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J'aurai peut-être pu graver mon nom sur un des murs. Juste ça. Mais je préfère ne pas prendre le risque de laisser au monde comment je m'appelle. Pour un innocent c'est perdu d'avance. Qui se rappelle le nom d'une seule des putes de Jack l'éventreur ? On ne tue pas pour supprimer la vie, on tue pour effacer le nom. Je ne mérite pas qu'on oublie mon nom. L'oubli, c'est la double peine. Si vous pouviez seulement vous rappeler qu'un homme a vécu, et que c'est moi, cela suffira.
Et un peu l'histoire de ma bouche, moi qui n'ai jamais su vivre dans l'haleine des autres.
La vie nous improvise. L'histoire nous martyrise.
Afficher en entierLa Musique conduit les âmes. Si un jour quelqu'un devait se sentir la force de raconter notre histoire, j'espère qu'il ne nous composera pas un lamento romanesque et désespéré.
Parce que dans cette tourmente, la seule chose qui pourrait dire ce qui nous est arrivé, ressemblerait aux restes d'une sonate au clair de lune qui trébuche dans la crasse, dans le barbelé des dièses. Ils ont fermé la porte du wagon.
Beethoven n'a plus qu'a allait se faire foutre.
Afficher en entierJe suis retourné plusieurs fois ne pas me suicider.
J'ai tellement tout calculé, tout imaginé, que j'aurais pu en tirer un livre. Je l'aurais appelé "Anatomie de la chute".
J'ai vite renoncé. C'est absurde un vivant qui témoigne de la mort.
Afficher en entierUn matin j'avais fait remarquer à Papa que quand on pleure, les larmes partent de l’œil, font un petit arc de cercle, et finissent sur la commissure des lèvres. Et que c'est drôle de s'imaginer que les larmes arrosent pile l'endroit précis de la bouche qui sert à sourire. Et que quand on rit, on montre ses dents, et que les dents c'est une partie du squelette.
Après l'école, le jour même de ma découverte, j'avais écrit un petit poème sur le chemin des larmes qui abreuvent les lèvres, qui irriguent le rire, que le rire montre les dents, que les dents montrent le squelette, que le squelette montre la mort, et que donc la mort c'est un gâteau avec des larmes et du rire. Je l'avais lu dans la cuisine avant le dîner. Mon père avait ri. Il était fier.
Il avait dit que j'étais intelligent comme un philosophe géant qui fait des bonds d'île en île.
Afficher en entierSi quelqu'un m'a vu ici, il racontera peut-être un homme en train de courir après une pauvre feuille de papier que le vent s'amuse à exiler. Je les ramasse toutes. Je les déchire minutieusement, et j'en garde un petit fragment. Un lambeau étroit comme une île, où je peux écrire quelques mots.
Ce que je vois, ce que j'ai devant moi, ce que mes yeux attrapent, ce qu'il me reste entre les dents. Des petites phrases.
J'écris debout.
Il n'y a pas de détails, il n'y a que des preuves. J'en ai les poches pleines.
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