faire.

Elle a un rire amer et secoue la tête. Une ex- pression dure et méfiante passe dans ses yeux verts brillants auxquels je suis tellement en train de m’habituer.

— Ma vie avant Berkeley était très, très différente. Tu ne peux même pas imaginer, alors ce n’est pas la peine d’en parler. Tu ne compren- drais pas.

— Alors aide-moi. (Je me place devant elle et pose la main sur le tronc. Elle croise mon regard.)

Aide-moi à comprendre. Aide-moi à t’aider.

Elle se mord la lèvre.

— Pas aujourd’hui, elle murmure. Je… n’ai pas envie d’en parler maintenant.

Je glisse ma main sur sa nuque et l’attire contre moi. Elle pose sa main à plat sur mon ventre et me repousse.

— Non, je lui dis à l’oreille. Si tu ne veux pas me parler, Maddie, laisse-moi au moins te serrer dans mes bras. Je peux au moins faire ça.

Elle s’immobilise, figée dans un état d’indécision, avant de se détendre contre moi et de passer ses bras autour de ma taille.

— Je suis désolée. D’être une insupportable peste.

— Mais non, je réplique en lui caressant l’arrière du crâne. (Ça aussi, je l’ai vu dans un film.) Je suis désolé.

Et c’est la vérité. Mais je ne sais juste pas pour- quoi.

Mon frère, qui se trouve actuellement à quatre mille kilomètres de là, a toujours le don de me gâcher la journée – voire l’existence. Et, apparem- ment, le don de fiche par terre neuf jours de dur labeur avec Braden.

Mais franchement, qui se pointe devant quelqu’un à la cafétéria de l’université pour lui de- mander de reprendre là où ils s’en étaient arrêtés ?

C’est bas et pitoyable, et ça me rappelle exacte- ment pourquoi je fais tout ça. Ça ravive aussi la haine que j’ai pour Braden mais que j’ai perdue quand il m’a serrée comme il l’a fait après ma crise.

Je soupire et mes pensées dérivent de nouveau vers Pearce. La colère bouillonne en moi et j’ai comme une folle envie de balancer mon télé- phone par la fenêtre de ma chambre. Ce serait vraiment une telle satisfaction de le voir exploser en mille morceaux sur le trottoir… Ou alors, bien sûr, je pourrais changer de numéro. C’est prob- ablement une meilleure idée, mais qui est loin d’être aussi revigorante.

Je ne suis pas surprise qu’il m’ait contactée si vite après la dernière fois. Je pensais qu’il voulait de l’argent pour le loyer, mais je me trompais. Je me trompais complètement.

Il y a une grosse différence entre Pearce et

Braden que je dois bien reconnaître. Et cette différence se présente sous la forme de drogues.

Pearce est tombé dedans quand maman a été

tuée. C’était son « échappatoire ». Il n’y a rien de mal à vouloir s’échapper, mais quand cette éva- sion vous amène tout en bas de la pente, c’est que vous avez un problème. Et mon frère adoré

a résolu le problème en s’échappant de plus en plus.

Et cette fois, il a accumulé une telle dette que les huit cents dollars déjà transférés par ma banque n’en couvrent même pas la moitié.

Naturellement, il a dit à celui à qui il l’a em- pruntée qu’il aurait bientôt la somme, en sup- posant que je lui prêterais comme je le fais tou- jours. Mais cette fois, j’ai dit non. Je lui ai dit que je n’avais plus l’intention de le renflouer pour le tirer d’affaire et il est devenu fou.

Son message d’hier matin m’informait qu’il prenait ses dispositions pour venir ici, et que je pouvais m’attendre à le voir débarquer la semaine prochaine.

Je fais claquer ma langue. Deux vies différentes qui se télescopent. Tout le monde ici sait que j’ai un grand frère à Brooklyn, mais per- sonne ne connaît les détails. À part Kay, Megan et Lila, seul Braden sait que ma mère a été tuée.

Personne ne m’a jamais posé la question, et ce n’est pas le genre d’information que j’ai envie de partager sans raison.

Mais Pearce, ici ? Cette idée m’effraye parce que je le connais. Après tout, est-ce que je ne l’ai pas vu dominer et prendre le contrôle de ma meil- leure amie, jusqu’à la pousser à la tentative de suicide, tout ça à cause de son addiction et de son complexe d’infériorité ?

Je me frotte les yeux avec la paume de la main et les enfonce dans leurs orbites comme si ça pouvait effacer les souvenirs de l’année dernière.

Ce serait trop beau.

Les couleurs vives de notre affiche Opération

Piéger le Joueur attirent mon attention. Dixième jour, et je suis plus déterminée que jamais à en finir. Pour ce qui me semble être la centième fois en deux jours, j’érige une forteresse tout autour de mon cœur.

Et malgré tout, Megan avait raison. Braden est attentionné, doux et réfléchi. Il a bien un cœur, quelque part.

Mais c’était aussi le cas de Pearce avant qu’il brise celui d’Abbi.

Je traverse la pelouse en direction de la résid- ence de Braden. On ne s’est pas vraiment parlé

depuis mon emportement à la cafétéria hier, et je sais que je dois « nous rabibocher » pour le bi- en du plan. Mais tout ce que j’ai vraiment envie de faire, c’est m’enfuir en courant et me cacher quelque part où Pearce ne me trouvera pas.

C’est Lila qui me fait entrer.

— Il est à l’arrière, viens.

Je lui souris avec gratitude, mais je ne peux re- tenir un soupir. Elle passe un bras autour de mes

épaules.

— Ça va aller. Même s’il se pointe, on sera tous là. Promis. Tu seras pas toute seule.

— Je sais.

Je baisse les yeux quand elle ouvre la porte.

— Temps écoulé ! s’exclame Braden.

Je relève les yeux et c’est un Braden torse nu et transpirant qui s’approche de moi en courant. Un sourire apparaît sur son visage et il bondit sous le petit porche.

— Salut, mon ange.

— Salut, je murmure d’une voix douce.

Braden…

— Si c’est pour t’excuser pour hier, alors arrête-toi tout de suite. (Il s’approche de moi et

écarte quelques cheveux de mes yeux.) On a tous le droit de péter un câble une fois de temps en temps, non ?

— Si. (Je lui souris.) Donc tout va bien entre nous ?

Il rit.

— Maddie, on n’a jamais été mal. Je me suis juste dit que tu avais besoin de temps pour te calmer.

Je hoche la tête pour acquiescer, et il me prend sous son bras. On reste au calme sous le porche, dos au terrain. Je pose la main sur son ventre et, toujours bien décidée à en finir, j’emmène le jeu

à l’étape suivante.

Je dessine les contours des muscles de son torse du bout du doigt et passe mon pouce sur ses solides abdos. Je sens sa main se crisper légère- ment sur ma taille quand j’approche du « v » sub- tilement dessiné sur les côtés de sa ceinture. Je le sens frissonner et il m’attrape la main quand je ne suis plus qu’à quelques centimètres de son short.

— Maddie, murmure-t-il d’une voix plus pro- fonde que d’habitude. À ta place, je m’arrêterais là.

Bingo.

— Pourquoi ? (Je souris, amusée, en relevant les yeux vers lui.) Je me demandais seulement si ce muscle allait aussi bas qu’il en a l’air.

Une lueur de désir assombrit son regard élec- trique.

— Oui, il va plus bas.

Je me mords la lèvre en la gardant dans ma bouche et baisse les yeux sur nos mains jointes. Il se racle la gorge et je relève vivement la tête.

— Désolée, je murmure. Simple curiosité.

Braden penche la tête pour poser ses lèvres à

côté de mon oreille.

— Mon ange, tu peux être curieuse autant que tu veux, mais si tu veux pas que mes potes de la fraternité te voient dans le plus simple appareil, tu ferais mieux de t’arrêter tout de suite.

Une vague de chaleur inonde mon bas-ventre.

Bon sang de… Je déglutis. Ça me retourne totale- ment. Je ne peux même pas résister au ton excité

de sa voix. C’est un son rauque et masculin qui fait vibrer mon corps entier. Je le sens caresser chaque centimètre de ma peau.

— D’accord, je dis dans un souffle. Je vais m’arrêter.

Je retire ma main de la sienne et la fait re- monter le long de son corps jusqu’à son épaule, puis sur son bras. Je vois la chair de poule appar- aître sur sa peau dans le sillage de ma main, et il émet un grondement guttural. Je réprime mon sourire en entremêlant mes doigts avec les siens.

J’ai dit que j’allais m’arrêter. Je n’ai pas dit quand.

Il expire bruyamment et son souffle fait voleter mes cheveux.

— Maddie.

— J’arrête. Désolée.

Il secoue la tête en souriant et pose son front contre le mien. Je relève les yeux vers lui et mes cils me chatouillent la peau. Il frotte le bout de son nez contre le mien et penche doucement la tête pour effleurer mes lèvres. Je me hisse sur la pointe des pieds et lui serre la main. J’enroule mon bras libre autour de son cou et lui rends son baiser.

Voilà donc que j’aime embrasser le mec que je déteste. Achevez-moi.

— Hé, Carter ! Repose ma copine ! s’exclame

Kay, tandis que la porte se referme derrière elle dans un claquement.

Je souris contre les lèvres de Braden et me laisse retomber sur mes pieds.

— Salut, Kay, je lui lance en pivotant.

Elle nous regarde à tour de rôle.

— On dirait un film porno ambulant, tous les deux.

— Hé, on n’a plus le droit d’embrasser sa cop- ine maintenant ? demande Braden. C’est pas ma faute si je veux l’exhiber à tout le monde.

Je rougis légèrement. Une rougeur forcée. Une rougeur très forcée. Non, je mens. C’est pas du tout forcé. Merde.

— Tu peux, dit Kay en faisant la moue. Mais pas quand je suis là.

Megan lui donne un coup dans l’arrière du bras.

— Fais pas ta putain de grincheuse. C’est agré- able de les voir heureux !

Je lui souris.

— Merci, Meggy.

Braden lui adresse un sourire à son tour. Kay souffle, lui brandit un doigt d’honneur et tourne les talons pour rejoindre Lila et Ryan.

— Mince, elle me déteste vraiment, hein ?

— C’est parce que t’as pas de vagin, glousse

Megan. Enfin, j’espère pour toi.

— Je te rassure, répond Braden en me regard- ant droit dans les yeux. Il n’y a pas de vagin dans mon pantalon.

Je me mords de nouveau la lèvre pour m’empêcher de sourire bêtement.

J’ai donc sauté une étape. Et celle-là est bien plus fun.

Je suis baisé. Complètement baisé.

La main de Maddie sur mon ventre m’a instant- anément donné une trique de folie. Ma queue s’est mise au garde-à-vous si rapidement qu’on aurait dit un exercice militaire.

Je maudis le fait qu’elle ressemble pas à mes meufs habituelles. D’habitude, un sourire sugges- tif, un clin d’œil, et c’est dans la poche. Mais non, avec Maddie, il faut l’emmener dans un putain de restaurant. Je pourrais lui chanter une sérénade sous un putain de ciel étoilé, aussi. Le pire, c’est que si je savais chanter, je serais bien capable de le faire.

Parce qu’il faut tout le temps que je cherche à

obtenir ce qui est hors de ma portée. Et Maddie ?

Maddie est tout en haut de cette liste. Bon sang, elle est tout en haut de toutes mes listes.

Elle est intouchable, comme une pierre rare et précieuse dans un musée entourée de lasers an- tivol. J’ai l’impression d’être un ninja qui arrive chaque jour à esquiver un laser de plus et qui se fraye un chemin pas à pas jusqu’à son cœur.

Mais en fait, est-ce que je veux qu’elle tombe amoureuse de moi ? Le problème avec ce défi, c’est qu’il ne s’agit pas que de tirer un petit coup vite fait dans les buissons. Je dois apprendre à la connaître, je dois faire semblant de m’intéresser à

elle – mais quand est-ce que la comédie se trans- forme en réalité ?

Je sais que sa mère a été tuée. Je sais qu’elle n’est pas proche de son frère, qu’elle aime son père et je sais aussi que quand elle est de mauvaise humeur, elle peut être aussi vulgaire que moi dans mes bons jours. Et chez elle, c’est sexy.

Et quand la Maddie digne et convenable se lâche, ça me fiche la plus grosse trique de ma vie.

Merde.

Je me lève et referme la porte de ma chambre derrière moi. Je peux pas rester là à penser à elle.

Je manque de heurter Aston et Ryan au bas de l’escalier. Je les attrape par le bras, les pousse de- hors et contourne la résidence avec eux.

— Hé, mec ? C’est quoi le problème ?

Aston se frotte le bras.

— Vous deux. (Je les regarde à tour de rôle.)

Vous me rendez cinglé.

— Quoi ?

— Ce défi. Vous savez combien c’est difficile d’avoir ce petit cul sexy qui se frotte contre moi à

longueur de journée en sachant que je peux pas la baiser ?

Je me retiens d’enfoncer mon poing dans le mur. Ryan affiche un petit sourire narquois.

— T’as accepté, frangin. Moi je faisais que plaisanter, mais c’est toi qui as accepté. Tu peux plus reculer maintenant. Elle est à tes pieds.

— Ouais, et c’est bien ça le problème. (Je lui jette un regard significatif.) Je veux pas qu’elle soit à mes pieds, mais à cheval sur ma bite.

— Ben alors tu la sautes, suggère Aston. Ça commençait à devenir plutôt intime entre vous deux hier soir, si tu vois ce que je veux dire.

— Ça fait même pas deux semaines, mec. (Je secoue la tête.) Je peux même pas l’envisager av- ant la semaine prochaine. Elle est attirée par moi et elle est en train de craquer, mais elle est pas encore amoureuse. Elle fera rien tant qu’elle sera pas complètement amoureuse de moi. Et toutes ces filles dont je me souviens même pas qui ar- rêtent pas de se pointer pour me demander une autre chance, ça m’aide vraiment pas.

Ils éclatent de rire en même temps.

— Tu plaisantes, là, mec ?

Aston s’appuie contre le mur.

— Putain, je préférerais. (Je me frotte le front.)

On dirait qu’avec ma fausse copine, tout à coup, je deviens la marchandise la plus sexy de ce foutu campus.

— Je parie que ça passe mal, déclare Ryan d’une voix songeuse. Avec Maddie, je veux dire.

Je parie que t’adore ça.

— En fait, y a rien de pire.

— Tu plaisantes ? T’aimes vraiment pas ça ?

— C’est à peu près aussi agréable qu’un trou dans la tête. Voilà comment c’est agréable. Et ça joue pas vraiment en faveur de cette histoire de confiance et tout… surtout quand elle voit bien que je me souviens pas d’elles.

Aston glousse.

— Renvoie-les dans ma chambre la prochaine fois. Il y a toujours de la place dans mon lit.

— J’en suis sûr, je réplique sèchement. Mais qu’est-ce que je fais pour Maddie ? Elle me rend dingue. On dirait une putain de pub ambulante pour le sexe, dans mon cerveau.

— Baise-la, dit simplement Ryan. Tu te la tapes et tu te la sors de la tête. Mais juste un peu plus tôt que ce que t’avais prévu.

Les boucles blondes de Megan rebondissent quand elle s’assoit sur mon lit.

— Alors, toi et Maddie…

— Quoi ?

Je lui jette un regard.

— Tu m’as l’air plutôt accro.

Vraiment ?

— Parce que c’est le cas, Meggy.

— Vraiment, Bray ? Parce que je sais que t’es capable de bien jouer ton petit jeu. Tu es capable de tout me cacher.

Et c’est bien le foutu problème.

— Je ne joue aucun rôle. Je l’aime vraiment bi- en.

— Elle ou la partie de jambes en l’air que tu pourrais te taper avec elle ?

Sérieusement ?

— Meggy.

— Bray.

Je la regarde et elle me fixe des yeux.

— Je l’aime beaucoup, vraiment. Enfin, tu peux me dire ce que je pourrais ne pas aimer ?

Elle s’appuie contre le mur et croise les bras.

Elle me transperce des yeux et je me tortille face

à cet examen intense et minutieux. Merde. Pour- quoi elle me fait ça ? Comment elle fait ça ?

— Je t’adore, Bray. Tu es comme mon frère, mais si tu te fous de sa gueule, je te coupe les couilles et j’en fais un carillon au-dessus de la porte de la fraternité.

Aïe. Je grimace.

— Je me fous pas de sa gueule.

Pas complètement.

— Braden William Carter, elle dit d’une voix cassante. Je suis sérieuse. Je lis en toi comme dans un livre ouvert et il y a une différence entre ce que tu dis et ce que tu veux dire. Mais tu sais quoi ? Ce que tu veux dire et ce que tu penses sont aussi deux choses différentes.

— Je t’en prie, Meggy, je réplique avec sar- casme. Éclaire-moi sur ce que je dis, ce que je veux dire et ce que je pense.

— Ce que tu dis, c’est que tu veux être avec elle. Ce que tu veux dire, c’est que tu coucherais bien avec elle, mais ce que tu penses vraiment, c’est que t’es une grosse mauviette de céder aux sentiments que tu ressens au fond de toi.

— Comment ça, céder aux sentiments ? Je vi- ens d’admettre que je l’aimais beaucoup.

— Oui, Braden, elle répond avec ironie. Mais ce n’est pas ce que tu veux dire. Je ne suis pas stu- pide. Tu es sur un coup avec Maddie, et même si

ça me regarde pas, je me préoccupe de vous deux.

À moins de séparer ton cerveau de ta queue, ça va mal finir. Pour tous les deux. Tout n’est pas qu’une question de sexe.

— Je fais pas ça pour le sexe.

Je déteste lui mentir, mais c’est nécessaire.

— Je te crois pas, ni aucune des excuses min- ables que t’as en réserve dans le cerveau, quelle que soit la partie de ton corps dans laquelle il se trouve à ce moment précis.

Elle saute à bas du lit, traverse la pièce et me plante un doigt dans le torse.

— Il faut que t’arrêtes de jouer les tombeurs et que tu commences à t’intéresser à ce que tu ressens vraiment. C’est pas tes amis qui te con- trôlent, Bray.

— Tu dis ça juste parce que tu trouves que ce sont des gros cons, je lance avec un petit sourire moqueur.

— Mais parce que ce sont des gros cons ! Les laisse pas te faire croire que tu devrais passer les quatre prochaines années de ta vie dans cette fac

à te taper tout ce qui bouge, parce que pendant ce temps, la femme de ta vie pourrait être juste sous tes yeux. Et tu sais quoi d’autre ? À moins d’ouvrir les yeux justement, elle va te passer sous le nez. Elle arrivera et repartira si vite que tu cligneras des yeux et que tu la manqueras. (Elle soupire et se dirige vers la porte.) Décide-toi avec

Maddie ; est-ce qu’elle est « tout ce qui bouge », ou est-ce qu’elle est plus que ça. Elle a traversé

trop d’épreuves pour se coltiner tes conneries de queutard. Prends le temps de te poser la question

à toi-même, et pas à Couillon numéro 1 et Couil- lon numéro 2.

Elle ouvre la porte, sort et la claque derrière elle.

— Va te faire, je murmure en attrapant un or- eiller et en le jetant sur la porte fermée. Putain de femme de ma vie. N’importe quoi.

J’ai à peine dix-neuf ans. Qui trouve la putain de meuf de sa vie à cet âge ?

Depuis lundi, je vérifie constamment mon télé- phone de manière obsessionnelle. On est mercredi et pas la moindre nouvelle de Pearce. S’il était sérieux, alors d’ici une semaine, j’aurai ses misér- ables petits yeux braqués sur moi.

Et ça me terrifie.

Je ne veux pas de lui ici, et je ne peux pas faire bonne figure plus longtemps sans raconter aux filles ce qu’il se passe. Je ne veux rien leur cacher, mais je ne peux pas faire grand-chose. S’il ne vient pas, alors inutile de leur raconter les dé- tails sordides de ma vie à Brooklyn. Mais s’il vi- ent… alors il sera peut-être trop tard.

Je déteste ne pas savoir. Je déteste l’incertitude qui flotte autour de mon frère comme un nuage

épais. Rien n’est jamais clair avec lui, sauf ce qui concerne la drogue. Mais en même temps, quand est-ce que les choses sont vraiment précises avec les gens ? Elles ne le sont pas. Jamais.

Je réprime un soupir en tapotant mon stylo contre la table. Je regarde l’horloge pour la mil- lième fois en dix minutes. La petite aiguille semble avancer à la vitesse d’un escargot, 0,0 kilomètre/heure.

Pour la première fois de ma vie, j’ai vraiment envie de voir Braden. Quand je suis en sa com- pagnie, j’ai quelque chose sur lequel me con- centrer, le défi, le jeu. Le besoin de gagner la partie qu’il n’est même pas conscient de jouer, l’emporte sur tout le reste.

Mais est-ce que ça fait de moi quelqu’un de comparable à mon frère ? Piéger quelqu’un pour sa propre satisfaction.

Non. Non, c’est différent. Meggy a dit que le plan concernait Braden, que le but était de faire de lui quelqu’un de meilleur. Je n’en tire aucune satisfaction. Seulement de la frustration.

Mais ça reste malgré tout deux vies qui se fondent en une seule. Je suis assise là, en cours, la vilaine fille de Brooklyn, alors que quand je vais sortir et le voir, je serai la gentille étudiante cali- fornienne.

La sonnerie retentit enfin et je ramasse mes af- faires, et c’est tout juste si je ne sors pas de la classe en courant. J’ai l’impression que l’air y est étouffant, alourdi par le silence de mon frère.

Chaque pensée qui m’a traversé l’esprit ces dix dernières minutes fourmille dans ma tête sans relâche.

Je me sens prise de vertige. Je n’arrive plus

à respirer, trop de choses me tombent dessus.

Mon frère et les événements de l’année dernière me poursuivent à 4 000 kilomètres de distance. Je pose une main sur mes yeux pour affronter les couloirs et sortir le plus vite possible à l’air libre, où je peux respirer.

Je sens deux bras qui s’emparent de moi et, dans mon état de panique, je pousse un hurle- ment. Je suis plaquée contre un corps ferme dont je reconnais l’odeur boisée. Braden. De ma main libre, je m’agrippe à son tee-shirt. J’ai besoin de quelque chose à quoi me retenir. C’est un geste presque désespéré, mais je m’en fiche.

— Chh, murmure-t-il. Je te tiens. Tout va bien.

Je ferme les yeux et respire profondément tandis qu’il me serre contre lui. J’enfouis mon visage contre sa poitrine. Pour me recentrer. Je me rappelle les exercices de respiration des cours de yoga que j’ai pris en dernière année de lycée et me récite les instructions dans ma tête. J’inspire profondément, et expire profondément.

Les bruits tout autour de nous s’estompent et je me rends compte que je ne sais plus depuis combien de temps je suis figée dans les bras de

Braden.

— Ça va, mon ange ? demande-t-il doucement.

— Ouais. Je crois.

Il passe une main dans mes cheveux et tire légèrement sur des nœuds dans mes boucles.

— Je voulais pas te faire peur. Mais on aurait dit que t’allais t’évanouir.

— Alors tu t’es dit que tu allais accourir comme un chevalier servant en armure

étincelante ?

Cette pensée m’amuse beaucoup.

— Quelque chose comme ça. (Il glousse.)

Qu’est-ce qui se passe ?

— Oh, rien.

J’esquive et m’écarte de lui en souriant.

— Ne me mens pas, Maddie. Je vois bien dans tes jolis yeux verts que quelque chose te préoc- cupe.

Il passe son pouce sur la ligne de ma mâchoire.

Je lutte pour garder les yeux ouverts.

— Parle-moi.

— C’est juste mon frère.

Je baisse les yeux.

— Vous vous entendez pas des masses, si je me souviens bien.

— C’est un euphémisme. (Je grogne.) Il a

évoqué la possibilité de venir ici… et je… je ne veux pas. Je ne veux pas qu’il vienne ici.

— Alors dis-lui.

— Ça marche pas comme ça. On ne dit pas simplement les choses à Pearce.

— Alors qu’est-ce qu’il faut faire ?

— Peu importe. (Je lève brièvement les yeux.)

Laisse tomber.

Braden pose la main sous mon menton et me force à relever la tête, mais je garde les yeux rivés au sol.

— Maddie, regarde-moi. (Je secoue la tête.)

Maddie, s’il te plaît.

La tendresse dans sa voix m’interpelle et je re- dresse la tête.

— Quoi ?

— C’est important, d’accord ? dit-il douce- ment. C’est toujours important.

— Non, pas toujours.

— Pourquoi tu ne veux pas me parler ?

Parce que quand t’es comme ça, tout doux et attentionné, c’est difficile de se rappeler que je te déteste et que tout ça n’est qu’un jeu.

— Je n’ai juste pas envie d’en parler, Braden.

Il soupire.

— Pourquoi tu ne me laisses pas t’aider ?

Parce que tu es la première personne en dehors des filles à te soucier de moi et à le montrer depuis le jour où elle est morte… et cette atten- tion n’est bonne pour personne. Pas quand tout ce que tu crois savoir n’est qu’un jeu.

— Pourquoi ? (Je regarde les rollers devant moi.) Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?

— Je parie que Megan se trouve hilarante, grommelle Lila en regardant les rollers avec le même dédain que moi.

— Pourquoi on l’a seulement laissée organiser

ça, déjà ? je murmure.

— Aucune idée, mais ça risque plus d’arriver.

— Totalement d’accord.

Non seulement ce sont des rollers, mais ils sont roses. Des foutus rollers roses.

Et moi, le rose, c’est vraiment pas mon truc.

— Venez, toutes les deux !

Ryan s’approche de nous en patinant comme s’il avait fait ça toute sa vie, ce qui est probable- ment le cas.

— Hum.

Lila se fige sur place, le regard braqué sur la paire de rollers.

— Vraiment, bébé, reprend Ryan. C’est pas si dur.

— Bon sang, Ryan, dit-elle en soufflant. Com- bien de fois tu crois que j’ai fait du roller à Wash- ington ? En vrai ?

— Je m’imaginais que tout le monde avait déjà

fait du roller au moins une fois dans sa vie. (Il me regarde.) Me dis pas que t’en as jamais fait non plus, Maddie ?

— Bingo, je réponds en arrachant enfin mon regard des chaussures. C’est pas vraiment à la mode à Brooklyn, curieusement.

— Foutues citadines.

Il secoue la tête.

— Hé, elles sont pas si mal, dit Braden qui ar- rive vers nous en patinant à l’envers sur le trot- toir.

— Putain de frimeur, murmure Lila.

— Je t’ai entendue, Lila.

— C’était fait pour, Braden.

Il s’arrête devant moi et je lève les yeux vers lui.

— Quoi ?

— T’as vraiment jamais fait de roller ?

— Non. (Je croise les bras sur ma poitrine.)

Non. Jamais.

— Viens. (Il me prend par la main.) Mets-les et essaie. Je te promets que c’est marrant. Essaie juste une fois.

J’alterne mon regard entre les rollers et lui. Il a une expression implorante et pleine d’espoir sur le visage.

— Est-ce que tu arrêteras le regard de chien battu ?

— Parole d’honneur, dit-il en posant la main sur son cœur.

Je soupire et m’assois. J’attrape les rollers, re- tire mes chaussures, glisse mes pieds à l’intérieur et essaie maladroitement de fermer les fixations.

Braden soupire et secoue la tête.

— Viens là.

Il se penche et les attache pour moi. Puis il me prend les mains et m’aide à me relever. Je roule droit sur lui et pousse un petit couinement. Je pose les mains à plat sur sa poitrine pour garder l’équilibre, sans trop prêter attention aux martèle- ments de mon cœur.

— Tu t’en sors bien. On y va.

Il me prend la main en s’écartant légèrement de moi.

Je lève la tête et vois Ryan en train de tirer Lila derrière lui. Elle a les pieds écartés sur la largeur de son corps, les jambes tremblantes. On dirait un poulain qui vient de naître et qui fait ses premiers pas. Je glousse dans ma barbe en sachant que j’ai probablement l’air aussi ridicule.

Elle me jette un regard par-dessus son épaule et articule silencieusement « aide-moi » du bout des lèvres. J’affiche un air d’impuissance, et Braden accélère le rythme.

— Non, ralentis, ralentis ! je proteste en agit- ant mon bras libre dans l’air.

— Oh bon sang, Maddie, grogne-t-il.

Vraiment ?

— Oui ! J’en ai jamais fait ! je grommelle.

Mais vraiment jamais !

— Fais chier ! lâche Ryan. Cours intensif !

Il tourne autour de Lila et l’attrape par la taille pour la pousser devant lui le long du trottoir. Elle pousse un cri en s’agrippant aux mains de Ryan sur ses hanches pour garder l’équilibre.

— Ryan, espèce de connard ! je l’entends crier avant qu’ils disparaissent de ma vue.

Je ris et me penche sur le côté. Braden lâche ma main et…

— Non, non, non, Braden ! Fais pas ça !

J’essaie de tourner et je sens de nouveau ses mains sur ma taille et son souffle dans mon or- eille.

— Cours intensif, mon ange.

— Non…

Mes protestations se transforment en hurle- ments quand il nous propulse sur le même trottoir emprunté par Ryan et Lila.

— Oh mon Dieu, oh mon Dieu.

J’ai envie de fermer les yeux, mais je me dis que ce n’est pas une bonne idée.

Mon cœur cogne dans ma poitrine et je m’agrippe aux doigts de Braden.

— C’est pas si mal, dit-il en riant dans mon or- eille.

— Ça dépend de quel point de vue, je réplique en me raidissant. Braden, je veux arrêter.

— Non.

Il glisse un bras autour de moi et m’attire contre lui, ce qui fait que mon dos se retrouve plaqué contre son torse et ses deux bras enroulés autour de mon ventre.

— Tu vois ? Je te tiens. Tout va bien, beauté.

— C’est n’importe quoi. Je ne laisserai plus ja- mais Megan nous organiser un rendez-vous.

— Ouais, elle y est pas allée de main morte au- jourd’hui.

Il éclate de nouveau de rire et je secoue la tête.

— Non, non, c’est épouvantable.

— Vraiment ? J’aurais cru que ça te plairait d’être tout contre moi.

— Oui, si je pouvais justement me concentrer sur le fait d’être tout contre toi.

— D’accord, alors.

Il pivote pour se retrouver devant moi et patin- er en arrière.

— Braden, tu vois plus la route !

— À toi de gérer.

— Oh mon Dieu. (J’essaie de regarder par-des- sus son épaule, mais je n’y arrive pas.) Tu es trop grand !

— Alors il va falloir me faire confiance.

Il me dépose un baiser torride sur les lèvres et je grogne en m’agrippant fermement à lui. Il pose les mains sur mes hanches et m’attire contre lui.

On perd légèrement de la vitesse. Il s’apprête à

approfondir le baiser et essaie d’insérer sa langue entre mes lèvres. Je lui mordille la lèvre du bas avant d’ouvrir la bouche. Quand nos langues s’emmêlent, j’enfouis les doigts dans ses cheveux et commence alors une danse complexe de la sé- duction.

Pendant une seconde, j’oublie le jeu. J’oublie la fausse relation. J’oublie le fait que je suis sur des rollers et que Braden n’est pas…

— Ahh ! s’exclame Braden en tombant dans l’herbe.

J’éclate de rire en lui roulant dessus.

— Je t’ai dit qu’on ne voyait pas où on allait !

j’articule entre deux éclats de rire, les brins d’herbe me chatouillant les oreilles.

— Hé. (Il se tourne vers moi et se redresse sur son coude. Ses cheveux qui tombent juste au-des- sus de moi jettent des petites ombres sur mon vis- age.) Je savais exactement où on allait jusqu’à ce que tu me distraies.

— C’est moi qui t’ai distrait ? Oh, non, très cher. C’est toi qui m’a embrassée, et pas l’inverse.

— J’ai pas entendu la moindre protestation de ta part.

— Peut-être parce qu’il n’y en a pas eu.

— Ah ouais ?

— Ouais.

— Alors on va réessayer.

Je me cambre quand il se serre contre moi, en enfonçant directement sa langue entre mes lèvres.

Je m’agrippe de nouveau à ses cheveux en reten- ant sa bouche contre la mienne. Il glisse une main le long de mes côtes et fait naître un sillon en- flammé de chair de poule sous mes vêtements. Je plie les jambes pour me plaquer contre sa hanche, et il pose la main sur ma cuisse qu’il retient ferm- ement sous lui. Ses doigts caressent et explorent doucement ma peau nue. Je me colle à lui, la peau en feu partout où il me touche.

Il enfonce ses hanches et je peux le sentir contre mon autre cuisse, dur et excité. Je pousse un gémissement profond et guttural, et le désir que j’éprouve pour le mec que je déteste domine toutes les autres sensations dans mon corps. Il monte, de plus en plus intense, et je sais que si on n’était pas dans un endroit public, ce serait impossible pour moi d’arrêter là ce qu’il a com- mencé.

Je l’envisage plus ou moins, alors qu’on est au beau milieu d’un parc.

Il mordille ma lèvre du bas avant de s’écarter.

Je rouvre les yeux sur la lueur voilée de désir dans son regard bleu électrique rivé sur moi. Il respire difficilement.

— Maddie, je…

— Ah vous voilà ! Oh, merde ! s’exclame Lila.

J’ai rien vu. Je vous jure. Continuez. Je m’en vais.

Je glousse et pose le front contre l’épaule de

Braden. Le charme de l’instant est rompu.

— Il n’y a rien à voir, Lila, lui lance Braden.

Rien qu’un bisou.

— Oh. Relevez-vous, alors !

On éclate de rire tous les deux et Braden se relève en m’offrant sa main pour faire de même.

J’enroule mes doigts autour des siens et il me tire sur mes pieds. Il me vole un dernier baiser avant de m’entraîner avec lui dans le parc.

Je déglutis et le laisse me guider. Le jeu prend rapidement des proportions auxquelles je ne suis pas préparée.

Je ne suis pas préparé aux proportions qu’est en train de prendre ce jeu. Cette nouvelle étape, c’est comme une putain de grosse enseigne au néon qui déclare la fin du jeu et le début de la réalité. La réalité, avec Maddie ?

La réalité, avec qui que ce soit ?

Quand j’avais six ans, je pensais que, quand je serais grand, j’épouserais Meggy, comme l’imaginent souvent les enfants. On se marie avec la personne qu’on préfère, et à six ans, celle qu’on préfère, c’est sa meilleure amie, non ? Ouais. La bonne blague.

Aujourd’hui, Meggy est comme ma petite sœur.

C’est la seule personne pour laquelle je serais prêt

à mourir. Je prendrais une balle pour elle, je tuer- ais pour elle, et je la protégerais jusqu’à ce qu’elle n’en ait plus besoin – et même à ce moment-là, je continuerais certainement.

Le samedi marque les deux semaines de jeu, et chaque jour qui passe m’aide à connaître Mad- die un peu mieux. Elle est prudente. Beaucoup de secrets se cachent derrière ses jolis yeux verts, bi- en qu’ils ne dissimulent pas grand-chose de ses

émotions. Je veux connaître ces secrets, parce qu’au final, je commence sacrément à

m’intéresser à elle.

Je commence à me préoccuper de la tristesse qui apparaît et au mur qui se dresse chaque fois qu’on évoque son frère. Depuis qu’on a parlé de lui il y a deux jours, elle est de plus en plus nerveuse. Elle arrête pas de vérifier son télé- phone, l’heure, son téléphone, l’heure. C’est un putain de cycle à répétition qui commence à me rendre maboule parce que je comprends rien à ce qui se passe.

— Alors, les news ? demande Ryan en passant la tête à ma porte.

— Ça avance.

Je ne détourne pas les yeux de l’écran de télé

où je suis vaguement en train de jouer à la Xbox.

— Ça avance comment ? Il reste deux se- maines.

— Plus que ça.

— Quoi ?

— Plus que deux semaines. (Je pulvérise la tête d’un zombie.) T’inquiète pas, mec. Tout roule.

— Je l’ai bien vu après votre petite démonstra- tion dans le parc.

— Va te faire foutre, je réplique dans un élan protecteur. Je relèverai le défi, et tu le sais très bi- en.

— D’accord. Comme tu veux, Braden.

Ma porte se referme et je secoue la tête. Les paroles de Meggy me reviennent en tête. Décide- toi : est-ce qu’elle est « tout ce qui bouge », ou est-ce qu’elle est plus que ça.

Je déglingue plusieurs zombies d’affilée. Ah.

Et puis qu’est-ce qu’elle y connaît elle, bordel ?

Je meurs. Je laisse tomber la manette par terre et soupire avant de m’allonger sur mon lit. Stu- pide jeu. Stupide défi.

J’entends un léger coup frappé à ma porte.

— Entrez.

Je relève la tête et Maddie pénètre dans ma chambre, les bras chargés de livres. Je bondis pour aller l’aider et la laisse refermer derrière elle.

— Salut.

Elle sourit et récupère ses livres.

— Salut, mon ange. (Je me penche pour lui dé- poser un baiser rapide.) J’avais pas compris que tu apportais la bibliothèque avec toi. Si j’avais su, je t’aurais retrouvée là-bas, à la place.

— Oh. Ah ah ah, très drôle. (Elle laisse tomber la pile sur mon bureau.) J’ai toujours pas fait mon devoir d’anglais.

— Lequel ?

— Sur le thème de l’amour dans Beaucoup de bruit…

— Tu l’as pas encore fait ? je répète, amusé.

Elle secoue la tête.

— J’ai été légèrement distraite ces derniers temps. Tu devrais le savoir, Braden.

Je lui souris en m’approchant d’elle, et l’enlace par-derrière. J’enfouis mon visage dans ses cheveux, le sourire toujours aux lèvres.

— C’est ma faute ?

— Je dirais qu’il y a de grandes chances, elle murmure en réponse. Alors il faut que je le fasse maintenant.

— Vraiment ?

Je déplace ma main sur son ventre, sa hanche, et la pose sur le haut de sa cuisse.

— Tu es là, dans ma chambre, et tu veux faire tes devoirs ?

— Braden ! (Elle me frappe la main.) Oui.

C’est possible, tu sais, d’être dans une chambre avec une fille sans coucher avec elle.

— Mais pas avec toi.

Je lui souffle dans l’oreille et passe mes lèvres sur son lobe avant de déposer des baisers légers dans son cou. Elle frissonne.

— Braden…

— D’accord. (Je soupire.) Je vais m’asseoir et te regarder, alors.

— Tu vas vraiment faire ça ?

Elle pivote dans mes bras et me regarde.

Je penche la tête pour l’embrasser, j’attrape son cul à pleines mains et je la plaque contre moi. Je suce sa lèvre et enfouis mon visage dans ses cheveux. Elle m’attrape par la taille et je la penche légèrement en arrière pour l’embrasser plus fougueusement. Elle fait glisser ses mains dans mon dos en écartant les doigts.

Je sens ma queue durcir et je recule en l’attirant vers mon lit. Elle se laisse tomber sans résistance.

Elle glisse une paume chaude sous mon tee-shirt.

Il faut que je lui arrache ses vêtements.

Je retire mes lèvres des siennes, effleure la ligne de sa mâchoire et lui caresse la cuisse. Elle penche la tête en arrière et j’embrasse son cou avec des petits coups de langue à l’endroit où

son cou rejoint son épaule. Elle pousse des petits gémissements. Je continue d’explorer son corps avec ma bouche et j’embrasse la naissance de ses seins.

J’enfouis ma langue sous son soutif, sur sa peau douce et chaude.

— Braden, elle murmure, le souffle court.

— Maddie, je marmonne contre sa peau en res- pirant fort.

Sa poitrine monte et descend en rythme, son cœur bat la chamade.

Je passe une main sous sa jupe et touche sa cu- lotte du bout des doigts. Elle porte un string. Pu- tain.

Elle inspire brusquement et, alors que je passe mon pouce sur le tissu, je m’écarte pour la re- garder dans les yeux.

— Mon ange… ? je fais doucement.

Un éclat passionné enflamme ses yeux et elle agrippe mes cheveux sauvagement tout en re- muant les hanches contre moi. Ses mouvements répondent à ma question et je replonge dans son cou pour y déposer une série de baisers.

Je passe la main sous le tissu et glisse mes doigts en elle, qui s’enfoncent facilement dans la chaleur humide. Ses muscles se crispent et elle plante ses ongles dans mon dos. Mon pouce s’insinue sur son clitoris que je frotte en dessinant des cercles lents et doux. Un autre doigt en elle et elle se cambre.

Elle gémit de nouveau et je couvre sa bouche de la mienne. Je l’engloutis. Elle me lèche la lèvre supérieure et je l’imite en caressant sa langue de la même manière que mes doigts la caressent plus bas.

Elle retient son souffle. Ses muscles se con- tractent.

Je frotte plus fort, je bouge plus vite, je l’embrasse plus passionnément. Elle crie mon nom avant de se détendre, les muscles mous et le souffle court. Je mets un terme au baiser et retire ma main, à regret.

Elle ouvre lentement les yeux et les étincelles qui brillent à l’intérieur contrastent avec ses joues rougies. Ses cheveux sont étalés sur mes draps blancs, ses lèvres légèrement entrouvertes.

Et bordel, elle est magnifique.

— Qu’est-ce… qu’est-ce que c’était ? elle souffle.

— Ça, mon ange, c’était un orgasme, je ré- ponds avec un sourire intense.

