Extraits

Liv. Je ne pense qu’à elle depuis mon réveil. À sa douceur, sa lumière, sa confiance qui me rendaient meilleur, à ses baisers, à son corps, à son assurance, à son innocence, à son insolence…. J’aimais tout chez elle. J’avais tout. Je n’ai plus rien.

[Tu auras toujours une place dans le cœur de Liv, Tristan. Dans le mien, aussi. Mais je dois l’emmener, pour la protéger.

Prends soin de toi et de ta mère. Et quand Harry reviendra, le monde à nouveau s’éclairera.

N’oublie jamais à quel point elle t’aime. Et n’oublie jamais qui tu es.

Craig.]

Harry a laissé tomber sa tête de l'autre côté de mon épaule, avec son alligator coincé dans la bouche qui pend dans mon dos. Je ne sais pas lequel de nous deux Liv regarde. Mais la voilà repartie dans son petit monde intérieur. Ca n'a pas l'air de la déranger de réfléchir au lieu de parler aux gens. De rester silencieuse quand on attend quelque chose d'elle. C'est assez agaçant.

Mais arrête de penser et parle, putain !

Bon, je vais encore devoir me dévouer. Je penche la tête vers le petit singe dans mes bras pour chuchoter à son oreille, genre leçon de vie d'un grand frère au plus petit, mais quand même assez fort pour que Liv entende :

-“ Ecoute-moi bien, frangin, si une fille cache ses jambes par trente-deux degrés dehors, c'est principalement pour deux raisons : soit elle a un problème d'épilation et elle a peur que tu le remarques, soit elle a un problème d'estime et elle a peur que tu la trouves trop grosse ou trop maigre. Et dans tous les cas, si elle a peur, c'est que tu lui plais.

-“ Dans tes rêves, Quinn ! me balance-t-elle avant de s'en aller.

Touchée.

-“ Au fait, Sawyer ! lui lancé-je pendant qu'elle monte les escaliers. Merci d'être venue m'ouvrir la porte !

Puis je sors les clés de ma poche et fais lentement tourner l'anneau autour de mon doigt pointévers elle. Sans oublier le petit sourire en coin qu'elle va sà»rement trouver horripilant.

Coulée.

Elle s'arrête tout à coup de monter les marches, puis soupire, sans même tourner la tête vers moi :

-“ Ca fait cinq minutes que t'es là et je ne peux déjà plus te supporter. On ne peut pas juste s'ignorer jusqu'à la fin de l'été?

-“ J'allais te proposer la même chose, réponds-je sérieusement. Et quand j'ai dit que tu étais ma demi-soeur, tout à l'heure, je plaisantais. On n'est rien l'un pour l'autre, Sawyer. Et je tiens à ce qu'on le reste.

-“ On est d'accord.

Cette fois, elle vient plonger son regard dans le mien, genre !« Tu ne me fais pas peur !». Je me frotte les cheveux à l'arrière de la tête parce que je ne sais quoi faire d'autre et que je n'aime pas trop sa nouvelle assurance. Ou plutôt parce que j'aime ça et que je ne m'y attendais pas.

Et merde, j'ai détourné les yeux en premier !

– Je suis désolé, vous savez.

– La vie t’a suffisamment malmené mon grand, me lance-t-elle, un sourire triste aux lèvres. Inutile de t’en vouloir.

– Je les ai fait fuir…

– Tu n’es pas responsable, Tristan. Ni pour la disparition de ton frère, ni pour le départ de mon fils et ma petite-fille.

Je prends une grande inspiration. L’ambiance qui règne ici, le désordre, les couleurs vives, les lumières, les odeurs, le bruit, la vie : cet endroit me fait du bien.

– Mon cœur est… vide, lui confié-je soudain.

Sa main se pose sur la mienne et la caresse, sans l’emprisonner.

– Il se remplira, à nouveau, murmure la vieille dame à la peau douce.

– Comment ? Il n’y a qu’elle… Liv. Il n’y aura jamais qu’elle, avoué-je en me raclant la gorge.

