Extraits

Quand j’ouvre les yeux, le cheval est enfin arrêté au milieu des allées. Les gens, en état de choc, nous fixent de leurs yeux exorbités. Un silence surnaturel laisse place à des pleurs d’enfants. Dans un état second, je passe ma jambe au-dessus de la croupe pour me laisser glisser au sol. C'est le moment où tous reprennent leurs esprits, que mes jambes ne me portent plus et que je vais me faire lyncher...

En quelques secondes, il a sorti la bête furieuse, m’a propulsée sur son dos, les étriers sont déjà réglés pour moi et il nous emmène vers la carrière à disposition des cavaliers et propriétaires. Sans avoir pu reprendre mon souffle, déposée sur la selle, les rênes dans les mains, je suis abandonnée sur le monstre sans autres états d’âmes. Jamais je ne me suis sentie aussi en péril sur un équidé. Pourtant j’en ai monté des « verts et des pas mûrs » ! L’alezan bodybuildé souffle bruyamment, je resserre instinctivement les jambes pour amortir le prochain mouvement qui va être violent, j’en suis certaine.

Autant dire que je n’ai jamais été la reine du bal. Dès que j’ai compris que je n’étais pas attrayante à regarder, j’ai développé d’autres atouts, un sens de la répartie à toute épreuve, un flegme sans faille, une audace à la limite de l’inconscience et toujours de bonne humeur, sauf aujourd’hui. Bien-sûr tout n’est que façade. Je suis juste une fille qui a envie d’être acceptée. Il n’y a qu’à cheval que je me sens transcendée. Quand je fais corps avec ma monture, que j’épouse ses mouvements, que nous dansons, je deviens belle.

De plus en plus énervée, je bouscule les visiteurs sans m’excuser. Qu’est-ce qu’ils ont tous, à boucher la circulation quand moi je travaille ! Ma hauteur modeste et mon tour de taille épais m’empêchent de me glisser entre les touristes agglutinés en grappe. Je les pousse, les sépare comme une étrave fend la glace, sans ménagement et avec violence. Certains râlent, je me contente de leur jeter un regard glacial.