— Ça je sais. (Là, si elle pouvait, elle me giflerait.) Mais d’où il est venu ?

— Je peux te confier un secret ? (Je frotte mon nez contre sa joue et elle hoche la tête.) J’ai eu envie de le faire dès la première fois que je t’ai vue.

Nouvelle vérité.

Elle rit en silence et tourne le visage pour m’embrasser tendrement.

— Oh. Tu es content, maintenant ?

— Très, je murmure contre ses lèvres. Et toi ?

— Hmm, elle murmure à son tour. Je crois, oui.

— Bien. (Je l’embrasse de nouveau et écarte quelques cheveux de son front.) Maintenant, tu peux faire ton devoir d’anglais.

Elle rit, à voix haute, cette fois.

— Donne-moi une minute.

Maddie ferme les yeux ; je roule sur le côté

et l’attire contre moi pendant qu’elle se remet de son orgasme.

Je sais trois choses supplémentaires, mainten- ant.

Maddie Stevens est foutrement canon après un orgasme.

Je sais que j’aimerais voir cette expression sur son visage très, très souvent.

Et enfin, le parfum de pomme de ses cheveux me rend complètement fou.

Pour de vrai.

Je comprends. Je comprends pourquoi toutes les filles sont folles de Braden Carter, parce que ce mec est capable de faire des trucs incroyables rien qu’avec ses doigts.

Mais je le déteste toujours. Et je le déteste en- core plus que je ne saurais le dire.

Je me cache le visage entre les mains.

— Vous l’avez déjà fait ? s’exclame Lila en sautillant.

— Oh mon Dieu, non ! (J’agite les mains.) Non, non, non !

— Mais vous avez fait des trucs, non ? de- mande Kay avec une lueur d’humour dans les yeux. Je le vois.

— O-oui, je bafouille.

Megan s’humecte les lèvres, sourit et retire le bouchon de son stylo.

— Alors, raconte.

— Je vais pas vous raconter ça !

J’ai les joues brûlantes.

— Oh ! s’écrie Kay en riant. C’est tordant !

Elle est gênée pour un simple jeu ! Oh mon Dieu.

De mieux en mieux.

— Allez-vous-en, je murmure. C’est juste que… vous n’aurez aucun détail sordide.

— Allez quoi, insiste Megan avec un sourire malicieux. On est toutes passées par là.

— Vous peut-être, gronde Lila avant de se tourner vers moi. Maddie, tu as couché avec

Braden ?

— Non.

— Est-ce que tu as, tu sais, tiré sa sonnette d’alarme ?

Je ricane.

— Tiré sa sonnette d’alarme ?

— Est-ce que t’as goûté sa sucette ? demande

Kay en s’allongeant sur le ventre, secouée d’un rire silencieux.

— Beurk ! Non ! je réponds en riant.

— Bon d’accord. (Lila hausse les épaules.)

Alors, est-ce qu’il t’a bouffé le steak ?

Je me laisse tomber en arrière sur mon lit, prise d’un fou rire comme je n’en ai pas eu depuis une

éternité. Je suis sûre que les larmes vont suivre.

— Bouffé… le… steak ? (Je prends une pro- fonde inspiration.) D’où ça sort, ça ?

Kay essaie, en vain, de répéter les mots, tout en agitant la main avant d’enfouir son visage dans son oreiller.

— C’est heu, lécher, quoi, tu sais. (Megan secoue la tête en riant.) Je peux pas. Je peux pas, désolée.

— Oh ! Oh, oh non. Aucune histoire de steak.

Megan hoche la tête et lève le pouce.

— D’accord, alors est-ce qu’il y aurait eu…

tripotage de haricot ? reprend Lila, les épaules secouée par le rire.

— Je préfère même pas… (je secoue la tête) poser la question.

— C’est juste… heu. Comment dire ça ?

Lila penche la tête en arrière.

Kay relève les yeux.

— Est-ce qu’il a joué avec l’appât pendant la partie de pêche ?

Megan s’effondre par terre en s’esclaffant comme une hystérique, le corps tremblant.

— Je… oh.

Je regarde Lila.

— Hum, oui ? je lâche en essayant de contenir mon rire.

— Youhou ! s’exclame Kay, et je sens mes joues s’enflammer.

— J’arrive pas à croire que je vous ai dit ça.

Vraiment, j’y crois pas.

— Oh, qu’est-ce que j’écris pour ça ? demande

Megan en s’essuyant sous les yeux.

— Écrire ? Attends, quoi ? (Je me redresse.)

Tu peux pas écrire ça sur le plan !

— Je suis obligée, répond-elle. Pour pas qu’on perde le fil.

— C’est mal, Meg, dit Lila en secouant la tête.

— Mets « partie de pêche », dit Kay en gloussant. Personne saura ce que ça veut dire.

— Oh mon Dieu. (J’enfouis mon visage dans mes mains. J’entends Megan retirer le capuchon du stylo et gratter le papier.) Oh mon Dieu.

— Voilà. (Elle se redresse.) La pêche en deux- ième semaine. T’es vraiment en avance sur le programme, ma petite joueuse.

— Mais c’est bien, non ?

Lila hoche la tête avec enthousiasme.

— Ah oui. C’était juste une idée approximat- ive. Si t’arrives à tes fins avant la fin du mois, c’est encore mieux.

— Parti comme ça, ce sera réglé avant la fin de la semaine, déclare Kay d’un air sournois.

— Quoi, dans deux jours ? (Je secoue la tête.)

Il n’est pas encore amoureux de moi. C’était pas

ça, l’idée ?

— C’est vrai, acquiesce-t-elle.

— Mais ça va pas tarder, ajoute Megan. Je le vois dans ses yeux.

— Tu crois qu’il est en train de tomber amoureux de moi après, quoi, douze jours ? (Je ricane.) Ouais, c’est ça, Meg. On n’est pas dans une espèce de roman d’amour à deux balles avec toutes ces conneries de coups de foudre. Il n’y a aucune manœuvre du Destin pour nous trans- former en âmes sœurs éternelles qui combattent vaillamment les méchants. L’amour, ça prend du temps. Ça demande des efforts. C’est pas une chose dans laquelle tu te jettes la tête la première, parce que si tu t’y prends bien, ça peut être pour toujours. Moi j’ai l’intention de ne tomber amoureuse qu’une fois, et quand ça arrivera, ce sera pas en trois semaines, et pour Braden non plus probablement. Les gens comme Braden ne tombent pas amoureux comme ça. Mais le truc, c’est qu’on ne peut pas contrôler l’amour. On ne peut pas le forcer.

Je me lève pour me planter devant la fenêtre.

— Mais pourtant, est-ce que c’est pas ce que t’es en train de faire en ce moment ? demande doucement Lila en braquant ses yeux doux sur moi. Essayer de contrôler l’amour et de le for- cer ?

— Non. J’essaie juste de le battre sur la ligne d’arrivée. Ce n’est qu’un jeu. L’amour, c’est comme le Cluedo ; tu peux facilement faire fausse route, mais t’y arrives toujours à la fin.

Pour Braden, je serai la fausse route, et lui sera à

peine une alerte sur mon radar.

— Alors, parce qu’on n’est pas tout droit sortis d’un livre, ça veut dire qu’on ne peut pas tomber amoureux instantanément ? interroge Megan en haussant les sourcils.

— Exactement. On vit pas dans un monde ima- ginaire, c’est la réalité, et la réalité, ça craint.

Elle grogne.

— Mais si tu tombais amoureuse avant même de t’en rendre compte ? Il a été scientifiquement

établi qu’on est automatiquement attiré par les personnes qui « correspondent » à nos phéromones.

— Beurk, murmure Kay.

— Alors pourquoi on pourrait pas tomber amoureux aussi facilement que ça ? insiste

Megan. Et si l’amour était instantané, mais que nos cerveaux humains n’étaient pas encore assez

évolués pour le reconnaître ? Et si chacun d’entre nous avait une âme sœur ? Alors ?

— Alors le monde serait meilleur, je réponds doucement. Parce que personne ne souffrirait.

C’est un idéal, Meg. Et le monde réel n’est pas idéal. Il y a des règles à suivre – des règles tacites, acquises – mais des règles malgré tout. Si tu les enfreins tu fais machine arrière, si tu les suis, la vie est parfaite. Avec ce plan, je saute seulement quelques règles. Je vais gagner la partie.

— Moi ça me plaît de penser qu’il y a quelqu’un, quelque part, qui est fait pour nous, déclare Lila d’une voix calme. Ça me plaît de penser que le cours naturel des choses peut aussi s’en charger.

— Pas moi, grommelle Kay. Ça pue d’avoir quelqu’un qui contrôlerait ma vie et mes senti- ments.

— C’est parce que tu crois pas en l’amour,

Kay, dit Megan avec un regard insistant.

Kay lui rend le même regard.

— Toi non plus.

Megan lui adresse un petit sourire doux qui il- lumine son visage tout entier.

— Oh, je crois en l’amour, Kay. Je pense qu’il y a quelque part quelqu’un pour chacune de nous qui nous aimera sans condition. Ça me plaît de le croire. Sinon, quel intérêt ? L’amour est merveil- leux, libre de tout jugement et ne condamne ja- mais. L’amour illumine et donne même la force de survivre aux pires épreuves. Qui ne voudrait pas croire à ça ?

— Tu lis trop de romans d’amour, Meg.

— Et alors ? Il faut bien trouver l’espoir quelque part. Et si le fait de me perdre dans les pages d’un bon gros roman me donne de l’espoir, alors je vais continuer à m’y perdre, tout en es- pérant qu’un jour, je trouverai le grand amour dans lequel je pourrai me perdre. Parce que ça nous arrivera, à chacune de nous. Un jour, on sera tellement perdues dans l’amour qu’on sera incap- ables de retrouver le chemin de la sortie.

Je relève les yeux, et je peux distinguer la résidence de la fraternité de l’autre côté de la rue.

Troisième étage, deuxième fenêtre en partant de la droite. Braden.

— Qu’est-ce que t’en sais, au final ? je de- mande à Megan.

Elle m’adresse le même petit sourire qu’à Kay.

— Oh, j’en sais rien. Mais j’ai l’espoir. Et à

la fin de la journée, sans amour, l’espoir c’est un peu tout ce qui nous reste, non ?

Je frotte ses cheveux entre mes doigts en la re- gardant attentivement. Elle s’agite face à mon re- gard intense et tout ce que j’ai en tête, c’est la man- ière dont elle s’agitait sous moi quand elle a joui.

Elle soupire et se tortille pour essayer de m’échapper. Un petit sourire se dessine sur ses lèvres et j’enroule une mèche de ses cheveux au- tour de mon doigt. Elle passe une main dans ses boucles. Je lâche la mèche et la récupère dès qu’elle repose sa main sur le bureau. Ça m’amuse.

— Monsieur Carter, êtes-vous concentré ? me demande M. Jessop.

— Oui, monsieur.

— Sur mon cours, ou sur mademoiselle

Stevens ici présente ?

— Plutôt la deuxième, monsieur. (Je tourne la tête avec un sourire.) Mais au moins je suis con- centré, non ?

— Oui. (Il dissimule son sourire.) Aussi char- mante que soit Mlle Stevens, pensez-vous pouvoir vous concentrer sur mon cours pour les dix dernières minutes, plutôt ?

Je fais un clin d’œil à Maddie.

— Je vais essayer, monsieur, mais je ne vous promets rien.

M. Jessop secoue la tête et se tourne de nou- veau vers le tableau.

Je laisse retomber les cheveux de Maddie et pose mon bras sur le dossier de sa chaise. Elle me jette un coup d’œil et j’affiche une expression in- nocente.

— Quoi ? je demande du bout des lèvres.

Elle secoue la tête en retenant un sourire, et pose son stylo dans sa bouche. Ses lèvres charnues se referment autour du bouchon qu’elle commence à faire tourner entre elles. Putain d’allumeuse.

Je pose la main sur son épaule et me mets à

dessiner de petits cercles sur sa peau nue. Je la voix frissonner. Bingo. Je me redresse en fais- ant semblant de me concentrer sur le cours, mais en réalité, je suis concentré sur la façon dont les lèvres de Maddie jouent sur ce stylo. Je suis ja- loux de ce stylo. Foutrement, complètement ja- loux.

Je remue légèrement sur ma chaise. Cette fille est en train de me transformer en érection am- bulante, et tout ça parce que ma queue a pas l’habitude d’attendre pour obtenir ce qu’elle veut.

J’ai pas l’habitude d’attendre pour obtenir ce que je veux. Est-ce que le cours est enfin terminé ?

Non ? Fais chier.

Maddie me regarde du coin de l’œil avec une lueur d’amusement. Elle plonge son regard dans le mien quand je tourne la tête. Mes doigts re- montent le long de son cou, à la naissance de ses cheveux, et redescendent. Elle frissonne de nou- veau, plus fort cette fois-ci.

— Arrête, elle me souffle doucement.

— Pourquoi ? Je croyais que t’aimais ça.

— Braden, on est en cours !

— Et alors ? (Je lui fais un sourire suffisant.)

Peut-être que je suis en train de fantasmer en m’imaginant te prendre sur mon bureau et que ce cours m’aide pas à penser à autre chose.

Elle ouvre la bouche et son stylo tombe. Le rouge lui monte aux joues.

— Oh mon Dieu, elle murmure.

— Quoi ? je glousse en silence.

— J’arrive pas à croire à ce que tu viens de dire.

— Pourquoi ? C’est la vérité. Je suis en train de m’imaginer m’envoyer en l’air avec toi sur mon bureau.

La sonnerie retentit et elle rassemble ses af- faires en secouant la tête, les joues toujours rouges. Je fourre les miennes dans mon sac et la rejoins devant son bureau. Je glisse mon bras au- tour de sa taille et pose la main sur sa hanche pendant qu’on quitte la salle.

— Je comprends pas, elle dit tandis qu’on se dirige vers l’extérieur.

— Tu comprends pas quoi, mon ange ?

— Comment tu peux penser à ça en plein mi- lieu d’un cours sur Moby Di… tu sais quoi ?

Laisse tomber.

J’éclate de rire.

— Ouais, il me semblait bien avoir entendu le mot « dick » à un moment au début du cours, et tu viens de le confirmer.

— Mais comment tu peux partir d’une baleine et… ouais.

— Maddie, quand j’entends « minou » ou

« minette » je pense tout de suite au sexe. Pareil avec Moby Dick, baleine ou pas.

— Disons que tu vas au restaurant, et que quelqu’un commande un plat avec des saucisses ?

Ça aussi, ça te ferait penser au sexe ?

— Ouais, sûrement.

Elle pouffe de rire et s’assoit au pied d’un arbre. Le soleil fait scintiller ses cheveux et ac- centue leur teinte cuivrée. Je me laisse tomber à

côté d’elle et plonge la main dans mon sac.

— Quels sont… oh ! elle s’exclame en voyant le muffin que je viens de sortir. Quand est-ce que tu as acheté ça ?

— Juste avant les cours. Pour te faire la sur- prise.

Je souris devant son expression sincèrement ravie. En fait, je suis vraiment heureux qu’elle soit heureuse – d’avoir réussi à la rendre heureuse. Ouais, je commence à me préoccuper de cette fille et de ses sentiments. Merde.

— Oh ! (Elle pose la main sur ma joue.) Merci.

C’est vraiment super attentionné.

Je place la main sur la sienne et tourne la tête pour déposer un baiser au creux de son poignet.

Elle s’empare du muffin et commence à le manger à sa manière habituelle. Mais j’ai dé- couvert que c’était pas seulement avec les muffins. Quand elle mange, c’est toujours de la même manière, en piochant des petits bouts.

— Pourquoi tu fais ça ?

— Pourquoi je fais quoi ? elle demande en fourrant un bout de muffin dans sa bouche.

— Picorer comme ça. Tu fais ça avec tous les aliments.

— Oh. (Elle parle si bas que je l’entends à

peine.) Je ne mangeais plus beaucoup après la mort de ma mère, et ce que j’avalais, c’était souvent en picorant. J’imagine que c’est devenu une sorte d’habitude. J’y ai jamais prêté attention.

J’ai tellement mis les pieds dans le plat qu’il reste plus qu’une bouillie.

— Excuse-moi, mon ange, j’y avais pas pensé.

Je passe un bras autour d’elle et elle pose la tête sur mon épaule.

— Pourquoi t’y aurais pensé ? elle demande doucement. En fait, t’es le seul à l’avoir remar- qué. En tout cas, le seul à m’avoir fait la re- marque.

Je l’ai vraiment regardée et observée à ce point pendant ces deux dernières semaines pour con- naître ses habitudes ? Ouais, on dirait bien.

Merde.

Le jeu, Braden. Le jeu.

— Tu viens passer la soirée avec moi ce soir ?

Elle penche la tête en arrière pour croiser mon regard.

— Pourquoi ?

Je l’embrasse.

— Parce que j’en ai envie.

— Je serai à la résidence de toute façon. Pour la fête.

— On s’en fout de la fête. (Je secoue la tête.)

N’y va pas. On se prendra un film et de la bouffe

à emporter. On passera la soirée en haut dans ma chambre, et puis demain on sortira prendre le petit déjeuner.

Elle cligne deux fois des yeux.

— Vraiment ?

— Vraiment, je réponds en souriant. T’as l’air surprise.

— Oui, un peu. (Elle me répond avec un souri- re triste.) D’accord.

— Tu restes ?

Elle hoche la tête et enfouit son visage dans mon cou.

— Je reste.

— Tant mieux.

Je pose ma joue sur la sienne, et je me sens heureux. Plus que je le devrais.

— Elle va dormir, ici ? Ryan me demande avec les yeux qui lui sortent de la tête.

— T’es sourd ? C’est ce que je viens de dire.

— Tu zappes la fête pour une putain de soirée pyjama ? Aston s’étonne en haussant les sourcils avant de se laisser tomber en arrière avec un éclat de rire. Putain de merde. T’en peux vraiment plus, hein.

— Et alors ? C’est bien la raison de toute cette histoire, non ?

— C’est sûr, acquiesce Ryan en prenant la manette de Xbox des mains d’Aston.

— Alors fais pas le surpris.

— Donc demain c’est terminé, Braden ?

— Pas forcément, je réponds. Je compte pas la forcer à faire quoi que ce soit.

— Depuis quand t’en as quelque chose à

foutre ? Aston me lance avec un regard noir.

— Depuis que Maddie est pas comme les filles que je me tape d’habitude, OK ?

Je laisse tomber ma manette par terre.

— Me dis pas que t’es en train de craquer pour elle.

— Va te faire foutre, Aston, je réplique en sec- ouant la tête. Tu sais aussi bien que moi que je dois faire gaffe avec Maddie. Si je la prends pour une conne, Meggy va me tomber sur le coin de la gueule.

— Megan, tu peux la gérer, Aston dit avec un sourire narquois. J’aurais jamais cru un jour voir

Braden Carten se faire contrôler par une fille.

Je me penche vers Ryan pour lui décocher un coup de poing dans le bras.

— Ferme ta gueule, Aston ! Joue pas au con.

— Je disais ça comme ça, mec.

— Eh ben retiens-toi, Ryan l’interrompt. Je suis déjà en couple, et il est parfaitement normal que ta copine dorme avec toi sans qu’il y ait for- cément du sexe, Aston. C’est dur à piger pour ton cerveau de play-boy, mais c’est possible. Si c’est comme ça que Braden veut la jouer, alors qu’il la joue comme ça.

— Il veut tellement jouer au petit ami parfait qu’il en oublie le cul.

Je ricane.

— Tu l’as vue, non ? Si tu crois que j’oublie le cul avec Maddie, alors c’est que t’es encore plus con que t’en as l’air.

— Oh, alors tu craques pas, c’est ça ? il raille, amusé.

— Pas le moins de monde, mec. Le seul truc auquel je pense quand je suis avec elle, c’est quand est-ce que je vais me la faire, où est-ce que je vais me la faire et combien de fois je vais me la faire.

J’espère.

— Oublie le pyjama.

— Pourquoi j’oublierais le pyjama ?

— Parce que tu vas dormir soit en sous-vête- ments, soit à poil, soit dans une de ses chemises, explique Megan.

— Et il n’y a rien de plus sexy qu’une fille dans une chemise d’homme, ajoute Lila. Je porte tout le temps celles de Ryan. C’est sexe garanti.

— Je n’en suis pas encore à l’étape sexe, Lila.

— Et alors ? On attaque presque la troisième se- maine, non ? (Elle consulte l’affiche au mur et par- cours les étapes avec le doigt.) Ça veut donc dire que la séduction sexuelle peut commencer.

Je jette mon sac sur mon lit et m’assois sur ce- lui de Kay.

— C’est toi qui prépare mon sac alors.

— D’accord !

Megan s’extirpe de mes oreillers et s’attaque à

ma commode dont elle ouvre tous les tiroirs.

— Oooh ! Ça !

Elle se retourne en brandissant de la lingerie en soie noire que j’ai achetée il y a plusieurs mois mais que je n’ai encore jamais portée. Elle retire les étiquettes et Lila vide mon sac. Les sous-vête- ments disparaissent à l’intérieur, ainsi que mon maquillage, ma brosse à dents et des vêtements pour demain.

Lila le referme.

— Fini.

— Vraiment ? Sous-vêtements, vêtements et le maquillage de base ? C’est tout ? je m’écrie.

— Oui ! (Megan se tourne vers moi, les mains sur les hanches.) La séduction, c’est pas le con- fort, Maddie. Tu dois l’allumer, pour que quand arrive le moment où tu lui donnes ton petit cul sexy, il puisse pas résister.

— Il résisterait pas quoi qu’il arrive, je réplique sèchement, avec le souvenir en tête de ce qui s’est passé dans sa chambre.

Non, il résisterait pas.

— Oui, mais comme tu l’as dit, il n’est pas amoureux. Pas encore, dit Megan d’un air sournois.

— Bref… (Je souffle et attrape mon sac.) On y va ?

— Oui !

Lila prend ses affaires et on sort toutes les trois de ma chambre.

— Hé, est-ce que Kay vient ce soir ?

— Elle est… (Je m’interromps.) Attendez. Je sais même pas où elle est.

— Si on le sait pas, c’est sûrement parce qu’il vaut mieux pas, résume Megan.

— C’est la chose la plus vraie que j’ai enten- due aujourd’hui, ricane Lila. Vous pensez qu’elle est avec Darla ?

Je secoue la tête.

— Depuis quand Kay voit deux fois la même ?

Lila hausse les épaules et on quitte le campus principal. On traverse la route pour se rendre à

la fraternité. Il y a pas mal de monde devant et

Lila se fraye un chemin sans hésiter à travers le groupe de filles rassemblées sur le porche. Megan me prend la main et m’entraîne avec elle. Je ne prête aucune attention aux regards mauvais que me jettent certaines.

Je ne suis pas surprise que la plupart des per- sonnes au rez-de-chaussée soient des filles. Je ne suis pas surprise non plus d’en voir une essayer de se frotter contre Braden. En revanche, je suis surprise de voir qu’il la repousse.

Waouh.

Il relève les yeux et me voit. Je m’appuie contre la rampe d’escalier et affiche un air inter- rogateur. Un sourire apparaît sur son visage et il contourne la fille qui se jette littéralement sur lui,

à son grand désespoir, et s’approche de moi. Il fend la foule et je me surprends à déglutir en voy- ant l’expression dans ses yeux.

Il s’arrête devant moi, glisse une main sur ma nuque et dans mes cheveux. Il m’embrasse lente- ment, doucement, et je suis brièvement décon- tenancée par la tendresse de son baiser. Je pose une main sur sa taille et m’approche plus près de lui en caressant légèrement son dos du bout des doigts.

— Salut, mon ange, murmure-t-il contre ma bouche.

— Salut, Braden, je réponds. Je t’ai manqué

tant que ça ?

Je croise son regard bleu pétillant.

— Peut-être bien.

Je lui souris.

— Hé, Braden, tu passes la soirée ici ? ron- ronne une petite voix derrière nous.

Sérieux ? Encore ?

— Nan. (Il pivote en me serrant fermement.) Je passe la soirée avec ma chérie.

— Peut-être une autre fois, alors ?

— Ou pas.

Je souris gentiment à la fille aux cheveux noirs et me blottis contre Braden. Il glousse sans bruit.

— Allez viens, tigresse, on va là-haut, me dit- il à l’oreille.

— C’est une invitation ? je flirte.

— Peut-être plus tard, répond-il avec un souri- re.

Je ris en silence et il m’entraîne à l’étage. Sa chambre est toujours aussi propre que d’habitude, et je suis vraiment surprise. Je pensais que tous les mecs vivaient dans la pagaille.

Je pose mon sac par terre au pied de son lit et m’allonge dessus en roulant sur le côté.

— Quoi ?

— Je t’en prie, mets-toi à l’aise, dit-il avec un sourire ironique.

— Oh, je le suis, je réponds en feignant l’insolence.

Il secoue la tête et se penche au-dessus de moi.

— Par contre, ce jean n’a pas l’air confortable.

Tu devrais peut-être l’enlever. Pour un confort maximum, bien sûr.

— Et tu attends depuis combien de temps de me sortir cette réplique ? je lui demande d’un ton taquin.

— En fait, elle vient de me venir.

— Oh, très beau et l’esprit vif. Oh, la belle prise.

— Très beau, hein ? (Il hausse un sourcil et se penche encore un peu plus.) Continue, pour voir ?

— Est-ce que ton ego ne serait pas en manque depuis que c’est plus le défilé de nanas dans ta chambre ?

— Non, loin de là. (Il effleure le bout de mon nez avec le sien.) En fait, mon ego est ravi que tu sois encore dans les parages.

Je ferme les yeux et souris, tentant d’ignorer l’étincelle de plaisir qui remonte le long de ma colonne en l’entendant dire ça. Je penche la tête pour effleurer doucement ses lèvres et il me caresse la joue du pouce.

Difficile de croire que le roi des coups d’un soir peut être aussi tendre.

— Je vais mettre le film ou on va jamais le re- garder.

— D’accord, j’acquiesce avec une moue en me rappelant le jeu.

J’ai l’impression de souffrir de personnalités multiples. Une double vie, la Maddie de Brook- lyn et la Maddie de Californie. Et la Maddie de

Californie a deux, peut-être trois différentes Mad- die en une. Maddie l’amie, Maddie la joueuse et… peut-être la Maddie de Braden.

J’aimerais savoir quelle Maddie je suis réelle- ment.

— C’est quel film ?

Braden plisse le nez.

— Heu, bonne question.

Je ris et il tire une boîte de sous son lit.

— Disons que la plupart appartiennent à

Megan, alors il peut y avoir tout et n’importe quoi.

Je roule sur le côté et penche la tête au bord du lit. Braden repousse mes cheveux.

— Hé ! je proteste.

— Ça chatouille.

Il fait une petite grimace en ouvrant la boîte.

Il a raison. Elle est pleine, et au moins les trois quarts des films visibles appartiennent à Megan.

— Waouh. Qu’est-ce qu’on choisit ?

Il hausse les épaules.

— Je sais pas.

— Tu m’as demandé de venir regarder un film.

(Je lui adresse un demi-sourire.) Est-ce que tu n’avais rien en tête à ce moment-là ?

— Heu, non ? il répond, penaud. C’était une impulsion du moment, mon ange.

Je soupire et commence à fouiller dans la boîte.

— Ah, les mecs. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même.

— C’est aussi valable pour les orgasmes ?

— Quoi ?

Je me fige et le regarde en clignant des yeux.

— Le truc que t’as dit.

Il fait la moue et je ris en dissimulant mon vis- age.

— Non, il y a une exception à la règle.

— Oh, tant mieux. (Il m’embrasse au coin des lèvres.) Parce que je serais déçu de ne plus jamais t’en donner.

Je sens mes joues s’enflammer et je m’interroge de nouveau sur sa capacité à me faire si souvent rougir.

— J’adore quand tu rougis, dit-il, sa joue contre la mienne.

— Pourquoi ? Oh, attends, laisse-moi deviner.

Ça te rappelle un orgasme ?

— Tu lis dans mes pensées. (Je sens son souffle chaud dans mon oreille.) Ça me rappelle quand je t’ai fait jouir. C’est exactement pour ça que ça m’a plu.

Il place l’autre main sur ma joue et je penche la tête. Puis il me dépose un baiser qui manque lit- téralement me couper le souffle. Je cale les mains de chaque côté de son cou et nos lèvres se cher- chent, se caressent.

Je lui mordille la lèvre du bas et il se déplace pour se relever, en m’aidant à rouler sur le lit. Il me soulève dans ses bras pour me reposer au mi- lieu du lit, et s’allonge sur moi. De tout son poids.

Il fouille ma bouche avec sa langue et je lui rends son baiser avec la même ferveur. Ma main libre se faufile sous son tee-shirt pendant que je pousse un gémissement silencieux. Les muscles de son dos se crispent sous mes doigts que j’enfonce dans sa peau.

Il a une main dans mes cheveux, entremêlée dans mes boucles, pendant que l’autre explore mon corps. Il caresse la courbe entre ma taille et ma hanche, jusqu’à ma cuisse, puis il remonte. Il passe son pouce sous mon sein et, même encore complètement habillée, je le sens comme s’il était

à même ma peau.

Sa bouche glisse le long de ma mâchoire et jusque dans mon cou, semant des baisers enflam- més sur ma peau. Et soudain, soudain, ça ne me suffit plus.

Je le veux tout entier. Non pas à cause de ce défi, ou parce que c’est ce que veulent les filles.

J’ai envie de lui parce que moi, j’ai envie de lui.

Et je ne sais pas quoi en penser.

— Je pourrais t’embrasser toute la journée, murmure Braden.

Je souris, incapable de sortir le moindre mot, et le retiens fermement contre moi.

Ça tourbillonne dans mon esprit. Le désir, c’est normal. C’est naturel, non ? Les phéromones ou quelque chose comme ça… comme l’a dit

Megan. C’est la nature humaine d’être attirée par quelqu’un, surtout quelqu’un comme Braden.

C’est normal que mon corps et mon esprit ne soi- ent pas à la même page. Ouais. Parfaitement nor- mal, parce que le désir, ce n’est pas de l’amour.

— Est-ce qu’on le regarde, ce film ? demande

Braden.

— Ouais, je réponds. N’importe lequel.

Il hoche la tête et embrasse ma tempe. Puis il se relève du lit, et de moi. Malgré la température qui doit toujours dépasser les quinze degrés, j’ai soudain très froid.

Braden insère un disque dans le lecteur de

DVD et retire son haut, ce qui me donne l’occasion d’admirer son torse. Non pas que je n’en ai pas déjà eu l’occasion avant, mais l’effet est véritablement plus approprié quand on est sa

« petite amie ». Il est tout en muscles doux et lisses. Il n’est pas exagérément baraqué, mais il est mince et sa silhouette ferait frémir la plupart des filles. Elle a probablement fait frémir la plu- part des filles.

Et voilà qu’avec cette seule pensée, je suis de retour dans le jeu. L’Opération Piéger le Joueur.

Tout chez lui définit le joueur et me rappelle pourquoi je ne peux pas avoir envie de lui. Pour- quoi je ne dois pas avoir envie de lui. Et tout chez lui me rappelle Pearce et Abbi.

Je baisse les yeux quand il me tend mon sac.

— Tu peux te changer ici, ou dans la salle de bains de l’autre côté du couloir.

— Hum, je crois que j’ai oublié mon pyjama.

Je relève les yeux en souriant.

— Oh. (Il se retourne, ouvre un tiroir et en sort un tee-shirt.) Tiens.

Il sourit et je m’en empare avant de me diriger vers la porte.

Dans la salle de bains, je me déshabille et en- file les sous-vêtements noirs que Megan a insisté

pour que je mette. Je passe le tee-shirt de Braden et le rebord me chatouille le haut des cuisses. Un rapide coup de brosse dans mes cheveux et je re- tourne dans le couloir… où je tombe droit sur

Kyle.

Eh bien, c’est plutôt gênant. Je ne lui ai pas vraiment reparlé depuis la semaine dernière, quand Braden a fini par le plaquer contre le mur.

— Heu, salut, Kyle, je dis doucement.

— Maddie, répond-il en braquant le regard sur mes jambes.

Je me racle la gorge et il relève les yeux.

— Comment ça va ?

— Bien et toi ?

— Ouais, super.

Je regarde la porte close de la chambre de

Braden par-dessus son épaule.

— Alors vous êtes vraiment ensemble ? Avec lui ?

— Kyle.

— Désolé. (Il lève les mains.) C’est juste…

sois prudente, d’accord, Mad ? Je veux pas qu’il te fasse de mal. Tu vaux mieux que ça.

Je lui touche le bras.

— Ne t’inquiète pas, Kyle.

La porte de Braden s’ouvre et il nous regarde une seconde avant de comprendre que c’est avec

Kyle que je parle.

— T’es pas encore en train de draguer ma meuf, Kyle, si ?

— Même pas en rêve, Braden, répond-il sans me quitter des yeux. Elle est tout à toi.

Je baisse les yeux et le contourne pour re- joindre Braden.

— C’est ça. J’aimerais pas devoir te plaquer de nouveau contre le mur.

Je fais un bruit moqueur en secouant la tête et entre dans la chambre. Qu’est-ce que c’est que ces mâles et leur besoin de se comporter comme des vrais hommes de Néandertal ?

Je jette mon sac par terre et il referme la porte.

— C’était quoi, ça ?

— C’est toi qui me poses la question ?

(J’écarquille les yeux en le regardant.) C’était quoi, ça, Braden ? Je ne peux même plus parler à

Kyle maintenant ?

— Bien sûr que si, mais excuse-moi d’être un peu furax de te voir lui parler en portant mon tee- shirt.

— Justement ! En portant ton tee-shirt. C’est assez évident à qui « j’appartiens », comme tu l’as fait remarquer avec autant d’éloquence la se- maine dernière, alors pas besoin de faire l’homme des cavernes avec tous ceux qui m’adressent la parole.

— Comment ça, faire l’homme des cavernes ?

Je pige pas.

— « J’aimerais pas devoir te plaquer de nou- veau contre le mur », je répète en imitant sa voix.

Tu adorerais le plaquer de nouveau contre le mur juste pour m’avoir parlé.

— Et alors ? T’es ma copine.

Il s’approche de moi et me force à le regarder.

— Je ne suis pas ta propriété, Braden, et je me laisserai pas traiter comme telle.

— Tu es à moi, Maddie.

Il prend mon menton dans ses mains et je dé- tourne les yeux.

— Ne me traite pas comme si j’étais ta chose,

Braden, parce que ce genre de tendance possess- ive ne fonctionne pas avec moi.

Je me tourne, il m’attrape par la taille et m’enlace pour me retenir contre lui.

— Je ne suis pas possessif, Maddie, me dit-il à

l’oreille. Je suis protecteur, il y a une différence.

Je n’essaierai jamais de te contrôler ou de te dire ce que tu peux ou ne peux pas faire, mais je sais que tous les mecs de la fraternité voudraient être

à ma place en ce moment – et surtout Kyle. Et tu sais pourquoi ? Parce que t’es furieusement belle.

(J’ai le souffle coupé.) Ils te veulent tous, mais c’est moi qui t’ai et y a pas la moindre chance que je prenne le risque qu’un autre t’enlève à moi, d’accord ? Alors oui, mon ange, oui, t’es ma pu- tain de nana, à moi et à moi seul !

— Tu me trouves belle ? elle demande douce- ment.

Évidemment, elle a dû l’entendre dire souvent.

— Oui. (Je tourne son visage vers le mien.) Oui, mais parce que tu es belle, Maddie. À l’intérieur comme à l’extérieur.

Et putain, je suis complètement honnête. Elle est pas bonasse ou baisable. Elle est belle, sexy et douce.

Elle ferme les yeux et, quand elle les rouvre, des larmes brillent à l’intérieur. Oh merde.

— J’ai dit quelque chose de mal ?

Elle secoue la tête et pivote dans mes bras en passant les siens autour de ma taille. Elle pose la joue sur ma poitrine et je la sens prendre une pro- fonde inspiration.

— Non, elle murmure. Non, pas du tout.

— Alors pourquoi tu pleures ?

Elle relève la tête, un sourire sur le visage mal- gré les larmes qui voilent ses yeux.

— Parce que ça me rend heureuse.

— Tant mieux, je murmure en lui embrassant le coin de l’œil pour faire disparaître ses larmes.

J’aime te rendre heureuse, Maddie.

Et c’est vrai. Pour une raison qui m’échappe, c’est vrai.

Je l’attire jusqu’à mon lit, monte dessus, rabats les couvertures et tapote la place à côté de moi.

Elle s’y installe et mon tee-shirt qu’elle porte remonte légèrement. J’aperçois brièvement une petite culotte en soie noire. Bordel de…

Je fais de mon mieux pour chasser les pensées inappropriées qui me traversent l’esprit et la prends dans mes bras par-derrière. Elle serre mes bras et j’inspire le parfum de pomme de ses cheveux, dont le bout me chatouille le nez.

Elle est moulée à mon corps comme si elle était faite pour s’y ajuster, et c’est foutrement troub- lant. Je pense pas que qui que ce soit d’autre pourrait tenir aussi bien qu’elle contre moi à cet instant précis.

Je caresse son bras du bout du doigt et, au bout d’un moment, sa respiration s’égalise. Je me re- dresse légèrement pour voir son visage. Elle s’est endormie – ses yeux sont fermés et ses cils épais jettent une ombre sur son visage. Ses lèvres for- ment une petite moue, et j’adorerais les embrass- er. Mais je veux pas la réveiller.

Je me rallonge à côté d’elle et la serre plus fort contre moi avant de laisser mes yeux se fermer.

Je me fais réveiller par un coup de coude dans la joue.

— Bordel ! je marmonne en me redressant, me rappelant la présence de Maddie à côté de moi.

Maddie ?

J’ouvre les yeux et elle secoue la tête, toujours endormie. La télé jette une lumière crue sur son visage et je vois ses lèvres bouger. Elle mar- monne dans son sommeil. Qu’est-ce qu’elle dit ?

— Maddie ? Mon ange ? (J’écarte les cheveux de son visage et elle se réveille en sursaut, le souffle court. Des larmes que je n’avais pas re- marquées coulent le long de ses joues.) Maddie ?

— C’était qu’un rêve, elle murmure pour elle- même. Seulement un rêve.

— Ça va, mon ange ?

Ses yeux font enfin le point sur mon visage.

Elle hoche la tête.

— Serre-moi. S’il te plaît, Bray.

— Bien sûr que oui.

Je la colle contre moi, face à face cette fois, et je me rends compte qu’elle m’a appelé Bray.

— Merci, elle murmure en glissant ses jambes entre les miennes, blottie contre moi.

Je sens ses larmes couler sur mon épaule et mon oreiller. Je ne sais absolument pas quoi faire.

Je ne sais absolument pas pourquoi elle pleure. Je suis largué.

Je lui dis des petits mots d’apaisement tout contre son oreille et lui caresse les cheveux jusqu’à ce qu’elle se calme de nouveau.

Cette fille est trop complexe pour que je puisse jamais la comprendre pleinement – mais je com- mence à vouloir au moins essayer.

Maddie découpe un petit bout de son muffin et le fourre dans sa bouche.

— Comment tu fais pour rester aussi mince ?

je demande, amusé.

— Comment ça ?

Elle penche la tête sur le côté.

— Je suis sûr de t’avoir vue manger un de ces muffins chaque jour depuis deux semaines.

— Seulement deux semaines ? Je suis sûre d’avoir mangé ces muffins chaque jour depuis au moins huit mois.

Elle hausse nonchalamment une épaule.

— Et tu gardes cette ligne ?

Je parcours son corps des yeux sans vergogne.

— J’ai un métabolisme rapide.

— Non pas que ce serait un problème si c’était pas le cas. Je suis sûr de pouvoir trouver un moy- en de brûler toutes ces calories.

Je lui fais un clin d’œil et récolte une petite grimace.

— Oui, je ne doute pas que tu trouves de nom- breux moyens, elle répond. Malheureusement, moi aussi, et à mon avis aucun qui corresponde aux tiens. Moi, je parle d’exercice.

— J’ai jamais dit que les miens n’étaient pas de l’exercice.

— Le sexe ne compte pas comme de l’exercice, elle réplique en me jetant un regard appuyé. Dans aucune position.

— Ça fait brûler des calories pourtant, je ri- poste. Ça compte comme de l’exercice.

Elle soupire en secouant la tête, mais je vois bien qu’elle essaie de ne pas rire. Quoi ? Ma re- marque est sacrément pertinente.

— Ce n’est pas une forme d’exercice recon- nue, Braden.

— Tu m’as appelé Bray, cette nuit. Ça m’a plu.

J’écarte ses cheveux de son visage du bout des doigts.

— Ah bon ? Quand ça ?

— Tu, heu… as fait un cauchemar et je t’ai ré- veillée. C’était là.

— Oh. (Elle repose son muffin.) Désolée.

— Mais non. (Je la force à me regarder.)

T’excuse pas. T’en fais souvent ?

Elle détourne les yeux et les pose sur l’eau claire comme du cristal devant nous.

— Parfois. Moins qu’avant.

— Et pourquoi ? Je veux dire, de quoi tu rêves ?

Son silence est éloquent. Je sais ce qu’elle va dire avant même qu’elle ouvre la bouche.

— Du jour où ma mère est morte.

