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La Gazelle qu’il a connu à ses débuts dans une ferme, la deuxième ou la troisième, où
il est resté deux ans. Il n’avait pas su le nom du François de La Gazelle, on l’appelait comme ça parce qu’il venait de cet endroit dans la commune de Ségur, où sa mère habitait encore une maison couverte en tôle. Joseph se souvient d’autres détails au sujet du François de La Gazelle, on disait toujours le François, pas François tout seul, et personne ne disait son nom, le François sortira les bêtes, ou arrachera les pommes de terre, ou quand le François reviendra ;
il disparaissait trois ou quatre jours, il revenait, le patron criait un grand coup, le François avait la peau grise quand il revenait, il était maigre comme un loup, on plaignait sa mère, il n’avait pas d’âge.
Afficher en entierIl aimait bien les soirs, on restait devant la télévision, on ne la regardait pas forcément, on l’entendait, on était les trois dans son bruit, des images apparaissaient, disparaissaient, en fortes couleurs qui circulaient dans la pièce autour des corps, on baignait dans ces images, on était traversé par elles, on attrapait des morceaux, on sentait que le monde était vaste autour de la ferme et de ce pays tout petit dans lequel on aurait vécu.(...) Le patron se serait intéressé, surtout à la politique et au sport, mais il avait tendance à piquer du nez, à becquer comme il disait ; dès la fin du journal, il sortait du banc, se calait sur une chaise devant la cuisinière même quand elle était éteinte, et posait ses talons en appui contre le banc, ses orteils remuaient dans les chaussettes marron.
Afficher en entierJoseph y repensait, il avait été jeune dans cette ferme de la commune de Ségur dans la vallée de Santoire, maintenant ça n'était plus une seule ferme, les terres avaient été vendues d'un côté, à deux paysans différents qui faisaient tourner de grosses exploitations, et la maison, une forte maison presque carrée avec des sculptures dans la pierre de chaque côté de la porte d'entrée et au moins sept pièces en tout, la maison n'était plus dans la famille, elle était devenue une résidence secondaire très bien entretenue. Joseph le savait, il suivait ces affaires et se souvenait des maisons, des bêtes, des prés, des bois, des gens, de ce que ça avait été, de ce que ça devenait, ça devenait quelque chose, de mieux ou de moins bien, il n'aurait pas su dire, quelque chose d'autre, les gens et les terres, pas la rivière, tout se conservait et il avait beaucoup à penser.
p.15-16
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