L'Agence Pinkerton, Tome 3 : Le Complot de la Dernière Aube

olombie-Britannique, Canada

Mars 1871

Le blizzard dévala des hauteurs sans crier gare. En quelques instants, il répandit son haleine laiteuse parmi les sapins avec la vigueur d'une avalanche. En dépit de nos manteaux en peau de castor, nous nous retrouvâmes d'un coup fouettés et griffés par des houppelandes de minuscules cristaux de glace. Plus question de continuer. Il fallait rapidement trouver un refuge. Les chevaux que nous menions par la longe renâclèrent avec force et il fallut les convaincre de nous suivre à l'abri d'un rocher qui émergeait non loin de là. Comme s'il ne suffisait pas que la neige nous monte jusqu'à mi-cuisse et que ce maudit froid s'insinue jusqu'à la moelle de nos os...

Le décor de montagnes et de forêts s'effaça autour de nous et nous courbâmes l'échiné face à ce déferlement imprévu. Le Wild ne se laissait pas si facilement explorer. No, Sir. Le Wild. Ce seul nom... C'est ainsi que les Canadiens désignaient leurs étendues infinies et majestueuses, cette alternance de forêts insondables et d après massifs hantés par loups, ours, chats sauvages et je ne sais quelles espèces encore assez peu amicales pour l'homme. Sans parler des tribus indiennes adaptées depuis des siècles à cette existence rigoureuse, dont les sentiments à l'égard des Blancs étaient pour le moins ambigus. Terre d'hiver. Terre de souffrance. Le Wild. Il ne s'était pas passé un jour depuis le début de notre expédition sans que nous ne mesurions, mes quatre compagnons et moi, à quel point cette appellation n'était pas usurpée.

Front baissé, regard fixé devant lui, Armando Demayo restait imperturbable, peu impressionné par ce soulèvement brutal des éléments. Interrogeait-il encore la Femme Changeante, la Terre-Mère chère à son peuple, sur la direction à suivre ? Ou, plus simplement, laissait-il ses sens si développés sonder les environs ? Notre ami navajo ne raffolait pas de ce climat canadien, lui qui avait passé son enfance parmi les mesas écrasées sous le soleil d'Arizona, mais sa capacité d'adaptation forçait l'admiration. Il paraissait toujours serein et détaché de la rudesse des événements.