— Maddie, on n’est pas obligé de parler de

ça…

— Ça m’aide, des fois. C’est juste que je n’ai jamais vraiment eu quelqu’un à qui me confier.

J’entrelace nos doigts et lui caresse le dos de la main avec mon pouce.

— Si tu veux en parler, je t’écoute.

Je veux qu’elle m’en parle.

Elle prend une profonde inspiration, et dans le silence, je me demande si elle va vraiment parler.

Mais elle le fait.

— Je fais ces cauchemars parce que je l’ai vue mourir.

Merde.

Je m’en souviens. Je m’en souviens comme si c’était hier. Chaque détail est gravé dans ma mé- moire, et quand je me laisse aller aux souvenirs –

maintenant, par exemple – ils défilent comme la bande d’un vieux film. Ces souvenirs sont hach- urés, un peu flous à certains endroits et parfois sans le son, mais je me souviens malgré tout. Je sais. Je sais tout.

— On était sorties pour se faire une soirée entre filles. Une ou deux fois par mois, maman insistait pour qu’on passe du temps ensemble et on allait au restau ou au cinéma, ou faire du shopping. C’était le moment où on rattrapait le temps perdu. On par- lait des garçons, de musique, de fringues. De tout.

— On dirait que vous étiez proches.

— Oui. (Un petit sourire se dessine sur ses lèvres.) C’était ma meilleure amie.

— Parle-moi d’elle.

— Tout le monde dit que je lui ressemble, mais moi je ne trouve pas. Ma mère était très belle. Bi- en sûr, on avait les mêmes cheveux et les mêmes yeux verts, mais elle avait cette bonté intérieure qui irradiait d’elle. Elle était toujours heureuse et souriante, toujours prête à donner un coup de main. Elle travaillait dans un centre d’animation du coin, avec des jeunes toxicos ou sans-abris.

Des fois, quand je l’accompagnais le week-end pour faire du bénévolat, je les entendais dire com- bien elle était formidable. Elle illuminait toujours leur journée. Tout le monde l’aimait.

» Mais cette nuit-là…

Ce soir-là, c’était moi qui avais choisi d’aller au cinéma.

— Viens, on va acheter de la barbe à papa, a proposé maman en repérant un vendeur de l’autre côté de la rue.

— C’est stupide, maman. Il est onze heures !

Papa va nous attendre.

— Oh allez, Maddie, fais pas ta rabat-joie.

(Elle a garé la voiture en face du vendeur.) Ça ne prendra que deux minutes. Promis.

J’ai soupiré.

— D’accord, mais c’est n’importe quoi.

Elle a ouvert la porte en me jetant un regard par-dessus son épaule, son léger parfum floral semblant s’accentuer dans l’excitation. Elle m’a souri en écarquillant les yeux avec malice, comme un enfant. Je n’ai pu m’empêcher de lui rendre son sourire – ses sourires étaient du genre contagieux. Je l’ai regardée s’éloigner de la voit- ure et fouiller dans son sac pour trouver de la monnaie tout en approchant du marchand ambu- lant.

Des détonations ont retenti à un pâté de mais- ons environ. Des feux d’artifice !

J’ai abaissé ma fenêtre et sorti la tête – et c’est là que j’ai entendu le cri. Quelqu’un poussait des cris à n’en plus finir. Les détonations se sont rapprochées et j’ai entendu des crissements de pneus…

Bang.

Elle a commencé à s’effondrer.

J’ai hurlé.

Une voiture est passée en trombe et mon esprit a enfin analysé la nature des détonations :

c’étaient des coups de feu.

J’ai rampé sur le siège pour atteindre la portière côté conducteur.

— Maman ! Maman ! Non, maman !

J’ai ouvert la porte et je suis tombée de la voit- ure. Une odeur de poudre et de fumée m’a envahi les narines, et un épais nuage m’a enveloppée.

Une foule s’est amassée et je me suis frayé un chemin à travers en repoussant les gens, en cri- ant son nom, en voulant m’assurer qu’elle n’avait rien, qu’il fallait qu’elle n’ait rien. Maman ne pouvait pas me laisser parce qu’elle devait rester

à mes côtés, pour toujours.

Toujours toujours toujours.

Braden tend le bras pour retirer mes mains que j’ai plaquées sur mes oreilles, et me ramener à la réalité.

J’entends encore les coups de feu résonner dans mes oreilles. J’entends encore les cris qui couvrent les bruits nocturnes de la ville. Je sens encore l’adrénaline qui se répand dans mon corps, la peur quand je comprends. C’est encore totalement réel.

— C’est là que ça devient flou. Je me souviens d’avoir entendu des sirènes et je me souviens qu’on me retenait en arrière. Je me souviens d’avoir réussi à me dégager et de secouer ma mère pour la réveiller. Mais elle ne bougeait plus.

Elle ne pouvait pas se réveiller. Elle avait été

touchée en pleine cuisse. Le temps qu’il m’a fallu pour sortir de la voiture et la rejoindre, elle s’était vidée de son sang. Toute seule, sur un trottoir froid de Brooklyn. Elle était morte et je n’ai rien fait pour la sauver. Je n’aurais jamais dû la laisser aller acheter sa stupide barbe à papa.

Je sens des doigts essuyer les larmes qui cou- lent en silence sous mes yeux. Braden s’accroupit devant moi et me prend le visage entre ses mains.

Je relève la tête et croise son regard bleu, empli de chagrin et de compassion.

— Tu es tellement forte, mon ange… dit-il doucement. Peu de gens auraient pu traverser ça et être ici aujourd’hui, à se débrouiller comme tu le fais. Tu es incroyable, tu le sais ? Je suis sûr que si elle pouvait te voir maintenant, elle serait vraiment, vraiment fière de toi.

Je hoche la tête en silence. Il me dépose un baiser sur le front et s’agenouille pour me prendre dans ses bras. La douce brise de la mer agite mes cheveux et je me blottis contre lui, cherchant le réconfort et la sécurité qu’il peut m’offrir.

Je n’ai jamais raconté à personne l’histoire complète. Même quand papa m’a forcée à voir un psy, je n’en ai jamais parlé. C’était à moi. Mon dernier souvenir d’elle était à moi.

Mais plus maintenant. Je l’ai partagé, à

l’endroit où elle est née et où elle a grandi.

Je l’ai ramenée à la maison.

Les gars sont regroupés au milieu du terrain, tous torse nu et nous jetant des regards séduc- teurs. Kay secoue la tête et leur lance des doigts d’honneur.

— Putains d’animaux, murmure-t-elle. Ils paradent à moitié nus comme s’ils étaient les rois de cette foutue fraternité.

Je ris en silence dans ma main.

— Commence pas à te moquer de moi, Mad.

Carter et toi, on dirait le roi et la reine de la jungle, et Lila et Ryan le prince et la princesse.

Ou plutôt la princesse et la princesse ?

— Hé ! (Lila lui jette une chips au visage.)

C’est un joli garçon, mais c’est mon joli garçon,

Baker.

— Pigé, princesse, réplique Kay avec un clin d’œil, et Lila lui répond par une grimace.

Il y a quelque chose de reposant dans le fait d’avoir une solide amitié avec des gens qui sont capables de vous faire rire. Ma discussion avec

Braden sur la plage pèse encore lourd dans mon esprit, mais ma présence ici, avec les filles, me donne l’impression que tout va mieux.

Braden jette un regard par-dessus son épaule et me lance un sourire diabolique. Je ne peux m’empêcher de lui répondre par un sourire, des papillons dans le ventre. Pouah.

— Y a de l’amour dans l’air, lalala ! chante

Kay en agitant sa canette de soda.

— Va te faire voir, je dis en lui jetant un bon- bon, qu’elle rattrape avant de le fourrer dans sa bouche.

— Merci, petite fille, répond-elle avec un clin d’œil.

— J’aime le voir heureux, dit Megan en re- gardant les garçons se rassembler pour commen- cer leur match. Ça fait très longtemps que je l’ai pas vu comme ça. Ce sera presque dommage d’arrêter tout ça dans deux semaines, ou peut-être même dans quelques jours.

Elle me jette un coup d’œil.

— Tu connais les règles du jeu, Megan, je ré- ponds en cueillant des brins d’herbe. Quatre se- maines. C’est la limite qu’on a établie.

Du coin de l’œil, elle me jette un regard en- tendu destiné à moi et moi seule.

— Si Braden te laisse partir.

Traduction : si tu arrives à y mettre un terme.

Parfois, ses dons d’observatrice sont vraiment agaçants.

— Bien sûr que oui, je réponds avec une assur- ance feinte, tout en suivant Braden des yeux, qui court et rigole avec ses frères de la fraternité. Il restera pas, Meg.

— D’accord, acquiesce-t-elle.

À contrecœur. J’en ai marre d’entendre parler de ça.

Je reporte mon attention sur le terrain et les re- garde se jeter la balle. Braden la rattrape et se met

à courir vers la zone d’en-but – qui est délimitée par deux tee-shirts. Quand il court, ses muscles dorsaux ondulent et des gouttes de sueur coulent du haut de son corps ferme. Ça suffit à me don- ner envie de m’attacher les jambes, parce qu’il est canon. Surtout quand il est torse nu et en sueur.

Il plonge pour marquer un essai. Les gars de l’équipe le félicitent et il m’adresse un clin d’œil en m’invitant à le rejoindre. Je penche la tête sur le côté d’un air interrogateur. Il me rejoint en trot- tinant, bien trop parfait à mon goût, et se penche pour me prendre les mains. Il m’aide à me lever, enroule un bras autour de ma taille et me penche en arrière.

Il m’embrasse passionnément, ses lèvres créant des flammes brûlantes sur les miennes.

Je m’agrippe à ses cheveux, et un de mes pieds quitte le sol. Il glisse rapidement sa langue entre mes lèvres et je réponds au moindre de ses mouvements.

Puis il s’écarte lentement. Je lui souris et il me regarde avec des yeux ardents.

— Là, maintenant j’ai l’impression d’avoir fêté ça.

Il glousse en me redressant.

— Tu voulais juste frimer, je lui dis en passant un doigt sur son torse.

Il enfonce légèrement le bout de ses doigts dans mon dos.

— Quand on a une fille aussi jolie que toi avec laquelle frimer, on ne peut pas résister. (Il pose sa bouche près de mon oreille.) Et laisse ton doigt où il est ou bien on va devoir continuer à fêter ça

à l’intérieur.

Je déglutis. À cet instant précis, l’idée me paraît séduisante.

Je tire la ceinture de son short.

— Tu as une partie à jouer, je lui rappelle. (À

lui comme à moi.) Alors vas-y.

Il m’embrasse une dernière fois. Pour s’attirer la chance, j’imagine. Même s’il n’en a pas be- soin. Je me rassois par terre en le regardant s’éloigner en courant, et je reprends mes bonbons

à Kay.

— Waouh, je crois pas avoir jamais vu de vrai baiser renversé, s’exclame Megan en souriant.

— Un baiser quoi ? demande Kay en haussant les sourcils.

— Un baiser renversé, répète Megan. Comme dans Princesse malgré elle ? Avec Anne Hath- away ?

— Est-ce que j’ai une tête à avoir vu ton putain de Princesse malgré elle, Meg ?

— Avec toi, on sait jamais.

— Je vais m’assurer de le mettre sur ma liste au Père Noël. Je suis sûre que c’est fascinant.

Megan se penche en avant pour lui donner une tape sur le bras.

— Pas la peine de faire du sarcasme, Kayleigh.

— Avec toi, Megan, il y a toujours besoin de sarcasme.

— La ferme.

Je secoue la tête en riant et leur jette un bonbon

à chacune. Lila glousse en m’imitant. Megan pousse un petit cri et Kay nous hurle dessus.

Avant que j’aie le temps de comprendre, on se retrouve en pleine bataille de nourriture, et je dois m’allonger dans l’herbe en me tordant de rire.

Je soupire et essuie les larmes sous mes yeux.

Je ne me souviens pas de la dernière fois où j’ai autant ri.

Je déteste le dimanche. Y a vraiment un truc chi- ant avec le dimanche.

C’est peut-être pour ça que je suis sur la plage.

Contrairement à la croyance populaire, je ne suis pas le plus grand fan de la plage, de la mer et du sable. Je ne suis pas non plus le prochain champi- on du monde de surf.

Mais Maddie voulait venir et selon les règles du jeu, ce que Maddie désire, Maddie l’obtient.

Alors me voilà. À me choper du sable dans le short et, si je fais pas gaffe, une pince de crabe sur les couilles.

— Tu n’étais pas obligé de venir avec moi.

Je peux bronzer toute seule, dit Maddie en s’allongeant sur le sable.

Je roule sur le côté et me hisse sur un coude.

— Et pourquoi je n’aurais pas eu envie de venir ? J’adore passer du temps avec toi.

Je passe mes doigts sur son ventre plat, et elle se tortille. Je me redresse et me mets à cali- fourchon sur elle. Elle couine et retire ses lunettes de soleil qu’elle jette sur le côté. Je lui adresse un sourire vorace.

— Quoi ?

— Pourquoi tu t’es assis sur moi ?

— J’en avais envie.

— T’en avais envie.

— Ouais.

— Pourquoi ?

— Parce que.

— Parce que ? elle fait en haussant un sourcil.

— Ouais, parce que.

Je lui prends les mains et entrelace nos doigts.

Ses lèvres s’étirent d’un côté et une lueur d’amusement brille dans ses yeux. Je la dévisage, je me contente de la regarder longuement, absor- bé.

Le léger hâle de sa peau souligne la couleur auburn de ses cheveux et souligne encore plus la couleur de ses yeux verts. Ses lèvres sont charnues et brillantes, un appel aux miennes.

Je ne résiste pas à cet appel.

Je penche la tête et effleure ses lèvres. Je sens ses doigts se resserrer autour de moi et sa bouche se plisser pour sucer doucement ma lèvre in- férieure. Je m’écarte en ouvrant les yeux, et je la regarde ouvrir lentement les siens.

— C’était en quel honneur ? elle me demande doucement.

— Parce que je peux le faire.

— Bien vu. (Elle sourit.) Mais tu peux te pousser maintenant. Tu me caches le soleil.

Je ris en roulant sur le côté. Elle remet ses lunettes de soleil. Je parcours son corps du re- gard, chacune de ses courbes dévoilée pour le plus grand plaisir de mes yeux. Et bon sang, c’est un sacré plaisir tout court.

— Arrête de me déshabiller des yeux.

— Désolé de te le dire, mon ange (je passe ma main sur le côté de son corps), mais il n’y a plus grand-chose à enlever. Je ne me plains pas, atten- tion.

Je palpe doucement la peau nue et douce sous le haut de son bikini.

— Braden.

— Quoi ?

Je passe la main sur ses côtes.

— Braden !

— Quoi ?

— Il y a des gens autour ! elle dit en sifflant.

— Et alors ? (Je l’embrasse sur la joue, près de l’oreille.) J’ai le droit de toucher ma copine.

— Hmm.

Je prends ça pour un d’accord.

Je me penche de nouveau pour passer ma langue sur sa lèvre. Elle gémit et ouvre la bouche, surprise. Je saisis l’occasion et enfonce ma langue à l’intérieur. Elle plaque sa main sur ma nuque et me rend mon baiser. La manière dont elle fait tourner sa langue fait affluer tout le sang de mon corps direct dans ma queue.

Je remue légèrement en passant la main dans ses cheveux pour les repousser sur le côté.

— Je crois que t’as besoin d’une douche froide, elle murmure contre mes lèvres tout en glissant ses ongles le long de mes bras.

Ce geste innocent et pourtant foutrement sexy fait se dresser tous les poils de mon corps.

— Il y a une mer juste là. Tu m’accompagnes ?

— Je sais pas trop si c’est plutôt malin ou plutôt stupide, mais je viens quand même.

Je me relève et lui tends les mains. Elle retire ses lunettes, accepte ma main et bondit en souri- ant. Je hausse un sourcil et elle détale en direction des vagues, en gloussant toute seule.

Je secoue la tête et me lance à sa poursuite.

Quand elle entre dans l’eau, je suis assez proche pour l’entendre pousser des couinements haut perchés. Elle se retourne tout de suite et court vers moi. J’éclate de rire et je l’attrape par la taille, la soulève et me précipite dans l’eau.

— Braden, non ! C’est froid !

— C’est tout l’intérêt !

Elle se débat et s’agrippe à mon cou. Je fends les vagues jusqu’à la taille et je la lâche en la lais- sant glisser le long de mon corps. Grosse erreur.

Je me racle la gorge et elle relève les yeux.

Elle sourit et me pousse. Je perds l’équilibre et re- tombe en arrière. Je rebondis en crachant de l’eau et concentre mon regard sur elle. Elle va me le payer.

— Je m’excuse ! Non, non !

Elle tend les mains devant elle.

— Non, t’es cuite.

Je secoue la tête en m’approchant d’elle.

— Non !

Elle couine quand je me jette sur elle.

On tombe dans l’eau et elle donne des coups de pied dans l’espoir vain de s’échapper. Elle s’appuie sur mes épaules et quand je refais sur- face, je l’attrape par les fesses et la serre contre moi.

— Espèce de…

Je colle mes lèvres sur sa bouche pour la faire taire. Elle m’attrape fermement par les cheveux.

Je pose une main sur sa taille et elle enroule un pied autour de la mienne, se maintenant ferm- ement contre moi.

Je sens ma bite frotter contre elle, ce qui lui arrache un gémissement et la pousse à se coller encore plus près. J’enfonce les doigts dans ses fesses quand elle se relève légèrement en re- poussant ma tête en arrière. Elle m’embrasse vigoureusement, prenant le contrôle.

Et elle s’arrête et murmure :

— Des gens nous regardent, là, non ?

Je jette un coup d’œil vers la plage et deux petits garçons, six ans environ, nous dévisagent, bouche bée.

— Oui.

Elle rougit et tourne lentement la tête vers eux.

— Beuuuurk ! ils s’exclament avant de partir en courant.

J’éclate de rire et Maddie enfouit son visage dans mon cou. Elle décroche sa jambe et se laisse glisser, les mains posées sur la peau humide de mon torse. Je pose la joue sur le sommet de sa tête sans m’arrêter de rire, et elle me donne un petit coup du bout du doigt.

— C’est pas drôle. Ils doivent croire qu’ils ont vu un porno en live.

Elle tourne la tête et me jette un regard noir.

— Mon ange, c’étaient des petits gamins. Pour eux, t’es une fille et ça veut dire que t’as des poux.

Elle plisse les yeux, une lueur d’amusement y apparaît.

— J’en ai ? Des poux ?

— Je suis pas sûr, je réponds en haussant une

épaule. J’ai pas encore bien regardé.

— Eh bien, si j’en ai… (Elle sourit innocem- ment.) Tu peux te considérer comme officielle- ment contaminé.

Elle me fiche un coup dans la poitrine et se libère de mes bras en se tortillant. Elle glousse et se met à courir vers la plage. Incapable de me ret- enir, j’éclate d’un rire tonitruant et je me frotte le visage en secouant la tête. Elle se retourne et me regarde en se couvrant la bouche avec la main.

Puis elle replonge et ses cheveux mouillés bril- lent d’un éclat de cuivre sous le soleil.

Il y a une légèreté dans sa manière de me ta- quiner, dans sa faculté à me faire rire aussi facile- ment. C’est une légèreté qu’il n’y a pas chez elle habituellement, et ça me plaît pas mal.

Je sors de la salle de cours en souriant toute seule. Je tiens mes livres contre ma poitrine et mes cheveux sont repoussés sur le côté, dissimulant un côté de mon visage. Depuis l’après-midi passé

avec Braden à la plage hier, je me sens mieux que depuis bien longtemps. J’aimerais croire que c’est l’association mer, sable et soleil, mais ce serait mentir.

Je suis sûre que c’est lui, la principale cause de mon bonheur.

— Coucou, Maddie.

Kyle apparaît à côté de moi.

— Hé ! Comment ça va ?

Je le regarde et je me dis – et ce n’est pas la première fois – que c’est dommage que je ne le voie que comme un ami. Même s’il n’est pas aussi baraqué que Braden, ses cheveux ondulés bruns et ses yeux noisette sont tout aussi séduis- ants. Il est plus grand que moi mais plus petit que

Braden, et il a bon cœur ; je suis persuadée qu’un jour, pour quelqu’un, il fera un super petit ami.

Mais pourquoi je le compare à Braden ?

— Bien. Écoute, je suis vraiment désolé si vous vous êtes disputés Braden et toi vendredi dernier. Je n’avais jamais réalisé que Braden était aussi… aussi…

— Protecteur ? je dis sèchement en répétant les mots de Braden.

— Hum, ouais.

— Ne t’inquiète pas. (Je lui donne un petit coup dans le bras.) Il est seulement… je sais pas.

— Je suis sûr que t’as remis les pendules à

l’heure, en tout cas, dit-il avec une grimace.

Je souris légèrement.

— Bien sûr que oui. Je lui ai simplement rap- pelé que je portais son tee-shirt, pas le tien.

— Ouais. (Kyle tousse et détourne les yeux.

Est-ce qu’il rougit ? Attends, quoi ?) Je dois y al- ler. À plus tard, Maddie.

— Heu, d’accord ?

Les sourcils froncés, je le regarde s’éloigner en agitant la main par-dessus son épaule.

— Ça va, mon ange ? demande Braden en glis- sant un bras autour de moi.

— Oui. C’est Kyle qui est bizarre.

— Kyle est toujours bizarre.

Je chasse ces pensées et lui souris. Il me dé- pose un rapide baiser sur les lèvres et on quitte le bâtiment pour prendre la direction du Starbucks.

Oh, miam.

— Non, il a rougi. (Je penche la tête et je com- prends.) Oh ! Oh.

— Quoi ?

— Il croit qu’on a couché ensemble samedi.

(Je pouffe de rire.) Il a dû se sentir vraiment mal

à l’aise.

— Pourquoi ? demande Braden d’une voix tendue.

— Commence pas. (Je lui donne un coup dans la poitrine.) Parce que je lui ai dit que je portais ton tee-shirt, voilà pourquoi. Il a dû deviner le reste.

— Bien. (Il se met à rire et m’attire contre lui.)

Il va peut-être arrêter, maintenant.

— Il ne m’a jamais draguée, je réplique en le- vant les yeux au ciel. Il t’a peut-être donné cette impression, mais on est seulement amis.

— Bien sûr, ma belle. Peut-être que ce serait bien qu’il le sache aussi, dit-il avec sarcasme.

— Pourquoi, tu es jaloux, Bray ?

Je hausse un sourcil et il ouvre la porte du Star- bucks en me jetant un bref regard.

— De Kyle ? Non. Pourquoi ?

— Pour moi tu as l’air jaloux.

— Je ne le suis pas.

— Alors pourquoi tu en as l’air ?

— Mais non !

— Si.

— On ne va pas se disputer pour ça, Maddie.

— On ne se dispute pas. Je te pose une ques- tion, et tu ne réponds pas. Il y a une différence.

Il passe notre commande habituelle à la serveuse et me cale une mèche de cheveux der- rière mon oreille.

— Tu cherches la dispute, dit-il avec un petit sourire. Et tu ne t’en rends même pas compte.

Je plisse les yeux et prends conscience qu’il a raison. Bon sang !

— D’accord. Tu n’es pas jaloux. Peu importe.

— Oh, tais-toi donc. (Il m’attire contre lui et dépose un baiser sur ma tempe.) T’es mignonne quand tu t’énerves.

— Je ne m’énerve pas !

— Bien sûr que non.

Il sourit et récupère notre commande.

Je souffle en me dirigeant vers une table en- tourée d’un canapé et deux fauteuils.

Je me laisse tomber dans un des fauteuils et jette à Braden un regard noir.

— Tu veux faire passer un message, mon ange ?

— Pas du tout. (Je lui fais un sourire gentil, et je prends mon café et mon muffin.) Je voulais seulement m’asseoir ici.

— D’accord, dit-il en s’installant dans le fauteuil en face de moi.

Il me regarde siroter mon café et picorer mon muffin comme je le fais toujours. C’est énervant.

Lui aussi mange et boit, mais sans me quitter des yeux une seconde. Je ne sais même pas s’il cligne des paupières.

Je ne sais pas si ça me plaît ou pas. Mais bon, au moins je joue bien le jeu, on est d’accord ?

On est d’accord.

C’est presque drôle comme parfois, seulement parfois, tout ça a l’air tellement réel que j’en oublie le défi.

— Tu es de nouveau plongée dans tes pensées.

— Je pense à l’intensité de ton regard.

— Peut-être que j’aime te dévisager intensé- ment.

— Peut-être que moi, j’aime pas.

— Je pense que tu es d’humeur querelleuse au- jourd’hui, Maddie.

— Je pense que… (je m’interromps et penche la tête sur le côté, croisant enfin son regard brûlant) heu… Qu’il se pourrait que tu aies rais- on. Alors ?

Je fais une grimace.

Il lutte pour contenir son sourire mais ses yeux brillants le trahissent.

— Ça m’arrive parfois.

— D’avoir raison ?

— Ouaip, en fait, ça m’arrive même tout le temps.

— Tu es monsieur Je Sais Tout ? je demande en haussant un sourcil sceptique.

— Je suis un mec. Bien sûr que j’ai toujours raison.

J’éclate de rire.

— Oui, mon cœur, je dis avec un sourire. Alors voilà : tu es un mec et même si ça te plaît de croire que tu as toujours raison, c’est pas vrai. Je suis une femme et c’est naturellement imprimé

dans mon cerveau, d’avoir toujours raison. Je suis désolée de détruire tes fantasmes.

Braden me regarde longuement, tout en re- muant son café d’un air absent.

— Peut-être, mais chaque fois que je te re- garde, je sais comme tu es belle, et là-dessus, j’ai absolument raison. Donc dans ce cas, je suis monsieur Je Sais Tout, parce que tu es toujours très belle.

Je me mords le coin de la lèvre. Je sens une rougeur gagner mes joues et baisse les yeux, mal

à l’aise.

C’est toujours quand je me remets dans l’esprit du jeu qu’il me sort quelque chose comme ça, me rappelant que pour lui, c’est réel.

— Hé. (Il se lève et vient s’accroupir devant moi.) Je disais pas ça pour t’embarrasser.

— Non, c’est pas ça, je réponds d’une petite voix en soutenant son regard. C’est juste… je sais pas.

Il prend mon menton dans sa main et passe son pouce sur ma joue.

— T’as pas l’habitude qu’on te dise que tu es belle, c’est ça ?

— Qu’est-ce qui te fait croire ça ?

— La première fois que je te l’ai dit, tu as pleuré. Et maintenant tu te caches.

— Les seules personnes à me faire ce genre de compliments, c’étaient mes parents. Et depuis que maman est morte, mon père n’a plus trop la tête à rien.

Il pose son front contre le mien et je ferme les yeux, luttant pour retenir les larmes qui semblent surgir chaque fois que mes deux parents sont réunis dans la même phrase. Je peux penser à

eux séparément, mais quand l’un est mort et que l’autre voudrait l’être, c’est difficile de les re- grouper.

Parce qu’en réalité, mon père, c’est tout ce qu’il me reste comme famille.

— Tu peux le croire, murmure doucement

Braden. Tu le peux, mon ange, parce que tu es magnifique. Je suis pas aveugle ni stupide –

d’accord, peut-être un peu parfois – mais je sais que tu es sublime. Je le vois tous les jours.

Je m’humecte les lèvres.

— Je ne le croirai jamais, Bray, mais je veux bien te laisser gagner sur ce coup-là.

— Oh, tu me laisserais, c’est ça ? murmure-t- il, amusé.

— Oui.

Je prends sa main libre dans la mienne en en- trelaçant nos doigts.

— Je te laisserais.

— Comme c’est aimable.

Il glousse et frotte son nez contre le mien, av- ant de poser doucement ses lèvres sur ma bouche.

Je serre sa main plus fort et lui rends son baiser en me demandant ce que je suis en train de faire.

— Bon, donc on va tous à Vegas ce week-end, déclare Megan avec désinvolture en retirant des peluches de son jean.

— Pourquoi ? je demande en relevant les yeux de mon ordinateur portable.

— Pour l’anniversaire de Braden.

— Hein, pardon, quoi ? (Je referme le clapet de l’ordinateur d’un coup sec.) Tu plaisantes.

— Non. (Elle sourit.) J’ai oublié de te dire ?

Oups.

Je lui jette un oreiller au visage.

— Oui, t’as oublié, oui ! Rien de tel comme nouvelle de dernière minute, Megan. Pfff !

— Oui, mais t’as pas à t’inquiéter. On a réser- vé les chambres. Toi, avec Braden. Lila avec Ry- an, et moi avec Kay, et Aston partage une chambre avec deux mecs de leur résidence.

— On est les seules filles à y aller ?

— Ordres de Braden, répond-elle sournoise- ment.

— Qui aurait cru ? je dis en jouant avec une mèche de cheveux.

— Qui aurait cru quoi ? Qu’il ait interdit toute autre fille que nous, ou que tu aies cet espèce de choc électrique de panique qui t’a traversé tout le corps à la seule pensée que tu n’étais pas au cour- ant que c’était son anniversaire ?

Ses yeux brillent d’une lueur perspicace et en- tendue que personne ne devrait être en droit d’afficher. Personne.

— Qu’il ait interdit les autres filles, je dis en détournant les yeux.

J’ai paniqué seulement en pensant au bon déroulement du défi, d’accord ?

— Hmmm, fredonne-t-elle en se rallongeant sur le lit. Je te crois totalement.

— Megan, je n’ai pas de sentiments pour

Braden Carter.

Pas de sentiments évidents, du moins.

— J’ai jamais dit le contraire, Maddie.

Mon téléphone vibre sous mon oreiller. Je l’ouvre pour lire le message sans même regarder le destinataire.

Je te vois dans deux jours.

Je crois que mon cœur s’arrête de battre.

Quoi ?

Mes mains se mettent à trembler et j’ouvre le message.

Pearce : je te vois dans deux jours.

Je lâche mon téléphone et le regarde comme s’il avait brûlé la couverture sur mon lit. Je re- pousse les cheveux de mon visage et relève la tête en essayant de maîtriser le tremblement de mes mains.

— Maddie ? demande Megan en se redressant.

Qu’est-ce qui va pas ?

Je secoue la tête, incapable de parler. Peu im- porte, j’ai envie de répondre. Je peux peut-être m’arranger pour le voir en dehors du campus pour que personne d’autre ne le voie.

Où personne d’autre n’aura à découvrir la vérité au sujet de ma mère, de mon père et de mon frère. Parce que, au final, ils l’apprendront.

Les toxicos comme mon frère ne courent pas vraiment les rues, dans le coin.

Megan pose sa main sur la mienne.

— Maddie, ma chérie, calme-toi.

Je cligne des yeux et me concentre sur elle.

Je me rends compte que j’ai le souffle coupé. Je respire trop fort. Trop vite.

Merde.

Je ferme les yeux et me concentre sur les tech- niques apprises en cours de yoga l’année dernière. Oui, le yoga. La relaxation. Inspirer, ex- pirer. Inspirer, expirer.

Quand je me sens d’attaque à répondre aux in-

évitables questions, je rouvre les yeux. Ceux de

Megan sont emplis d’inquiétude.

— Tu veux me dire ce que c’était ? me demande-t-elle d’une voix douce, en me tendant un verre d’eau qu’elle a dû remplir quelque part pendant que je reprenais mes esprits.

Je le prends et avale le contenu, les yeux bais- sés.

— J’imagine que j’ai pas le choix.

— Tu as toujours le choix.

— Non. Il s’en est assuré.

Je regarde par la fenêtre.

— Qui ça ?

— Mon frère.

— Qu’est-ce qu’il fait, Mad ?

— Il arrive ici. Il veut de l’argent, et je ne lui en donnerai pas. Je ne lui en donnerai plus.

— Alors dis-lui quand tu le verras, et il re- partira.

Je la regarde, presque tristement, parce que, comparé à moi, elle a vécu une vie protégée.

— On ne dit pas ça à mon frère, Meg. Il fera tout pour obtenir l’argent qu’il lui faut pour en- tretenir ses habitudes.

— Ses habitudes ? Oh, tu veux dire, de la drogue ?

Je hoche la tête.

— Alors il a qu’à se le procurer tout seul, son argent !

Elle me serre la main.

— J’aimerais que ce soit aussi simple. Quand je vais le voir, je vais devoir lui donner. Je le sais.

— Tu vas le voir toute seule ?

Je hoche de nouveau la tête.

— Ah putain, certainement pas ! explose-t-elle en se levant d’un bond. Tu m’entends Maddie ?

Certainement pas. Je ne veux pas savoir ce que tu entends par « il fera tout pour obtenir l’argent »

et je veux pas le découvrir ! Tu ne vas pas toute seule voir ton frère.

— Merci, Meg, mais…

— Non, pas de foutu mais. (Elle secoue la tête avec véhémence.) Pas de mais ! Je t’aime, Mad- die, et je vois bien que tu es complètement ter- rorisée par lui. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs, mais je ne vais pas te laisser y aller toute seule.

Si tu ne veux pas lui donner d’argent, alors tu lui donnes rien du tout, et s’il pose un doigt sur toi,

Braden lui pétera les jambes.

Je soupire, le regard rivé sur un point sur le mur derrière elle.

— Ce n’est pas aussi simple…

— Si, ça l’est. Mais ce qui est sûr, c’est que je ne te laisse pas voir ton frère seule, et si ça veut dire qu’on doit pas te lâcher d’une semelle pendant un mois entier, alors on te lâchera pas d’une semelle, tu piges ? Tu es l’une de mes meil- leures amies et je t’adore, et ça veut dire que tu n’as pas à affronter quoi que ce soit toute seule.

C’est ça l’amitié, ne jamais se retrouver seul, tou- jours avoir un mur de solidarité même quand tout le reste s’effondre autour de soi. Si c’est lui la ru- ine de ta vie, alors moi je serai ce foutu mur !

Des larmes me montent aux yeux sans prévenir et je lui adresse un sourire reconnaissant.

— Merci, Megan. Merci.

Elle me serre dans ses bras et je pleure en si- lence sur son épaule pendant cinq minutes.

L’amitié. Ne jamais avoir à être seule.

Pour la première fois depuis la mort de maman, je ne me sens pas seule.

— Non, m’man. C’est pas ma « copine du week-end », comme tu dis, je grogne dans le télé- phone.

— Parce que Megan a dit à Gloria que tu sortais avec quelqu’un, et quand Gloria me l’a répété ce matin au petit-déjeuner, je lui ai dit que c’était idi- ot, que mon fils n’était pas du genre à sortir avec quelqu’un. Mais elle était catégorique, Braden, en affirmant que tu fréquentais une certaine Maddie.

— Parce que c’est vrai.

Jamais ma mère ne s’est retrouvée sans voix jusqu’à aujourd’hui. Elle a réponse à tout, et j’imagine que je tiens ça d’elle.

— Vraiment ? elle s’exclame, ravie. Oh,

Braden ! Thomas, Thomas ! Gloria avait raison !

Braden a une petite amie !

Je fais la grimace en l’entendant couiner à

l’attention de mon père. J’entends sa voix de ba- ryton déclarer :

— C’est merveilleux, ma chérie, je suis vraiment content pour lui, mais pourrais-tu bais- ser d’un cran ? On dirait qu’on est en train d’égorger un chat.

Je pouffe dans ma main.

— Oh, à quoi ressemble-t-elle, Braden ? Je veux la rencontrer. Oh, je suis tellement heureuse pour toi !

— Honnêtement, maman, je sors avec elle, je ne vais pas l’épouser.

— Je sais, je sais, mais c’est ta première petite amie !

— Non, ce n’est pas ma première petite amie.

— Si mon chéri, si. Généralement tu ne fais que coucher avec elles et je sais que c’est tout ce que tu fais. Bon maintenant, je n’ai jamais été

du genre à m’immiscer dans tes affaires, parce que, eh bien, les garçons restent des garçons et tout ça. En fait, ton oncle Calvin était exactement pareil quand il est allé à l’université. Enfin bref, j’adorerais la rencontrer.

— Je sors avec elle depuis, quoi, deux se- maines. Tu veux pas me laisser, tu sais, être un peu avec elle d’abord ?

— Oh, tu veux dire que vous l’avez pas encore fait ? Oh, tant mieux pour elle.

— Maman, pas pour ça ! (Achevez-moi. Là, abattez-moi sur-le-champ, bordel.) Pour qu’on apprenne à se connaître avant de la présenter à ma famille, d’accord ?

— Oh, oui, tu dois avoir raison.

Elle est furax. Oh bon sang. Satanée Megan !

— Je dois y aller, maman, je mens. J’ai cours.

— Oui, bien sûr. Bon, sois sage et n’oublie pas de te protéger. Je suis ravie pour toi, Braden, mais pas non plus à ce point-là, tu comprends ?

— Oui, maman. (Je serre les dents.) Salut, ma- man.

— Au revoir, Braden.

Je repose le téléphone et soupire. Bon sang de bonsoir, j’adore ma mère, mais parfois, c’est un putain de cauchemar ambulant. Sans parler de la gêne. Une véritable gêne.

Je secoue la tête et regarde par la fenêtre. Étant situé directement en face du campus principal, je peux voir les gens aller et venir. Une chevelure rousse à côté d’une blonde attire mon regard quand elles passent les portes, et je souris.

J’ouvre la fenêtre, pose mes doigts dans ma bouche et siffle bruyamment.

Maddie sursaute et Megan jette un bref regard par-dessus son épaule. Elle m’aperçoit et me fait un doigt d’honneur. Je ris, lui rends la pareille et Maddie m’adresse un grand sourire. Je lui fais signe en lui lançant un clin d’œil et un baiser.

Elle rit et secoue la tête. Puis elles se retournent et prennent la direction du Starbucks.

Foutu Starbucks. Celui situé près du campus pourrait sûrement tourner rien qu’avec l’argent de Megan et Maddie.

J’attrape la télécommande et allume la télé, et la Xbox du bout du pied. Je n’ai pas cours avant deux heures… je pourrais aussi bien les mettre à

contribution en m’entraînant à buter des zombies.

Si Pearce m’a dit la vérité, je devrais le voir ap- paraître à un moment de la journée.

Je ne pense pas que ce seront les retrouvailles entre frère et sœur qu’il espérait.

Depuis que Megan a expliqué la situation aux filles – et je pense aussi qu’elle l’a raconté à

Braden, même si elle ne veut pas l’admettre – je suis constamment entourée. S’il n’y a pas Megan

à mes côtés, alors c’est Kay, ou Braden, ou Lila.

Même Ryan m’a accompagnée en cours. C’était un peu flippant.

Mon corps est en conflit avec lui-même. Mes tripes me disent que Pearce va se montrer tandis que ma tête me dit que c’est impossible. Après tout, s’il a de quoi se payer une traversée du pays, il a de quoi rembourser ses dettes. Non ? Pas à ses yeux. J’ai beau essayer de l’ignorer, je sais qu’il viendra.

J’assiste à tous mes cours dans un état d’agitation constant. J’écoute à peine les profes- seurs et même Braden n’a pas fait le pitre en anglais comme il le fait d’habitude. Il passe l’heure entière à me caresser les cheveux. Bizar- rement, ça me détend. Un peu. En quelque sorte.

Quand l’heure du dîner approche, n’ayant tou- jours pas vu trace de Pearce, une partie de moi se détend et baisse la garde. Bien sûr, il se peut que je ne l’aie pas encore croisé parce que je n’ai pas quitté le campus de la journée. J’ai même tout fait pour ne pas le quitter parce que je sais que tant que je suis ici, je suis en sécurité. Même Pearce n’irait pas aussi loin.

Enfin, c’est ce que j’espère.

Je ne suis même pas allée au Starbucks. J’ai envoyé Braden à ma place. Il était trop heureux de me rendre service, à condition que je reste bien assise entre Aston et Ryan sur la pelouse. J’aurais pu le tuer. Aston a passé tout ce temps-là à mater ma poitrine.

Et pour ce que j’en sais, Pearce est peut-être juste à la sortie du campus, en train de m’attendre.

Je n’ai pas envie de le découvrir.

Mais il faudra bien que je quitte le campus à un moment donné. Ce soir, en fait. Pour voir Braden.

Le défi. La réalité. Tout commence à se mélanger. Les sentiments se heurtent à d’autres sentiments et je commence à me demander ce qui est réel – s’il y a encore quelque chose de réel.

J’arrive enfin à différencier mes sentiments à

propos de Braden et de Pearce, et ça me fait peur.

Ils devraient être entassés dans la même boîte avec les mêmes émotions, les mêmes doutes et les mêmes peurs. Ils ne devraient pas être séparés.

Ils ne devraient pas être distincts l’un de l’autre.

— Mange, ordonne Lila en me fourrant une as- siette sous le nez.

— Je n’ai pas faim, je réponds malgré les tor- sions de mon estomac.

C’est les nerfs.

— Je me fiche de savoir si t’as faim ou pas. Tu n’as rien mangé d’autre qu’un demi-muffin à la myrtille aujourd’hui. C’est la première fois que tu le finis pas depuis le début de l’université, alors tu vas m’avaler tout ça.

Elle me jette un regard dur et je plisse les yeux en attrapant deux frites. Je les fourre dans ma bouche et exagère la mastication comme un gos- se insolent.