– Elle reviendra. Ne me demande pas comment je le sais, mais je le sais, sourit-elle. Elle n’en a pas fini avec toi.

C’est étrange, c’est débile, même, mais je la crois. Et quelque chose s’éclaire en moi. Comme si les paroles un peu folles de cette grand-mère barrée avaient assez de magie pour me redonner espoir.

Les ténèbres ne m’auront pas.

Sawyer… Reviens-moi.

Liv. Je ne pense qu’à elle depuis mon réveil. À sa douceur, sa lumière, sa confiance qui me rendaient meilleur, à ses baisers, à son corps, à son assurance, à son innocence, à son insolence…. J’aimais tout chez elle. J’avais tout. Je n’ai plus rien.

– Plus de père… grondé-je en pédalant de plus belle.

Un 4x4 tente de me dépasser, je l’en empêche.

– Plus de frère… soufflé-je douloureusement.

Le conducteur s’impatiente, son klaxon me casse les oreilles.

– Plus de Liv ! hurlé-je en vidant mes poumons.

– Au moins, Craig a été généreux… ajoute-t-elle distraitement.

– Comment ça ?

– Il m’a tout laissé dans ce divorce. Il ne voulait rien.

Elle se lève, s’étire et retourne à sa place attitrée depuis quatre-vingt-quatre jours : le canapé.

– Il t’a peut-être tout laissé… fais-je tout bas. Mais moi, il m’a tout pris.

– Hmm ? marmonne ma colocataire en allumant la télé.

– Rien. Je vais prendre l’air.

– Et si tu allais plutôt secouer Boyle pour qu’il retrouve mon fils ? me balance-t-elle soudain.

Tu étais tout ce que j’avais. Tout ce que je désirais.

Tu m’as filé entre les doigts.

Le seul à blâmer, c’est moi.

8J’aurais dû te retenir. Pas te faire fuir.

– Liv… murmuré-je en lâchant ma guitare. Reviens.

Ma tête se met à tourner, des étoiles défilent dans mes yeux, il faut que je les ferme et que je m’allonge. Une minute.

Juste… une… minute…

Je l’ai perdue. Je l’ai vraiment perdue. À cette heure-là, elle a déjà probablement atterri. À Paris, j’imagine.

En m’asseyant sur le parquet, dos au mur, je contemple le vide intersidéral qu’est désormais ma vie. Les secondes défilent, à moins que ce soit des minutes. J’ai tout foutu en l’air. J’ai réussi à repousser la dernière personne sur cette terre qui me donnait l’envie de vivre. Liv Sawyer. Je n’ai jamais aimé personne comme je l’ai aimée. Comme je l’aime encore.

Comme je l’aimerai toujours.

[Tu auras toujours une place dans le cœur de Liv, Tristan.

Dans le mien, aussi. Mais je dois l’emmener, pour la protéger.

Prends soin de toi et de ta mère. Et quand Harry reviendra, le monde à nouveau s’éclairera.

N’oublie jamais à quel point elle t’aime. Et n’oublie jamais qui tu es.

Craig.]

– Harry, bordel, soupiré-je. Si seulement je pouvais prendre ta place…

Tout en combattant mes larmes, j’imagine Liv profondément endormie, de l’autre côté du mur. Je lutte pour ne pas aller la rejoindre. Je crève d’envie de me perdre dans ses yeux, dans sa peau, dans son odeur. Elle seule sait apaiser mes démons, mes bosses et mes bleus. Mais pas après tout ce que je lui ai dit… Et pas après la façon, sublime mais déchirante, dont elle m’a regardé lorsque je lui ai avoué que je

5n’avais plus le droit de l’aimer.

« Je t’aime tellement… Tu pourrais me rendre si heureux que je finirais par l’oublier. Et je ne peux pas faire ça… Je ne peux pas oublier mon frère. »

Quel con. Ces mots, je les pensais, je les pense toujours, mais j’aurais mieux fait de les garder pour moi. Ce regard qu’elle m’a lancé… J’en frissonne encore.