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C’est un hors-temps dans le temps… Quand ai-je pour la première fois ressenti cet abandon exquis qui n’est possible qu’à deux ? La quiétude que nous éprouvons lorsque nous sommes seuls, cette certitude de nous-mêmes dans la sérénité de la solitude ne sont rien en comparaison du laisser-aller, laisser-venir et laisser-parler qui se vit avec l’autre, en compagnie complice… Quand ai-je pour la première fois ressenti ce délassement heureux en présence d’un homme ?
Aujourd’hui, c’est la première fois.
Afficher en entier— Qu’est-ce que les Anglais ont inventé, selon toi ? lui demande Kakuro, toujours à son concours culturel.
Paloma réfléchit intensément.
— Le chapeau comme emblème de la psychorigidité, dit-elle.
— Magnifique, dit Kakuro.
Je note que j’ai probablement largement sous-estimé Paloma et qu’il faudra approfondir cette affaire-là, mais, parce que le destin frappe toujours trois fois et puisque tous les conspirateurs sont voués un jour à être démasqués, on tambourine de nouveau au carreau de la loge, différant ma réflexion.
Afficher en entierManuela est quelqu’un de très enthousiaste.
— Nous prenions le thé, vous vous joignez à nous ? dis je.
— Ah mais volontiers, dit Kakuro en se saisissant d’une chaise. Et, apercevant Léon : Oh, le beau morceau ! Je ne l’avais pas bien vu l’autre fois. On dirait un sumo !
— Prenez donc une madeleine, elles sont à l’orgie, dit Manuela qui s’emmêle les pinceaux tout en poussant le panier vers Kakuro.
L’orgie est vraisemblablement une forme vicieuse de l’orange.
Afficher en entier— Je fais en sorte chaque jour que ma sœur me prenne pour une débile, me déclare-t-elle après une longue gorgée de spécialiste. Ma sœur, qui passe des soirées entières avec ses copains à fumer et à boire et à parler comme les jeunes de banlieue parce qu’elle pense que son intelligence ne peut pas être mise en doute.
Ce qui va très bien avec la mode SDF.
— Je suis là en émissaire parce que c’est une lâche doublée d’une trouillarde, poursuit Paloma en me regardant toujours fixement de ses grands yeux limpides.
— Eh bien, ça nous aura donné l’occasion de faire connaissance, dis-je poliment
Afficher en entierJe mets quelques instants à émerger du vide. Deux heures de sommeil ne disposent pas à une grande aménité envers le genre humain et les nombreux coups de sonnette qui suivent tandis que j’enfile robe et chaussons et que je me passe la main dans des cheveux étrangement mousseux ne stimulent pas mon altruisme.
J’ouvre la porte et me trouve nez à nez avec Colombe Josse.
— Eh bien, me dit-elle, vous avez été prise dans un embouteillage ?
J’ai du mal à croire à ce que j’entends.
— Il est sept heures, dis-je.
Elle me regarde.
— Oui, je sais, dit-elle.
— La loge ouvre à huit heures, j’indique en faisant un énorme effort sur moi-même.
— Comment ça, à huit heures ? demande-t-elle d’un air choqué. Il y a des heures ?
Afficher en entierMa mère, qui a lu tout Balzac et cite Flaubert à chaque dîner, démontre chaque jour à quel point l’instruction est une escroquerie fumante. Il suffit de la regarder avec les chats. Elle est vaguement consciente de leur potentiel décoratif mais elle s’obstine pourtant à leur parler comme à des personnes, ce qui ne lui viendrait pas à l’esprit avec une lampe ou une statuette étrusque.
Afficher en entierCar pour que la conscience advienne, il faut un nom.
Or, par un concours de circonstances malheureux, il apparaît que nul n’avait songé à me donner le mien.
— Voilà de bien jolis yeux, me dit encore l’institutrice et j’eus l’intuition qu’elle ne mentait pas, que mes yeux à cet instant brillaient de toute cette beauté et, reflétant le miracle de ma naissance, scintillaient comme mille feux. Je me mis à trembler et cherchai dans les siens la complicité qu’engendre toute joie partagée.
Dans son regard doux et bienveillant, je ne lus que de la compassion.
À l’heure où je naissais enfin, on me prenait seulement en pitié.
Afficher en entierAlors je me suis dit : ça y est, j’ai été capable de repérer dans le monde des mouvements immobiles ; est-ce que ça, ça vaut la peine de continuer ? À ce moment-là, un joueur français a perdu son short dans un maul et, tout d’un coup, je me suis sentie complètement déprimée parce que ça a fait rire tout le monde aux larmes, y compris papa qui s’en est retapé une petite bière, malgré deux siècles de protestantisme familial. Moi, j’avais l’impression d’une profanation.
Afficher en entierEt puis surtout, je me suis lancé un petit défi : si on se suicide, il faut être sûr de ce qu’on fait et on ne peut pas brûler l’appartement « pour des prunes ». Alors s’il y a quelque chose dans ce monde qui vaut la peine de vivre, je ne dois pas le louper parce qu’une fois qu’on est mort, il est trop tard pour avoir des regrets et parce que mourir parce qu’on s’est trompé, c’est vraiment trop bête.
Afficher en entierPierre Arthens, qui connaît son Proust mais n’en a conçu à l’endroit des concierges aucune mansuétude spéciale, se racle la gorge avec impatience.
Je rappelle sa question :
— Pourriez-vous me l’apporter immédiatement (le paquet par coursier – les colis de riche n’empruntant pas les voies postales usuelles) ?
— Oui, dis-je, en battant des records de concision, encouragée en cela par la sienne et par l’absence de s’il vous plaît que la forme interrogative et conditionnelle ne saurait, d’après moi, excuser totalement.
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