— Voilà. J’ai mangé quelque chose.

Lila me fusille du regard.

— C’est pas assez.

Kay pose une main sur son épaule.

— Laisse-moi m’en occuper, princesse. (Elle se tourne vers moi). Bouffe-moi ça illico.

Je la dévisage et croise son regard sévère. Mes lèvres remuent légèrement mais je parviens à

contenir mon sourire.

Kay hausse un sourcil et je l’imite.

— Je croyais que j’étais à la cafétéria d’une université, pas dans une foutue maternelle, raille

Megan en s’asseyant.

Je souris, attrape ma fourchette et pique quelques frites supplémentaires.

— D’accord. T’as gagné. Je mange.

— Tout, dit Lila.

— Une partie. Je pourrai pas tout manger.

— Elle a raison. (Megan les regarde toutes les deux.) Elle a picoré trois fois rien ces jours-ci, alors si elle mange tout ça d’un coup elle va se rendre malade.

— Je nettoie pas de vomi, moi ! s’exclame Kay en repliant les bras sur sa poitrine. Tu peux cre- ver.

— Tu jures comme un charretier, rétorque Lila en lui jetant un regard appuyé. Je te l’ai déjà dit ?

Ta grande bouche ferait pâlir Braden, Aston et

Ryan – et c’est les mecs les plus vulgaires que je connaisse.

— Eh ben, merci, lâche Kay avec une grimace.

Je vais choisir d’oublier la deuxième partie de ce petit speech, parce que dans mes mauvais jours,

ça ne me dérangerait pas qu’on me dise plus virile que des vrais mecs, mais en l’occurrence, y a même pas de quoi être fière : ces trois-là font pas le poids face à une fille.

Megan ricane.

— Un point pour elle.

— Braden n’est quand même pas au niveau de Ryan et Aston, je murmure. Aston a plus de produits pour ses cheveux que nous toutes réunies, et Ryan passe autant de temps sur sa coiffure que moi en une semaine.

Lila fait la moue pendant une seconde avant de hocher la tête de mauvaise grâce.

— Bon, je crois que tu marques un point aussi.

— Au moins, je sais en quoi me déguiser pour le Nouvel An, dit Kay avec un clin d’œil. Sous- lieutenant Kay, pour vous servir.

— Je n’ose même pas imaginer au service de combien de personnes tu seras le soir du Nouvel

An, dit sèchement Megan.

Kay lui jette un regard et j’éclate de rire en baissant les yeux.

— Qu’est-ce qui te fait rire, Stevens ?

Je redresse la tête.

— Que tu aies l’air aussi choquée, alors que tu sais que c’est totalement vrai. On devrait peut-

être te trouver quelqu’un qui te prenne dans ses filets, parce que t’es une Braden au féminin.

Elle écarquille les yeux et me jette un regard scandalisé pendant une bonne trentaine de secondes. Lila retient son souffle et Megan secoue la tête en riant en silence.

— Bon sang, finit par dire Kay en secouant la tête. T’as peut-être pas tort. (Elle s’interrompt et pose un doigt sur sa bouche pendant une seconde.) Mais au moins, je varie les plaisirs.

Mecs, filles, hétéros, homos, tu vois. Braden, lui, c’est que les blondes.

— Et c’est bien pour ça que je suis surprise, ajoute Lila avec un sourire. Parce que Maddie n’est vraiment pas blonde.

— Il y a rien de mal à être blonde, souffle

Megan.

— Bien sûr que non, je la rassure en tapotant ses cheveux d’un blond naturel. Mais toi, c’est un joli blond, pas comme les fausses blondes qui se frottent d’habitude contre lui.

— T’es jalouse, Maddie ? demande Kay, les yeux brillant d’excitation.

— À peu près autant que je le serai ce week- end en te voyant t’envoyer une strip-teaseuse de

Vegas.

Kay cligne des yeux.

— J’ai même pas pensé à ça. J’embarquerai peut-être Aston avec moi. Pour voir si le petit ar- rivera à tenir le rythme.

Je vois le regard de Megan osciller brièvement vers Kay, et je suis la seule à discerner le léger durcissement à l’intérieur. Oh.

— Allons-y, dit Lila en se levant, avant de pousser un soupir résigné en direction de mon as- siette à moitié pleine.

— Où ça ? grogne Kay.

— À la fraternité, répond Megan en ramassant sa bouteille d’eau.

— Je passe la moitié de ma putain de vie dans cette baraque pleine de bites bourrées de testostérone.

— Arrête, tu vas nous faire pleurer, la taquine

Lila. Peut-être que si tu aimais un peu plus les bites, t’en ferais pas toute une histoire.

— Je te ferais dire que j’aime la bite, merci beaucoup.

— Trop d’information, là, je dis en feignant d’avoir la nausée.

Kay me tire une mèche de cheveux et on sort sous les rayons du soleil de fin de journée. S’il y a bien une chose que je préfère en Californie, c’est le soleil. On n’a rien de ce genre à Brooklyn.

Je fredonne tout bas pour moi-même, feignant de ne pas remarquer que je suis sortie du campus.

Je me secoue intérieurement – je suis venue ici pour m’éloigner de mon frère. Je ne suis plus à

Brooklyn, il n’a plus ses crétins de copains pour le soutenir, et je n’ai plus à regarder les yeux vit- reux d’une meilleure amie suicidaire.

Je suis en Californie. J’ai mes amis pour me soutenir. Je ne suis pas seule.

Je suis plus forte qu’il y a six mois.

Je ne céderai pas.

— Maddie ?

Je me fige.

Pearce.

Je me tourne en levant lentement les yeux. Ses cheveux bruns sont en pagaille, son visage plus pâle et plus maigre que la dernière fois que je l’ai vu. Il n’y a aucune lueur dans ses yeux, aucune joie dans le sourire plaqué sur son visage.

— Quoi, t’es pas heureuse de voir ton frère ?

— Qu’est-ce que tu fais ici, en fait, Pearce ?

Ma voix est plus ferme que je l’aurais cru et je suis soulagée. Je ne céderai pas.

— À ton avis, pourquoi je suis là ? J’ai besoin de ton aide, Maddie. (Il s’approche de moi.) J’ai des ennuis, sœurette. J’ai juste besoin de toi.

— Tu as toujours besoin de mon aide. Le problème, c’est que tu n’essaies même pas de t’en sortir tout seul, c’est ça ?

— Tu sais pourquoi je fais ça. Elle me manque…

— Ne t’avise pas de te servir d’elle comme ex- cuse ! (La colère monte en moi, surpassant ma peur, et je fais un pas en avant, m’écartant des filles.) Ne t’avise pas de te servir de maman comme excuse pour ta dépendance. Tu étais de- dans avant sa mort, alors viens pas ici me sortir ce genre de conneries !

— C’est pas des conneries, Maddie. Vraiment.

— Elle me manque aussi, chaque foutu jour qui passe elle me manque, Pearce, mais ça veut pas dire que je vais me jeter sur la première drogue que je trouve pour y échapper. La vie, c’est ce que tu en fais, et ça, c’est ce qu’elle voulait que je fasse de la mienne. C’est pour ça qu’elle m’a laissé – qu’elle nous a laissé – des fonds pour nos études. Elle doit sûrement être en train de se retourner dans sa tombe en voyant ce que son fils adoré fait de sa vie.

— Mad, est-ce que c’est… ? demande Kay en posant une main protectrice sur mon bras.

— C’est personne. (Je secoue le bras.) Rentre

à la maison, Pearce. Je ne t’aiderai plus. Je n’ai plus l’intention de te renflouer indéfiniment.

— J’en ai besoin, Maddie, supplie-t-il. Ce sera la dernière fois, je te le promets.

— C’est toujours la dernière fois, non ? À.

Chaque. Fois. Tu dis toujours que c’est la putain de dernière fois, mais ça l’est pas, hein ? C’est peut-être la dernière fois que tu prends ce que tu prends en ce moment, mais après, ce sera quoi ?

De la meth ? De l’héroïne ? Alors, Pearce ! Ce sera quoi ensuite ?

Je ne me soucie même pas des regards autour de nous. Je me fiche même d’être juste devant la résidence de la fraternité.

— C’est n’importe quoi, Maddie, et tu le sais !

J’ai juste besoin de ton aide !

— Et je t’ai dit non ! (Je m’approche de lui et plante un doigt dans sa poitrine d’une main tremblante.) Je suis ta sœur, pas ta putain de nounou ! Tu as vingt-deux ans, sors-toi les doigts du cul ! Tu peux pas continuer à venir te réfugier dans mes pattes parce que t’es pas capable de garder un boulot pour soutenir papa. Je suis ici depuis deux mois et j’ai dû payer le loyer de papa parce que tu es trop occupé à te défoncer !

Il m’attrape par le bras.

— Et c’est moi qui dois le regarder s’approcher un peu plus du suicide chaque jour pendant que toi tu te dores la pilule en Cali- fornie !

— À suivre des études universitaires ! (Je le repousse.) Pour qu’un jour, je puisse prendre papa en charge et lui trouver l’aide dont il a be- soin pour avancer !

— Alors pourquoi tu le fais pas pour moi ?

— Parce que t’es une cause perdue, Pearce, je dis calmement, froidement. J’avais beaucoup de respect pour toi. Tu m’emmenais partout et on faisait tout ensemble. Je savais qu’on s’éloignerait quand tu es entré au lycée, mais tu t’es transformé en ces personnes que tu mé- prisais. Maman travaillait avec des toxicomanes, bordel ! Tu connaissais les effets de la drogue, mais tu as quand même continué à en prendre, et regarde-toi, maintenant. (Je l’examine de haut en bas.) Tu n’es pas le frère que je connais. En fait, je suis sûre que tu n’es même plus mon frère du tout.

— Quoi ?

Il m’attrape le poignet et le serre fermement.

— Tu n’es plus mon frère. (Je lutte pour me libérer de sa poigne.) Qu’est-ce que tu nous as fait vivre depuis la mort de maman, hein ?

D’abord tu t’es moqué d’Abbi, tu l’as fait tomber amoureuse de toi pendant que tu la contrôlais et abusais d’elle à cause de la drogue, ensuite tu l’as conduite à la tentative de suicide. J’ai perdu ma meilleure amie à cause de tes saloperies ! Papa m’a dit de venir ici, de partir loin de Brooklyn où je pourrais prendre un nouveau départ, et ça aussi, il faut que tu le foutes en l’air, c’est ça ? Il faut que tu te ramènes jusqu’ici parce que tu ne peux pas t’empêcher d’accumuler les dettes pour ta drogue. Tu continues de te dire « oh, la gentille petite Maddie, elle va me renflouer ». Pas cette fois, Pearce. Toi et ta dépendance, vous pouvez retourner à Brooklyn et y rester !

Il me jette un regard noir, son expression est glaciale. Je soutiens son regard et la tension entre nous est palpable. Pour la première fois, je m’avoue à moi-même mes sentiments concernant mon frère.

Je le déteste. C’est une véritable haine, une haine qui teinte tout et contamine même les bons souvenirs que j’avais encore de lui il y a peu. Elle enveloppe ces souvenirs et, tandis que je soutiens toujours son regard, les balaie jusqu’au dernier.

Comme s’ils n’avaient jamais existé.

Avec ces souvenirs qui s’envolent, je perds aussi une partie de moi-même, mais le reste devi- ent plus fort.

Je ne céderai pas.

— Je sais pas qui t’es, mais ce serait une bonne idée de retirer ta main de ma nana, déclare

Braden d’une voix glaciale.

Je ne sais pas où il est. Je ne le vois pas. Je tremble, l’adrénaline et la peur palpitant dans tout mon corps.

— Je suis son frère, rétorque Pearce en éclatant d’un rire amer.

— Raison de plus pour retirer ta putain de main.

Je sens les mains de Braden sur mes bras.

L’une d’elle se déplace sur mon poignet et je réprime une grimace quand il attrape celui de

Pearce pour le forcer à me lâcher. Puis je laisse ma main retomber mollement sur le côté, ne voulant pas donner la satisfaction à mon frère de lui montrer qu’il m’a fait mal.

— Ça te regarde pas, lâche Pearce.

— Ça me regarde si tu fais mal à ma copine, frère ou pas. (Braden m’attire contre lui.) Tu ferais mieux de partir, parce que je peux te garantir que je suis pas le seul à protéger Maddie, ici. Il y a une baraque pleine de mecs qui seraient ravis de venir te botter le cul.

— C’est entre…

— Rien du tout, j’interviens. Il n’y a rien à

dire de plus, Pearce. J’ai été assez claire, je ne t’aiderai plus. Tu as perdu ton temps en venant ici.

Je le regarde longuement jusqu’à ce qu’il rec- ule, la haine et la colère étincelant dans ses yeux.

— Très bien, lâche-t-il. D’accord. J’imagine que je vais devoir trouver un autre moyen.

— Il serait temps, je réplique froidement.

— Maman serait dévastée de voir que tu re- fuses de m’aider, me balance-t-il en reculant.

— Putain, ça suffit ! s’exclame Braden.

— Dégage d’ici avant que je le fasse moi- même, le menace Ryan en mettant Lila derrière lui avant de s’approcher de Braden. Je déconne pas. Personne ne parle comme ça à nos copines.

T’as trente secondes pour dégager de ma vue.

— J’y vais, dit Pearce en me jetant un dernier regard avant de se retourner et de s’éloigner sur le trottoir.

Des murmures s’élèvent autour de nous. Je vois le tableau. La gentille petite Maddie… c’est son frère ? Quelles conneries.

— Allez, on rentre, me dit Braden d’une voix douce en me guidant vers la résidence. Et vous pouvez tous foutre le camp aussi.

Il m’entraîne à l’étage vers sa chambre. Il referme la porte derrière lui et je sens mes jambes céder sous moi. Je me rattrape de justesse à son bureau avant qu’il me serre contre lui. Je n’arrive plus à respirer. Mon cœur tambourine dans ma poitrine serrée, et je tremble plus que je l’aurais cru possible.

Je viens de tenir tête à mon frère.

— Chh, murmure Braden d’une voix apais- ante. Il peut plus t’approcher maintenant, mon ange. Je te le promets. Je le laisserai pas faire.

Des larmes me brûlent les yeux et je les laisse couler le long de mes joues. Je serre sa chemise dans mon poing et m’y agrippe, laissant ma peur s’effacer lentement.

— Viens là.

Il me soulève dans ses bras et m’allonge sur son lit. Il s’étend à côté de moi et presse mon corps secoué de sanglots contre lui. Il enfouit mon visage dans son cou et me serre le plus près possible, si près qu’on ne fait plus qu’un. Il re- monte la couverture jusqu’à mon menton.

Braden me berce doucement et je commence lentement à me calmer. Ici, dans sa chambre, je suis en sécurité.

Avec Braden, je suis en sécurité.

Je ne sais pas combien de temps on reste al- longés ainsi, Braden me serrant comme s’il ne voulait jamais me lâcher. Et je ne crois pas avoir envie qu’il me lâche. Je crois que je veux qu’il continue à me serrer, qu’il continue à me protéger.

Je prends une profonde inspiration et il dépose un baiser sur mon front. J’ouvre la bouche pour parler – pour m’expliquer, je suppose – mais il m’interrompt.

— Non, Maddie. Ne t’inquiète pas. Il se fait tard, dors.

On a dû rester là un long moment.

— Je ne peux pas dormir en jean, je murmure d’une voix pâteuse.

— Merde, murmure-t-il avant de se relever. (Il se dirige vers sa commode et me tend un tee- shirt.) Tiens, mets ça.

Je lui souris et me change rapidement, bien consciente de son regard brûlant sur moi. Ensuite, il retire son pantalon et remonte sur le lit. Il écarte un bras.

— Viens là.

Je m’approche et me blottis contre lui, la tête posée au creux de son épaule. Je passe ma jambe sur les siennes et mes bras autour de sa taille.

De son bras libre, il me caresse les cheveux à un rythme régulier et apaisant.

Je commence à me détendre et il ne faut pas longtemps pour que mes pensées prennent le des- sus dans mon état vulnérable.

Toute cette lutte que j’ai menée ces deux dernières semaines a été vaine. C’était un mécan- isme de défense pour me protéger, pour me mettre à l’abri et ne pas souffrir pendant que je jouais cette partie.

Mais c’est bien le problème. J’étais tellement occupée à jouer le jeu que je n’ai pas remarqué

quand le jeu s’est joué de moi.

D’une certaine manière, les règles du jeu ont changé en cours de route sans que je m’en aper-

çoive.

Parce que je suis en train de méchamment tomber amoureuse de Braden Carter.

Quand elle est étendue dans mes bras, comme maintenant, elle est vulnérable.

Seulement, je me suis pas rendu compte à quel point elle était vulnérable jusqu’à hier soir. J’ai pas remarqué non plus à quel point elle était forte, le feu qu’elle a en elle.

Je la regarde. Ses cheveux sont étalés sur mon oreiller, ses lèvres légèrement entrouvertes, son souffle caressant la peau nue de mon torse. Elle a l’air paisible quand elle dort, comme s’il n’y avait pas un millier de démons qui tourbillonnent dans sa tête et dans son cœur. Comme si elle ne se protégeait pas elle-même de tout et n’importe quoi.

Je déplace ma main libre pour écarter ses cheveux de son visage. Elle renifle et se colle en- core plus contre moi, ce qui me pousse à la ser- rer de plus en plus fort. Je pose les lèvres sur son front et elle passe un bras autour de moi.

Je sais pas trop quand j’ai commencé à me préoccuper autant d’elle. Peut-être depuis ce jour

à la plage où elle m’a parlé de sa mère, ou peut-

être quand elle s’est déchaînée sur cette fille à la cafétéria – quand elle a fait sa grosse dure. Ou peut-être pendant une de nos sessions de pelot- age, ou peut-être quand je faisais semblant de me concentrer sur le cours d’anglais tout en jouant avec ses cheveux.

Ou peut-être que c’est depuis le début.

Peut-être que je me suis toujours intéressé à

elle, et que j’avais enfoui ça sous le prétexte du sexe.

Je sais pas. Tout ce que je sais, pour l’instant, c’est qu’elle compte pour moi, et que le jeu est en train de prendre une autre tournure. Une tournure plus réelle que tout ce que j’ai connu avant. Ça devient une chose à laquelle je peux m’accrocher.

À laquelle Maddie peut s’accrocher.

Je suis quelqu’un sur qui elle peut se reposer.

— Bonjour, elle dit d’une voix endormie, en bâillant et en se frottant les yeux.

— Coucou, mon ange, je murmure doucement.

Comment tu te sens ?

Elle garde le silence quelques secondes, le re- gard voilé.

— Je ne sais pas trop. Je me sens à la fois bien et mal.

Je lui embrasse le front pour effacer la ride qui le barre.

— J’ai fait ce qu’il fallait hier soir, on est d’accord ? (Sa voix est pleine de doutes et elle relève les yeux vers les miens.) En lui disant non ? En refusant de l’aider ?

— Je crois bien, je réponds honnêtement.

— Mais c’est mon frère.

— Hé. (Je relève son visage.) Tu avais une raison pour dire non. Il te fait manifestement vivre quelque chose de si dur que tu n’as plus en- vie de l’aider. C’est normal, Mad. Il peut pas con- tinuer à recevoir sans rendre quelque chose en re- tour.

Elle hoche la tête.

— Tu as raison. Tout ce qu’il m’a fait vivre…

(Elle ferme les yeux et secoue la tête.) Je n’en veux plus. Je ne veux plus être une carpette.

Je lui caresse les cheveux, parce que je sais pas quoi dire.

— J’avais cinq ans quand j’ai rencontré Abbi.

C’était ma première amie à la maternelle. On est allées à l’école ensemble, jusqu’au lycée, elle déclare soudain, brisant le silence entre nous.

— Tu n’es pas obligée de…

— Si, si…

— D’accord, mon ange.

Elle tourne les yeux vers moi, un léger sourire flottant sur ses lèvres.

— On faisait tout ensemble. On était vraiment inséparables. Si Abbi prenait des cours de danse classique, moi aussi. Si j’arrêtais la gymnastique, elle aussi. C’était comme ça que ça marchait.

Tout le monde disait qu’on avait dû être séparées

à la naissance, tellement on se ressemblait, tell- ement on était proches. Je pensais que ce serait comme ça toute la vie.

» Quand maman est morte il y a trois ans, Abbi

était mon rocher. Quand mon univers a explosé

et que papa est tombé en dépression, elle était là

pour m’aider à faire face. Elle était là tous les jours après l’école, à m’aider à nettoyer et à faire la cuisine. Après maman, j’étais la seule à pré- parer des repas dignes de ce nom – et étant donné

que ma mère nous avait appris à cuisiner à toutes les deux, c’était logique qu’elle m’aide.

» Mais ça a changé quand on est entrées en dernière année. Je savais qu’un jour, ça changerait. Peut-être qu’on n’irait pas dans la même fac, ou que l’une de nous deux aurait une relation sérieuse. Eh ben, l’une de nous a eu une relation. C’était pas moi, et je m’attendais pas à

ce que le petit ami d’Abbi soit mon frère.

» Pearce a pété un plomb quand maman est morte. Il était déjà au lycée quand elle a été tuée, alors il allait souvent à des fêtes et tout ça. Il es- sayait des drogues, papillonnait ici et là… après tout, il avait quinze ou seize ans, alors c’était un vice facile dans lequel tomber. Il s’est enfoncé de plus en plus, il est devenu de plus en plus dépend- ant, il essayait des drogues de plus en plus fortes.

Papa était lui-même trop mal pour l’empêcher, et

Pearce a dépensé tout l’argent que maman avait mis de côté pour nos études dans la drogue.

» Alors ouais, j’étais surprise quand Abbi et

Pearce ont commencé à sortir ensemble. Je veux dire, on était toutes les deux des étudiantes au tableau d’honneur, alors le scénario de la fille de bonne famille qui tombe amoureuse d’un bad boy, c’était le cliché complet.

Maddie fait une pause pour rassembler ses souvenirs, et je continue de caresser son bras du bout du doigt.

— Au début, il avait l’air de bien la traiter. Il se comportait comme un con quand il avait besoin d’une dose, mais ensuite, il lui offrait des fleurs et tout ça pour se faire pardonner. J’ai essayé de la mettre en garde, après tout, je l’avais vu tomber dans la spirale, mais elle était déterminée et cer- taine de pouvoir le sauver.

Elle lève les yeux au ciel.

— Le sauver. C’était le truc le plus stupide que j’avais jamais entendu. Dans ma tête, la seule per- sonne qui pouvait sauver Pearce, c’était Pearce.

J’ai essayé de lui parler après la mort de maman, en vain. J’ai continué d’essayer, encore et encore, jusqu’à ne plus pouvoir. Maman disait toujours qu’on ne pouvait pas aider quelqu’un contre son gré. C’était son mantra étant donné qu’elle trav- aillait avec des toxicos.

» Mais Abbi ne voulait rien entendre. Du tout.

Alors j’ai commencé à l’accompagner aux soirées. Elle ne l’a jamais avoué, mais elle m’en

était reconnaissante. Elle n’était pas fan de ses amis – et moi non plus, tu penses bien, mais je ne l’aurais jamais laissée aller toute seule à ce genre de fête. J’ai continué pendant environ deux mois, tout en réussissant à rester bonne élève, pendant que les notes d’Abbi dégringolaient, quand tout a commencé, un soir.

» Pearce n’avait pas assez sur lui pour se payer sa dose. Les prix avaient augmenté parce que les stocks de son dealer s’épuisaient et il ne le savait pas. Pearce en était à la phase où il avait mécham- ment besoin de sa dose, et quand les choses ont mal tourné, Abbi a essayé de le calmer. Il l’a bousculée et l’a frappée au visage. Elle a volé

à travers la pièce. Son nez pissait le sang et je me suis précipitée vers elle. Pearce s’en fichait. Il voulait juste son prochain fix. C’était tout ce qui importait pour lui.

» J’ai fini par lui filer ce qui lui manquait et c’est la pire chose que j’aie jamais faite. Il s’est dit que puisque je l’avais aidé une fois, je le referais. Il ne semblait pas s’inquiéter d’avoir frappé Abbi – je n’ai jamais su si c’était délibéré

ou accidentel, mais je savais que c’était pas la dernière fois.

— Tu as arrêté d’aller à ces soirées ?

J’ai les muscles tendus à l’idée qu’elle se soit retrouvée dans ce genre d’endroit.

Elle hoche la tête.

— Je suis allée voir Abbi le lendemain et je lui ai dit que je ne l’accompagnerais plus et qu’elle ferait mieux de rompre avec Pearce. Elle a refusé.

Pour expliquer sa blessure au nez, elle a dit à

ses parents qu’elle avait glissé sur de la glace et qu’elle était mal tombée. On était en novembre, alors personne n’a cillé. Je me sentais horrible- ment mal. Je la laissais aller seule aux fêtes. Il a pas fallu longtemps avant qu’elle y aille autant que Pearce, même si elle n’a jamais vraiment touché à la drogue. Elle buvait juste quelques verres.

» Au cours des six mois suivants, elle semblait avoir un nouveau bleu chaque fois que je la voy- ais. Quand je lui posais la question, elle me disait qu’elle était tombée dans les escaliers, qu’elle s’était pris un mur ou qu’elle avait glissé en cours de sport. Quand je confrontais Pearce, il plaidait l’innocence. Il disait qu’il ne savait pas ce qu’elle faisait quand il prenait sa dose. Lentement, Abbi s’est transformée en étrangère. Alors qu’elle était ouverte, insouciante et extravertie, elle s’est repliée sur elle-même. Elle est devenue faible et dépendante de mon frère. Et effrayée. Elle avait peur de lui. Je les entendais se disputer tout le temps, mais en même temps, je me rappelais qu’elle l’avait choisi. Elle avait choisi de rester avec Pearce.

» J’ai essayé de lui parler une dernière fois, la tentative de la dernière chance pour la ramener, mais elle ne voulait rien entendre. Quoi que

Pearce lui avait fait, il avait brisé ma meilleure amie.

Je la serre plus fort quand je sens qu’elle com- mence à trembler, et je sais que la suite ne sera pas agréable.

— Je me souviens quand je l’ai retrouvée. Ses parents étaient en voyage d’affaires et sa mère n’avait pas de nouvelles, alors elle m’a demandé

de passer la voir. J’y suis allée.

Je secoue la tête et ma voix est sans expression, mon corps insensible aux émotions tandis que la nuit où je l’ai découverte défile devant mes yeux.

— Abbi ? Abbi, tu es là ? (J’avais frappé à la porte avec véhémence.) J’enfonce la porte s’il le faut ! Allez quoi, Ab, ta mère s’inquiète.

Rien. Elle ne répondait pas. J’ai frappé plus fort.

— Tu as cinq secondes pour répondre avant que j’entre !

J’ai compté lentement dans ma tête. Un Missis- sippi. Deux Mississippi. Trois Mississippi… On ne s’était peut-être pas parlé depuis un mois, mais elle était toujours ma meilleure amie.

— OK, j’entre !

Je l’ai prévenue une dernière fois avant de rec- uler pour enfoncer la porte à coups de pied.

La porte a cédé et je l’ai ouverte. Je me suis figée devant ce que j’ai vu.

Abbi était allongée dans la baignoire, tout ha- billée, la baignoire à moitié pleine, ses bras pendant sur le côté. Du sang coulait de nom- breuses entailles et écorchures le long de ses bras, et un petit flacon brun a attiré mon attention.

Je l’ai ramassé d’une main tremblante. De l’aspirine. La manière la plus facile. C’est maman qui nous l’avait appris – seize comprimés suff- isaient si on ne vous découvrait pas tout de suite.

Qui sait depuis quand Abbi était enfermée dans sa salle de bains ?

— Oh, Abbi.

J’ai sangloté en lâchant le flacon. Dans le si- lence, il s’est écrasé au sol avec un fracas as- sourdissant. J’ai reculé contre la porte en essayant d’empêcher mes jambes de trembler. J’ai sorti mon téléphone de ma poche et composé le numéro des secours en tremblant.

Avait-elle un pouls ? Je ne savais pas. Est-ce qu’elle respirait ? Je ne savais pas. J’avais peur de la toucher. J’avais peur de la déplacer. Pitié, ne sois pas morte, je pensais. Pitié, ne m’abandonne pas toi aussi. J’avais d’abord perdu ma mère.

Je ne pouvais pas perdre Abbi à son tour. Je ne pouvais pas perdre les deux. Pitié pitié pitié pitié.

J’ai raccroché après avoir donné les informa- tions et je suis restée figée devant son corps in- erte. Sa poitrine se soulevait légèrement et une vague de soulagement s’est emparée de moi. Elle

était vivante. Peut-être.

Mais pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi elle avait fait ça ?

— Je savais pourquoi, bien sûr, je murmure.

C’est Pearce qui l’avait amenée jusque-là. Il l’avait brisée en mille morceaux. Il l’avait détru- ite. La seule chose qu’il lui restait, c’était la sur- vie.

— Oh, mon ange, dit Braden en me serrant contre lui.

— Elle est en vie. Elle est dans une « institu- tion » pour adolescents dépressifs en dehors de

Brooklyn. Elle est en vie, mais elle ne vit pas vraiment. Je me dis parfois qu’elle serait mieux si elle n’était plus là, et ensuite je me sens terrible- ment mal. (Des larmes chaudes coulent sur mes joues.) Je ne sais toujours pas tout ce que lui a fait

Pearce, et je ne le saurai jamais. Je ne veux pas savoir. Rien que l’idée me fait peur.

— Tu te sens coupable, c’est ça ?

— Oui. Si j’étais simplement restée à ses côtés, j’aurais peut-être pu mieux la protéger. Je ne sais pas, Bray. Peut-être que si je ne l’avais pas laissée toute seule, elle serait encore, eh bien… normale, quoi.

— C’est pas ta faute. Tu n’as rien fait.

— Je le sais, vraiment, mais je déteste que ce soit moi qui l’aie trouvée. Enfin, même si c’est encore heureux que je l’aie trouvée. Les secour- istes m’ont dit que si j’avais hésité encore quelques heures, elle serait morte. Elle avait avalé tous ces comprimés et s’était coupé les veines. Elle ne s’était pas arrêtée à ses bras. Ses cuisses et son ventre étaient cachés sous ses vête- ments. Elle portait du noir, donc je ne les ai pas vues, mais l’eau dans la baignoire maintenait les plaies ouvertes. Elle savait exactement ce qu’elle faisait. C’était pas un appel à l’aide, c’était un vrai suicide.

Je m’essuie les joues et Braden dépose un baiser au coin de mon œil.

— C’est pour ça que tu hais ton frère à ce point ?

Je hoche la tête.

— Parce qu’il m’a fait tout perdre. J’avais déjà

perdu ma mère, et j’ai perdu Abbi. Peut-être pas de la même manière, mais elle n’est plus celle que j’ai connue. Et elle ne le redeviendra jamais.

— Je suis désolé que tu aies traversé tout ça.

Vraiment. Tu sais que ton frère ne t’approchera plus jamais, hein ? Sinon, je lui éclate sa putain de tronche, Maddie, je t’en fais la promesse.

Je hoche la tête et me serre contre lui.

— Je sais.

— Il ne te fera plus jamais de mal, murmure

Braden, ses bras autour de moi me faisant l’effet d’une armure.

Et je le crois sans peine.

— Laisse-moi entrer, espèce de grosse bouffonne ! s’exclame Lila en frappant du poing contre la porte. On part en voyage !

— Il-est-huit-heures-du-matin-bordel ! crie

Kay avant d’ouvrir la porte.

Je me redresse en me frottant les yeux.

— Et il y a huit heures de route alors sors tes fesses de feignasse de ton lit et fais ton sac !

Lila tire son sac dans la chambre, suivie par une Megan grincheuse. Megan n’est pas vraiment du matin.

Elle me jette une enveloppe marron.

— C’est pour toi.

— Qu’est-ce que c’est ? je demande en bâil- lant.

— Ouvre et tu le sauras.

Je déchire l’enveloppe et la renverse. Une carte en plastique couleur crème en tombe et je la re- garde longuement.

— Est-ce que c’est…

— … une fausse carte d’identité ? s’exclame

Lila avec un sourire radieux. Ouais.

— Et pourquoi on a besoin de fausses cartes d’identité ?

— Parce qu’on va à Vegas, répond sèchement

Megan en haussant un sourcil. Et on ne peut pas aller à Vegas sans fausse carte d’identité.

— Heu, d’accord.

Je hausse les épaules et la pose sur ma table de nuit avant de me lever.

Kay sort de la salle de bains, habillée et tou- jours en train de se plaindre de la « putain »

d’heure indue et que ça devrait être interdit de voir ça le week-end.

Je ris en sortant mon pantalon de survêtement de ma commode. Hé, il est huit heures, et on a un voyage de huit heures à faire.

Je vais dans la salle de bains, je me change, j’applique une touche de maquillage et je ressors.

— Vos affaires sont prêtes ? demande Lila en pianotant sur son téléphone.

— Non. Je m’attendais pas à partir à huit heures du matin, réplique Kay.

— Oh, bonté divine. (Megan lui jette un re- gard.) Je vois qu’on est de bonne humeur, ce mat- in. Tu es un vrai rayon de soleil aujourd’hui, hein,

Kay ?

— Commence pas, s’il te plaît, je la supplie en fourrant mes dernières affaires dans ma minivalise. N’y pense même pas. Tu vas nous l’énerver pour toute la journée.

— Mais il…

— … est huit heures du matin. Remets-toi !

s’exclame Megan en jetant mon oreiller sur Kay.

Je secoue la tête.

— Bon, les gars sont prêts et passent nous prendre, déclare Lila.

— Attends, qui va avec qui ? Et où on dort, au fait ? je demande en glissant la fausse carte d’identité dans mon sac.

— Heu… (Elle lève un doigt et pianote de nou- veau sur son téléphone.) Alors, Maddie va avec

Braden, Megan et Kay avec Ryan et moi, et

Aston avec les autres gars. On dort au Treasure

Island. Maddie et Braden dans une chambre, Ry- an et moi dans une autre, ensuite Megan et Kay, et Aston avec le reste des mecs.

Je regarde Megan.

— Elle a un planning sur son téléphone, c’est bien ça ?

Elle hoche la tête d’un air serein.

— Il est là depuis une semaine.

— À chier ton programme, Lila, lance Kay en posant son sac sur son lit. Mon sac est prêt, ton sac est prêt, tous nos sacs sont prêts. Alors on bouge.

Lila lui jette un regard noir et attrape ses af- faires. Je pousse un profond soupir en songeant que ce week-end peut être une grande réussite comme un flop monumental.

Et là tout de suite, je pense au flop.

Je ferme la porte de la chambre à clé derrière nous et, le temps de descendre, les gars sont garés devant. Braden descend de sa Jetta et m’adresse un sourire désarmant. Je le lui rends en laissant les portes du bâtiment se refermer derrière moi.

Il s’approche de moi et s’empare de mon sac sans un mot. Il m’emmène jusqu’à sa voiture, ouvre le coffre et dépose mon sac à côté du sien.

— Braden, tu es prêt ? demande Aston en se penchant par la vitre de son 4×4.

Braden lui fait un signe du pouce.

— Passe le premier. Je te suis.

J’adresse un signe de la main aux filles et les trois autres voitures s’éloignent. Braden referme le coffre et je le regarde.

— Pourquoi tu as dit ça ?

Il se retourne, prends mon visage entre ses mains et m’embrasse. Je me penche en arrière contre la voiture. Il insère ses genoux entre les miens et quand il pose ses mains sur ma taille, j’agrippe sa chemise.

Ses lèvres douces et chaudes ont un goût de chocolat et de café. Je lui mordille celle du bas.

— Tu m’as rapporté du café ? je murmure.

— Dans la voiture.

Il s’écarte, les yeux pétillants.

— Ah, alors c’était pour ça, je dis.

Il m’attire contre lui et dépose un autre baiser sur mes lèvres.

— Non. C’était parce que j’avais envie de t’embrasser, parce que rester assis huit heures dans une voiture à côté de toi sans pouvoir t’embrasser, ça va être un sacré cauchemar.

— On peut faire des pauses, tu sais. Je veux un

McDo ce midi.

— Mon ange, dit-il d’une voix grave. C’est peut-être un pantalon de survêtement, mais il se trouve qu’il te va vraiment bien, surtout au niveau de ton cul. (Il glisse une main sur ma hanche et me prend les fesses à pleine main, puis il enfonce ses doigts en attirant ma hanche contre la sienne.)

Alors si on fait une pause, ce sera pas pour un foutu McDo.

Je déglutis, le cœur battant. Apparemment, en prenant conscience que je suis en train de tomber amoureuse de lui, je prends aussi conscience qu’il peut me transformer en flaque de guimauve dé- vorée de désir désespéré, misérable, bouillon- nant, incandescent.

— Message reçu, je dis d’une voix quelque peu étranglée. Allez on y va, sinon on ne va ja- mais partir.

— Me tente pas, murmure-t-il en m’embrassant juste sous l’oreille.

Je m’écarte, ouvre ma portière et monte à

l’intérieur. Il n’a pas menti : je trouve un café du

Starbucks dans le porte-gobelet et un muffin sur le tableau de bord. Il a posé ça là juste avant de sortir. Je souris et m’en empare.

— Merci, je lui dis pendant qu’il démarre le moteur.

— Avec plaisir.

Il me sourit, et je lui réponds par un sourire timide. J’arrache un petit morceau de muffin et me penche vers lui avant qu’il démarre pour le poser sur ses lèvres.

Il ouvre la bouche et l’enfourne. Il referme la bouche et, quand je retire ma main, ses lèvres effleurent le bout de mes doigts. Ce simple con- tact me fait frissonner des pieds à la tête et je baisse les yeux comme si je pouvais dissimuler mon expression. Il toussote, se racle la gorge et démarre.

Ça vaut mieux.

Dire que me retrouver dans une voiture avec

Maddie pendant huit heures allait être un sacré

cauchemar, c’était le putain de plus gros mensonge de ma vie.

C’est l’enfer. À chaque motel qu’on dépasse, j’ai envie de me garer, de prendre une chambre et de plus en sortir jusqu’à demain.

Mais j’ai pas envie de la baiser. Oh non, pas

Maddie. J’ai envie de lui faire l’amour. J’ai envie de couvrir de baisers chaque centimètre de sa peau douce et dorée, de caresser chacune de ses courbes et de bouger en elle jusqu’à la faire crier. Parce que je sais déjà qu’elle le fait, et maintenant que je me suis avoué à moi-même que j’éprouvais quelque chose pour elle – je veux dire éprouver vraiment quelque chose – j’ai envie de plus qu’un petit coup rapide sur un parking quelque part. Je veux que ce soit spécial. Plus que tout ce que j’ai ja- mais connu.

Elle pose son sac au pied de l’immense lit de notre chambre au Treasure Island et regarde au- tour d’elle. Ma mère m’a proposé de réserver une suite, mais quelque chose me disait que ça, ça suffirait à Maddie. Et d’après l’expression sur son visage, je me suis pas trompé.

— Ça te va ? je lui demande en m’asseyant dans le fauteuil vert dans le coin.

Elle hoche la tête.

— C’est superbe.

Elle sourit, un de ses petits sourires pleins de légèreté qui me donne envie de l’imiter.

Je savais que ça lui plairait. Les nuances vert et brun discrètes de notre chambre dégagent un sen- timent apaisant et c’est exactement ce dont elle a besoin après la semaine qu’elle a passé à cause de son frère. Moi ?

J’ai seulement besoin de Maddie.

— Tu veux aller manger un morceau ?

— Heu, oui. Je peux me changer, d’abord ?

elle demande en désignant son pantalon de sur- vêtement.

— Bien sûr, vas-y, mon ange.

Elle sort quelques affaires de son sac et se di- rige vers la salle de bains, en me déposant un baiser au coin des lèvres en passant. Je la regarde tortiller des fesses pendant qu’elle s’éloigne, un sourire aux lèvres. Je continue de fixer le point où ses fesses ont disparu derrière la porte pendant cinq bonnes minutes après ça.

Je secoue la tête en me demandant secrètement si elle n’est pas une sorcière qui m’aurait jeté un sort. Non, elle est trop belle pour ça. Je secoue de nouveau la tête.

Heureusement que Megan a réussi à m’obtenir cette fausse carte d’identité, parce que là, j’ai bien besoin d’une bière pendant le dîner.

La porte de salle de bains s’ouvre et Maddie apparaît. Je relève les yeux. Le jean noir et moulant qu’elle porte laisse peu de place à

l’imagination et le haut d’un rose éclatant évasé à

partir de ses seins m’amène à fantasmer sur ce qui se cache exactement au-dessous. Elle a relevé ses cheveux en un chignon haut, et quelques boucles qui s’en échappent encadrent son visage. Elle tra- verse la pièce sans remarquer que je suis pratiquement en train de baver, et ouvre la minivalise. Après avoir fouillé dedans, elle en sort des chaussures noires avec des talons roses et y glisse ses pieds. Elle se redresse, s’observe dans un miroir en pied, et se tourne vers moi.

— Ça va ?

Je cligne des yeux. Déglutis. Merde. Elle est à

tomber par terre.

— T’es à tomber par terre.

Elle sourit.

— Merci. Megan a dit de se saper, alors…

(Elle écarte les mains.) Je me suis sapée.

