Extraits

Valerie était donc belle, riche et célèbre. Pourtant, elle n'avait pas d'homme dans sa vie. Sa dernière relation datait de trois ans et cela la déprimait. Bien conservée ou pas, elle avait soixante ans.

Entretenir son apparence lui demandait beaucoup de temps, d'efforts et d'argent. Cela servait son amour-propre, bien sûr, mais aussi sa carrière, à laquelle elle était entièrement dévouée

Depuis ses quarante ans, Valerie Wyatt redoutait le 1er novembre. Elle se montrait si discrète sur son âge et avait si bien réussi à se préserver des ravages du temps que personne n'aurait pu deviner qu'elle fêtait ce matin-là son soixantième anniversaire.

C'était peut-être ça, vieillir, expliqua Valerie à sa fille. Savoir se dire "Pourquoi pas?"

C’est ça, le vrai secret de la jeunesse, d’une vie heureuse : savoir s’émerveiller, apprendre à vivre, s’intéresser à des choses qu’on ne connaît pas et rencontrer des gens. Si l’on tombe sur la personne idéale, tant mieux. Sinon, on aura quand même passé du bon temps.

Quelques instants plus tard, le famille au complet débarqua dans la pièce: Pat et Maddie, Annie et Heather, Valérie et Jack. Tous félicitèrent les heureux parents et d'extasièrent sur le petit Sam, qu'April tenait dans ses bras, radieuse, pendant que Mike lui murmurait qu'il l'aimait. Valérie regardait le bébé, les larmes aux yeux, sans lâcher la main de Jack. Et soudain, Mike prit conscience que tout était parfait. Cette vie-là n'avait rien à voir avec ce qu'il avait connu étant enfant, car sa nouvelle famille était capable d'amour: elle accueillait le nouveau-né en son sein comme elle l'avait accueilli, lui.

Une fois seuls, April et Mike s'embrassèrent, puis elle déposa un baiser sur le front de leur fils.

-Joyeux anniversaire, Sam, chuchota-t-elle.

Personne n'aurait pu deviner, quelques mois plus tôt, que le pire des anniversaire pour certains se révélerait finalement le meilleur.

Valerie eut l’impression de recevoir un coup de poing magistral à l’estomac. Comment ce type pouvait-il être au courant ? Les documentalistes devaient vérifier le fichier des permis de conduire, se dit-elle, écœurée. Elle faillit demander au chauffeur d’éteindre la radio, mais à quoi bon ? Le mal était fait. Ce talk-show faisait partie des programmes matinaux les plus écoutés à New York. A présent, la moitié de la ville devait connaître son âge. Quelle humiliation ! N’avait-on plus droit à une vie privée ? Malheureusement, pas si on s’appelait Valerie Wyatt et qu’on présentait une émission de télévision fameuse. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Combien de stations de radio reprendraient l’information ? Combien de chaînes de télévision, combien de journaux ? Allait-on voir fleurir les chroniques sur l’âge des célébrités ? Ils auraient tout aussi bien pu l’écrire en lettres d’or dans le ciel au-dessus de New York…

La mine renfrognée, elle régla la course, laissant au chauffeur un beau pourboire. La journée commençait mal. De toute façon, elle n’aimait pas son anniversaire. Malgré son succès et sa popularité, elle n’avait personne avec qui le fêter : pas de mari, pas de petit ami. Sa fille avait trop de travail pour dîner avec elle. Quant à marquer le passage des ans avec ses amis, non merci ! Elle préférait rester chez elle, dans son lit.

Elle se hâta de monter le perron délabré du vieux bâtiment en grès rouge, manqua trébucher sur une marche ébréchée et sonna. Valerie rendait visite à Alan Starr au moins deux fois par an, et lui passait un coup de fil quand elle s’ennuyait ou n’avait pas le moral.