Extraits

« KYLE

Ce n’est plus la fille que j’ai laissée ici en début d’année.

Non, Roxy Hugues a définitivement beaucoup changé. Disparue, la gentille fille à la voix douce que je connaissais. Elle a été remplacée par quelqu’un de totalement différent. Une étrangère.

Jusqu’à ce matin, je ne voulais pas croire ce que tout le monde me disait. Je ne voulais pas croire que ma petite Roxy puisse être aussi insouciante et désinvolte, mais c’est le cas. Je n’ai aucun mal à l’imaginer en train de se saouler chaque week-end et de faire je ne sais quoi avec je ne sais qui.

Merde. Mais qu’est-ce qui lui est arrivé ? De toutes les manières dont elle aurait pu affronter la mort de Cam, il a fallu qu’elle choisisse celle-ci ? L’autodestruction ?

Je secoue la tête entre mes mains et mon regard tombe sur la photo encadrée accrochée au-dessus de la cheminée. Elle nous représente, Cam, Rox et moi, l’année dernière, juste après notre dernier match de football du lycée. Cam et moi sourions de toutes nos dents après notre victoire, nos casques calés sous le bras, et Roxy entre nous deux. Ses cheveux noirs sont regroupés sur« une épaule, un sourire effleure ses lèvres et ses yeux bleus étincellent.

Un profond sentiment de solitude s’empare de moi. Je suis à peine revenu à la maison depuis un jour, mais je le sens. Je sens le trou béant laissé par l’absence de Cam. C’est comme si Verity Point avait perdu une partie d’elle-même. Elle a perdu la vie et l’âme de la fête, le blagueur, le clown de la classe. C’était ça, Cam ; le type qui était capable de faire rire tout le monde sans même le vouloir. Mais j’ai perdu bien plus que ça. J’ai perdu mon meilleur ami, mon complice et mon frère.

M’arracher ma fichue jambe aurait été moins douloureux que de rentrer à la maison en sachant qu’il n’est plus là. En sachant qu’il ne reviendra jamais. »

"- Désolé, mec, mais j'ai comme l'impression que je suis tombé amoureux de ta soeur." Kyle

Roxy :

" - Waouh, je ne me souvenais pas que t'étais aussi con quand t'es parti l'été dernier, je réplique en masquant la véritable portée de ses mots en moi.

- Et je ne me souviens pas que t'étais une telle garce, alors j'imagine qu'on est sur un pied d'égalité."

Roxy :

" C'est l'unique personne qui aurait pu apaiser ma souffrance après la disparition de mon frère... Mais il n'était pas là. J'avais besoin de lui et il était à l'autre bout de la côte.

- Roxy.

Je cligne des yeux pour réprimer mes larmes.

- Tu n'étais pas là, je dis tout bas avec une pointe d'accusation dans la voix.

Kyle se relève et passe une main dans ses cheveux.

- Je sais. J'aurais voulu... Je... (Il observe la stèle pendant une seconde avant de soupirer.) Comment tu vas ?

- J'espère que tu ne t'attends pas vraiment à ce que je réponde à ça.

Je m'approche de la pierre tombale et m'arrête à côté de lui, tout en observant l'inscription sur le marbre gris.

Cameron John Hugues."

— Qu’est-ce qui t’a pris de retenir ma fille toute la nuit ?

— Papa, grogne Roxy. Vraiment ?

— Pour qui tu te prends ? insiste-t-il.

Je le salue en laissant échapper un rire.

— Vous ne me faites pas peur, mon vieux

— Mince. (Il hausse les épaules.) Ça valait le coup d’essayer.

Roxy.

Ce soir, nous avons partagé plus que de l'amour physique. Au cours des dernières semaines, j'ai essayé de me convaincre qu'il ne s'agissait que d'un béguin, mais c'est bien plus que ça.

Ce soir, c'est l'amour qui a frappé.

ROXY

Le deuil, c'est se lever chaque matin avec une étincelle d'espoir, puis voir cette étincelle s'éteindre pour céder la place à l'accablement. C'est se raccrocher à de vieux souvenirs et en espérer de nouveau. Le deuil, c'est regarder la porte en attendant de voir entrer la personne disparue, c'est rester à l'affût de sa voix dans un silence qui ne sera jamais brisé et c'est espérer la voir surgir au coin de la rue ou elle n'apparaîtra jamais.

Et le deuil, c'est sentir son cœur se briser un peu plus chaque fois qu'on prend de nouveau conscience qu'elle ne reviendra jamais.

