Extraits

Chapitre 2

Nifelheim incorporated

Le vrombissement des moteurs lui parvint au loin et la tira de sa somnolence. Sa tête lourde la lançait, ses oreilles bourdonnaient. Où se trouvait-elle ? Elle ouvrit péniblement les yeux et découvrit l’intérieur luxueux d’un avion privé. Son regard s’arrêta sur le sol tapissé d’une épaisse moquette puis sur les sièges en cuir de la même couleur crème. Elle n’eut pas le temps de prolonger son inspection, une voix masculine s’éleva à l’avant de l’appareil.

— Kitty, vous êtes enfin réveillée. Venez donc prendre un rafraîchissement.

Un jeune Asiatique vêtu d’un kimono de soie brodé l’aida à détacher sa ceinture de sécurité et à se redresser. Kitty se sentit vaciller puis reprit ses esprits peu à peu. Elle remonta lentement l’allée, en se tenant au rebord des sièges passagers vides.

— Bonjour, Kitty ! Je suis ravi de vous rencontrer enfin ! Je vous en prie, asseyez-vous ici en face de moi !

Kitty s’exécuta. Face à elle se trouvait un homme d’une quarantaine d’années, très beau. Un rayon de soleil éclairait ses cheveux blonds ondulés et faisait ressortir ses yeux mordorés, semblables à ceux d’un fauve. L’inconnu portait un pantalon de coton noir et une chemise blanche dont les manches étaient relevées, avec une montre en or au poignet gauche. Il ne la quittait pas du regard, comme s’il cherchait à évaluer sa proie. Sans qu’elle puisse s’en empêcher, Kitty eut la chair de poule ; quelque chose dans le visage de cet homme lui semblait vaguement familier et lui évoquait Markthus Gornic et Drake Vicious. Pourtant, il était manifeste qu’elle ne l’avait jamais rencontré auparavant.

— Bien vu, Kitty, fit l’homme en adressant un signe au steward pour qu’il lui remplisse son verre vide, je connais très bien Markthus, auquel vous avez donné du fil à retordre l’année dernière.

En disant ces paroles, un rictus amincit ses lèvres et Kitty frissonna à nouveau, certaine de ne pouvoir lui cacher ses pensées pour peu qu’il se concentrât sur elles.

Dans un ciel d’un bleu éclatant, quelques petits nuages cotonneux voguaient au-dessus de l’État du Kansas et semblaient se pousser du coude pour être aux premières loges du spectacle qui se déroulait un peu plus bas, dans la localité de Peabody.

Rassemblées au centre du stade, une trentaine de silhouettes en mini-jupes et socquettes blanches, moulées dans des tee-shirts jaunes trop étroits, se démenaient au rythme d’une musique entraînante, en agitant frénétiquement d’énormes pompons rose fluo.

— B-E-L-M-O-N-T ! s’époumonait dans un jet de postillons la capitaine de l’équipe en détachant chacune des lettres qui composait le nom de son collège. Vive Belmont ! À Belmont, tout le monde est beau, tout le monde est bon ! À Belmont, pas de maigrichons ni de cornichons ! B-E-L-M-O-N-T ! Vive Belmont !

Elle baissa son porte-voix pour souffler un peu.

— Belmont ! Vive Belmont ! répéta en chœur un groupe d’adolescentes, avec un sourire éclatant, derrière les couettes qui fouettaient leur visage entre chaque mouvement.

Assise à l’ombre d’un chêne centenaire, Kitty Lord observait la scène à distance avec une moue d’ennui. Elle se sentait plutôt ridicule dans la tenue de parade des pom-pom girls. En général, évitant de s’exposer aux regards d’autrui, elle n’avait jamais manifesté la moindre envie d’être recrutée dans le corps de celles qu’elle avait baptisées les « nunuches girls », chargées de soutenir le moral de l’équipe de football américain du collège lors des matchs. Seule, la crainte d’avoir à subir un interrogatoire de Mr Cleophase, son professeur de sport, l’avait poussée à participer à l’audition de recrutement qu’il avait tenu à organiser pendant les vacances scolaires, avant la rentrée des classes de février.

Tandis que les adolescentes se trémoussaient pour obtenir le privilège de faire partie de l’équipe officielle du collège, Kitty songeait aux aventures qu’elle avait vécues au cours de l’année scolaire précédente.

Depuis qu’elle était de retour à son orphelinat, elle ne parvenait qu’avec difficulté à évoquer calmement le traumatisme de l’enlèvement qu’elle avait vécu un an plus tôt. Le Centre Genesis, une société de biotechnologies ultra-puissante basée à Los Angeles, l’avait en effet enlevée et contrainte à participer à une Sélection secrète, qui devait couronner l’adolescent pourvu des meilleurs gènes, ceux de la violence et du paranormal, selon ses ravisseurs !

Au cours d’épreuves, qui se terminaient inévitablement par la mort de tous les participants, sauf celle du gagnant, Kitty avait noué des liens d’amitié avec Ray Phoenix, Gedeon Camper, Mombo Kotto et Jade Shushu, ses adversaires les moins dangereux. Grâce à l’action conjuguée de leurs pouvoirs paranormaux, elle était parvenue à s’évader et à alerter le F.B.I. qui les avait sauvés.

Pendant sa détention, elle avait appris de la bouche même de son ravisseur, Markthus Gornic, le P.-D.G. du Centre Genesis et protecteur de son rival Drake Vicious, qu’elle était tout comme eux une Néphilim, une créature mutante dont l’apparition remonterait, d’après les indications fournies dans la Bible, à la période antédiluvienne – celle qui avait précédé le Déluge.