— J’aime bien quand t’es sapée, je murmure en m’approchant d’elle.

Je fais glisser mes doigts le long de ses bras et lui prends les mains, tout en parcourant son corps des pieds à la tête.

— Ouais, je confirme, j’aime vraiment bien quand t’es sapée. J’adore.

Elle me jette un regard par en dessous.

— C’est pas trop ?

Je secoue la tête et m’approche encore.

— Non, c’est parfait, je lui affirme doucement.

Mais maintenant, je me dis que je dois mettre une chemise.

— Peut-être, oui.

Elle sourit. Je l’embrasse encore une fois avant de m’éloigner. Je sors une chemise blanche de mon sac et un jean sombre. Je me déshabille –

sans aller dans la salle de bains comme Maddie –

et pendant que je me change, je sens son regard sur moi. Je me tourne vers elle tout en boutonnant ma chemise et ses yeux sont rivés sur mon torse.

Un petit sourire suffisant se dessine sur mes lèvres.

— Mon col est bien mis ? je lui demande en penchant la tête pour exposer mon cou.

— Hmm ? Quoi ? (Elle revient à la réalité.) Oh, pas tout à fait.

Elle s’approche de moi, le bruit de ses talons

étouffé par la moquette, et se hisse pour ajuster mon col. Ensuite, elle pose les mains à plat sur mon torse et m’embrasse au creux de ma cla- vicule.

— Hé, je murmure d’une voix rauque. Fais pas

ça ou bien on sortira pas dîner.

Elle affiche une petite grimace en s’écartant, laissant ses doigts glisser sur mon corps.

— J’arrête.

Je fais un pas en avant.

— T’es pas obligée de t’arrêter, Maddie, je dis juste…

— Eh bien en fait, j’ai faim. (Elle bat des cils.)

Où est-ce qu’on va manger ?

— Je pensais au Steakhouse italien, chez Phil.

Elle pince les lèvres une seconde.

— C’est cher.

— C’est pour moi.

— Ce n’est pas vraiment à toi de m’inviter à

dîner pour ton anniversaire, Bray.

— Hé. (Je m’approche encore, pose la main sur sa hanche et lui soulève le menton.) Tu es ma nana, alors anniversaire ou pas, si j’ai envie de t’inviter, je t’invite, d’accord ? Et ce soir, je veux t’inviter. Tu pourras m’offrir le dîner demain soir quand on fêtera mon anniversaire.

Elle soupire.

— Bon, d’accord, mais tu dois savoir qu’on va seulement manger une pizza, demain soir.

Elle a les yeux brillants, et je lui souris.

— Une pizza, c’est parfait.

— Bien. (Elle se penche pour m’embrasser.)

Maintenant, nourris-moi.

— Oui, M’dame.

Je la prends par la main et l’entraîne hors de la chambre, en glissant la carte magnétique dans ma poche.

Elle se colle contre moi pendant le trajet en as- censeur.

— Les autres nous retrouvent là-bas ?

— Non. (Je l’embrasse au sommet du crâne.)

Ce soir, c’est rien que toi et moi.

— Ah oui ?

— Oui. (Je lui serre la main et on sort de l’ascenseur.) Tu vois, je me suis aperçu qu’on

était pas encore allés dîner ensemble, et d’après

Google, c’est indigne d’un petit ami.

Je lui lance un clin d’œil et elle éclate de rire.

Je lui fais un demi-sourire.

— Je voulais seulement que ce soit parfait pour toi.

Elle s’arrête de rire et pose ses lèvres sur ma joue.

— C’est parfait de toute façon.

Je passe mon pouce sur le dos de sa main.

— Viens, allons manger.

La faible lumière du Steakhouse italien est par- faite pour dîner. L’endroit est bondé – heureuse- ment que j’ai pensé à réserver une table avant de quitter la fac – mais il y a quelque chose d’intime malgré tout.

C’est peut-être parce que je n’ai jamais vraiment pris le temps d’être avec Maddie. Peut-

être parce que c’est finalement plus que juste du sexe. J’en sais foutrement rien.

Mais ensuite, me retrouver avec tout le monde au casino, ça me donne envie de retourner au res- taurant.

Maddie passe un doigt sur le rebord de son verre de vin.

— Ça va, mon ange ?

Je pose la main dans son dos. Elle relève les yeux et me sourit.

— Oui, et toi ?

— Oui.

Je l’embrasse rapidement.

Megan surgit de notre groupe et prend la main libre de Maddie.

— Je te la vole. Va jouer au garçon et faire une partie de poker ou quelque chose !

— Tu m’emmènes où ? demande Maddie avec un geste d’impuissance à mon intention.

— Il y a un serveur canon là-bas, et je veux son numéro ! s’exclame Megan en riant, et je secoue la tête.

Je vois celle d’Aston apparaître et regarder les filles s’éloigner. Je les observe tour à tour – bon d’accord, surtout Maddie.

Aston ferait mieux de pas avoir de vues sur

Megan parce que sinon, je vais devoir lui briser le cou.

Les filles disparaissent dans la foule et je re- joins les gars.

— Un poker ?

— D’accord, Ryan acquiesce en finissant sa bière qu’il repose sur le comptoir.

On se dirige tous vers la salle de poker, où on a la chance de trouver une table libre. Une fois assis, Ryan signale au donneur qu’il s’en charge.

Il distribue d’une manière que seul le fait d’avoir grandi dans un casino peut vous apprendre. Ses gestes fluides assurent l’impossibilité pour qui que ce soit, autre que la personne à qui appartient la main, de voir les cartes. Voilà ce qui se passe quand votre père possède un casino à Atlantic

City, j’imagine. Et apparemment ce qui permet de distribuer à sa propre table quand on connaît le propriétaire du casino.

— C’est parti, lance Aston en souriant.

Dix minutes plus tard, Aston panique devant la pile de jetons qui fond lentement devant lui.

— J’ai jamais vu pire bluffeur que toi, Ryan déclare. Et j’en ai vu un paquet, Aston.

— Y a toujours des machines à sous là-bas si vous voulez, je propose avec un clin d’œil.

— Va te faire foutre, Aston réplique. Les ma- chines à sous, c’est pour les filles.

— Et le poker, c’est pour les hommes qui ne tremblent pas de la lèvre inférieure quand ils ont une main de merde, Ed ajoute d’un ton moqueur.

Le reste du groupe des mecs se joint à la raillerie générale et, au bout de quelques minutes, j’y mets un terme.

— Bon d’accord, les gars, venez. (J’agite la main.) Fichez un peu la paix au petit. C’est pas sa faute si le seul jeu de cartes auquel il sache jouer, c’est le Pouilleux.

La tablée éclate de rire et je sens qu’on m’empoigne une mèche de cheveux par-derrière.

— Hé ? (Je me retourne et vois Megan, les sourcils levés.) Je croyais que t’étais partie à la pêche aux numéros de serveurs ?

— Je l’ai eu. (Elle agite un petit bout de papier avant de le ranger dans son sac.) Mais on a fini par s’ennuyer et on veut faire autre chose. Lila a proposé d’aller en boîte, celle de l’hôtel ou ail- leurs.

Je jette un coup d’œil aux gars, qui ne font aucune objection.

Ryan hausse les épaules.

— Ça me tente bien.

— Tu dis ça seulement parce que t’es sous la coupe de Lila, Ry, raille Jake en lui donnant un coup dans le bras.

Ryan dévoile sa main.

— Tu dirais la même chose si tu partageais un pieu avec elle. C’est une putain de bête.

Megan lui jette un jeton au visage.

— Sales porcs ! Vous croyez que Lila nous parle de sa vie sexuelle ?

— Je sais que oui, Ryan contre. Vous parlez toutes de vos vies sexuelles entre vous. Comme un groupe de grand-mères qui jouent ensemble au loto.

— Sauf que vous êtes carrément plus sexy,

Aston ajoute en lançant un clin d’œil à Megan, qui lève les yeux au ciel.

— On peut y aller ? Ces chaussures ont un temps de portage limité, tu sais. (Elle tend la jambe pour montrer son escarpin bleu étincelant avec un poignard en guise de talon.) Et je pense qu’Aston a eu sa dose, là.

Tout le monde repose ses cartes en riant et on décide de rester quittes.

— Hé, Megan, Aston fait en se glissant à côté

d’elle. Si jamais tu supportes plus tes chaussures tout à l’heure, et que tu as besoin d’un coup de main pour remonter dans ta chambre, tu sais où

me trouver.

Je serre les poings et la vois se tourner vers lui pour poser la main sur son torse en battant des cils.

— Aston, chéri, si j’avais besoin d’aide pour me mettre au lit, je demanderais à quelqu’un de plus qualifié que toi. Disons, quelqu’un qui sache jouer à autre chose qu’au Pouilleux. Réfléchis-y et reviens me voir quand tu auras au moins appris

à jouer au jeu des sept familles, pigé ?

Elle lui adresse un sourire radieux avant de tourner les talons et de quitter la salle de poker.

Aston reste bouche bée, éberlué.

— Et ça, mon ami, je lui dis en faisant claquer ma main sur son épaule, c’est ce qui arrive quand tu essaies tes ruses sournoises avec une fille qui a plus de classe que toutes les pétasses qui défilent dans ton lit en un mois.

— Genre tu es au courant, il réplique sèche- ment en nous suivant dans le hall principal.

J’observe Maddie, qui entortille une mèche de cheveux autour de son doigt tout en riant avec

Lila.

— Il se trouve que je le suis.

Je m’approche d’elle et passe mon bras autour de sa taille.

— Prête à y aller ?

Elle pose sa tête contre mon épaule et tout le monde se met en route vers l’étage qui abrite le bar d’ambiance Kahunaville.

Le Kahunaville est un bar tahitien. Ou un hawaïen. Personnellement, j’ai toujours confondu les deux – et peut-être à raison.

Ou alors c’est le vin qui me brouille déjà la vue, et la margarita que Megan vient de me donner n’est peut-être pas une bonne idée. Je vais quand même la boire, parce que ces filles ont réussi à cor- rompre la fille sérieuse que j’étais encore il y a quelques semaines, pour en faire la demi-bad girl que je suis aujourd’hui.

Je dis « demi » parce que je n’ai pas encore couché. Tout en jetant un petit regard à Braden à

côté de moi, je me dis que je peux y remédier ce soir. Et alors on aura un joli mélange de la Maddie de Brooklyn et de la Maddie de Californie, avec un soupçon de la Maddie de Braden.

Quel charmant petit lot ça ferait.

J’accepte la main que Lila me tend pour m’emmener danser. Mes pensées commencent à

prendre une tournure morbide, et je ne vais pas laisser mon passé me gâcher ce week-end pour

Braden. Il mérite de passer un bon anniversaire.

Les serveurs dansent entre les tables en balan-

çant les hanches et les barmans jettent les shakers en l’air. Si j’avais dix ans, je voudrais absolument faire ça quand je serais grande. Mais je suis grande – en quelque sorte. Et ce n’est pas vraiment si génial que ça, si ?

Oh, pff. Apparemment, j’ai l’alcool dépressif.

Et ça me fait dire n’importe quoi.

Achevez-moi.

Je danse avec Lila en rythme avec la musique, et il ne faut pas longtemps avant que Megan nous rejoigne. Sa manière d’osciller le bassin attire les regards de tous les gars, à l’exception de Braden et Ryan. Je glousse.

— Où est Kay ? demande Lila.

— Je sais pas trop, répond Megan. Je crois qu’elle a branché quelqu’un à une table du casino. Elle a dit qu’elle enverrait un texto.

— Vérifie ton téléphone, je dis. Avant qu’on soit tous bourrés.

Megan hoche la tête et fouille dans son sac.

— Ouais, elle a branché ce mec.

— Un mec ? s’exclame-t-on à l’unisson, Lila et moi. Un mec ?

— Eh oui. (Megan rejette la tête en arrière et

éclate de rire.) Eh ben quoi, elle avait raison. Elle aime bel et bien un peu la…

— Tige de bambou ? l’interrompt Lila et je ris de nouveau.

— D’où tu sors ça ? je lui demande.

— Elle va quand même pas dire bite tout fort ici, si ?

Megan grimace.

— Tu viens de le faire.

— Merde. (Lila plaque sa main sur sa bouche.)

Oh et puis zut, j’ai vingt et un ans.

— Le temps d’un week-end, je murmure, et on repart toutes d’un grand rire.

— Est-ce que vous êtes en train de débaucher ma nana ? demande Braden en s’approchant doucement derrière moi.

— Je passe mon temps à la débaucher, répond

Megan comme si de rien n’était. C’est juste que tu n’es jamais là pour le voir.

Elle lui tire la langue et je détourne les yeux en sachant qu’elle fait référence à l’Opération Piéger le Joueur.

Ouais, désolée, on dirait que j’ai totalement

échoué dans la partie « tombe pas amoureuse de lui ». Au temps pour moi.

Braden effleure mon oreille du bout de ses lèvres.

— Garde la débauche pour moi.

Il a bu du whisky, je le sens – mais il n’est pas ivre. On a dansé aussi longtemps ? Apparem- ment.

Il passe la main sur mon ventre en écartant les doigts, et se colle contre moi.

— Viens, on va te chercher un verre.

Je hoche la tête et le laisse me guider en silence jusqu’au bar. Il m’attire dans un coin et, après m’avoir commandé un daiquiri, quoi que ça puisse bien être, il m’assoit sur un tabouret. Il

écarte mes jambes pour s’insérer entre elles, une main sur le bar et l’autre sur ma taille.

— Tu sais que quand tu danses, tes hanches font ce truc quand elles bougent ?

— Je pense que c’est l’idée générale, oui.

— Non, mais elles bougent de cette manière, où tout à coup j’ai plus envie qu’on soit en public, souffle-t-il en enfonçant légèrement les doigts dans ma peau. Parce que, tu vois, ça me donne plein de putains d’idées de malade sur la manière dont ces hanches pourraient remuer sous moi.

Je sens mon cœur tambouriner dans ma poitrine, et je déglutis en tentant en vain de maîtriser ma respiration.

— Ah ouais ?

— Ouais.

Il m’embrasse sur la joue et j’agrippe sa chemise, puis tourne mon visage pour poser mes lèvres près de son oreille.

— Qui a dit qu’on devait rester en public ? je souffle en sentant le désir monter en moi.

Je relâche sa chemise et laisse ma main re- tomber. Mes doigts effleurent son jean et la preuve de l’effet que mes mouvements de hanches ont eu sur lui.

Je ne suis pas vierge, mais pas vraiment très expérimentée non plus, mais quelque chose chez

Braden fait valser toutes mes inhibitions. Avec lui, je me sens sexy.

Ses hanches font un petit mouvement brusque et il me fait glisser sur le tabouret pour me plaquer contre lui ; l’espace lancinant entre mes jambes heurte son corps. Je prends une brusque inspiration et redresse le dos.

— Alors allons-y.

Il m’aide à me relever et fait signe au barman de donner ma boisson à l’une des filles. Il me prend fermement la main et m’entraîne en direc- tion des ascenseurs à l’extérieur du bar.

Les portes s’ouvrent avec un petit tintement et il me tire à l’intérieur. Il appuie sur le bouton de notre étage et me plaque contre le miroir froid qui recouvre la paroi.

Ses yeux bleu électrique sont passionnés, voilés, sombres. Avides et désireux. C’est comme si nos yeux étaient deux pôles opposés et qu’aucun ne nous n’était capable de combattre l’attraction.

— Maddie, est-ce que t’es bourrée ? me demande-t-il.

— Non. Je ne suis pas sobre, mais je ne suis pas bourrée.

Il me caresse la taille.

— Parce que sinon, on ne fait rien. J’ai pas l’intention de profiter de toi.

Je lui prends le menton.

— Je ne suis pas saoule, Braden. Je sais ex- actement ce que je fais. Ce qu’on fait.

— Bien.

Les portes s’ouvrent et je le suis jusqu’à la porte de notre chambre. Il insère la carte mag- nétique et me laisse entrer la première.

Braden referme la porte derrière lui et se re- tourne lentement pour se retrouver face à moi. La lueur dans son regard fait battre mon cœur à un rythme furieux, comme s’il essayait de sortir de ma poitrine.

Il s’approche de moi d’un pas délibérément lent. Je sens tout l’air quitter mes poumons quand il me caresse la joue et passe sa main dans mes cheveux. Puis il repousse mes boucles pour tourner mon visage vers lui. Il m’agrippe douce- ment par la taille et s’approche de moi.

Je sens ma poitrine se soulever tandis que je lutte pour reprendre mon souffle, pour me rappel- er de respirer, submergée par le désir. Mes jambes se mettent à trembler légèrement et, après la performance au bar et notre proximité dans l’ascenseur, je sais que si on ne passe pas bientôt

à l’action, je vais devenir folle. Il dépose un baiser au coin de mon œil et glisse ses lèvres vers ma mâchoire.

Il redresse la tête et le regard bleu et voilé que je commence à connaître si bien croise le mien. Je m’humecte les lèvres. Puis il baisse les yeux et, à

sa façon de m’attirer contre lui, je le sens aban- donner ses résolutions.

Il pose lentement ses lèvres chaudes et douces sur les miennes. Il m’embrasse passionnément, mais avec une telle douceur que j’ai presque en- vie de pleurer. Je passe les mains autour de son cou et le retiens contre moi en agrippant le col de sa chemise. Nos pieds se déplacent en même temps pour nous emmener jusqu’au lit, sans inter- rompre notre baiser. Il s’arrête avant que je tombe en arrière et s’écarte légèrement en me regardant dans les yeux.

Il glisse ses mains sous mon haut et le relève pour l’enlever doucement par-dessus ma tête.

J’entrouvre alors mes lèvres gonflées quand il re- tire le sien.

Je m’allonge sur le lit et, à la seconde où mon dos touche le matelas, j’enroule mes jambes au- tour des siennes en retirant mes chaussures. Il m’embrasse de nouveau, les lèvres encore plus chaudes que tout à l’heure. Je lui réponds avec avidité en passant fiévreusement ma langue sur ses lèvres. Il pousse un gémissement et je sens sa langue contre la mienne.

Ses mains effleurent ma taille, mon ventre, mes seins. Chacun de ses baisers, de ses souffles et chacune de ses caresses trouvent leur chemin jusqu’au creux de mon ventre. Cette sensation de lave incandescente est de retour, bouillonnant fiévreusement et réclamant l’éruption dont elle a si désespérément besoin. L’éruption dont j’ai si désespérément besoin.

Alors qu’il continue de m’embrasser dans le cou, il glisse mes mains dans son dos ; l’attente est déjà trop dure. Je le sens sourire tout contre ma peau, et sortir sa langue pour dessiner des cercles indolents jusque sur ma poitrine. Je cambre le dos en me collant contre lui, et je sens son érection entre mes jambes.

— Tu es magnifique. Vraiment magnifique.

Il dégrafe mon soutien-gorge et le laisse tomber sur le côté. Il prend un sein dans sa main et l’autre dans sa bouche. Je lâche un petit cri.

Il fait tourner sa langue autour de l’un, puis de l’autre, et je resserre les muscles de mes jambes en enfonçant mes doigts dans ceux de son dos.

— Braden.

Il ne réagit pas, et sa bouche quitte ma poitrine pour se reposer sur mon ventre. J’ai le souffle court et je n’arrive pas à me concentrer sur autre chose que l’effet qu’il provoque en moi. Sur mon désir pour lui. Rien que lui.

Il dépose des baisers juste au-dessus de la cein- ture de mon jean. Il ouvre le bouton et cesse de nouveau les baisers. Je baisse les yeux vers lui.

Il attrape la fermeture entre ses dents, les yeux rivés sur les miens. Je suis perdue. Perdue dans l’intensité de son regard, dans le feu électrique qui brille à l’intérieur.

Il baisse lentement ma fermeture Éclair. Avec les dents. Son nez effleure le tissu en satin qui l’attend juste là, et mon corps tout entier est par- couru d’une secousse. Il déroule mes jambes pour retirer mon jean. D’abord une jambe, sur laquelle il fait remonter ses mains. Mon autre jambe est posée sur son épaule et il se concentre pour me retirer complètement mon jean.

Il prend mon pied dans sa main et m’embrasse de la cambrure jusqu’à la cheville, et au mollet.

Puis le long de mes jambes, de plus en plus haut et de plus en plus près jusqu’à…

L’autre jambe. Même dessin, aux mêmes en- droits, les mêmes baisers. Sa bouche est à

quelques millimètres de moi, de la lave incan- descente qui n’attend que lui. Il passe un doigt sous l’élastique de mon string et lui fait suivre le même chemin que mon jean.

Son souffle chaud contre ma hanche. Sa bouche encore plus chaude qui descend lente- ment. Et une langue brûlante qui établit le con- tact.

Je halète et gémis simultanément. Braden ap- puie une main sur mon ventre pour stopper le soubresaut de mes hanches, tout en passant l’autre main sous ma taille pour me maintenir contre lui. Sa langue effectue de petits tourbil- lons, caresse, glisse et se faufile. Il suce avec la bouche, effleure avec ses lèvres, mordille avec ses dents. Les sensations montent en moi et je lâche des petits gémissements en agrippant la couverture sous moi. Je donne des coups de tête d’un côté et de l’autre, jusqu’à…

Je pousse un cri.

Il remonte lentement le long de mon ventre et, dans mon état de semi-conscience, j’entends le son d’une autre fermeture Éclair. D’un vête- ment qui tombe sur la moquette. Un frottement de plastique.

Braden m’embrasse tendrement et je sens mon goût sur ses lèvres. Il glisse ses mains entre mes jambes écartées et je le sens bouger avant de poser son extrémité contre moi. J’enroule une jambe autour de sa taille pour m’offrir à lui. Je pose la main dans son dos pendant qu’il me pénètre lentement.

Je m’étire pour l’accueillir en entier et il avale le gémissement que je laisse échapper. Ma peau sensible ne résiste pas – je ne résiste pas. Il se retire lentement, adoptant un rythme régulier qui me rend folle.

— Braden, pitié, je murmure dans son cou en aspirant légèrement sa peau.

Il glisse une main dans mon dos et l’autre sous ma nuque. Je fais traîner mes dents le long de son

épaule et il laisse tomber sa tête dans mon cou sans cesser de m’embrasser.

Je contracte mes muscles une fois et il perd le rythme, puis se met à accélérer. Oui. C’est ce que je veux – ce dont j’ai besoin. Je bouge avec lui en ondulant mes hanches contre les siennes, le dos cambré.

Respiration sourde. Baisers enflammés.

Caresses désespérées.

Il m’embrasse intensément tandis que mes sen- sations prennent le pouvoir et que je crie son nom, le corps entier tendu sous l’effet des vagues de plaisir qui déferlent en moi. Il ralentit, s’arrête, et je sens tout l’air quitter mes poumons. Il se relâche au-dessus de moi et son baiser devient plus doux.

On reste un instant allongés là, tous les deux, et quand il retire le préservatif et le jette dans la corbeille avant de m’attirer avec lui sous les draps, je sais que la partie est finie – mais pas dans le sens que j’aurais cru.

C’est censé être fini. C’est censé être fini entre nous.

Mais quand chacune de ses caresses me dit combien je suis belle, quand chacun de ses re- gards me dit que je suis sexy et quand chacun de ses sourires me dit que je suis tout ce qu’il désire, ce qui est vraiment fini, c’est mon rôle dans la partie.

Et ce qui est en train de commencer, c’est pré- cisément ce que j’avais prévu d’éviter.

Et à cause de cette petite chose folle qu’on ap- pelle l’amour, eh bien, je ne m’en soucie même pas.

— La Gargote À Gogo, suggère Braden en re- gardant l’écran de son téléphone. Ça a l’air vraiment pas mal, ce qu’ils servent.

— D’accord. (Je me penche sur le lit et lui dé- pose un baiser sur la joue.) C’est toi qui choisis.

— On peut aller ailleurs.

— Non. C’est ton anniversaire, on ira à ce truc

à gogo.

— Et tu vas insister pour payer, c’est ça ?

J’attrape mon sac et m’approche de la porte.

— Bien sûr que oui.

Il grogne en empochant son téléphone, et se lève. Il attrape une veste légère sur la chaise et se place derrière moi pour tendre la main vers la poignée de la porte. Il pose ses lèvres sur mon

épaule nue et je me tourne pour lui faire face, un sourire aux lèvres.

— Tu sais ce qui me ferait vraiment plaisir pour le petit-déj, mon ange ? murmure-t-il contre ma peau.

— Aucune idée, mais je suis sûre que tu vas me le dire.

— J’aimerais prendre mon petit-déj au lit.

Avec toi.

— Et ce serait moi le petit-déj ?

Il glousse en écartant les cheveux de mon vis- age avec son nez.

— Tu apprends vite.

Il ouvre la porte et Megan se fige, la main levée comme elle s’apprêtait à frapper.

— Peut-être un autre jour, je murmure avant de m’écarter de Braden.

Il laisse échapper un soupir de torture.

— Salut, Meggy. On peut t’aider ? demande-t- il sans expression.

Elle cligne des yeux, vexée.

— Eh bien, je venais vous proposer de vous of- frir le petit-déj, mais si t’as l’intention de te com- porter comme ça, tu vas te le payer tout seul, es- pèce de sale grincheux.

Braden éclate de rire et passe un bras autour de ses épaules.

— Maddie m’a déjà proposé de me l’offrir.

Megan lui dépose un baiser sur la joue.

— Bon anniversaire, mec. Et non, elle le fera pas. (Elle me regarde.) C’est pour moi.

— Meg… je commence.

— Tu payeras le dîner.

— On va seulement manger une pizza, dit

Braden en tournant ses yeux vers moi avec un sourire.

— Une pizza, ça me va très bien. J’adore les pizzas.

Elle se retourne et repart d’un pas vif en direc- tion de l’ascenseur.

— Heu, Meggy ? (Braden me prend la main en haussant un sourcil.) Il n’y a que nous trois ?

— Sois pas bête. Lila, Ryan et Aston sont déjà

en bas.

— Laisse-moi deviner… Kay n’est toujours pas là ?

Je lève les yeux au ciel.

— Ben non, évidemment, répond Megan comme si j’avais posé une question stupide.

Et pour être honnête, c’était une question stu- pide.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrent avec un tintement et j’observe les autres qui sont assis près des portes principales. Aston a l’air de vouloir être partout ailleurs sauf ici, Ryan a l’air d’avoir besoin de sommeil, et Lila est fidèle à

elle-même. C’est la seule personne matinale de nous tous – et il est déjà neuf heures.

— T’as de la chance que ce soit ton anniver- saire, lui lance Ryan quand on approche. Parce que sinon, je devrais te botter le cul de nous faire lever aussi tôt pour sortir prendre le petit-déj.

Pour sortir.

Il secoue la tête.

— C’est clair, acquiesce Aston. C’est quoi le problème avec le service d’étage ?

— Le problème avec le service d’étage, c’est qu’ils n’ont pas de savon pour te laver la bouche comme moi, dit Megan en lui adressant un souri- re doux, et Lila donne un petit coup dans l’oreille de Ryan.

— Misérable con, gronde-t-elle avant de re- garder Braden. Bon anniversaire.

— Merci, répond-il, un demi-sourire aux lèvres.

Dès qu’on met un pied à l’extérieur, on est aus- sitôt assaillis par la chaleur du désert. Il n’y a aucune brise marine, aucun répit face à la chaleur et aux rayons brûlants du soleil.

— Pfff ! fait Lila en s’éventant. J’ai l’impression que je viens de mettre un pied dans le désert.

Je baisse les yeux pour dissimuler mon sourire et Braden rit en silence. Je lui donne un coup de coude.

— Heu, Lila, ma chérie ? dit doucement

Megan. Tu es dans le désert.

— Oh merde.

Lila rit de sa propre bêtise et, quand je relève la tête, je vois Ryan secouer la sienne. Faut toujours qu’il y en ait une pour sortir ce genre de trucs, et c’est presque chaque fois Lila.

On marche pendant ce qui nous semble être des heures et au bout d’un moment, je commence à

me demander si quelqu’un sait où on va. Je pose la question aux autres.

Megan répond en brandissant son téléphone par-dessus son épaule. Sur l’écran, Google Maps.

— Tu as planifié le trajet sur Google Maps ?

— Eh oui.

Elle me lance un clin d’œil.

— Et tu ne crois pas que ça aurait été plus fa- cile de… oh, prendre un taxi ? je demande en le- vant un sourcil, et Lila s’arrête.

— Pourquoi on y a même pas pensé ?

s’étonne-t-elle en se tournant vers moi.

— Je ne savais pas que c’était aussi loin.

— C’est au coin de la rue, rétorque Braden.

Vous trouvez vraiment ça trop loin ?

— Oui, je grogne en me remettant en marche.

Il me lâche la main et passe son bras autour de ma taille, me forçant à m’arrêter. Il se penche, passe son autre bras sous mes genoux et me soulève. Je pousse un petit cri en m’agrippant à

son cou.

— Qu’est-ce que tu fais ?

Il éclate de rire en enfouissant son visage dans mes cheveux.

— Je veux m’assurer que tu gardes des forces pour plus tard, murmure-t-il.

— Et pour quoi faire ?

— Absolument tout ce que tu veux, dit-il en soufflant et en m’embrassant l’oreille.

Je frissonne et tire une mèche de ses cheveux blonds à la base de sa nuque.

— Il est trop tôt pour les pensées obscènes.

— Ah ça, jamais.

Il baisse les yeux sur ma poitrine et mes jambes, avant de revenir sur mon visage. Je soupire en secouant la tête. Parfois, je sais que je n’ai aucune chance de l’emporter contre lui, alors je le laisse parler.

En plus, je ne peux pas vraiment dire que l’idée d’une nouvelle partie de jambes en l’air avec

Braden Carter me déplaise.

Je suis en train de tomber amoureux de Maddie

Stevens. Je le sais. C’est son rire, son sourire, tout.

Pour quelque chose qui est parti d’un jeu, c’est sacrément réel aujourd’hui. Plus réel que tout ce que j’ai connu dans ma vie.

C’est même pas le sexe, même si ça aussi, c’est un sacré panard. Une partie de moi sait que je pourrais me passer de sexe si c’était pour être avec elle. Et je n’abandonnerai le cul pour rien au monde.

Surtout quand la fille en question porte une robe rouge qui lui moule chacune des courbes que j’ai caressées.

Mais non. Maddie, c’est plus que ça. Vraiment plus. Elle est un peu brisée, un peu cinglée, mais elle est aussi tout un tas de truc que je saurais même pas décrire. Elle remplit une partie de moi dont je savais même pas qu’elle était vide.

Je m’approche furtivement d’elle par-derrière, glisse mes mains sur ses hanches et embrasse la peau exposée de sa nuque. Elle finit de se bross- er les cheveux et tourne son visage vers moi. Un petit sourire étire ses lèvres roses et brillantes.

— Quoi ? elle demande.

— J’adore cette robe.

— Moi aussi.

— Par contre, je pense que je l’aimerais encore plus si elle était par terre, ou posée sur cette chaise là-bas.

— J’en doute pas, elle réplique sèchement.

Mais étant donné que tout le monde nous attend, elle va devoir rester exactement là où elle est.

— Bon sang, je murmure en semant une série de baisers dans son cou. Tu es sûre qu’ils peuvent pas attendre encore un peu, mon ange ?

— Braden, elle gronde en se tortillant pour se libérer. (Elle se retourne et me regarde.) Si je tombe la robe maintenant, tu ne quitteras plus cette pièce.

Exact.

— Alors elle reste là.

Je gémis et elle éclate d’un rire silencieux en posant une main sur ma joue. Elle presse ses lèvres douces et chaudes sur les miennes, et je pousse un nouveau gémissement.

— Recommence et tu verras qu’elle va tomber, ta fichue robe, Maddie.

Elle fait une grimace, se retourne et se penche pour prendre ses chaussures sous le lit. Je la re- garde glisser chaque pied dans ses talons noirs, le tissu de sa robe couvrant à peine son cul quand elle se penche comme ça. Un bout de soie noire apparaît au-dessous et ma queue se met au garde-

à-vous.

OK. Apparemment, même pas besoin de faire tomber la robe.

— Braden, elle dit d’un air de faux reproche.

— Maddie, je réponds innocemment en profit- ant de la vue quand elle se redresse.

— Tu sais ce que je vais dire…

— Je suis prêt. (Je me lève et m’approche d’elle.) Mais toi, je murmure en posant les mains sur ses fesses, il faut que tu évites de te pencher comme ça, ce soir.

Je tire sa robe vers le bas.

— Et pourquoi ça ? elle demande, le souffle court.

— Parce qu’une seule personne a le droit de voir le minuscule bout de tissu que tu appelles

« culotte », ce soir, et elle ne la verra pas en pub- lic. (Je plaque mes hanches contre elle et elle prend une brusque inspiration.) Pigé ?

— Pigé, elle acquiesce en s’écartant. (Ses yeux dérivent brièvement vers mon pantalon.) Et range-moi cette chose.

— Cette chose est d’accord, mais seulement parce qu’elle sait qu’elle pourra ressortir tout à

l’heure.

Le soubresaut de ses lèvres trahit son amuse- ment.

— Arrête. (Elle attrape un petit sac noir et se dirige vers la porte.) Alors, ça vient ?

— Si c’est pas maintenant, je murmure, ce sera plus tard.

Dans la zone VIP du show des Sirènes du

Treasure Island, je prends conscience que ça doit

être une idée d’Aston. C’est le seul capable d’avoir organisé ça, et étant donné qu’il n’y a que

Ryan et moi qui ne soyons pas célibataires, je sais que tous les gars ont dû donner leur accord. Kay a dû accepter, laissant Megan la chaperonner. Et bien sûr, je suis présent puisque c’est mon week- end d’anniversaire, et donc, par défaut, Maddie,

Ryan et Lila aussi.

Et je sais exactement ce que ce petit sournois d’enfoiré est en train de faire.

Envoyer Braden à un spectacle coquin et lui rappeler qu’il doit coucher avec Maddie, pas tomber amoureux d’elle. Trop tard, mon pote.

Carrément trop tard.

Maddie me regarde et sourit comme si elle sen- tait mon agacement. Ryan me donne un coup de coude.

— C’est un putain de farceur, Aston, hein ?

— Tu l’as dit, je marmonne.

Il remue sur son siège.

— Je sais pas comment je vais pouvoir mater

ça sans ramener Lila dans la chambre.

Moi, j’ai pas l’intention de mater ça. Et ramen- er Maddie dans notre chambre, ça me semble déjà

prometteur. Très prometteur.

— Tu m’étonnes, je réponds en me frottant le visage tandis que le spectacle commence.

Plusieurs filles incroyablement sexy se mettent

à déambuler sur la scène, vêtues du strict minim- um. Est-ce que c’est mal d’imaginer Maddie à la place d’une de ces Sirènes ? Merde. Je suis grave.

Je m’agite sur mon siège en voyant les filles commencer à batifoler sur scène en se tortillant.

Vous savez quoi ? Je suis même pas sûr de ce qu’elles sont en train de faire. C’est un peu flou parce que pour moi, elles ressemblent toutes à

Maddie.

Quelle connerie.

Maddie ouvre et referme la bouche, et baisse les yeux. Un bref coup d’œil à Lila et je la vois faire la même chose, et Ryan secouer la tête. Je lui donne un coup de coude et désigne la porte d’un geste du menton. Il hoche la tête et se penche vers Lila.

— Mon ange, on se casse, je dis à l’oreille de

Maddie.

— Merci, mon Dieu, elle murmure en me pren- ant la main.

On se lève, et on suit Lila et Ryan dans le hall d’entrée. Les deux filles soupirent de soulage- ment.

— C’était du porno en live, déclare Lila, l’air mécontent. Je suis pas prude, mais bon sang !

Comment ils peuvent supporter ça ?

— Il a probablement réservé avant que je com- mence à sortir avec Maddie. (Je dépose un baiser sur sa tempe.) Et j’aurais sûrement apprécié ça, avant elle.

Ryan croise mon regard et hoche très légère- ment la tête. Il pige. Il sait que c’est fini. Il cligne de l’œil.

— Bon, bébé, il dit en se tournant vers Lila. On se couche tôt ? On s’est couchés tard hier soir et on a un long trajet pour rentrer demain.

— D’accord. (Elle l’embrasse sur la joue et se tourne vers nous.) Dormez bien tous les deux.

Elle adresse un regard entendu à Maddie. Ils se dirigent vers l’ascenseur derrière nous et dis- paraissent derrière les portes.

— Et nous ? (Je frotte mon nez sur la joue de

Maddie.) On se couche tôt aussi ?

Elle s’écarte, une moue sur ces lèvres que j’adore.

— Je suis sûre que tu n’as pas la même défini- tion de la chose que moi.

— Je confirme.

J’appuie sur le bouton derrière elle. Les portes s’ouvrent avec un tintement et on monte dans l’ascenseur vide.

Je passe la main autour d’elle et caresse le tissu de sa robe moulante. Elle frissonne, se colle contre moi et pose la main sur mon torse en

écartant les doigts.

— Je suis sûre que notre définition de la chose se rejoint, maintenant, mon ange.

J’embrasse son lobe d’oreille et l’ascenseur ar- rive à notre étage.

Elle glisse la main dans la poche arrière de mon jean et en sort la carte magnétique de la chambre, tout en se retournant pour se retrouver face à moi. Elle passe la carte dans la fente dans son dos et ouvre la porte d’un coup de coude.

Elle pénètre dans la chambre à reculons et laisse tomber la carte sur la commode dans le coin. Maddie retire ses chaussures en se re- tournant, et tend la main dans son dos pour bais- ser la fermeture Éclair de sa robe. Je déglutis et referme la porte.

Elle laisse apparaître sa peau douce sous le tissu coloré. Je retire mes chaussures et traverse la pièce en ôtant les boutons de ma chemise.

Je pose les lèvres sur sa peau nue et chaude tout en lui prenant la fermeture des doigts. Une main sur sa hanche, je tire vers le bas, mes lèvres suivant le chemin sur sa peau. Je fais glisser ma main sur son ventre en me redressant.

Je retire un côté de la robe en embrassant son

épaule. Elle se retourne et libère son bras de la manche. Je fais pareil de l’autre côté et laisse la robe glisser le long de ses jambes.

Je la fais pivoter en laissant mon regard errer sur ses sous-vêtements en soie noire. Nos regards se croisent. J’explose.

Je l’attrape contre moi et la pousse contre le lit en l’embrassant fiévreusement. Les coussins décoratifs tombent du lit avec la force de notre chute. Maddie me mordille la lèvre du bas et me retire ma chemise qu’elle laisse tomber par terre.

Elle enroule ses jambes autour de ma taille et je lui caresse les cuisses en lui palpant la peau à

pleines mains. Elle gémit et plaque ses hanches contre les miennes. J’enlève mon jean et mon caleçon, puis je fais glisser ma main le long de sa jambe jusqu’à sa culotte.

Je caresse sa zone sensible à travers le tissu et elle resserre les jambes pour m’attirer plus près d’elle. Je remonte mes mains le long de son corps en la regardant dans les yeux, jusqu’à son soutien-gorge, où je glisse les doigts dans son décolleté pour la chatouiller. Je vois la chair de poule envahir sa peau et j’embrasse doucement sa lèvre inférieure.

— Braden, elle murmure, le souffle court.

— Maddie, je réponds aussi dans un murmure en caressant sa joue du bout de mes lèvres.

— S’il te plaît. (Elle me caresse le dos.) S’il te plaît.

Je l’embrasse de nouveau, plus fort, et tends la main vers le paquet de capotes que j’ai glissé

tout à l’heure sous l’oreiller. J’en enfile une sans même regarder et, après lui avoir retiré sa culotte, je m’enfonce en elle. Elle s’agrippe fermement à

mon dos et bouge en rythme avec moi, la peau

étincelant de sueur.

Je glisse une main au creux de son dos et je sais que c’est à cet instant précis que je finis de tomber totalement amoureux de Maddie Stevens.

Je meurs d’envie d’arracher l’affiche multi- colore du mur. Ça me paraît… déplacé… de la voir là. Surtout qu’on devrait la retirer de toute façon.

Après tout…

Le défi est relevé.

Je suis sûre qu’il est amoureux de moi et on peut dire qu’on a bel et bien couché ensemble.

Vraiment bien. C’est fini. Je devrais être en train de rire avec les filles, de boire un coup pour fêter

ça et d’évoquer des anecdotes. Mais au lieu de ça, je me remémore chacune de ses caresses sur ma peau, chaque mot qu’il m’a murmuré, chaque fois qu’il m’a serrée si fort contre lui, sa façon de me regarder comme si j’étais la seule fille au monde.

Pour lui, c’est peut-être le cas.

Le problème… il est justement le seul garçon au monde. Et je n’ai jamais prévu ça, alors je suis foutue.

Je ne m’étais pas préparée à ce qu’il puisse être si différent de Pearce. Je ne m’étais pas préparée

à ce que tout ce que je croyais savoir sur lui et sur la façon dont il devait se comporter puisse soudain voler en éclats, et qu’il m’apparaisse soudain comme une toile vierge. Il a pris cette toile vierge et en a fait quelque chose de magni- fique, le tout sans s’en rendre compte.

Il a aussi mis fin à toutes les idées que je me faisais sur l’amour. Trois semaines. C’est tout ce qu’il m’a fallu pour tomber amoureuse de Braden

Carter. Comment j’ai pu changer aussi rap- idement ? Il n’était rien et il est devenu mon tout.

