Extraits

— Il est donc temps de passer au plan D.

Il vida son verre d’une traite et le leva vers moi en guise de faux toast.

— Le plan « Descente » ? me risquai-je avec ironie.

— Pas mal, petit frère ! Mais non. Le plan Damon.

— Qui consiste à ? Quelque chose du genre : Tuons tout Londres avant que Samuel ne s’en charge ? À moins que ce ne soit : Manipulons un million de cerveaux avant de prendre nos jambes à nos cous ? Ah non, je sais : Passons dans son camp, toi qui veux toujours sortir gagnant.

— Mauvaise réponse. (Damon haussa les épaules.) En revanche, je peux t’assurer que mon plan est meilleur que « Broyons du noir », également connu sous le nom de plan Stefan.

J'aurais tant voulu avoir quelqu'un avec qui partager mes espoirs et mes peurs. Dans cette ville aux millions de cœurs battants, pourtant, j'étais seul.

Deux frères de sang, séparés par la terre ou la mer

Que cette mèche les réunisse.

Montrez-nous la voie de Damon

Afin que du mal nous le délivrions.

Peu à peu, les rues devinrent moins encombrées et l’odeur de feux illicites, allumés avec du papier journal, remplaça les effluves de marrons grillés. Si les trottoirs étaient vides, les bas quartiers qu’ils bordaient, eux, étaient surpeuplés et je sentais des regards suspicieux peser sur nous à travers les vitrines de High Street, l’artère principale de Whitechapel. À cet endroit, nous tournâmes dans Crispin Street et eûmes tôt fait d’arriver à l’Asile Magdalene. Le bâtiment en pierre dominait, aussi haut qu’une église, le marché Spitalfields à présent déserté. Seul signe que l’Asile était habité : une bougie esseulée dont la flamme vacillait derrière un des carreaux, à l’étage. Il n’était que huit heures passées, mais au contraire du reste de Londres, dans la rue et le bâtiment régnait un silence de mort. Après tout, nous n’étions qu’à deux pâtés de maisons de Mitre Square, où Jack l’Éventreur avait commis la plupart de ses derniers crimes. Depuis, la milice de Whitechapel avait exhorté les résidents de l’East End à rester chez eux. Et le message, de toute évidence, avait été très clairement reçu.

Aujourd'hui, j'avais compris la leçon. Être immortel n'avait rien d'idyllique ou de charmant. En revanche, c'est un gage de puissance.

« Au moment crucial, entre la vie et la mort, aurais-je eu la force et le courage de rompre le sort et de relâcher mon frère ?

Je ne le croyais pas.

Et je me jurai alors, pour le reste de l'éternité, de ne jamais me retrouver en situation d'en juger.»

« Si je devais vivre pour toujours, je voulais que ma vie ait un sens.»

« Après tout, nous étions unis par les liens du sang. Et si j'avais appris une leçon au cours de ma vie de vampire, c'était que le sang, c'est la vie. Sans Damon, ma force vitale s'amenuiserait. Maintenant, il ne me restait plus qu'à faire tout ce qui était en mon pouvoir pour le retrouver...»

J'eus la sensation qu'un nuage, dans mon esprit, venait de se dissiper. Tout m'apparaissait soudain avec une clarté inébranlable. C'était si simple. Je ne pouvais pas croire qu'il m'ait fallu tout ce temps pour comprendre comment me libérer de cette situation. Je devais tuer mon frère.

Damon mort, je n'aurais plus à me soucier de qui il torturait ou qui le torturait.

Je n'avais pas peur de mourir; néanmoins, aussi étrange que cela puisse paraître après toutes nos années de querelles, je redoutais de continuer à vivre dans un monde sans Damon. Mon frère était dur, brusque, animé d'instincts destructeurs. Néanmoins, il m'avait sauvé à plus d'une reprise depuis notre arrivée à Londres. C'était sur lui que je pouvais compter lorsque je n'avais personne à qui me fier. Il était tout ce que j'avais.