P. 190-191

- J'aimerais que tu sois là, je murmure. J'aimerais que tu sois là pour me dire quoi faire. Tu es censé être là pour lui coller ton poing dans la figure. Peut-être que tu ne le ferais pas, parce que c'est Kyle, mais peu importe.

Ce serait plus facile si tu étais encore là. Je pourrais te demander si Kyle s'intéresse vraiment à moi pour ce que je suis. Je pense que oui, mais toi tu le saurais. Et puis je pourrais te demander si ça t'embête. Comme quand j'avais six ans et que je t'ai demandé ton Action Man pour le marier avec ma Barbie parce que j'avais perdu mon Ken. Mais ça t'embêtait et j'imagine que ça t'embête aussi aujourd’hui. Ne t'avise pas de venir me hanter pour me faire flipper, d'accord ? Je sais comment tu t'y prendrais. Tu me ferais le coup de Nick Quasi-sans-Tête ; tu as dit un jour que si tu devais être un fantôme ce serait lui, mais moi je crois que j'en mourrais de peur.

Ce souvenir m'arrache un rire silencieux et je m'essuie la joue.

- Tu me manques, tu sais ? Ca me manque que tu ne sois plus là pour assister aux évènements et pour me botter les fesses toutes les cinq minutes. Ca me manque de ne plus t'entendre me traiter de gamine, de ne plus te voir repousser tous les garçons qui voulaient sortir avec moi et jouer le rôle du grand méchant frère quand je le faisais quand même. Tu ne te mettais jamais en colère contre moi et, même si je détestais que tu cherches des noises aux autres garçons, maintenant c'est oublié. Je sais que tu te contentais de veiller sur moi. Je regrette que tu ne puisses plus le faire. Je regrette que tu ne puisses pas bousculer Kyle et lui faire le coup du grand frère.

Mais j'imagine que c'était inévitable. Tu ne lui as jamais dit ce que je ressentais. Bon sang, Cam, tu n'aurais pas dû le savoir. Tu l'as appris uniquement parce que tu as lu mon journal intime il y a deux ans - et d'ailleurs, je t'en veux encore -, mais tu n'as jamais rien dit. Tu ne m'as jamais taquinée à ce sujet. Je ne comprenais pas pourquoi, mais maintenant je crois que si. Si ta soeur devait tomber amoureuse de quelqu'un, il valait mieux que ce soit du seul mec en qui tu avais confiance.

Je voudrais que tu me dises que j'ai tort. Mince, alors, je voudrais que tu marches à mes côtés dans les bois et que tu me hurles dessus ! Que tu me dises que j'ai fais n'importe quoi en couchant avec lui et que tu lui botteras le cul ! Je voudrais que tu sois là. A ta place. Avec moi ! Je veux récupérer mon frère. Je ferais n'importe quoi pour que tu reviennes. Plus rien n'a d'importance désormais.

— Je ne peux pas être celle que tu veux que je sois.

Mes yeux se remplissent de larmes et mon cœur se brise. Il ne se brise pas un petit peu, non, c’est un effondrement général qui menace de m’anéantir.

— Tu ne peux pas, ou tu ne veux pas ?

Je secoue la tête.

— Alors j’imagine… J’imagine que j’ai essayé, mais que c’est fini.

Je relève les yeux.

— Si tu veux continuer à te détruire comme ça, Rox, je ne peux pas rester là à te regarder faire. Je ne peux pas passer une soirée de plus à te regarder te noyer dans l’alcool pour oublier. Continue comme ça, et c’est toi qui finiras par monter dans la voiture de quelqu’un parce que tu es trop saoule pour avoir les idées claires. Et tes parents devront enterrer un autre enfant. (Il commence à s’éloigner. À reculons. Loin de moi.) Si tu veux tomber, vas-y, mais tu ne m’entraîneras pas avec toi. Je n’ai pas l’intention de te regarder t’infliger ça plus longtemps.

Il s’en va.

Il s’en va pour de vrai.

Kyle.

Je veux seulement qu'elle soit heureuse ici.

Je passe devant la salle de bains et j'aperçois nos deux brosses à dents sur le côté du lavabo. Un sourire illumine mon visage.

Oui. Elle sera heureuse ici, ne serait-ce que parce que je vais me plier en quatre pour y parvenir. Mon regard est attiré vers la photo de Cam, elle et moi prise après un match de football. J'adresse au cadre un petit geste du menton.

- Je t'avais promis que je veillerais sur elle, non ?