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Ma tête se pose lourdement contre la vitre à l’arrière du car. Ça me fait toujours quelque chose de rouler la nuit. Il y a de temps en temps des lumières, mais on ne voit pas vraiment où on est ni où on va. Le car est silencieux et plongé dans le noir, tout le monde dort ou somnole. Si on se contente d’observer la nuit à mesure qu’on roule, il semblerait presque que ça ne s’arrêtera jamais. On pourrait continuer de rouler jusqu’à la fin des temps, comme si on était dans une boucle temporelle, et rien n’existe en dehors de cet espace clos.
C’est une bonne métaphore de la vie : on est passagers de celle-ci, attendant la mort en espérant arriver quelque part, mais ça ne dépend pas vraiment de nous, pas seulement en tout cas. Et si on se laisse aller, alors on peut louper la destination désirée. C’est un combat constant pour un semblant de maîtrise. Pendant le voyage, on se tient occupés pour passer le temps ; on mange, on dort, on va aux toilettes. On fait des rencontres parfois, s‘ignore aussi. On ne peut pas faire tout ce qu’on veut, parfois on aimerait bien que des gens se taisent. On pense connaître les personnes qui nous entourent, des travailleurs, des étudiants.
Personne ne pense qu’il y a un assassin parmi eux.
Pas sérieusement. Même s’ils se doutaient que je suis militaire, pas beaucoup penseraient aux vies que j’ai prises. Tout au plus en zone de guerre.
« Étais » militaire.
Mais oui, c’est paisible de voyager la nuit. De plus, sur les grandes routes le car ne s’arrête jamais, surtout si c’est une liaison directe, et sur plusieurs heures. On ne s’imagine pas ce qu’il en sera quand on sortira, ça paraît loin, le trajet semble interminable, infini, encore une fois. Parfois, on ne distingue même pas de démarcation entre ciel et terre, route et bas-côté, on se retrouve dans ce couloir noir, le temps ralentit presque. On ne peut pas anticiper. On n’a pas à anticiper. Juste se laisser porter.
On pourrait être dans l’espace et les lumières des villes seraient des étoiles, autant d’arrêts possibles, semblant si près, mais si insaisissables.
Après ça, l’arrivée est comme sortir d’un rêve. On se prépare et descend tout groggy, devant s’en remettre rapidement parce que la vie continue. On redevient travailleur, étudiant, assassin. Le cours du temps revient, tout comme la perception du présent, du futur, et, surtout, de ce qui fait de nous qui nous sommes : le passé.
Et au milieu de tout ça, alors que je me retrouve hors du temps et tente d’en appeler à mon entraînement militaire pour ne plus penser à rien, deux paires d’yeux qui me regardent avec des émotions opposées demeurent malgré tout ancrées dans l’écran de mon esprit.
Afficher en entierMon cœur commence à me faire miroiter des choses que je ne pense pas être prêt à confronter. Des possibilités, des reflets perçus dans leurs regards qui pourraient correspondre à des envies inavouées, autant pour eux que pour moi. Et si ça me fait peur, alors je n’ose imaginer à eux.
Afficher en entierPeut-on réellement haïr la personne qui aime le même être que nous ? Car si nos deux âmes en choisissent une, cela ne montre-t-il pas une certaine similarité dans les nôtres ?
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