Comme Pearce pour Abbi.

À quel moment est-ce que je vais commencer à

m’oublier, comme elle l’a fait ? Comment je sais quand je suis allée trop loin ?

Est-ce que je suis déjà allée trop loin ?

Braden n’est pas Pearce.

Quel foutu minable de frère ! Je serre le poing et donne un coup dans mon oreiller plutôt que d’arracher l’affiche comme je le voulais. J’ai en- vie de la déchirer en mille morceaux et de hurler sur les filles. J’ai envie de leur hurler que c’est fini, que la partie est finie et que je l’ai perdue.

J’ai perdu, parce que le perdant tombe amoureux, et c’est ce qui est arrivé.

Comment je pourrais faire ce qu’elles m’ont dit sans me blesser en même temps ? C’est im- possible.

J’ai une semaine pour trouver une explication au fait d’être tombée amoureuse de la personne qu’il ne fallait pas.

Merde.

La porte de la chambre s’ouvre à la volée, an- nonçant le retour des filles du Starbucks.

— Alors, les nouvelles ? exige Megan en me tendant un café et un muffin.

Je me fiche d’en avoir déjà mangé un plus tôt, je suis d’humeur à me consoler par la bouffe.

Je m’installe sur mon lit.

— Pareil que la semaine dernière, je mens.

— Vraiment ? s’étonne Lila en haussant un sourcil. Vous avez toujours pas couché en- semble ?

Je secoue la tête.

— Pas de sexe. Pas loin, mais pas tout à fait.

— Intéressant, marmonne Megan en s’agenouillant à côté de moi, passant un doigt sur l’affiche. Il est amoureux de toi.

Je sirote mon café pour masquer le bond que mon cœur vient de faire. Ouais, je m’en doutais, mais l’entendre dans la bouche de sa meilleure amie, c’est encore bien différent.

— Tu crois ? je demande avec un regard vague.

— Oh oui, acquiesce Kay. Ce mec vient de passer trois semaines sans cul, Maddie. Il est complètement accro à toi, ma petite chérie.

Je souris.

— Mission à moitié accomplie, alors.

Mission accomplie.

— Manque plus que l’autre partie, dit Megan en se redressant.

— Il te reste sept jours, ajoute Lila d’une voix douce. Tu crois que tu peux y arriver ?

Je la regarde. Ses yeux sombres sont rivés sur moi et emplis d’interrogations.

— Je peux y arriver.

— Et tu n’es pas amoureuse de lui ?

— Même pas un tout petit peu.

Mensonge.

Je relève mes cheveux, les attache avec un

élastique, et ne peux retenir un bâillement en m’appuyant contre le mur à côté des grilles du campus principal. « Retrouve-moi là-bas à huit heures », il m’a dit. Bon sang, huit heures du mat- in. Je bâille de nouveau et relève les yeux en lis- sant mes cheveux.

Il est nonchalamment adossé à un arbre de l’autre côté du trottoir, ses yeux bleus et brillants rivés sur moi. Il a les mains dans les poches, les lèvres légèrement retroussées. Bon sang. Il est sublime – aucun doute là-dessus. Et il est à moi, me rappelle une petite voix dans ma tête.

Je croise les bras sur ma poitrine et lui rends son regard, mes cheveux repoussés sur une

épaule. Il fronce les sourcils et je retiens un souri- re. Lui et ses jeux idiots. D’un jeu à l’autre…

Braden se redresse et se dirige vers moi. Quand il s’approche, il baisse les yeux et écarte une mèche de cheveux de mon visage.

— Bonjour, mon ange, dit-il doucement.

— Ah oui ? Je ne vois pas de café dans ta main, je le taquine.

Il grimace et se penche pour me déposer un baiser. Je me hisse sur la pointe des pieds et me colle contre lui en lui rendant son baiser. Je sens le goût de pépites de chocolat.

— Tu es déjà passé au Starbucks, je l’accuse en plissant les yeux.

Il glousse.

— Tu m’as rendu accro.

— Où est mon café ?

— Au Starbucks, répond-il. Viens, on va s’asseoir à l’intérieur plutôt que de rester plantés là.

Je hoche la tête.

— J’arrive pas à croire que tu m’aies fait lever

à cette heure et que tu ne m’aies pas spontané- ment apporté un café.

— Hé, dis donc, toi, dit-il en passant un bras autour de ma taille pour m’attirer contre lui. Tu serais pas grognon tant que t’as pas bu ton café ?

Il sourit.

— Tu devrais le savoir, je réponds en passant un doigt sur son torse. Tu ne t’en es pas rendu compte ces deux derniers jours ?

— Hmm. (Il aspire ma lèvre du bas entre ses dents.) Et quel week-end.

Je lui donne une tape sur le bras sans enthousi- asme.

— Je veux mon café, j’insiste avec une moue.

Il m’embrasse de nouveau en me serrant contre lui.

— Allez viens, ma grognon.

Je passe un bras autour de sa taille et lui donne une pichenette dans les côtes.

— Je suis pas grognon.

— Tu es toujours grognon.

Il me dépose un baiser au sommet du crâne.

— Pfff.

Je secoue la tête et il se met à rire. Braden ouvre la porte. L’odeur du café me frappe de plein fouet et j’inspire profondément en soupirant de contentement.

— C’est bon à savoir que le café te met de bonne humeur le matin, murmure Braden.

— Si tu avais été là à mon réveil ce matin, c’est toi qui aurais pu me mettre… de bonne humeur, je murmure à mon tour en riant silencieusement pour moi-même.

Je le vois tressaillir et je me mords la lèvre, amusée.

— Est-ce que tu viens vraiment de dire ça ?

Je relève la tête et cligne deux fois des yeux.

— Eh bien, c’est pas la serveuse en tout cas.

— Un week-end de sexe et tu t’es transformée en véritable bête affamée, me murmure-t-il à

l’oreille.

— Pas vraiment, je réponds en gloussant. Je ne faisais qu’une simple déclaration.

— Peut-être demain matin ?

— Peut-être, je réponds en riant.

Pendant qu’on commande nos cafés, je ne prête aucune attention aux regards mauvais que la serveuse jette dans notre direction et je me blot- tis contre Braden. Il me serre par la taille et porte le plateau qu’elle nous tend d’une seule main.

Ignorant ses regards langoureux, il me guide vers les canapés sur lesquels on s’était installés la se- maine dernière. Il pose le plateau sur la table et on se laisse tous les deux tomber sur le canapé.

— Alors c’est le canapé, cette semaine, murmure-t-il.

Je ris, pose mes jambes en travers des siennes et la tête sur son épaule. Il me tend mon gobelet et je sirote lentement mon café.

— C’est mieux, je soupire en sentant la chaleur du liquide glisser dans ma gorge.

— Alors… commence Braden au bout d’un moment, en posant la main sur ma cuisse. Est-ce que, heu, tu as des nouvelles de ton frère ?

— Non, je réponds doucement. Rien du tout.

J’ai parlé à mon père quand on est rentrés hier soir, et il ne l’a pas vu depuis qu’il a quitté Brook- lyn pour venir ici. Je… Je crois que j’ai envie de m’en préoccuper, mais je ne sais pas si je peux.

Est-ce que ça fait de moi quelqu’un d’horrible ?

— Non, mon ange, bon sang, non. (Il pose brièvement ses lèvres sur mon front.) Il t’en a fait suffisamment voir et parfois, famille ou pas, il faut savoir quitter les gens.

— Je suis dégoûtée, parce qu’à l’époque, on

était tellement proches… Je me souviens quand j’aidais ma mère au jardin. Certes, Pearce nous gênait plus qu’autre chose, mais c’était une activ- ité rituelle, tous les ans. On allait tous à la piscine une fois par semaine, pour nager et dîner… et après ce qui s’est passé, tout ça a… disparu.

— C’est normal qu’il te manque.

— Je ne sais pas si c’est ça. Je ne sais pas si c’est lui qui me manque ou si ce sont mes souven- irs. C’est peut-être la personne qu’il était avant qui me manque. (Je fixe un point imaginaire sur le mur.) Et aujourd’hui, je ne sais plus qui il est.

C’est peut-être pour ça qu’une partie de moi a du mal à s’en préoccuper. J’imagine que j’ai perdu mon frère le même jour où j’ai perdu ma mère et la majeure partie de mon père.

Je soupire et repose mon café sur mes genoux.

Ça fait du bien de me libérer. Je sais que je dois me libérer. Après trois ans, j’ai compris que si je veux avancer dans la vie, je dois m’efforcer de laisser tout ça derrière moi. Ma mère sera tou- jours dans mon cœur, mais je sais que si mon frère y garde sa place aussi, je n’avancerai jamais.

Je ne vivrai jamais sereinement.

— Le truc avec les souvenirs, c’est qu’ils ne disparaissent jamais. Tu peux les garder et les re- vivre, et tant mieux quand c’est des bons souven- irs, dit Braden d’un air songeur. Comme ceux qu’on est en train de se créer. Alors il te suffit de remplacer les mauvais souvenirs par les nôtres.

Je souris et penche la tête en arrière pour le re- garder.

— Je vais essayer.

— Et pendant ce temps, on va s’en créer en- core plein d’autres, ajoute-t-il en souriant.

C’est un sentiment étrange d’être compris par quelqu’un.

Dans deux jours environ, cette relation est censée prendre fin.

Mais ce sera pas le cas. Je me vois pas la laisser partir maintenant.

On ne s’est presque pas quittés d’une semelle depuis notre retour de Vegas. C’est comme si, en réalisant que je suis amoureux d’elle, tout avait changé.

Elle aussi a changé. Elle rit plus. Elle sourit plus. Maddie a une petite lueur dans les yeux qui n’y était pas avant.

Elle me dépose un tendre baiser sur les lèvres et je l’attire tout contre moi. Elle couine tout bas et pose les mains sur mes épaules pour garder l’équilibre. Elle enfonce ses doigts et se colle un peu plus à moi. Elle plie les genoux et j’écarte les jambes pour qu’elle puisse les poser sur le barr- eau de mon tabouret. Je glisse mes mains sur ses hanches.

— Je peux t’aider ? je demande en m’écartant légèrement, un sourire aux lèvres. (Elle ouvre les yeux en battant des paupières, et hoche la tête en me mordillant la lèvre.) Qu’est-ce qu’il y a, mon ange ?

— Viens, on va danser.

Elle se redresse, retire mes mains de ses hanches et entrelace nos doigts.

— Je danse pas, je proteste faiblement en me traînant derrière elle.

Elle me jette un regard timide par-dessus son

épaule.

— Eh ben, maintenant, si.

— Non, vraiment.

Elle m’entraîne au milieu de la foule de corps et me lâche la main. Elle attrape la ceinture de mon jean. Ma queue tressaille. Elle m’attire contre elle d’un petit coup sec. Je sens ses seins appuyés contre moi et elle relève lentement ses yeux vers les miens. C’est une manœuvre sé- ductrice qui serait déplacée chez n’importe quelle autre fille.

Elle retrousse légèrement les lèvres.

— Vraiment, Bray. Tu danses.

Elle passe un bras autour de moi et caresse la peau sous mon tee-shirt du bout des doigts. Puis elle pose une main dans mon dos, l’autre sur mon

épaule. Elle me regarde avec un air d’expectative.

Je glisse lentement un doigt le long de son bras jusqu’à son épaule. Je laisse retomber ma main sur sa hanche. L’autre suit le même mouvement, mais au lieu de sa hanche, je lui attrape les fesses.

Je la plaque contre moi et inspire le parfum de ses cheveux. Je penche la tête pour poser mes lèvres sur son oreille.

— OK, Maddie, je danse. Mais rien que pour toi.

Elle se met à se déhancher au rythme de la mu- sique. Ses fesses oscillent d’un côté et de l’autre, tandis que je sens son souffle dans mon cou. Elle frotte son corps entier contre moi et quand ses hanches s’écrasent contre les miennes, je la main- tiens en place tout contre moi. Ma queue solide comme un roc appuie contre sa hanche et son bas- ventre. Elle retient son souffle. Elle déplace sa main dans mes cheveux et écarte les doigts.

Elle continue à bouger et frotte ses jambes contre ma cuisse. Je retire ma main de ses fesses et lui prends la cuisse pour qu’elle l’enroule au- tour de ma taille. Elle me laisse faire. Je me re- positionne pour m’appuyer au centre de son bassin et elle lâche un petit hoquet. Je l’incite à

bouger de nouveau, au rythme de la musique.

Elle s’exécute. La timide Maddie a disparu, re- mplacée par une Maddie que je ne connaissais pas. Je serre les dents en sentant ses hanches se tortiller contre moi. J’ai envie de dégager tout le monde du chemin, de la plaquer contre le mur et de la baiser sur place. Brutalement.

Je sens sa respiration s’accélérer dans mon cou et sa jambe se contracter.

— Braden, elle gémit. Non…

— Si.

Je l’embrasse dans le cou et lui attrape le cul à

pleines mains. Je frotte mes hanches contre elle, elle gémit de nouveau en enfouissant son visage dans mon cou.

— Viens mon ange, je murmure tout contre sa peau. Laisse-toi aller.

Elle m’obéit.

Je me penche en arrière pour lui prendre la bouche, et son corps tout entier se raidit. Elle fris- sonne dans mes bras et j’engloutis son petit cri en insérant ma langue dans sa bouche.

— On monte, je murmure. Direct.

Je nous fraye un chemin à travers la foule, les jambes tremblantes. J’ai envie de cette fille, une envie de fou, et bon sang, je n’entends plus rien d’autre que les battements sourds de mon propre cœur.

Je la plaque contre la porte de ma chambre et l’embrasse passionnément. Elle glisse ses mains dans mes cheveux et je cherche la poignée à

tâtons. Elle enfonce la main dans la poche de mon jean, effleure ma bite et en ressort mon trousseau.

Je lui prends la clé et m’écarte une seconde pour l’enfoncer dans la serrure. Je tourne la clé, la ressors et actionne la poignée.

Je colle avidement mes lèvres sur la bouche de

Maddie qui entre dans la chambre à reculons. Je referme la porte et elle baisse les mains. Elle me retire mon tee-shirt. J’attrape le bord de sa robe

– en la remerciant silencieusement de porter une robe – et la tire vers le haut. Elle déboutonne mon jean et se laisse tomber en arrière sur le lit. Je prends à peine le temps de me débarrasser de mes fringues.

J’ouvre le tiroir d’un geste distrait, attrape une capote, l’enfile et retire les sous-vêtements de

Maddie. Je me dresse au-dessus d’elle et elle

écarte les jambes en les enroulant instantanément autour de ma taille. Elle tend les mains pour po- sitionner mon membre en décollant les fesses du lit.

Je la pénètre d’un geste prompt et lâche un petit sifflement ; elle est encore glissante et hu- mide de l’orgasme qu’elle a eu en bas. Elle en- roule fermement ses jambes autour de moi et ses hanches me rendent coup pour coup. Elle me griffe le dos en se cambrant.

Elle se raidit et se détend simultanément tandis qu’on bouge plus vite et plus fort. La transpir- ation commence à couler de nos corps. Elle en- fonce ses ongles dans ma peau pour me maintenir contre elle et pousse des gémissements. Je serre les dents et elle crie mon nom. Je bouge plus vite.

Je grogne son nom, dressé au-dessus d’elle, com- plètement épuisé.

Je sens son cœur battre violemment dans sa poitrine, contre la mienne. Je relève la tête et l’embrasse longuement.

— Ça va ?

— Hmmm, elle répond d’une voix ensom- meillée.

Elle sourit légèrement et referme les yeux.

Je glousse en me retirant et jette la capote à la poubelle.

— Viens là.

Je tire la couverture et elle se faufile dessous.

Je grimpe sur elle et rabats la couverture au-des- sus de nous. Je la prends dans mes bras, et aucun de nous ne prête la moindre attention à la mu- sique qui résonne au rez-de-chaussée.

— Bray ?

— Quoi, mon ange ?

Je passe mes doigts dans ses cheveux.

— Je… non, rien.

Elle secoue la tête. Je soupire en lui embrassant la tempe et en la serrant plus fort.

Ouais, je pense. Moi aussi, je t’aime.

Je me réveille avec l’odeur du café et avec des cheveux qui me chatouillent le visage. J’ouvre les yeux et tombe nez à nez sur le visage souriant de

Maddie. Elle est à califourchon sur moi, habillée, l’air plus frais que jamais.

— Bonjour ! elle pépie en se penchant pour m’embrasser.

— Hmm, je marmonne en faisant glisser mes mains sur ses cuisses. On pourrait se réveiller comme ça tous les matins ? Mais avec les fringues en moins ?

Elle rit et roule sur le côté. Elle attrape un gobelet sur la table de nuit et revient le poser sur mon ventre.

— Pour toi.

— Tu m’as l’air très en forme ce matin, je dis en l’observant. Non pas que ça me dérange, hein.

Elle sourit de nouveau.

— Mon père a appelé très tôt – je crois qu’il oublie le décalage horaire, des fois – pour me par- ler de son rendez-vous chez le médecin vendredi.

Ils ont de nouveau changé son traitement. Papa n’est pas content mais ce traitement devrait l’aider à retrouver l’énergie de faire des choses, alors je suis ravie. Je pense que ça ira mieux quand il s’y sera habitué.

— C’est une super nouvelle, je dis et je me re- dresse pour lui déposer un baiser.

On n’a pas énormément parlé de son père, mais je sais qu’il compte beaucoup pour elle. Et je sais, comme avec tout le reste, qu’elle m’en dira plus quand elle sera prête.

Elle hoche gaiement la tête, ses boucles rebon- dissant autour de son visage.

— Oui ! (Elle baisse un peu le menton.) Ils ont essayé tellement de choses… mais rien ne mar- chait. Mais bon, mon père, ce n’est pas vraiment un cas de maladie mentale, plutôt de cœur brisé.

On ne peut guérir un cœur brisé qu’avec l’amour qui vous l’a brisé. Je pense qu’il sera toujours un peu triste.

— Hé. (Je me penche sur le côté pour poser le café, et me redresse sur un coude.) C’est pas grave d’être un peu triste, Maddie. Le cœur de ton père est un peu brisé pour ta mère, mais pour toi il reste entier.

Elle s’illumine tout à coup et se penche pour me caresser la joue.

— Merci, elle murmure en effleurant mes lèvres. Comment tu fais pour toujours me re- monter le moral ?

Je me laisse retomber sur le matelas et l’attrape par la taille pour l’attirer au-dessus de moi. Elle repousse ses cheveux sur le côté, les laissant pen- dre comme un rideau de feu.

— C’est parce que je préfère te voir heureuse.

Elle passe les bras autour de mon cou avec un sourire timide.

— Peut-être que j’aime être heureuse.

— Tant mieux.

Je l’embrasse en traçant le contour de ses lèvres avec ma langue.

— Hé, elle murmure en s’écartant. J’ai des exos à faire.

— Des exos physiques ? je dis avec un sourire carnassier.

Elle se retient de rire.

— Non. Des devoirs, Braden. Tu te souviens ?

— Non.

— Tu devrais peut-être essayer.

— Alors que je pourrais faire des travaux pratiques sur ton corps à la place ? Non merci.

Elle éclate de rire et me repousse en arrière, avant de fondre sur moi pour m’embrasser une dernière fois.

— Lève ton cul de fainéant.

Elle saute du lit et saisit son sac sur mon bur- eau.

Je m’extirpe des draps et me précipite vers elle.

— Braden ! T’es encore à poil !

Je souris et l’attrape pour l’embrasser. Je lui mordille la lèvre et elle frissonne en reculant.

— Amuse-toi bien, mon ange, je lui dis en lui lançant un clin d’œil, puis je retourne au lit en ra- battant le drap sur moi.

Elle me fait une petite grimace par-dessus son

épaule et ouvre la porte.

— Essaye de faire quelque chose de productif aujourd’hui.

— Promis.

Elle referme la porte et j’attrape mon café.

Rester au lit en pensant à elle, c’est considéré

comme quelque chose de productif…

Non ?

Je me laisse légèrement aller contre le lit. Pour la première fois depuis des mois, j’ai effective- ment la sensation que je peux me laisser aller.

Pearce a quitté la Californie – pas besoin d’être télépathe, il n’a aucune raison de rester. Je lui ai clairement fait comprendre qu’il ne fallait plus compter sur mon aide, maintenant. J’ai ma propre vie à mener, ma propre voie à tracer. Je ne peux plus être l’adulte pour nous deux désormais.

Et à en juger par la dissertation toujours dépour- vue de la moindre ligne devant moi, j’ai encore du chemin à faire pour devenir adulte. Mais la vie, c’est comme une dissert : il faut juste trouver les bons mots à associer.

Quelqu’un frappe doucement à la porte. Je fronce les sourcils et jette un regard à Megan.

Elle hausse une épaule avant de se concentrer de nouveau sur son travail. Je pousse mes livres et me lève du lit en me demandant qui ça peut bi- en être. Lila serait entrée directement et Kay… eh bien, on ne sait pas où elle est, rien de surprenant là-dedans.

J’ouvre la porte et tombe nez à nez avec le regard bleu étincelant de Braden. Merde merde merde !

— Qu’est-ce que tu fais là ? je demande d’une voix sifflante en tirant au maximum la porte der- rière moi.

— Je suis venu voir ma nana, répond-il en m’embrassant.

— Braden, c’est la résidence des filles ! Tu vas passer un sale quart d’heure si Kay découvre que tu es venu ici.

— Tu pourrais au moins faire semblant d’être contente de me voir.

— Je suis un peu surprise.

Et paniquée. Paniquée, oui. Oui. Oh, putain.

— Je peux entrer ? (Il frappe à la porte et des bruits de ressorts parviennent de l’intérieur.)

C’est qui, si Kay est pas là ?

— Megan, je réponds d’une voix trop aiguë.

On bosse.

Il fronce les sourcils.

— Ça va, mon ange ? Tu as l’air un peu…

nerveuse.

— J’ai juste peur que tu te fasses choper.

Ou moi.

— Alors laisse-moi entrer. Elle le saura pas.

— On peut aussi sortir.

Braden fronce les sourcils et me contourne.

Avant que je puisse dire un mot, il ouvre la porte.

Megan est en train de froisser une grande feuille de papier. Avec un coin de papier encore accroché au mur, ce sont les seuls signes trahis- sant qu’il y avait quelque chose ici.

— Qu’est-ce que tu fais ? demande Braden avec un soupçon d’amusement en regardant

Megan.

— Rien. (Elle sourit nerveusement.) Je fais que, heu, ramasser quelques saletés. Maddie en laisse traîner partout dans sa chambre.

Je suis le regard de Braden, qui parcourt la pièce. Elle est impeccable.

— Cette chambre est plus propre qu’une chambre d’hôpital, Meggy, dit-il avant de se tourner vers moi. Est-ce que tout va bien ?

Je hoche la tête.

— Super. Meg, pourquoi tu ne mettrais pas les saletés à la poubelle ?

Elle rayonne.

— Bonne idée, Maddie. Bonne idée.

Elle jette la boulette à travers la chambre, qui va atterrir dans la poubelle.

— Vous êtes bizarres, toutes les deux. Vous

êtes sûres que c’était à jeter ?

Braden nous regarde tour à tour.

— Affirmatif, je réponds en hochant de nou- veau la tête.

Mais ça n’efface pas son air méfiant. Megan remue, mal à l’aise.

— Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que vous me cachez quelque chose ? demande

Braden. Surtout toi, Meggy.

— Je sais pas, couine-t-elle.

— Viens, on sort, je lance en lui tapotant le bras et en enfilant des chaussures.

— Toi aussi t’es bizarre. Qu’est-ce que c’était ? Vraiment ?

— Rien !

Je le tire par le bras.

Braden s’écarte et traverse la chambre vers la poubelle. Je regarde Megan, paniquée. Elle me renvoie le même regard épouvanté, bouche bée.

Je la dévisage, incapable de tourner les yeux vers Braden quand j’entends le bruit du papier qu’on défroisse.

Mon estomac se noue. Un troupeau d’éléphants tout entier fait des sauts périlleux là- dedans. Je vais être malade.

— L’Opération Piéger le Joueur ? (Il regarde d’abord Megan, puis moi.) Éclairez-moi, les filles. C’était quoi le but, au juste ? Je crois que j’ai une petite idée.

Respire, Maddie, respire.

— Allez ! répète-t-il plus fort. Qu’est-ce que vous cachez si désespérément ?

— Te faire tomber amoureux, répond douce- ment Megan en tournant finalement les yeux vers lui.

— De Maddie ?

— De Maddie, confirme-t-elle en baissant les yeux.

— Tout ce temps ? C’était ça ? Un jeu ?

— Oui, murmure-t-elle.

Un silence tendu s’installe dans la pièce et je n’ai toujours pas relâché mon souffle. Je croise enfin son regard. Je…

— Félicitations, t’as gagné, dit-il en me re- gardant, le regard rempli d’une douleur brute, le visage totalement dénué d’expression. Considère que c’est un succès, Maddie. T’as eu ce que tu voulais.

Il passe à côté de moi et je laisse enfin échap- per le souffle que je retenais. Ce geste simple me ramène à la réalité, et je prends conscience de ce qui vient de se passer.

Il sait. Il s’en va.

Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas un jeu. C’est réel. Plus réel que tout ce que j’ai connu jusque- là.

— Braden ! je hurle en dévalant les escaliers derrière lui. Braden !

Je pousse les lourdes portes de la résidence et je le vois en train de marcher en direction de la fraternité, la tête baissée.

— Braden ! je hurle une dernière fois d’une voix désespérée.

Il s’arrête, me jette un regard par-dessus son

épaule et secoue la tête. Il reprend sa marche et disparaît au coin de son bâtiment.

Je m’effondre contre le mur et plaque ma main sur ma bouche. Les larmes me brûlent les yeux et je secoue la tête de la même façon qu’il vient de le faire. Un poids m’envahit la poitrine, s’ajoutant aux éléphants qui faisaient des sauts périlleux tout à l’heure. Mon estomac se noue et je sais… je sais que ce qu’on avait tous les deux a disparu. Envolé.

Parce que je n’ai pas retiré cette stupide affiche il y a six jours, comme j’aurais dû le faire.

Je sens quelque chose éclater en moi quand je m’éloigne d’elle. Je sais pas ce que c’est, et j’ai pas les idées assez claires pour seulement m’en souci- er. Je sais juste que c’était une grosse partie de moi

– une grosse partie de moi qui ne vivait que pour elle.

— Putain ! (Je balance un coup de poing dans le mur de la résidence avant d’y poser mon front.)

Putain, je répète moins fort en m’écartant pour en- trer en trombe dans le bâtiment.

J’ouvre brusquement la porte qui claque contre le mur et résonne dans le couloir. Je vois rouge. La colère, c’est tout ce que je m’autorise à ressentir.

Mais je suis en colère contre qui ? Contre elle ?

Contre moi ? En colère parce que j’ai succombé ?

En colère parce qu’elle m’a piégé comme j’aurais dû le faire ?

— C’est quoi ce bordel ? (Aston apparaît au sommet des escaliers.) Braden ?

Je lève les yeux vers lui, le souffle court à force d’essayer de contrôler les émotions qui bouil- lonnent dans ma poitrine. J’agrippe la rampe d’une main tremblante et monte les marches deux par deux. Je heurte l’épaule d’Aston en passant.

— Hé, mec ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Il écarte les bras et me suit dans la deuxième volée de marches. J’arrive devant ma chambre, ouvre la porte d’un coup et la lui referme au vis- age. Je n’ai envie de voir personne… et surtout pas lui.

— Braden !

— Dégage, Aston ! je réponds en sifflant entre mes dents serrées.

Je serre les poings et laisse ma tête tomber en arrière pour regarder le plafond.

— Qu’est-ce qui t’arrive ?

Ce qui m’arrive ? Elle est arrivée.

— Ce qui m’arrive, c’est ce… putain de défi.

(Je me tourne vers lui et il tressaille légèrement en percevant la haine dans ma voix.) Elle, voilà

ce qui m’arrive. Toutes ces conneries pour la faire tomber amoureuse de moi. Des putains de conneries ! Parce que devine quoi ? En essayant de la piéger, c’est moi qui me suis bien fait avoir.

Elle m’a baisé, dans tous les sens, parce que tout

ça, c’était qu’un foutu mensonge. Maintenant c’est fini. C’est mort, t’entends !

J’attrape la lampe sur mon bureau et la balance contre le mur. Le pied en porcelaine explose en mille morceaux dans la chambre.

Aston s’approche prudemment, les mains ten- dues devant lui.

— Calme-toi, mec !

— Tu sais quoi, Aston ? Vas-y, tombe amoureux de quelqu’un qui te brise le cœur, et re- viens me dire de me calmer, putain ! Dégage de ma chambre. Tout de suite !

Il hoche la tête une fois et recule. J’entends ma porte se refermer avec un cliquetis. Je suis seul.

Moi, mes quatre murs et une lampe fracassée.

Un jeu. Est-ce que c’était le même jeu pour elle que c’était pour moi ? Non. Parce que ce n’était plus un jeu pour moi, plus à la fin. C’était réel, peut-être même depuis le début. Mais pas pour elle. Non. C’était un putain de jeu pour tout son putain de petit groupe ! Et Meggy…

Ma meilleure amie. Ma putain de meilleure amie. Elle savait tout. Double trahison.

Je suis allongé sur mon lit, les mains jointes derrière ma nuque. J’ai les chevilles croisées et je fixe le plafond d’un air hébété. Deux petites heures de sommeil ont réussi à atténuer légère- ment ma haine d’hier, et je lutte de nouveau contre la douleur cuisante provoquée par la perte de Maddie. On est samedi, et je devrais être en train de la retrouver pour boire un café.

Et bien sûr, ça risque pas d’arriver aujourd’hui.

Ma porte s’ouvre en grinçant. Je tourne rap- idement les yeux, une partie de moi espérant bêtement que ce soit Maddie. Pourquoi ? Pour une explication ?

Je pose de nouveau les yeux sur le plafond avec indifférence en voyant entrer Megan. Je n’ai plus envie de la voir, pas plus que j’ai envie de voir qui que ce soit, là tout de suite.

— Je suis désolée, elle murmure.

— Désolée pour quoi, Megan ? T’as eu ce que tu voulais.

— Je suis désolée parce que jusqu’à hier soir, je pensais que pour toi, Maddie, c’était encore que pour le cul. Mais j’avais tort, hein ? Elle est bien plus que ça.

Je roule la tête sur le côté pour la regarder dans les yeux.

— Regarde-moi, Megan. Est-ce que j’ai l’air de vouloir parler de Maddie, de toi ou n’importe quelle autre connerie, là ? (Elle secoue la tête.)

Alors tu sais où est la porte.

— Bray…

— Je te donne un indice. Tu l’ouvres et tu sors.

Salut, Megan.

Elle soupire tristement et tourne les talons. Elle s’arrête, la main sur la poignée.

— Elle aussi a beaucoup de peine, Bray. Au début c’était un jeu, mais pas besoin d’être un génie pour voir que ça n’en est plus un pour Mad- die. Plus maintenant. Elle était anéantie hier soir et je ne l’ai pas encore vue aujourd’hui. (Elle s’exprime d’une voix douce.) J’ai lu des centaines de livres et regardé tous les films ro- mantiques du monde, mais rien ne m’a jamais paru aussi réel que ce que vous aviez, tous les deux. C’est même pas comparable.

Elle sort et laisse la porte se refermer lente- ment. Je garde les yeux rivés dessus en dessinant du regard le motif du bois.

Au bout d’un moment, je retourne mon atten- tion sur la toile blanche du plafond, pour lutter encore une fois contre cette douleur cuisante.

Je ne l’ai pas vu depuis cinq jours. Je ne suis pas allée en cours d’anglais parce que je ne suis pas prête à le revoir. La douleur sans lui me suffit déjà bien. Cette solitude extrême. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point il avait dissipé mon chagrin jusqu’à… jusqu’à ce qu’il ne soit plus là

pour le dissiper.

Et je pense que je serais incapable de le voir maintenant. C’est déjà assez dur dans les autres cours – les regards mesquins et triomphants des autres filles, les coups d’œil entendus des gars –

tout ça parce que je ne suis plus avec lui. Tout ça parce que ça s’est terminé exactement comme tout le monde le prévoyait.

Je n’aurais jamais cru que ce serait si douloureux.

Mais Braden avait raison. J’ai eu ce que je voulais – ce que j’avais voulu au départ. Mais maintenant, ce que je voudrais plus que tout, c’est qu’il me serre dans ses bras et qu’il m’embrasse au coin des yeux comme il le faisait souvent quand j’avais pas le moral. Mais tout ça n’existe plus.

Je serre mes livres plus fort contre ma poitrine et baisse la tête en me cachant sous mes cheveux.

J’ai déjà connu la peine auparavant. J’ai connu le deuil et le chagrin. Je peux repasser par là. C’est une douleur différente, certes, mais je survivrai.

Il le faut. La mort de ma mère et la perte de ma meilleure amie ne sont pas venues à bout de moi, et ce n’est pas lui qui y arrivera.

Parce que j’ai survécu à la mort et au chagrin.

C’est pour ça que je sais que je survivrai toujours.

Rien ne peut vous briser si vous ne le voulez pas.

Une main m’attrape pour m’attirer hors de la foule. Je relève les yeux. Kyle. Dès qu’on se retrouve dehors, il passe un bras autour de mes

épaules et m’attire près de lui.

— Sois pas si triste, dit-il doucement. Une fille comme toi n’a pas besoin d’un mec pour être heureuse.

— Je sais ça, Kyle. (Je cale mes cheveux der- rière mon oreille et pose la tête sur son épaule.)

Mais ce n’est pas parce que je n’ai pas besoin de lui que je n’ai plus envie d’être avec lui.

Il se crispe légèrement mais hoche tout de même la tête.

— Il a dit que tout ça, c’était qu’un jeu. C’est vrai ?

Je soupire et m’écarte de lui pour me diriger vers la table de pique-nique située sous un gros arbre. Je me glisse sur le banc et laisse tomber mes livres sur la table. Kyle s’assied en face de moi.

— Au début, c’était un jeu, je réponds hon- nêtement. Kay, Megan et Lila m’ont mise au défi de le prendre au piège – tu sais, de coucher avec lui et de le larguer. (Kyle sourit sèchement et je hausse une épaule.) J’ai accepté. Qu’est-ce que je pouvais faire ? Il me faisait trop penser à… mon frère… pour que j’imagine avoir des sentiments pour lui. Mais c’est arrivé.

— Parce que c’est pas le glandeur que tu pen- sais ? demande Kyle avec un regard interrog- ateur, et je ricane.

— C’est un glandeur, d’accord. Il est égoïste, arrogant et suffisant. (Je dessine des cercles du bout du doigt sur la table.) Mais il est aussi pa- tient, doux et attentionné. Il m’écoutait quand j’avais besoin de parler. Il était présent. Il es- suyait mes larmes et me serrait dans ses bras quand j’en avais besoin. Il me faisait rire et m’aidait à oublier. Et avant que je m’en rende compte, j’étais passée de la haine à l’amour. Et je ne sais pas comment me relever.

On garde tous les deux le silence quelques minutes, le temps qu’il assimile ce que je viens de lui dire.

— Mais j’y arriverai. (Je m’essuie les yeux et souris faiblement.) J’ai déjà connu pire, et je me suis relevée chaque fois. Je ne resterai pas au fond du gouffre très longtemps.

Kyle m’adresse un sourire rassurant et désigne le bâtiment d’un geste du menton.

— Je vois Kay qui se ramène, alors je vais te laisser.

— Merci de m’avoir écoutée, Kyle.

Je lui serre la main pendant qu’il se lève.

Il me répond et tourne les talons en hésitant.

— Y aura jamais que lui, hein, Maddie ? Peu importe à quel point tu te relèveras… ce sera tou- jours lui.

Ses paroles me causent un choc, jusqu’à ce qu’elles prennent tout leur sens.

Braden était – il est – le premier dont je suis tombée amoureuse. C’est le seul mec à qui je me sois donnée – pas sexuellement, mais émotion- nellement. Il savait tout de moi et, à l’entendre, il était quand même amoureux de moi. Rien que pour ça, il aura toujours une place dans mon cœur. Peut-être que je ne cesserai jamais vraiment de l’aimer.

J’opine lentement de la tête. Kyle me sourit et fait signe à Kay en me lançant un clin d’œil par- dessus son épaule.

— Est-ce que tu viens de redire non à ce beau petit cul ? Parce que je te le dis tout net, petite fille, si tu te sers pas, moi si.

Kay prend la place de Kyle et dépose un café

et un muffin devant moi. Quelque chose se tord en moi, et je me force à les accepter.

— Je lui ai dit non. Pour la dernière fois, je pense. (Je jette un regard par-dessus son épaule à

sa silhouette qui s’éloigne.) C’est seulement que c’est pas celui qu’il me faut.

— Mais Carter, si, ajoute-t-elle nonchalam- ment.

Je cligne des yeux.

— Je ne crois pas.

— Oh, moi si. (Elle me transperce du regard.)

Tu te morfonds depuis qu’il a décampé de notre résidence comme s’il avait le feu au cul – et crois- moi, je suis furax qu’il ait vu mon soutif rose à

fanfreluches. Mais qu’est-ce que j’y peux ? Bref.

(Elle se recentre.) Pas besoin d’être ce foutu Ein- stein pour voir que t’es amoureuse de lui. Pour

être honnête, je comprends pas trop, mais tu l’aimes, petite fille. Maintenant, la question, c’est : qu’est-ce que tu vas faire ?

Je souris.

— Rien, je réponds en picorant mon muffin.

Parce que rien ne pourra réparer ce que j’ai fait.

— Mais l’amour ça ne marche pas comme ça.

Je suis pas Cupidon, c’est clair, mais tous les deux, on dirait le beurre de cacahuète et la couche de confiture dans un sandwich. Vous êtes un peu nazes tout seul, mais ensemble, ça fonctionne très bien.

Je laisse échapper un petit rire.

— Eh ben, merci, enfin je crois.

Elle me fait un clin d’œil et agite la main.

— Je t’en prie. Bon, je te repose la question :

qu’est-ce que tu vas faire ?

Je soupire en faisant tourner mon gobelet de café.

— Rien, je répète. Tu vois pas, Kay ? Ça a commencé comme un jeu. C’était pas censé durer pour toujours parce qu’il faut bien un vainqueur.

Amour ou pas, on était voués au désastre depuis le début. Il devait toujours rester le meurtrier au

Cluedo, et moi celle qui gagne le plus d’argent au

Monopoly. Braden, c’était celui qui devait avoir le plus de cartes à la fin d’une partie de Pouilleux, et moi je devais le battre au Jenga. Tout le monde n’a pas d’autre « moitié », Kay, et qu’il soit la mienne ou pas, ça ne veut pas dire qu’on doit être en couple. J’ai fait ça parce que vous me l’avez demandé, avec les filles. Je ne voulais pas – non, je ne voulais pas tomber amoureuse. J’allais for- cément devoir gérer les conséquences de ce jeu et c’est pile ce qui est arrivé.

— Alors ça te dérange pas si on va à la soirée de la fraternité demain soir ?

J’ai le souffle coupé et mon corps entier se fige pendant une seconde.

— Non, je finis par mentir. Non, pas du tout.

C’est une torture d’être là – surtout avant même que la soirée ait commencé. On dirait qu’il y a des souvenirs de nous deux dans tous les coins, et même si je sais que tout ça est ma faute,

ça n’apaise en rien la douleur lancinante que j’éprouve chaque fois que je pense à lui.

— Ryan, qu’est-ce que tu veux dire ? j’entends

Lila demander quand je traverse la première salle.

— Je… et merde. T’étais pas censée le dé- couvrir, bébé.

— Évidemment.

— C’est pas pire que ce que vous avez fait, vous !

— Oh, vraiment ? Je trouve que si. Notre ob- jectif, c’était que Braden arrête de coucher avec tout ce qui bouge. Votre plan, c’était de la faire tomber amoureuse de lui juste pour qu’il puisse coucher avec elle. C’est monstrueux, Ryan !

Je lâche un petit hoquet de surprise. Je plaque vivement ma main sur ma bouche pour l’étouffer, mais Lila tourne la tête vers moi.

— Maddie ? Oh merde, murmure-t-elle, les yeux emplis de regrets. Je suis désolée.

Je me mets à trembler. Je sens la colère m’envahir, prête à exploser, combinée avec la douleur sourde de la trahison et de la peine que je lui ai causée.

La peine qu’il a dû simuler.

— Putain ! s’exclame Ryan en me regardant.

Je fais volte-face et me dirige en trombe vers la cuisine. Il est au bar, en train de boire une bière et de discuter avec les gars. J’ai la vue brouillée, l’esprit embrouillé. Tout ce que je vois, tout ce à

quoi je pense, c’est lui.

Je l’attrape par le bras et le tire de son tabouret.

— Maddie ? Qu’est-ce que tu fous ?

Je regarde droit dans les yeux bleus dont je suis tombée amoureuse, et la colère monte encore. Je lui donne un coup dans la poitrine pour le re- pousser.

— Toi !

— Quoi ?

Il me regarde, regarde derrière moi, et je m’approche de lui. Il recule et je continue d’avancer jusqu’à ce qu’il se retrouve dos au mur.

— Félicitations, t’as gagné, je dis en l’imitant.

Tu te souviens de cette réplique, Braden ? Tu te souviens comme tu t’es foutu de ma gueule ? Tu te souviens de tous les putains de mensonges que tu m’as sortis pendant quatre semaines ?

Il pâlit légèrement et ses yeux se mettent à

briller quand il comprend.

— Merde.

— Tu peux le dire, ouais. (Je tremble.

Méchamment. Je ne peux pas m’arrêter, parce que si j’arrête de trembler, la colère disparaît, et si la colère disparaît, elle sera remplacée par les larmes.) Tu peux le dire, parce que tu m’as piégée depuis le début, hein ? Un petit coup rap- ide. C’était ça, c’est tout, hein ? Alors, ça t’a plu ?

— Maddie, dit-il d’une voix calme, une lueur de tristesse dans les yeux. C’est pas comme ça…

— Tu mens. Me mens pas, putain, Braden !

J’en ai assez entendu récemment, tu crois pas ?

— Mon ange…

— Je suis pas ton ange. Je suis rien d’autre que la dernière fille à être passée dans ton lit. (Je secoue la tête et recule. Je croise de nouveau son regard.) Tout ça, c’était qu’un foutu mensonge !

J’imagine que tu t’es moqué de moi comme je me suis moquée de toi, hein ? Parce que devine quoi :

tu as eu ce que tu voulais. T’as gagné. (Je rec- ule lentement, des larmes me brûlant les yeux.)

J’imagine qu’on a gagné tous les deux.

Je tourne les talons et m’enfuis en courant, me frayant un chemin dans la foule devant la maison.

Je dois m’en aller d’ici. De cette résidence, de ce campus, et de cet État.

Je regagne ma chambre d’un pas furieux. Je claque la porte derrière moi et attrape mon télé- phone pour faire une petite recherche sur Google.

Satisfaite, je tire ma valise de sous mon lit. J’y fourre des affaires en vrac. J’ai besoin de partir.

Une sonnerie.

Je ramasse mon téléphone à contrecœur et re- garde l’écran. Kyle.

— Quoi ? je demande en m’essuyant les yeux.

— Est-ce que ça va ?

— À ton avis ?

— Je suis désolé, Mad. Si j’avais su…

— Alors tu serais bien trop intelligent pour

Berkeley, je réplique. Tu veux quelque chose,

Kyle ? Je dois aller quelque part.

— Où ça ?

— Peu importe.

— Tu as besoin que je te dépose quelque part, où que ce soit ?

— Je peux prendre un taxi.

— Non. Je passe te prendre. Je serai en bas de ta résidence dans cinq minutes.

— Merci, je murmure avant de raccrocher.

Le fond d’écran, une photo de Braden et moi qui sourions à l’objectif, semble me narguer. Je ne l’avais mis là que pour donner le change, mais ensuite, j’avais été incapable de le remplacer.

Et je ne peux toujours pas. Je le regarde longuement, l’air hébété, en me souvenant que cette photo précise avait été prise juste après la visite de Pearce. Mon sourire n’était pas feint.

Je ne crois pas qu’aucun de mes sourires ait été

feint.

Un klaxon retentit et j’attrape la poignée de ma valise en jetant un dernier regard circulaire à la chambre. Je sors, referme la porte derrière moi et descends ma valise au rez-de-chaussée où Kyle m’attend. Il me la prend des mains, la hisse dans le coffre de sa voiture. Je monte en silence.

— On va où ?

Il me jette un bref coup d’œil.

— Tu me promets de ne rien dire ? Même pas après m’avoir déposée ? Si quelqu’un te de- mande, tu diras que tu ne sais pas.

— Maddie…

— Kyle, s’il te plaît. J’ai besoin de partir d’ici.

— D’accord, marmonne-t-il.

— Promets-le !

— Je te le promets. Alors, où ça ?

— À l’aéroport.

Je tourne les yeux vers la vitre et je l’entends prendre une brusque inspiration.

— À l’aéroport ?

— Je pars une semaine. Je dirai que je suis malade.

— Tu vas où ?

— Voir mon père. Je rentre chez moi. À

Brooklyn.

Merde.

Je garde les yeux rivés sur l’endroit où elle était.

Il reste plus qu’un gros trou béant. Voilà ce qu’elle laisse.

Elle débarque dans ta vie dans une explosion de couleurs, comblant un vide dont tu n’avais même pas conscience. Et quand elle s’en va, elle emporte tout avec elle, ne laissant qu’un monde en noir et blanc.

Je m’écarte du mur. Je suis bien décidé à la retrouver pour lui expliquer. Je sens deux mains m’attraper par les bras.

— Braden, laisse-la, mec. (Aston me tire en ar- rière.) Laisse-la se calmer.

Se calmer ?

— Non, putain non.

— Bray. (Megan apparaît devant moi et j’essaie de me concentrer sur elle.) Il a raison.

Elle a besoin de se calmer.

— Non, je proteste. Elle a besoin de connaître la vérité, Meggy !

— Et elle la connaîtra. (Elle prend mon visage entre ses mains et me force à la regarder. À me recentrer.) Elle la saura quand elle sera calmée.

Elle est blessée, Bray. Laisse-la se remettre.

Elle est blessée. À cause de moi.

Quel connard.

Je me débarrasse de Ryan et Aston et me dirige vers l’arrière de la résidence. Je claque violem- ment la porte. Je vais sur le côté de la maison et pose le front contre le mur. J’ai l’impression d’être le plus grand salaud de la planète.

J’entends une voiture démarrer. Je relève les yeux et vois la voiture de Kyle passer.

Je hurle en donnant un coup de poing dans le mur.

Le sang se met à couler de mes articulations déjà meurtries, mais je m’en fiche. J’en ai plus ri- en à battre de rien sauf de la fille qui vient de me quitter.

Parce qu’au-delà de tout, des baisers et des ri- res, des jeux et des plaisanteries, je n’ai jamais pris la peine de lui dire combien elle était réelle pour moi.

Toutes les fois où je l’ai serrée contre moi quand elle faisait des cauchemars, toutes les fois où j’ai essuyé ses larmes et placé un sourire sur son visage – ce sont les moments qui ont tout rendu aussi réel. Voir cette étincelle dans ses yeux quand je la faisais rire, la douleur dans ces mêmes yeux quand elle repensait à son passé –

c’est tout ça qui la rendait réelle.

Mais tout ça n’a plus d’importance maintenant.

Elle a tout emporté avec elle en quittant la résid- ence il y a dix, quinze minutes. Je sais même pas.

Je sais même pas depuis combien de temps je suis là, dehors. Mais je suis seul.

Je peux m’en aller.

Je…

— N’y pense même pas.

Quand je me retourne, je tombe nez à nez avec

Ryan.

Je crache en secouant mon poing, mon cerveau enregistrant enfin la douleur dans mes doigts en- sanglantés.

— À l’intérieur. De la glace là-dessus et une bonne bière, ordonne Ryan en m’attrapant par le bras pour me ramener vers la résidence.

— Je peux marcher tout seul, Ryan, je fais en retirant brusquement mon bras. J’ai mal aux doigts, j’ai pas le pied cassé.

— Vraiment ? il fait d’une voix traînante.

Parce que tu m’as l’air bien cassé.

Il pousse la porte et traverse la pièce jusqu’au frigo. Il sort un sachet de glaçons et me le tend. Je le pose sur mes doigts en tressaillant sous l’effet du froid. Ryan attrape deux bières et désigne la porte d’un geste du menton, pour me proposer de monter. Ça vaut mieux que de rester là.

Je me fraye un chemin à travers la foule, quand j’entends mon nom.

Une voix que j’ai jamais entendue déclare :

— Au moins, quelqu’un lui a fait ce qu’il a fait

à la moitié des filles de première année.

Je vois rouge. J’ai atteint mes limites pour au- jourd’hui. Je pivote sur moi-même. Ryan me re- tient et, à travers le voile de colère qui recouvre mes yeux, je vois Aston écraser son poing en plein milieu du visage de celui qui vient de parler.

Il lui explose le nez et le type recule en chancelant.

— Ferme ta gueule, gronde Aston. Quelqu’un d’autre a quelque chose à dire ?

Silence.

— C’est bien ce que je pensais. (Il secoue sa main et regarde le type qu’il vient de frapper avec un air de dégoût.) Bordel, t’as un nez en granit ou quoi ?

Ryan ricane et me pousse vers la porte.

— Bouge. Ici, c’est vraiment le dernier endroit où un mec sous tension comme toi doit rester.

La maison est telle que lorsque je l’ai laissée et un petit frisson remonte le long de ma colonne quand je descends du taxi. Je fais signe au conduc- teur qui s’éloigne et regarde attentivement la mais- on.

Construite juste à la périphérie de la ville, cette maison à un étage a été la mienne toute ma vie. J’ai joué dans le jardin à la pelouse aujourd’hui jaunie, j’ai planté les fleurs aujourd’hui flétries et, avec

Pearce, j’ai aidé papa à peindre la petite clôture qui l’entoure.

Une clôture blanche. C’est cliché, mais c’était ce que voulait maman – et c’est ce que maman a obtenu. C’était le parfait foyer familial. Jusqu’à

sa mort.

Aujourd’hui, la maison n’est plus qu’une coquille. Il n’y a plus d’éclat de rire à la table du petit-déjeuner, plus de bataille d’eau au moment d’arroser les fleurs, et plus de Candy, le cocker de maman, pour vous accueillir à la porte. Candy n’a pas fait long feu après maman.

J’ouvre la grille et me dirige vers la porte d’entrée en tirant ma valise derrière moi dans l’obscurité. Je frappe une fois à la porte et j’entre, repérant la douce lumière qui provient du salon.

— Papa ?

— Maddie ?

Je referme la porte, pose ma valise contre le mur et retire mon manteau. Je pénètre dans le salon couleur pêche, le refuge de maman, et je trouve papa assis dans son fauteuil, dans le coin.

Ses cheveux ont un peu grisonné, ses joues se sont creusées et son regard est plus terne que lor- sque je l’ai quitté – mais il est encore vivant. Tout juste.

Il tient à peine le coup, survivant un jour après l’autre sans la personne avec laquelle il pensait finir sa vie.

Je lui dépose un baiser sur la joue et lui prends la main.

— Comment ça va ?

— Mieux maintenant que je te vois, Maddie.

(Il sourit. Une petite lueur dans ses yeux me dit que c’est la vérité.) Mais qu’est-ce que tu fais ici ?

— Tu me manquais, bien sûr.

— Tu n’as pas encore de vacances.

Je hausse une épaule en baissant les yeux.

— Je voulais juste voir mon papa.

Il me tapote tendrement le dos de la main.

— Bon, d’accord, ma chérie. Pourquoi tu n’irais pas faire chauffer la bouilloire ?

— OK.

Je me dirige vers la cuisine blanche et rouge. Il y a un peu de vaisselle dans l’évier, oh, juste celle de la journée, et je laisse échapper le souffle que je retenais sans m’en rendre compte. Il se nourrit.

— Tu as besoin de prendre tes médicaments bientôt ?

Je fouille dans les placards pour sortir ma tasse

Porcinet, et rince rapidement celle de papa.

— Oui, s’il te plaît, répond-il.

Je prépare deux infusions ; je me fiche de ses protestations, il ne boira pas de café à deux heures du matin. Je les emporte au salon et tends ses comprimés à papa. Il les prend sans protester.

— Je ne m’attendais pas à ce que tu sois de- bout, je dis en regardant par la fenêtre.

— Tout comme je ne m’attendais pas à voir ma fille débarquer au milieu de la nuit.

Je le regarde et il hausse un sourcil. Je hoche légèrement la tête.

— D’accord, mon vieux. T’as gagné.

— Je ne dors pas parce que le nouveau traite- ment a quelques effets secondaires, comme l’insomnie par exemple, mais toi ? (Il secoue la tête.) J’ai du mal à croire que je puisse manquer autant à ma fille pour qu’elle débarque sur le lieu de ses cauchemars à deux heures du matin.

Je souris tristement, les yeux toujours rivés sur la fenêtre.

— Alors, qu’est-ce qui t’amène, Maddie ? Ton vieux père n’est pas stupide.

— Tu sais quoi, papa ? Je suis vraiment fa- tiguée. (Je termine mon thé, me lève et m’étire.)

Je crois que je vais monter me coucher. Essaie de dormir un peu, d’accord ? Bonne nuit.

Je l’embrasse sur le front et quitte la pièce. Je monte péniblement ma valise à l’étage et ouvre la porte de ma chambre. La pièce rose et blanche est intacte. Je referme la porte et, après avoir enfilé le pyjama que j’avais laissé là, je plonge dans mes draps à l’odeur de rose.

Il se sert toujours de l’adoucissant préféré de maman.

Mon téléphone vibre sur ma table de nuit. Je l’attrape. Le nom de Megan apparaît sur l’écran.

T où ? Tt le monde te cherche. Bray est devenu fou.

Je me mords la lèvre.

Je suis à Brooklyn. J’ai pris le premier vol.

Besoin de m’en aller. Désolée. T’inquiète pas. Xo

J’éteins mon téléphone et remonte la couver- ture jusqu’au menton.

Pourquoi Bray est-il devenu fou ? Il est douloureusement évident que tout ce qui l’intéresse, c’est le sexe.

Je choisis d’enfermer toutes ces pensées dans une boîte et je ferme les yeux. Une larme, une seule, coule sur ma joue et tombe sur mon or- eiller.

Je me réveille dans une maison silencieuse.

Enfin, presque silencieuse. J’ouvre la porte de ma chambre et perçois le léger ronflement qui provi- ent de la chambre de papa – rien de surprenant là- dedans.

J’enfile ma vieille robe de chambre et descends en silence les vieilles marches en bois. Chose surprenante, elles n’ont jamais craqué. Maman m’avait dit une fois que des fées étaient venues nous faire une faveur et avaient ensorcelé les marches pour les rendre silencieuses. Apparem- ment, elle avait laissé un gâteau au chocolat au fond du jardin pour les remercier.

J’avais sept ans et je l’ai crue. Et pendant les six mois suivants, j’ai cherché sans relâche les fées en question. Curieusement, je ne les ai ja- mais retrouvées.

Dans la lumière du jour, dans la vieille cuisine, la différence de température me heurte soudain de plein fouet et je frissonne avant de me ruer sur la bouilloire. Pendant que l’eau chauffe, j’observe le jardin par la fenêtre baigné par les faibles rayons du soleil hivernal.

Les souvenirs me reviennent soudain avec la force d’un raz-de-marée. Ils se succèdent rap- idement l’un après l’autre dans mon esprit, comme des papillons. Si rapidement que j’en oublie de respirer. Je vois maman et Abbi…

Pearce et papa… leurs sourires… la fête de prin- cesse que j’avais eue pour mes six ans… Les fleurs que maman et moi avions plantées pour mes dix ans… Les rosiers que papa avait fait pousser en disant « deux rosiers pour mes deux merveilleuses femmes »… Tout…

Je m’appuie contre le comptoir et pose une main sur ma tempe. Les larmes me montent aux yeux et j’essaie de respirer profondément, de les contrôler, de contrôler le sentiment de vide

écrasant qui balaie mon corps tout entier. Il monte et monte encore jusqu’à ce que j’aie l’impression d’étouffer. Des souvenirs plus ré- cents surgissent dans ma tête… et il y en a un qui est constant. Une chose, une seule chose que je n’arrive pas à chasser de mon esprit.

Des yeux d’un bleu électrique. Braden.

Je cède au chagrin. Je me laisse aller et je glisse le long du comptoir jusqu’au vieux sol en pierre, tandis que l’eau commence à bouillir bruyam- ment.

Brooklyn… la Californie… la douleur est in- tacte.

— Brooklyn ? Elle est à Brooklyn ? je hurle sur

Megan en donnant un coup de pied dans le bar de la cuisine. Qu’est-ce qu’elle fout là-bas ?

— Maddie ne voulait plus être ici, elle répond simplement en sirotant une limonade.

— Putain, arrête de faire ton numéro à deux balles, je réplique. Comment tu fais pour rester calme ? Elle est à Brooklyn, bordel !

— Je sais où elle est. Elle est chez son père, et elle est en sécurité. Elle a besoin de…

— T’avise pas de me dire qu’elle a besoin de se calmer, pigé ? C’est ce que tu m’as dit hier soir et aujourd’hui elle est plus là ! Si tu m’avais laissé lui courir après…

— Tu aurais fait quelque chose de stupide, comme par exemple la plaquer contre le mur pour la forcer à t’écouter, dit Megan avec un regard entendu.

— Eh ben, je dis, mal à l’aise, oui, peut-être bi- en…

— Merci.

— Mais c’est pas le problème, je proteste. Le problème, c’est qu’elle est à Brooklyn alors que je suis coincé en Californie ! Comment tu veux que je lui dise la vérité après ça ?

— Et quelle vérité ?

— Tu le sais, Megan. Me traite pas comme un crétin.

— Tu sais quoi, Bray ? (Son regard est gla- cial.) Non, je ne sais pas, parce que tu n’as jamais

été sincère quand tu me disais ce que t’éprouvais pour elle. Tu m’as servi des conneries, et main- tenant ? Je ne sais toujours pas. Je crois ce que je vois, pas forcément ce qui est.

Je soupire et me laisse tomber sur le tabouret

à côté d’elle. Je pose les coudes sur le bar et me prends la tête entre les mains.

— Je l’aime. Je suis amoureux d’elle.

Megan finit bruyamment sa limonade avec sa paille. Elle se lève, pose une main sur mon épaule et se penche vers moi.

— Alors quand elle reviendra, t’as intérêt à

trouver un sacré bon moyen de lui faire compren- dre.

Elle dépose un baiser sur ma tête et s’éloigne.

La porte d’entrée se referme, et vu l’heure mat- inale, je suis le seul debout.

Je suis aussi le seul à ne pas avoir dormi de la nuit.

Je me frotte les yeux et regarde l’horloge. Neuf heures. Aucun intérêt à aller me coucher mainten- ant, alors je me lève et allume la machine à café.

— Y a assez de place pour deux ici ?

Je me raidis.

— Ça dépend. Y a de la place pour deux dans ta voiture ?

— Alors comme ça, t’es au courant.

— Pas besoin d’être un foutu génie pour com- prendre, Kyle. Maddie est à Brooklyn et t’es parti en voiture cinq minutes après qu’elle ait quitté la résidence hier soir. Tu l’as emmenée à l’aéroport.

— C’est elle qui me l’a demandé.

— J’en ai rien à foutre. (Je me tourne pour le regarder. Il recule.) Je me fous de savoir qu’elle est allée là-bas, et comment. Tout ce qui m’intéresse, c’est qu’elle est là-bas et pas ici où

elle devrait être, bordel. Elle déteste cette ville, alors c’est qu’elle doit vraiment me détester pour avoir préféré être là-bas plutôt qu’ici.

Je me retourne pour déposer brutalement deux tasses sur le comptoir. Je les remplis de café et en glisse une vers Kyle.

— Eh ben, merde alors, il dit en prenant la tasse.

— Quoi ?

— J’aurais jamais cru voir un jour Braden

Carter se soucier d’une fille plus que de ce qu’elle a sous la ceinture.

Je repose ma tasse.

— T’as l’air surpris.

— Je suis surpris de ton intérêt. Est-ce que je suis surpris que ce soit à Maddie que tu portes de l’intérêt ? (Je le regarde et il secoue la tête.) Nan, mec. Pas du tout. Même si ça me plaît pas, vous

êtes bien ensemble.

Je ricane.

— Manque plus qu’à la convaincre elle, main- tenant, hein ? Parce que c’est pas une putain de promenade de santé.

— T’étais pas le seul à jouer un jeu, Braden, dit Kyle en se relevant. Vous vous êtes tous les deux mis en tête de piéger l’autre, et vous l’avez fait. T’as pas voulu l’écouter quand t’as tout dé- couvert, et maintenant c’est elle qui veut pas t’écouter. Je dirais que vous êtes sur un pied d’égalité.

Il hausse un sourcil et passe à côté de moi en me déposant une claque sur l’épaule.

Un pied d’égalité.

— Hé, Kyle, je lance en me retournant. Merci, mec.

Il me fait un signe et disparaît.

Un pied d’égalité. Nouvelle partie. Sauf que cette fois, l’enjeu est nettement plus élevé.

Parce que c’est deux cœurs qui sont impliqués.

Je tape du pied contre le porche, appuyé contre le mur, le regard dans le vide. Ça fait une semaine que je suis sorti de la chambre de Maddie, et je pensais pas que c’était vraiment possible jusqu’à

maintenant, mais elle me manque.

Elle me manque tellement que je douille.

Mais c’est pas comme si j’avais qu’à traverser la rue et entrer dans son dortoir pour lui parler.

On a vu ce que ça a donné la dernière fois. Non, parce qu’elle est à Brooklyn, bordel… Brooklyn.

J’ai même pas envie de penser à l’effort que

ça a dû lui coûter de retourner là-bas, dans une ville qu’elle déteste autant. Elle est partie à cause de moi. Parce que je me suis tiré et que j’ai piqué une crise, alors qu’elle faisait exactement la même chose que moi.

La même chose que moi. Qu’on ait joué un jeu ou pas, à un moment donné, on serait arrivés au même résultat. À un moment donné, on serait tombés amoureux. Parce que comme l’a dit

Megan, la femme de votre vie peut se trouver sous votre nez depuis le début.

J’ai dix-neuf ans. Je cherche pas la femme de ma vie.

Enfin, je cherchais pas. Et Maddie est arrivée.

Qu’elle en ait eu l’intention ou pas, jeu ou pas, on a partagé quelque chose. Et je l’ai vu dans ses yeux la dernière fois : c’était pas un jeu pour elle, c’est la chose la plus réelle que j’ai jamais con- nue.

Après avoir récuré la cuisine pour dissiper mon coup de cafard de ce matin, j’attrape mon café à

deux mains et me laisse tomber sur une des chaises de la cuisine. On n’est pas loin du Starbucks, mais pour la première fois depuis un an, je n’ai pas l’énergie de traverser les deux pâtés de maisons qui nous séparent du Starbucks le plus proche.

Le plancher craque à l’étage et, quelques secondes plus tard, papa entre dans la cuisine. Il est déjà habillé ; je n’ai rien dû entendre pendant que je nettoyais.

— Bonjour, Maddie. (Il me dépose un baiser au sommet du crâne et regarde autour de lui.) La cuisine a l’air propre.

Je hausse une épaule.

— J’avais besoin de m’occuper.

Il me jette un bref coup d’œil tout en se servant du café. Il prend quatre comprimés dans les flac- ons alignés derrière la bouilloire et les avale avec une gorgée de café. Puis il vient s’asseoir en face de moi et m’observe de ses yeux gris-bleu.

— Alors, je dis pour briser le silence. Tu dors toujours aussi tard ?

Il grogne.

— Comme je t’ai dit, ces fichus médicaments me donnent de l’insomnie. Donc ces derniers temps, oui.

Je hoche la tête.

— Est-ce que le médecin t’a dit combien de temps les effets secondaires mettraient à se dis- siper ?

— Quelques semaines. Comme d’habitude.

Je sais que c’est un sujet délicat pour papa.

Même s’il déteste vivre sans maman, il déteste paraître faible. Et pour lui, la dépression est un signe de faiblesse.

Mais ça ne l’est pas. La dépression est un signe de force – parce que ça signifie que même si votre esprit est fragile, votre cœur a toujours la force de ressentir les choses.

— Bon, ça va encore. Avec un peu d’espoir, dans quelques semaines tout sera revenu à la nor- male.

Je tends le bras pour tapoter sa main légère- ment ridée. Il lève la tête et je remarque les petites lignes autour de ses yeux, les minces sillons au- tour de sa bouche qui devraient être des rides d’expression appropriées.

— Aussi normal que possible, Maddie, répond-il tristement en retournant sa main pour me serrer les doigts.

Je hoche doucement la tête, en sachant qu’il a raison. Sans elle, il ne sera plus jamais la même personne qu’il était de son vivant.

— Bon alors, tu ne m’as jamais dit pourquoi tu

étais revenue, demande-t-il pour changer de sujet.

Je fais une petite grimace.

— Je te l’ai dit, tu me manquais. Tu dois te sentir seul, ici.

— Je suis peut-être seul, Maddie, mais ça ne veut pas dire que je me sens seul. (Il boit une gor- gée de son café.) En fait, je ne suis jamais seul.

Ta mère est avec moi dans mon cœur. Elle ne me quitte jamais.

Je cligne des yeux pour retenir mes larmes.

— Jolie pirouette, au fait, ma petite. (Il m’adresse un clin d’œil.) J’ai compris. Tu n’as pas envie d’en parler, mais Maddie, avant que tu retournes à Berkeley, il faudra bien qu’on parle à

un moment ou un autre.

Je soupire et passe mon doigt sur le rebord de ma tasse.

— D’accord, papa. Est-ce que tu as, heu… des nouvelles de Pearce ?

Papa hoche vivement la tête.

— Il y a deux jours. Il s’est fait arrêter pour détention de drogue en revenant ici. Il était en centre-ville sur le point de héler un taxi. Des flics ont senti l’odeur des saloperies qu’il avait fumées. Tu sais que c’est pas son premier délit,

Mad, alors il attend sa remise en liberté sous cau- tion. Il m’a appelé pour la payer et j’ai refusé. Il est temps que ce gamin arrête de se faire dorloter et de compter tout le temps sur nous.

Il me jette un regard entendu.

— Je suis désolée, papa, je dis tristement.

C’est juste que… je ne voulais pas qu’Abbi souf- fre encore, tu sais ? C’est pour ça qu’il est venu en Californie, d’ailleurs, il voulait de l’argent pour rembourser ses dettes. Je lui en avais envoyé

en pensant que c’était pour toi, mais non…

— Ta mère disait souvent qu’on ne peut pas aider quelqu’un contre son gré, ma chérie. Ton frère fait partie de cette catégorie de personnes, même si je déteste dire ça. Il doit s’en sortir tout seul. Rien ni personne ne pourra le tirer de l’ornière dans laquelle il s’est fourré.

Je tourne les yeux vers la fenêtre et le jardin.

— Et personne ne pourra réparer ses erreurs.

— C’est vrai.

Je repousse ça depuis trois jours. Je ne sais pas ce que je fais ici – c’est peut-être le fait de tourner la page, c’est peut-être pour une raison tellement clichée que je ne sais même pas comment la for- muler. Mais, quand j’éteins le moteur de la vieille voiture de papa, je suis devant le grand bâtiment blanc qui est le foyer de ma meilleure amie.

Je n’avais même pas prévu de venir à St Mor- ris, mais c’est là que je me retrouve. Je me frotte le front et descends de voiture. Le chemin de gravier qui mène à l’entrée est tel que dans mon souvenir et il y a toujours le même heurtoir doré

et rouillé sur la porte en chêne.

Je prends une profonde inspiration, lisse mes cheveux d’une main tremblante et appuie sur l’interphone.

— Bienvenue à l’Institution St Morris.

Déclinez votre nom et celui de la personne que vous venez voir, déclare une voix.

— Maddie Stevens, et je viens voir Abigail

Jenkins.

La porte s’ouvre au bout de quelques secondes.

— Entre, Maddie.

La couleur pêche de la réception offre une fausse sensation de confort. Je m’approche du comptoir et aperçois une infirmière que je con- nais : Jayne.

— Maddie ! (Elle se lève en me souriant.) On ne t’a pas vue depuis un bout de temps.

Une vague de culpabilité s’empare de moi.

— J’étais à la fac – en Californie. C’est la première fois que je reviens.

Jayne hoche la tête comme si elle comprenait.

— Je suis sûre qu’Abbi le sait.

Elle me fait signe de la suivre, comme si je ne connaissais pas déjà le chemin jusqu’à sa chambre, et j’enfonce les mains dans mes poches.

— Est-ce qu’elle va mieux ? je demande, hés- itante.

Jayne garde le silence une seconde et je com- prends que ça veut dire non, peu importe ce qu’elle va ajouter ensuite.

— Il y a des jours meilleurs que d’autres. Je pense que ses séances de thérapie avec le

Dr Hausen l’aident beaucoup, mais elle est tou- jours très abattue. (Elle se tourne vers moi et pose doucement la main sur mon bras.) Elle ne mange pas beaucoup, alors elle a perdu beaucoup de poids. Essaie de ne pas lui laisser voir ta surprise.

Ça l’inquiète et elle peut être difficile à calmer ensuite.

Je hoche la tête. Je connais les règles. Ne pas la contrarier. Ne pas parler de Pearce. Ne pas men- tionner le sexe ou les garçons en général. Ne ri- en faire de ce que je devrais être capable de faire avec elle.

Jayne frappe à la chambre 18 et ouvre la porte.

— Abbi ? Abbi, ma chérie, tu as de la visite !

Elle s’exprime d’une voix trop gaie, et j’essaie de faire passer la panique qui monte dans ma gorge. Jayne pousse un léger soupir et se tourne vers moi.

— Ce n’est pas un jour très réactif, au- jourd’hui, alors ne sois pas vexée si elle ne te répond pas vraiment. Elle sait que tu es là, murmure-t-elle en entrant dans la chambre.

Je hoche de nouveau la tête, comme si mes propres réactions se mettaient elles aussi en sourdine, et entre dans la chambre d’Abbi.

J’avais fait en sorte que sa chambre ici se rap- proche le plus proche possible de la sienne, chez elle. Je me souviens de lui avoir amené toutes ses photos, ses vêtements, et les peluches qu’on avait gagnées ensemble dans des fêtes foraines. Même son bureau est là, calé dans un coin.

Abbi est assise dans un fauteuil près de la fenêtre. Ses cheveux blonds pendent librement sur ses épaules et ses mains sont sagement croisées sur ses genoux. Ses yeux gris et ternes sont rivés sur l’activité qui se déroule à

l’extérieur. Elle ne veut jamais y prendre part.

On voit dans ses yeux qu’elle en a envie, mais l’emprise de sa dépression l’en empêche.

J’approche un autre fauteuil et m’assois lente- ment près d’elle.

— Salut, Abbie. Comment ça va ?

Rien. Je cale mes mains sous mes jambes.

— Tu as l’air en forme.

Mensonge. Rien que des mensonges.

L’allégresse dans ma voix, mon calme appar- ent… À l’intérieur, je tremble comme une feuille.

Je suis effondrée et je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir le cacher. Je veux récupérer ma meilleure amie. C’est puéril, mais c’est vrai, bon sang !

— Jayne dit que tu t’en sors bien. J’étais à la fac, en Californie. Je me souviens de t’avoir dit que j’y allais. C’est pas trop mal là-bas. Enfin, je me suis fait quelques amis, je veux dire. (Elle tourne légèrement la tête vers moi.) Mais c’est pas comme à la maison, tu comprends ? Parfois

Brooklyn me manque, et toi aussi. Je suis con- tente que tu ailles bien.

Je babille. Je dis n’importe quoi, mais c’est tout ce que je peux faire.

Je la vois bouger les doigts, mais elle reporte de nouveau son attention sur l’activité à

l’extérieur.

— Ils sont fous, ceux-là. Il gèle dehors. Tu es bien mieux ici, à l’intérieur, au chaud. (Je me mords l’intérieur de la joue.) Ta mère est venue te voir récemment ? Je l’ai appelée hier. Elle aussi m’a dit que tu t’en sortais bien. C’est ce que tout le monde dit.

Je la voix remuer imperceptiblement les lèvres.

Je me penche vers elle.

— Qu’est-ce qu’il y a, Abbi ?

— Dehors, murmure-t-elle sans quitter le jardin des yeux.

— Tu veux aller dehors ?

— S’il te plaît.

Elle parle si bas que je dois tendre l’oreille.

— Bien sûr, je dis en me levant. Laisse-moi al- ler demander à Jayne…

— Toi, dit-elle en tournant finalement la tête vers moi. Toi et moi, Maddie.

Je prends une profonde inspiration et hoche la tête, et la laisse passer son bras sous le mien.

Elle se hisse sur ses jambes faibles et je la guide jusqu’à la porte où est suspendu un manteau chaud. Je l’aide à l’enfiler.

— Viens, on passe par le bureau de l’infirmière pour mettre Jayne au courant, d’accord ?

On remonte lentement le couloir, les chaussons d’Abbi frottant sur le linoléum. Jayne marque un temps d’arrêt en nous voyant approcher.

— Abbi m’a demandé d’aller dehors, je lui an- nonce prudemment. Elle veut que je l’accompagne. C’est d’accord, n’est-ce pas ?

Jayne hoche la tête avec enthousiasme et af- fiche un large sourire.

— Bien sûr que oui ! Je vais inscrire l’heure sur le tableau et vous viendrez me voir en rentrant, que je le note. Amusez-vous bien, les filles.

Je ne savais pas qu’il était possible de s’amuser, ici.

— Allez viens, Ab. On va prendre un peu le soleil, OK ?

On traverse les portes vitrées, laissant un petit souffle hivernal s’engouffrer à l’intérieur.

Abbi s’arrête dès qu’on met le pied dehors.

Elle ferme les yeux et je la vois prendre une pro- fonde inspiration. Je me demande quand elle est sortie prendre l’air pour la dernière fois.

— Tu veux aller où ?

Elle rouvre les yeux et regarde un banc entouré

de rosiers. Je hoche la tête et l’aide à descendre les quelques marches. L’activité se poursuit et on traverse la pelouse sans y prêter attention. Je resserre les pans de mon manteau de ma main libre et aide Abbi à s’asseoir.

— C’est sympa dehors, hein ? je fais en m’asseyant à côté d’elle.

Abbi hoche lentement la tête en secouant ses cheveux.

— Le bruit est agréable, dit-elle d’une voix calme.

— Tu m’étonnes.

Je lui touche la main et elle l’agrippe de ses doigts osseux.

— Alors c’est comment, la fac ?

J’inspire vivement et la regarde. Elle a les yeux rivés sur l’activité de groupe. La seule indication qu’elle donne sur ma présence, à part ces quelques mots, c’est sa manière de me tenir la main.

— C’est… différent du lycée. Je veux dire qu’il y a moins de cours et plus de temps libre.

Et il y a un Starbucks juste au coin. (Je vois ses lèvres esquisser un début de sourire.) Je me suis fait quelques amis, comme je t’ai dit, mais j’aimerais tellement que tu sois là-bas avec moi…

Elle hoche la tête.

— Moi aussi. On aurait retourné la Californie, hein ?

Elle me regarde de nouveau.

— On peut encore, je lui promets. Un jour

Abbi, toi et moi, on va montrer à la Californie de quoi on est capables, d’accord ?

Ses lèvres s’étirent de nouveau.

— Promis juré.

— Juré craché.

Je souris.

— Alors, c’est qui ? me demande-t-elle en penchant la tête sur le côté pour fixer un point derrière mon épaule.

— Qui ça ? je demande avec hésitation.

— La raison pour laquelle tu es triste.

— Je ne suis pas triste.

Elle hoche la tête, le regard flou.

— Si. Je le vois. Qu’est-ce qu’il t’a fait ?

— Il n’a pas vraiment fait quoi que ce soit.

C’est nous deux.

— Comment il s’appelle ?

— Braden.

Elle dodeline de la tête.

— Raconte-moi.

— Est-ce que…

— Raconte-moi. Je veux savoir, Maddie.

Je prends une profonde inspiration et lui ra- conte toute l’histoire. Je commence par le défi et je termine par mon arrivée à St Morris.

Quand j’ai fini, un silence s’installe, seulement interrompu par le gazouillis des oiseaux et le souffle du vent.

— On peut rentrer ? demande Abbi.

— Bien sûr. Viens.

On retourne à sa chambre, en passant par le bureau de l’infirmière pour prévenir Jayne. J’aide

Abbi à retirer son manteau et à se réinstaller dans le fauteuil.

— Tu l’aimes, dit Abbi d’un ton totalement détaché en s’enfonçant contre les coussins.

Elle regarde de nouveau par la fenêtre.

— Oui, j’admets en m’approchant d’elle.

— Alors dis-lui, répond-elle simplement. Il faut le dire aux gens de temps en temps… parce qu’ils ne le savent pas toujours. C’est un petit mot qui signifie beaucoup. Des fois, c’est tout ce dont on a besoin, l’amour, même quand tu penses le contraire. Des fois, il suffit juste de le dire.

Je retiens les larmes qui me montent désespérément aux yeux, refusant de pleurer devant elle.

Je me penche pour lui déposer un baiser au sommet de son crâne.

— Je t’aime, Abbi.

— Je t’aime, Maddie.

— Je reviendrai bientôt.

J’ai la gorge nouée. Je me dirige vers la porte et, quand je l’ouvre, je sais qu’Abbi est déjà re- partie dans son monde, où la seule constante est la souffrance. Je suis heureuse d’avoir pu lui per- mettre de s’en libérer un petit peu, parce qu’elle en a désespérément besoin.

Je passe de nouveau par le bureau de Jayne et c’est tout juste si je ne cours pas jusqu’à ma voiture. Je me glisse à l’intérieur et referme la portière bruyamment.

Et je finis par laisser mes émotions me submer- ger. Les larmes coulent sur mes joues et je pose le front contre le volant en m’y agrippant ferm- ement. Les larmes dégoulinent sur mes jambes.

Je sais qu’elle a raison. Même dans son état, ma meilleure amie est plus sensée que moi avec mon esprit sain.

Alors dis-lui. Ce n’est pas si simple, mais si je le faisais ? Est-ce que ça me ferait ressembler à

Abbi ?

Peut-être que ça valait mieux de tout arrêter maintenant. Un mois… encore un peu plus longtemps et je serais peut-être devenue totale- ment dépendante. Mais… Braden n’est pas

Pearce, et je le sais bien.

En plus, si je ne pensais pas sincèrement que

ça pouvait donner quelque chose, alors je n’aurais pas aussi mal.

On est jeudi soir et une espèce de crétin – je sais pas qui – a décidé de faire une fête à la résiden- ce. Je parierais sur Aston. Il essaie de me sortir de ma « putain d’humeur ridicule » depuis le départ de Maddie.

Mais ça marche pas comme ça.

Elle est à Brooklyn depuis cinq jours mainten- ant. Chaque jour qu’elle passe là-bas, elle le passe pas ici. Au temps pour l’évidence de ma déclara- tion, mais je veux qu’elle soit ici et nulle part ail- leurs.

Je veux qu’elle soit en face de moi pour pouvoir prendre son visage entre mes mains et essuyer ses larmes. Je veux la serrer et lui promettre la lune, m’excuser pour tout. Je veux savoir qu’elle

éprouve la même chose. Je veux savoir que pour elle non plus, c’était pas qu’un jeu.

Le pire, c’est que je serais prêt à tout recom- mencer si c’était pour connaître quelques se- maines de bonheur de plus avec elle.

— Bon écoute, ça m’intéresse pas, je dis en re- poussant doucement encore une autre fille.

Elle fait la moue en bombant la poitrine et bat des cils. Je soupire en secouant la tête et re- porte mon attention sur Megan qui est en train de s’envoyer des shots avec Kay. La fille s’éclipse.

Megan croise mon regard et sourit tristement.

Je me lève et me fraye un chemin vers elle.

— Tu lui as parlé ? je lui demande, plein d’espoir. (Elle hésite.) Megan !

Elle hoche la tête.

— Aujourd’hui.

— Et ?

— Elle rentre demain. Elle a fait tout ce qu’il fallait.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Je ne sais pas vraiment de quel droit tu poses cette question, Carter, fait Kay en haussant les sourcils.

Je la regarde.

— Et je sais pas vraiment de quel droit tu fais la garce avec moi, étant donné que t’es en partie responsable de notre putain de situation – et du départ de Maddie.

Elle détourne les yeux, honteuse, et Megan tressaille.

— Meggy, je sais que jamais…

— Mais c’est ce qu’on a fait, elle m’interrompt. On t’a fait du mal et on vous a fait du mal à tous les deux. Si quelqu’un est fautif, Braden, c’est nous, et Ryan et Aston. Ils doivent reconnaître leur responsabilité là-dedans, eux aussi. (Elle jette un regard noir par-dessus mon épaule.) Surtout Aston.

Je tourne même pas la tête.

— On est tous un peu responsables, j’imagine.

(Je hausse les épaules.) Il me reste plus qu’à es- pérer pouvoir rattraper le coup quand elle re- viendra. Si elle accepte de me parler.

— Si elle accepte de te voir, Kay s’empresse de me rappeler. Hé, je dis ça comme ça, tu sais ?

Elle a pas voulu, jusque-là.

— Merci, Kay, je lâche en tournant les talons pour traverser la cuisine jusqu’au jardin.

Je ne prête aucune attention au couple qui est en train de se peloter contre le mur et me dirige vers le bosquet d’arbres au fond du jardin. Je m’appuie contre un tronc et sors mon téléphone de ma poche. Je fais défiler les numéros jusqu’au sien. Mon doigt reste en suspens au-dessus de la touche d’appel, mais je décide finalement de lui envoyer un texto. J’en écris plusieurs, que j’efface tous, et je me décide pour trois mots

– trois mots secondaires, parce que je suis trop froussard pour lui envoyer les vrais.

Tu me manques.

Je descends ma valise en essayant de chasser

Braden de mes pensées. Ces quelques jours à la maison étaient étranges, débordants d’émotions et de réflexion. Et le pire est encore à venir, parce que je n’ai pas encore dit à mon père pourquoi je suis vraiment revenue si vite à la maison. Je sais qu’il est sur le point de le découvrir.

— Allez, bon retour à la maison, Maddie, dit papa en me serrant contre lui.

— C’est ici la maison, papa. Je retourne juste à

l’école, je réponds en m’écartant.

— Oh, non, ma chérie. Ta maison, c’est là où

ton cœur se trouve. Je crois que tu l’as laissé en

Californie. À l’université de Californie à Berke- ley, pour être précis.

Je plisse les yeux.

— Quoi ?

— Pas besoin d’être un génie pour comprendre que tu es tombée amoureuse et que tu t’es enfuie,

Maddie. Ta mère a fait la même chose quand on

était jeunes. Mais tu sais quoi, Mad ? Tu dois te battre pour l’amour, parce que ça ne vient pas si facilement, pas le vrai, en tout cas. Je ne sais pas qui est ce garçon, ni ce qui s’est passé, mais fuir n’arrangera pas les choses, mon bébé. (Il effleure mon menton du bout des doigts et me relève légèrement la tête.) La réalité de la vie, c’est que, peu importe de quoi il s’agit – le deuil, le chag- rin d’amour, le bonheur, l’amour –, ces émotions sont tellement puissantes qu’elles nous suivent où

qu’on aille. Tu pourrais aller au bout du monde que l’amour te suivrait jusque là-bas. Ce n’est ni un endroit ni un souvenir, oh non. L’amour, c’est quelque chose à l’intérieur de toi, c’est quelque chose que toi seule peux ressentir, parce que cet amour t’appartient. Tu ne l’oublieras jamais. Tu pourrais traverser le pays et les océans et même aller sur la lune que cet amour serait toujours là, enfoui dans un recoin sombre de ton cœur, à at- tendre simplement que tu le reconnaisses.

Un klaxon retentit dehors.

— Ne le fuis pas, Maddie, parce que la fuite n’a jamais fait de bien à personne. Je ne sais peut-

être plus grand-chose aujourd’hui, mais je con- naîtrai toujours l’amour. C’est ta mère qui me l’a appris, et elle te l’a appris à toi aussi. (Des larmes se mettent à briller dans ses yeux et je sais qu’en me regardant, c’est elle qu’il voit.) Elle t’a lais- sé son esprit, mon bébé, dans tous ces souven- irs et tout cet amour, elle te l’a laissé. Elle te dirait d’aller accueillir l’amour à bras ouverts.

Qui que ce soit, il a une sacrée chance que tu sois amoureuse de lui, alors assure-toi qu’il le sache.

(Il dépose un baiser sur mon front.) Allez vas-y maintenant. Ton taxi est là. Envoie un message quand tu es arrivée.

Je hoche la tête, la gorge nouée par l’émotion.

Maman, Braden et l’amour, tout ça dans la même phrase, c’est trop dur à avaler. Littéralement.

J’enlace papa une dernière fois et l’embrasse sur la joue avant de m’éloigner avec ma valise de la maison que j’ai tant aimée tout au long de ma vie. Je la dépose dans le coffre et me glisse sur la banquette arrière. Je fais un signe à mon père par la fenêtre tandis que la voiture s’éloigne.

Quitter un foyer pour en retrouver un autre.

Il y a une sacrée différence de température entre Brooklyn et la Californie, et je n’ai jamais

été aussi heureuse d’enfiler un short et un petit haut que lorsque j’arrive enfin à la résidence.

J’attache grossièrement mes cheveux au sommet de ma tête et décide d’attendre demain pour faire ma lessive. Aujourd’hui, je suis en proie au décalage horaire.

Honnêtement, je n’ai qu’une envie, faire une sieste.

La porte s’ouvre et Lila se rue dans la chambre en me poussant sur le lit. Elle me serre contre elle en me disant combien elle est heureuse que je sois de retour, et de voir que je vais bien, et combien elle s’en veut d’être à l’origine de toute cette his- toire.

Je peux oublier la sieste.

Je lui tapote le dos.

— Lila ? Lila, tu m’écrases.

— Oh mon Dieu ! Désolée ! J’ai pas fait atten- tion ! (Elle s’écarte et fait des bonds sur le lit av- ant de s’asseoir à côté de moi. Je me redresse.) Tu es rentrée quand ?

— En Californie ou dans la chambre ?

— Dans la chambre.

— Il y a cinq minutes à peine.

— Et je te tombe dessus direct ! Oh bon sang.

(Elle secoue la tête pour elle-même.) C’est juste que je voulais te voir avant tout le monde. Je voulais m’excuser pour, tu sais…

— C’est bon, Lila.

— Non, pas pour moi, d’accord ? C’est pas bon du tout. Il faut que tu saches que j’ai passé un vrai savon à Ryan pour cette espèce de mauvaise plaisanterie. C’est vraiment pas cool du tout.

— On a fait la même chose, Lila. C’est pour ça que je suis partie. Ce qu’on a fait, c’est exacte- ment la même chose.

Je souris tristement.

— Bon. (Elle fait une pause.) T’as peut-être raison, mais je suis quand même désolée que tu l’aies découvert comme ça.

Elle pince les lèvres.

— Ça va, c’est oublié.

— Vraiment ? demande-t-elle en haussant un sourcil.

— Heu. Non. (Je secoue la tête.) Mais je peux toujours faire semblant, non ?

— Alors fais semblant et viens faire la fête de- main soir.

— Non mais, franchement, Lila, laisse-la au moins arriver ! s’exclame Megan en refermant la porte derrière elle.

Je ne savais pas qu’elle était encore ouverte. Je relève les yeux vers ma blonde de copine.

— Salut, Meg.

— Je suis trop contente que tu sois de retour, dit-elle en me serrant contre elle, et je lui rends son geste. Mais t’avise plus de t’enfuir comme

ça de nouveau, tu m’entends, Maddie Stevens ?

T’enfuis plus jamais comme ça ! On a chié dans notre froc, vraiment chié dans notre froc ! On pensait que tu t’étais fait enlever par un tueur en série ou pire encore !

— Le seul tueur en série que j’ai croisé, c’est mon père. Il est connu pour avoir frappé un ou deux paquets de céréales dans le passé.

Je souris et elle me regarde en dissimulant son propre sourire.

— Argh ! Je suis seulement contente que tu sois là. Lila t’a dit qu’il y a une fête demain soir ?

Elle s’assoit sur le lit de Kay.

— Ah… oui. Je ne pense pas que je vais y al- ler. (Je me mords la lèvre.) Je crois que je ne suis pas prête.

— Ça fait deux semaines. Il faudra bien que tu le voies à un moment donné, dit doucement Lila.

Je sais que tu ne veux pas…

— Tu as raison, Lila. Je ne veux pas le voir.

Je n’y vais pas. Pas encore. J’ai encore besoin de temps. J’ai besoin de temps pour analyser ce qui s’est passé à Brooklyn. Laissez-moi au moins ça.

— D’accord, souffle-t-elle. Mais tu dois re- tourner à tes cours d’anglais. Tu ne peux pas con- tinuer à esquiver à cause de lui.

Je tripote une peluche sur mon haut.

— Je vais retourner en cours.

Samedi soir, j’ai passé la soirée à fouiller la résidence des yeux, et pourtant je l’ai pas vue. Elle est là, mais elle n’était pas là. Mais elle est là, en

Californie.

Ma Maddie est de retour en Californie.

Et je fais tous les efforts du monde pour ne pas me ruer dans sa résidence comme si j’avais le cul en feu. Parce que comme l’a dit Megan, tout ça va probablement finir en plaquage contre le mur – et c’est jamais très bon.

Je suis assis en cours d’anglais et j’ai les jambes qui tremblent en parcourant de nouveau la salle des yeux. Je peux pas m’en empêcher. Elle est partie comme une voleuse. Je veux la voir. J’ai besoin de la voir.

La porte s’ouvre et Aston entre. Il vient s’asseoir à côté de moi.

— Elle arrive.

Je hoche la tête et fixe la porte des yeux. Si elle arrive, alors elle va entrer…

Maintenant.

Elle est là. Megan la tient par le bras, mais

Maddie est souriante. C’est un sourire fragile, et je me déteste pour ça. Je crispe mes mains sur le bord de mon bureau et je serre les dents. Aston me donne un coup de pied.

Quand elle s’assoit, son visage est dissimulé

derrière ses cheveux qui sont repoussés de mon côté et elle n’établit aucun contact avec moi. En fait, elle ne tourne même jamais son regard de mon côté. Je pourrais prétendre que je ne suis pas blessé, mais ce serait un putain de mensonge.

Je garde les yeux rivés sur elle pendant tout le cours. Comment voulez-vous que je me con- centre sur quoi que ce soit d’autre qu’elle ? Il n’y a que Maddie qui compte. Tout ce qui compte, c’est ce qui aurait pu et aurait dû se passer.

À la fin du cours, je me fraye un chemin vers son bureau et les rattrape juste avant qu’elles sortent. Aston secoue la tête, mais je m’en fiche.

Je dois lui parler.

— Meggy, je dis avec un signe de la tête avant de me tourner vers celle qui m’intéresse vraiment. Maddie.

Elle regarde droit devant elle en serrant ses livres contre sa poitrine.

— Braden, elle répond doucement.

— C’était comment, Brooklyn ?

— C’était… bien, merci. Et toi ça va ?

— Je… (Je capte le regard d’avertissement que me jette Megan.) Oui. Enfin je crois.

Elle hoche lentement la tête.

— Je dois aller…

— Bien sûr. (Je leur ouvre la porte, que j’ai en- vie d’arracher de ses gonds.) À plus tard.

— Ouais, à plus, elle murmure en s’éloignant rapidement.

Megan me jette un regard noir et pointe le doigt sur moi.

— C’était pas ce dont elle avait besoin, elle dit en sifflant.

— J’avais besoin de la voir, Meggy. (Je croise son regard qui finit par s’adoucir.) J’avais besoin de lui parler. Elle… elle va bien, hein ?

Elle soupire et son corps entier s’affaisse.

— Je sais pas ce que tu veux que je dise, Bray.

Mais… oui, si ça peut t’aider, elle va bien.

— Et sinon ?

Je serre les dents.

— Elle va bien quand même.

Elle pivote et rejoint Maddie en courant.

Je lâche un grognement d’incrédulité et de colère. Aston attrape la porte pour m’empêcher de la claquer et me jette un regard.

Je deviens un peu cinglé quand il est question de Maddie.

J’évite la cafétéria comme la peste en sachant qu’elle y sera. C’était plus dur de la voir que j’aurais cru. Plutôt que d’y aller comme je l’aurais fait d’habitude, je retourne à la résidence.

Je jette mon sac par terre à côté de mon bureau et me laisse tomber sur mon lit, les mains jointes derrière ma tête.

J’avais tellement de plans grandioses pour l’obliger à me parler… ! J’étais bien décidé à lui dire que je l’aimais. Mais alors je l’ai vue, et tout a disparu, parce que j’ai pas envie de lui parler.

J’ai juste envie de l’attraper. J’ai envie de la serrer et de lui caresser les cheveux. J’ai envie de l’embrasser au coin des yeux et de jamais la lais- ser partir. Parce qu’elle est à moi.

Bon sang, Maddie Stevens est à moi. Point fi- nal. Et ça ne changera pas.

Elle sera toujours à moi… et je serai toujours à

elle.

Deux jours sont passés depuis que j’ai parlé à

Braden à la fin du cours d’anglais, et je ne m’en suis toujours pas remise. Où est passé ce foutu mécanisme qui me permet de « rebondir » ? Je pense que ces satanés ressorts ont dû se casser. Je m’en suis servie si souvent qu’ils en ont probable- ment eu marre de me faire rebondir chaque fois que je leur tombe dessus.

Cette fois-ci, ça ne tient qu’à moi. Ça ne tient qu’à moi de me ressaisir et de m’extirper des bas- fonds émotionnels dans lesquels je me suis plongée.

Il faudrait aussi que je me fasse pousser une paire de couilles par magie pour aller jusqu’à la fraternité récupérer les livres que j’ai laissés là- bas, parce que ce n’est pas en la regardant tristement depuis ma fenêtre qu’ils vont revenir tout seuls. Voir Braden… dans une salle de cours c’est une chose, mais à la fraternité ? Dans sa résidence ? Sa chambre ?

Est-ce que je vais savoir gérer ça ?

Si j’y vais, est-ce que je vais revenir encore plus abattue ?

Non, non, je ne suis pas abattue. Je suis forte, comme il a dit. Et je peux aller là-bas. Je peux le faire.

J’enfile mes chaussures, passe nerveusement ma main dans mes cheveux et referme la porte derrière moi. Je descends lentement les escaliers, et j’ai l’impression que mes pas résonnent dans le couloir vide. Je frissonne malgré la chaude soirée et serre mes bras contre moi.

Je fais une pause sur le trottoir devant la fra- ternité et la porte s’ouvre. Kyle.

— Maddie ? dit-il en fronçant les sourcils, sur- pris.

— Je, heu… Braden est là ? je demande douce- ment.

— Ouais, il est là. Je croyais que tu…

— Non. C’est juste que… j’ai laissé quelques bouquins ici. (Je baisse les yeux.) Je dois les récupérer.

— Oh, bien sûr. Donne-moi une minute. Je vais te les chercher.

Je hoche la tête et entends la porte se refermer.

Je remue, mal à l’aise, en pliant les genoux et ex- aminant les fissures sur le trottoir.

Ces pavés étaient un jour parfaits et intacts, mais aujourd’hui ils sont fissurés et cassés.

Comme moi.

— Maddie ? lance Braden d’une voix hésit- ante.

C’est un ton que je n’ai jamais entendu avant.

— Salut.

Je lève les yeux et me force à sourire. Je dis- simule les battements frénétiques de mon cœur et le tremblement de mes mains.

— J’ai tes livres.

Il sort et me les tend. Je serre les dents et maudis mes mains tremblantes.

— Tu as froid ?

— Heu, un peu. Je crois que le changement de température me rend malade. (Mensonge.) Je vais y retourner.

Je colle les livres contre moi et m’apprête à

partir.

— Ça va ? Ton père… ça va ?

J’aurais préféré qu’il ne me pose pas la ques- tion.

— Ouais. Je vais bien. Mon père aussi. (Je souris faiblement et commets l’erreur de croiser son regard.) Quoi ?

Il soupire.

— Tu mens.

— Pourquoi voudrais-tu que je mente ? Je vais bien, Braden, comme toi. (Mes paroles sonnent creux, même à mes propres oreilles.) J’avais be- soin de m’éloigner, et maintenant je suis revenue.

Je vais bien. Je suis sûre que tu as repris ta vie comme avant qu’on fasse ce jeu…

— Tu te trompes.

Il fait claquer la porte derrière lui et dévale les marches vers moi. Je recule.

— Braden…

— C’est pas comme c’était avant toi, Maddie, pas du tout. Je suis peut-être tout aussi seul et pathétique, mais c’est pas pareil, parce qu’il y aura jamais quelqu’un d’autre comme toi. C’est juste impossible. (Il s’arrête devant moi et baisse les yeux. Ses poings sont crispés sur les côtés de son corps.) Toi… c’est toi. Personne d’autre.

Sans toi, rien n’a plus la moindre putain d’importance. Sans toi…

Il grogne et me touche la tempe, enfonçant légèrement ses doigts dans mes cheveux. Je dé- glutis pour faire passer le nœud dans ma gorge et retenir mes larmes.

— Sans moi, ta vie vaut bien mieux, je laisse

échapper en reculant.

Je tourne les talons et traverse la rue en cour- ant.

— Sans toi c’est que de la merde, mon ange !

crie Braden derrière moi. Tu m’as donné un sens.

Grâce à toi, chaque jour en valait la peine ! Alors t’as tout faux ! Avant… Avant, c’était avant que je t’aie dans ma vie. Maintenant que je t’ai eue et que je t’ai perdue, plus rien n’est comparable,

Maddie !

Je secoue la tête en accélérant le pas, en le laissant planté là. Les larmes coulent librement sur mes joues et je suis secouée d’un sanglot. Je plaque ma main sur ma bouche. J’entre le code sur le boîtier à travers mes larmes et grimpe les escaliers deux par deux.

La porte de ma chambre s’ouvre devant moi et

Kay me tend les bras. Je laisse tomber les livres par terre et m’effondre contre elle.

— J’en ai marre ! hurle Lila en jetant son stylo sur le mur derrière moi. J’en ai marre !

— La ferme ! réplique Megan en levant un doigt. (Elle murmure quelque chose dans sa barbe et griffonne quelque chose sur le livre devant elle.) OK, continue.

— Comme c’est gentil, lâche Lila avant de tourner les yeux vers moi. Toi ! J’en ai marre.

— Moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? je demande en regardant Megan.

— J’en ai marre de te voir tirer la tronche !

s’exclame Lila. J’en ai vraiment marre. J’en peux plus. Je vais te coller un putain de sourire là-des- sus même s’il doit être forcé !

— Je vais bien, Lila. (Je reporte mon attention sur l’ordinateur portable posé devant moi.)

Vraiment. Pas la peine de me tirer les coins de la bouche avec tes doigts.

— T’es qu’une menteuse. Et ne me tente pas,

Maddie Stevens, parce que je serais bien capable de le faire ! elle menace.

— J’en doute pas, je réponds sèchement.

Megan pouffe de rire.

— Il y a une fête demain soir à la fraternité. Et.

Tu. Y. Vas.

— Non. Je. N’y. Vais. Pas.

— Si tu y vas !

— Je n’y vais pas, Lila. Ça n’a rien à voir avec Braden, ou même avec le fait de le croiser.

J’ai simplement pas envie d’y aller, d’accord ?

J’ai des tonnes de cours à rattraper de la semaine dernière.

— N’importe quoi ! s’exclame Megan en fais- ant voler son stylo dans la pièce. Je dis que c’est n’importe quoi ! Tu as déjà tout rattrapé. Et le principal c’était pour l’anglais et tu l’as déjà fait.

C’est un prétexte.

— C’est pas un prétexte, je riposte mollement.

— Tout ça parce que tu veux pas le voir…

commence Lila.

— Je l’ai vu quatre fois cette semaine et je lui ai parlé deux fois. (Je hausse les sourcils.) Je n’ai aucun problème à voir Braden Carter.

Ma mâchoire se crispe.

Lila secoue la tête.

— Tu ne veux toujours pas le voir.

Je soupire.

— Si, je veux bien le voir. (Je détourne les yeux.) Mais après ce qui s’est passé devant la fra- ternité, j’ai peur qu’en le voyant, je me jette sur lui pour l’embrasser au lieu de lui donner un coup de pied dans les couilles comme j’en ai vraiment envie.

Je hausse une épaule et Megan glousse.

— Alors il faut absolument que tu viennes, parce que l’un comme l’autre, ça risque d’être très amusant.

— Vous allez me forcer à y aller, hein ? je de- mande en les regardant tour à tour.

— Maddie, ma chérie, commence Lila d’une voix plus douce. Je t’adore, mais ça fait trois se- maines. Je ne vais plus te laisser continuer à broy- er du noir. Tu viens avec nous.

Je suppose que l’affaire est réglée.

J’attrape une bière dans le frigo de la cuisine et me dirige vers la pièce principale. Je m’assois dans un coin avec Aston et Ryan. Aucun n’ouvre la bouche. Pour dire quoi ? On attend tous que Mad- die se pointe ce soir avec les filles. Megan et Lila vont la traîner jusqu’ici parce que Lila en a marre de – et je cite – « voir sa tronche d’enterrement à

longueur de journée ».

Et j’ai comme l’impression qu’on nous aura tous les deux traînés ici ce soir, parce que moi aus- si, je préférerais être n’importe où ailleurs.

Je bois une gorgée de bière et l’avale avec diffi- culté. J’attends. Je sais pas ce que j’attends.

Peut-être que j’attends que ses beaux yeux verts croisent les miens. Peut-être que j’attends de l’entendre rire et de la voir sourire de nouveau.

Peut-être que j’attends le bon moment pour l’approcher – sans faire l’homme des cavernes –

et seulement… la voir. Sans lui hurler que ma vie est merdique sans elle. Je peux m’en passer et je pense qu’elle aussi.

La maison se remplit, et les gars et moi restons silencieux. Je ne touche plus à ma bière. Je n’ai absolument pas envie d’être bourré ce soir. La seule chose dont j’ai envie est…

… en train de rire dans la cuisine.

Merde.

Ce son… il me transperce jusqu’à la moelle.

Ryan me jette un regard compatissant et Aston n’ose même pas me regarder. Je baisse les yeux et fais tourner ma bière intacte entre mes doigts.

Comment voulez-vous que je profite de cette pu- tain de fête idiote quand la seule personne qui pourrait me la rendre agréable est en train de rire de l’autre côté de la pièce ? C’était une chose d’être ici sans elle et de ne prêter attention à rien, mais savoir qu’elle est juste là… ça me rend à

fleur de peau.

Elle rit de nouveau et je serre les dents en me retournant d’un coup brusque. Elle est à côté de

Kyle. Il a un bras autour de ses épaules. C’est quoi ce bordel ?

Maddie relève brièvement les yeux. Ses yeux verts croisent les miens une fraction de seconde, assez pour que je voie l’immense tristesse à

l’intérieur. Je suis peut-être la raison de cette fou- tue tristesse, mais j’ai pas l’intention de laisser ce connard réconforter ma nana. Je fais claquer ma bière sur la table et traverse la pièce en quelques enjambées.

— Excusez-moi, je dis même si je me fiche de les déranger.

J’attrape Maddie par le bras et la tire à l’écart sans prêter attention à son cri de protestation. Je la tire derrière moi à travers la pièce.

— Braden, lâche-moi ! elle s’exclame en es- sayant de se libérer. Braden ! Tu te comportes comme un crétin !

— J’en ai rien à foutre !

Je m’arrête et l’attrape par la taille pour la his- ser sur mon épaule. Elle pousse un couinement et commence à me donner des coups de poing dans le dos en se tortillant de tout son être tandis que je l’emporte à l’étage.

— Lâche-moi ! Tu recommences à faire l’homme des cavernes !

Je pousse la porte de ma chambre et la dépose à

l’intérieur. Je me retourne, claque la porte et em- poche la clé.

Je me tourne vers elle en essayant de rester calme.

— Ça, c’est parce que t’es à moi et j’ai pas l’intention de te regarder te marrer avec lui ici !

T’es pas à lui, Maddie ! Tu l’as jamais été et tu le seras jamais, bordel !

— Je. Ne. Suis. Pas. À. Toi ! elle rétorque en sifflant en me pointant du doigt. J’étais peut-être

à toi à un moment donné, mais c’est plus le cas !

Tu t’en souviens ?

— Si c’est ce que t’as envie de croire, mon ange, alors vas-y.

— Ce n’est pas ce que je crois ! Je le sais !

— T’as vu tes yeux, Maddie ? (Je traverse la pièce et m’arrête devant elle.) Ils disent pas la même chose, alors pourquoi on laisserait pas tomber le défi ?

— La partie a été jouée, elle dit d’un ton aigre.

On a gagné tous les deux, Braden, et maintenant c’est fini. (Elle soupire.) Je ne sais pas ce que je suis censée te dire. Quoi qu’on ressente… c’est fini. Nous, c’est fini. Je ne suis plus à toi, main- tenant. Tu comprends ? Je. Ne. Suis. Pas. À. Toi !

— Mais moi, si ! (Je prends sa tête entre mes mains et la force à me regarder.) Je suis à toi,

Maddie. Je l’ai toujours été et ça changera pas. À

toi. Tu comprends ? Tu comprends ? Je serai tou- jours à toi !

Elle entrouvre légèrement les lèvres, mais ne dit rien.

— Hein ? j’insiste. Tu peux lutter autant que tu veux, Maddie. Mais en ce qui nous concerne, toi et moi, on appartiendra toujours l’un à l’autre.

Que ça te plaise ou pas, je suis à toi.

À l’intérieur, mon corps est en surchauffe. Mon cœur bat à tout rompre et l’adrénaline pulse dans chaque centimètre de mes veines. Je suis tellement en colère… pourtant je suis abattue et je veux

Braden.

À l’extérieur, je suis figée sur place.

— Non, je dis en détournant les yeux.

— Si.

Le ton de sa voix me supplie de le croire, de croire qu’il veut toujours de moi.

Qu’il est amoureux de moi.

— On a tous les deux joué la partie, dit-il douce- ment. Tous les deux, Maddie. On avait tous les deux le même but, et on a tous les deux réussi.

T’as pas encore compris ? Je suis tombé

amoureux de toi, mon ange. Je suis toujours raide amoureux de toi. Tu croyais qu’il se passerait quoi ? Tu croyais que j’allais te laisser sortir de ma vie comme ça, comme si t’étais rien ?

Je hoche la tête.

— Merde, Maddie ! (Il me lâche et se retourne en se frottant le visage. Une larme coule sur ma joue.) Tu croyais vraiment cette connerie ? Que j’allais te laisser passer de tout à rien ? Parce que voilà ce que t’es. C’est ce que tu étais pour moi.

Mon tout. Tu représentes tout, bon sang.

Il s’approche de nouveau pour me prendre le visage entre ses mains. Il me relève la tête jusqu’à

ce que mes yeux remplis de larmes croisent son regard inhabituellement sombre.

— C’est peut-être ça que j’aurais dû te dire l’autre jour. Tu sais que je suis pas doué pour les relations. Bon sang, j’ai dû regarder sur Google pour savoir où t’emmener pour notre deuxième rendez-vous. (Je souris légèrement.) Je suis pas doué pour ça, Maddie. J’ai foiré en beauté et ce sera sûrement pas la dernière fois. C’était peut-

être pas ce qu’il y avait de mieux à faire de te hurler dessus pour te dire comment ma vie était merdique sans toi, mais bordel… je suis com- plètement perdu sans toi. Je peux pas perdre ça,

Maddie, et j’en ai pas l’intention. Tu peux t’enfuir autant que tu veux, je te rattraperai à

chaque fois et j’essaierai à chaque fois de te prouver qu’on est faits pour être ensemble.

Une larme coule de mes yeux et il penche la tête pour l’effacer avec ses lèvres. Il pose son front contre le mien.

— Je t’aime, mon ange. Je peux pas rester là

à te regarder faire comme si tout allait bien avec

Kyle, alors que c’est pas vrai. Le seul moyen pour que tout aille bien, c’est que tu sois à mes côtés.

Dans un sens, à notre manière, on est parfaits l’un pour l’autre.

J’émets un bruit mi-rire mi-sanglot.

— Je me fiche de Kyle. Je n’éprouve rien pour lui. Et il le sait.

Les larmes finissent par déborder de mes yeux et Braden m’attire contre lui. J’enfouis mon vis- age contre son torse ferme et passe mes bras au- tour de sa taille.

— Je t’aime, je murmure à travers mes larmes.

Mais j’ai peur, Bray, j’ai peur que tout ce que je crois savoir sur nous soit faux. J’ai peur que ça se passe tout le temps mal.

— Je ne suis pas Pearce, me dit-il à l’oreille.

Je ne suis pas comme lui. Je ne te ferai jamais de mal, je ne te contrôlerai jamais et je ne te mentirai jamais. Jamais plus, il ajoute au sujet des men- songes.

— Ça, on l’a fait tous les deux. On a tous les deux menti. On s’est tous les deux trompés, j’admets tristement.

— Oui, mais ça m’a permis de te connaître,

Maddie. Ce qui a permis ça ne peut pas être une erreur.

Je relève les yeux et il pose légèrement ses lèvres sur les miennes. Je me hisse sur la pointe des pieds et l’embrasse plus fougueusement.

— T’es ma Maddie. (Ses yeux s’éclaircissent et le bleu électrique que je connais si bien refait son apparition.) Tu seras toujours ma Maddie.

Il essuie doucement les larmes sur mes joues.

— Oui, j’acquiesce, sans choix possible. (Je ne vois même pas d’autre choix possible. Je prends son visage entre mes mains et lui mordille la lèvre du bas.) Mais ça veut dire que tu es à moi.

— Toi aussi tu vas faire la femme des cavernes avec moi ? dit-il en souriant lentement.

Je lui adresse le premier sourire sincère depuis que j’ai vu mon père.

— Moi, Maddie. Toi être à moi.

Je l’embrasse de nouveau.

Il me serre dans ses bras et on s’approche du lit. Je nous fais pivoter et le pousse sur le matelas.

Je lui grimpe dessus et me mets à califourchon sur lui. Ma robe remonte le long de mes cuisses.

Braden pose ses mains sur ma peau nue et me palpe l’intérieur des cuisses avec ses pouces.

J’enfonce mes doigts dans ses cheveux et m’y agrippe fermement en l’embrassant sauvagement.

Mon passé importe peu. Peut-être qu’il ne cessera jamais de me hanter, et je sais qu’il oc- cupera toujours une place dans ma tête et dans mon cœur, mais je ne peux plus le laisser me con- trôler. Si je le laisse faire, il contrôlera aussi mon couple.

On n’est peut-être pas faits pour finir notre vie ensemble. Notre premier amour n’est peut-être pas le dernier. Je ne peux pas prédire où on en sera dans cinq, dix ou même quinze ans, mais je ne peux pas laisser mon passé diriger mon avenir.

C’est mon passé qui a fait de moi celle que je suis aujourd’hui, et en le comprenant, je peux me libérer de tous mes doutes et m’accrocher à

ce que je possède. Je peux me libérer de mes pensées concernant mon frère et m’accrocher à

Braden aussi fort qu’il me laissera le faire.

Parce que, parfois, laisser tomber est le meil- leur moyen de continuer.

Depuis deux jours que j’ai ramené Maddie dans ma chambre d’une manière qui aurait fait rougir la

Famille Pierrafeu, elle m’a pratiquement pas quit- té. Brooklyn était trop loin – foutrement trop loin

– et il est pas question que je lui donne l’occasion de s’échapper de nouveau.

Parano ? Sûrement, mais quand t’es accro, t’es accro. Et je suis accro.

La porte s’ouvre et Maddie entre en trombe. Elle se jette sur le lit et s’assoit devant moi, en souriant comme une démente. Elle a les yeux étincelants, les joues rouges et les cheveux ébouriffés. On dirait qu’on vient de faire l’amour et je l’attrape par la taille pour la faire monter sur moi.

— Devine quoi ? elle dit d’une voix gaie et ex- citée.

— Quoi ?

— Je viens de parler à Jayne – oh, c’est l’infirmière d’Abbie – et elle m’a dit qu’Abbi avait demandé à participer une activité de groupe hier !

Je passe mes bras autour d’elle et elle m’embrasse fougueusement.

— C’est une bonne nouvelle, c’est ça ?

Bon sang, je ne sais pas de quoi elle parle.

Maddie hoche la tête et son geste fait rebondir ses boucles. Les extrémités me chatouillent le visage.

— C’est génial ! elle s’exclame d’une voix ai- guë. Ça veut dire qu’elle s’est libérée de ce qui la retenait prisonnière de son esprit et de ses souvenirs. Leur espoir maintenant, c’est qu’elle communique de plus en plus avec son médecin et qu’ils puissent vraiment l’aider.

Son excitation et sa joie sont communicatives, mais je perçois une ombre de tristesse dans ses yeux.

— Hé, je dis d’une voix douce en lui caressant la colonne du bout des doigts. Tu sais que tu ne pouvais rien faire face à ce qui lui arrivait. Tu lui as déjà sauvé la vie, mon ange, et ton passage

à Brooklyn l’a sûrement sauvée encore une fois sans même que tu en aies conscience.

Elle inspire profondément et ses lèvres s’étirent légèrement.

— C’est presque flippant comme tu me con- nais bien.

— Pas flippant, je réplique avec une grimace.

Totalement naturel quand t’es amoureux.

— Oh, on est amoureux ? elle raille en haussant un sourcil.

Je grogne d’un air espiègle et la renverse pour me retrouver sur elle.

— Oui. Amoureux.

Je plonge mon regard dans ses yeux verts qui fouillent mon visage, et l’embrasse tendrement.

Elle a un bon goût sucré, et je sens celui de pépites de chocolat sur sa langue quand elle la fait tourner dans ma bouche.

— Putain de Starbucks, je murmure. Tu passes plus de temps là-bas que partout ailleurs.

Elle hausse vivement les sourcils.

— Oh, parce que je n’ai pas passé tout mon temps dans ce lit pendant les dernières quarante- huit heures, peut-être ? Je n’ai pas loupé trois cours ou la date limite de rendu d’un devoir, peut-

être ?

Je lutte pour retenir mon sourire. Je frotte mon nez contre sa joue.

— C’est pas ma faute. Je m’amusais tellement que j’ai oublié de te dire qu’on devait aller en cours.

— Ah, tu as oublié ?

— Absolument.

Je l’embrasse de nouveau et elle plonge ses doigts dans mes cheveux.

— Merci, elle murmure.

— Pour quoi ?

— Pour toujours me remonter le moral. Tu es un gros porc…

— Hé !

— Mais le meilleur de tous les porcs.

Je me laisse convaincre par le sourire sur son visage et, bon sang, je sais que je ne pourrai ja- mais rester fâché contre elle très longtemps.

— J’imagine que c’est un compliment.

— Oh, oui.

Elle hoche la tête. Elle donne un coup de hanche pour que je m’écarte et se relève. Je la rat- trape par la taille pour l’attirer de nouveau contre moi.

— Tu vas où ?

Maddie me donne une tape sur la main.

— Je vais quelque part où je verrai autre chose que ces quatre murs et le dessous de tes draps,

Braden Carter.

— Y a aucun problème avec le dessous de mes draps, je gronde en la libérant.

— J’ai jamais dit le contraire. (Elle ouvre la porte.) Mais il faut que tu saches qu’Aston jetait des regards sexy à Megan quand je suis arrivée.

— Qu’est-ce que Megan fait là si tôt ?

Je me redresse. Des regards sexy ?

— D’accord, alors premièrement, il est dix heures, et deuxièmement… (Elle rit.) Megan est toujours là à cette heure-ci. Ne me demande pas pourquoi, mais c’est vrai. Sauf que toi tu sors pas ton cul de ton lit avant l’heure du déjeuner.

Je lui adresse un sourire carnassier.

— Pourquoi je sortirais de mon lit quand t’es dedans ?

Elle me jette un regard en dissimulant son sourire.

— Allez, bouge tes fesses avant qu’Aston at- tire Megan dans son lit à coups de belles paroles toutes mielleuses.

— Il faudra d’abord me passer sur le corps !

Je bondis du lit et elle éclate de rire en refer- mant la porte.

— Dis-lui qu’elle a intérêt à être à l’autre bout de la pièce quand je vais descendre, parce que sinon c’est avec ce fils de pute que je vais faire l’homme des cavernes !

J’entends son rire dans le couloir et j’enfile un jean en précipitation, un tee-shirt, et je me rue de- hors.

Elle est en bas des escaliers et regarde par-des- sus son épaule. Elle me lance un clin d’œil et dis- paraît dans la cuisine.

Je dévale les escaliers en volant et m’arrête

à l’entrée de la cuisine en dérapant, puis je m’appuie nonchalamment contre la porte. Mad- die me fait une grimace à l’autre bout de la pièce, une tasse de café à la main. Je lui rends sa grim- ace et remarque Megan assise à côté d’elle. Aston est à l’autre bout du comptoir.

Mais il regarde Meggy.

Je lui donne une tape à l’arrière du crâne en passant à côté de lui et arrache le toast des mains de Meggy.

— Excuse-moi ! elle bredouille.

— Tu es pardonnée.

Je souris en mordant dans la tartine. Je m’appuie contre Maddie qui lève les yeux au ciel.

Megan la regarde.

— Quoi ? fait Maddie avec un haussement d’épaule. Il l’a déjà volée. Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? C’est un grand gamin.

Je lui donne une pichenette dans les côtes et

Megan me sourit.

— Elle a bien capté ton personnage, Bray, elle lance joyeusement.

Je jette un regard à Aston, et reviens sur elle.

Le sourire s’efface lentement de son visage et elle toussote. Je me penche vers elle et recourbe l’index pour lui faire signe d’approcher.

— Et j’ai capté le tien, Meggy, je la préviens.

Aston est peut-être un de mes meilleurs amis, mais il jette rien qu’un petit bisou du bout des lèvres dans ta direction, je lui éclate la gueule.

— Ça t’a peut-être échappé, mais je suis tout

à fait capable de m’en occuper moi-même, Bray, elle réplique, les dents serrées. J’apprécie, vraiment, mais si j’ai envie de sortir avec quelqu’un, ça ne te regarde pas.

— Mais ce sera pas avec un mec qui a une bite plus grosse que son cerveau.

Maddie soupire et me repousse.

— Pour l’amour du ciel, Braden. Qui a dit que

Megan allait coucher avec Aston ? Il n’a rien fait.

Elle non plus.

— Mais tu m’as dit qu’il lui faisait des regards sexy !

Megan sourit.

— Aston lance même des regards sexy à son reflet dans le miroir. C’est un joli garçon.

— T’es en train de dire que je suis pas un homme, Megan ? lance Aston.

Megan relève de grands yeux innocents.

— Je ferais ça, moi ?

— Tu sais, si t’étais pas la sœur adoptive de

Braden, je te balancerais tout de suite sur mon

épaule.

Les gars autour de lui se mettent à brailler.

— Vraiment ? fait Megan en entortillant une mèche de cheveux au bout de son doigt. Ça aurait pu me plaire. Dommage.

Je la dévisage, choquée, et Maddie pouffe dans sa main.

— Ce qui se serait passé là-haut, ça t’aurait en- core plus plu, bébé.

Je lui jette un regard noir en le voyant faire un clin d’œil à Megan.

— Garde ta bite bien rangée si tu veux pas la perdre, mec, je dis en le menaçant.

Il regarde d’abord Megan, puis moi.

— Je tiens à ma bite, alors je pense que je vais la garder bien rangée. Ça vaut que pour Megan, on est bien d’accord ?

Megan pince les lèvres.

— T’es un porc, Aston.

— Ils le sont tous, murmure Maddie en me souriant d’un air innocent.

Je lui réponds par un demi-sourire.

— Tu sais, je reprends en passant un bras au- tour de ses épaules alors que les conversations reprennent leur cours et que Megan a disparu dans le jardin, je me méfie un peu d’aller chez mes parents le week-end prochain. Qui sait ce qui peut arriver quand je suis pas là pour garder un

œil sur elle.

— Tu es son meilleur ami, ou son père ? me demande Maddie avec un regard appuyé. Tu t’inquiètes pour elle, et j’adore ça, vraiment, mais tu dois la laisser s’amuser. Laisse-la faire des er- reurs. En plus (elle jette un regard vers Aston), ce serait pas non plus une mauvaise chose, Aston…

— Maddie, je grogne.

— Je dis ça comme ça, elle répond avec un sourire. Il ne fera rien. Il respecte ton amitié.

— C’est pas lui qui m’inquiète. C’est à

Megan que je fais pas confiance.

Maddie pose une main sur ma joue.

— Arrête. Laisse-la être elle-même. Ensuite, si quelqu’un lui fait du mal, tu pourras jouer au grand-frère-alpha-des-cavernes. D’accord ?

Je fais une pause.

— D’accord ? elle insiste en forçant le ton.

Je serre les dents. Avec ces conneries d’histoires d’amour, cette fille me mène par le bout du nez et plus encore.

— D’accord, je dis d’une voix grinçante. Je vais laisser Megan faire ses propres erreurs.

— Tu le penses vraiment ?

— Oui. Je vais essayer de pas faire l’alpha- des-cavernes ou je sais pas quoi avec elle.

Maddie remplace sa main sur ma joue par ses lèvres.

— Tu prends la bonne décision, Bray. Tu ne peux pas la protéger indéfiniment.

Je tourne de nouveau les yeux vers Aston et l’observe avec attention. Il a le dos tourné et rigole avec les gars. Il a plus de charme qu’un groupe entier de charmeurs de serpents, et j’ai été

témoin des ravages qu’il a fait sur les filles ces derniers mois. La seule idée que ça puisse arriver

à Megan…

Je me tourne vers Maddie et ses magnifiques yeux verts.

— C’est précisément ce qui me fait peur.

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Extrait ajouté par Melanie-55 2021-07-27T21:31:20+02:00

Je sais que c’est un sujet délicat pour papa. Même s’il déteste vivre sans maman, il déteste paraitre faible. Et pour lui, la dépression et un signe de faiblesse. Mais ça ne l’est pas. La dépression est un signe de force, parce que ça signifie que même si votre esprit est fragile, votre coeur a toujours la force de ressentir les choses.

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Extrait ajouté par Mini-Ange 2020-02-07T18:41:44+01:00

—Pourquoi j’ai l’impression qu’un troupeau de gnous m’est passé sur le corps?

—D’une,je vois pas trop le rapport avec les genoux , et de deux, on appelle ça la gueule de bois.

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Extrait ajouté par AA71 2018-08-27T12:14:52+02:00

Ses doigts caressent et explorent doucement ma peau nue. Je me colle à lui, la peau en feu partout où il me touche

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Extrait ajouté par Helene-salah 2018-07-29T15:01:13+02:00

Je me fais réveiller par un coup de coude dans la joue.

— Bordel ! je marmonne en me redressant, me rappelant la présence de Maddie à côté de moi.

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