Extraits

Qay aida Jeremy à faire passer son vêtement par-dessus sa tête et le laissa tomber à terre. Il s’attaqua ensuite aux boutons de la chemise que Jeremy portait sous son sweater. Quand il trouva dessous un tee-shirt, il s’impatienta :

— Non, mais c’est pas vrai ! Tu es pire qu’un oignon ! Combien as-tu de couches de vêtements ? Si je continue à te déshabiller, j’ai peur qu’il ne reste plus rien de toi, tu sais, comme la minuscule poupée qu’on trouve à l’intérieur d’une matriochka.

Qay dégagea doucement sa main et haussa les épaules.

— Tu es Captain Caféine.

— Captain Caféine ? répéta Jeremy, étonné.

— Un superhéros ! Beau, bien baraqué, avec un super travail et un chouette uniforme. Tout le monde te connaît et t’appelle chef. Tu conduis une voiture de dictateur. Tu as des amis comme Rhoda, des gens géniaux. Tu es pratiquement parfait. Moi, je ne suis pas grand-chose, j’en suis conscient, mais j’existe et ça m’a demandé des efforts terribles pour arriver là. Je voulais que tu voies le nouveau moi, celui que j’ai créé tout seul, pas le taré que j’étais autrefois, au Kansas.

Pendant un long moment, Jeremy resta bouche bée, comme tétanisé.

À l’intérieur de chaque homme vit le petit garçon qu’il a été autrefois. Peu importe la taille de l’adulte et les kilomètres parcourus. Peu importe la hauteur du pont duquel il a sauté.

— Quand les travaux seront finis et qu’on m’aura livré tout ce que j’ai commandé, tu pourras peut-être m’aider à emménager.

— Parce que tu trouves que j’ai l’air d’un décorateur d’intérieur ?

Jeremy éclata de rire.

— Tu es un gay aussi inadapté que moi, à ce que je vois ! Allons nous mettre au lit et à poil, histoire de nous prouver que nous sommes encore de vrais homosexuels.

Qay tenait à Jeremy autant que ses poumons tenaient à l’oxygène.

Ignorant l’agitation du vendredi soir qui faisait bruisser la salle, elle s’attabla en face de Qay. Elle apportait un gros brownie, elle le partagea en deux et fit glisser l’assiette vers Qay.

— Tiens, ajouta-t-elle, mange. Je prends moins de calories quand je mange dans ton assiette.

— J’ignorais que ça fonctionnait comme ça !

— Je t’assure que c’est vrai, mon chou. Et les calories ne se comptent pas non plus quand on mange directement dans le frigo ou pendant les vacances.

Elle enfourna un gros morceau de gâteau dans sa bouche.

— Donc, moi, je vais grossir puisqu’il s’agit désormais de mon assiette ? s’enquit Qay.

— Oui, mais c’est pas grave, tu peux prendre quelques kilos. Tout finit par s’équilibrer, tu vois. C’est la loi quantique des calories. N’as-tu rien appris d’utile à l’université ?

Malgré son humeur sombre, il ne put retenir un rire.

— Je n’en suis pas encore arrivé là, sans doute.

Ses exploits sexuels se faisaient rares ces derniers temps – son stock ne recevait plus aucune mise à jour. Les scènes qu’il gardait en mémoire dataient de plusieurs années. De plus, il censurait impitoyablement toutes celles qui impliquaient les drogues ou l’alcool. Donc, la quasi-totalité de son passé en ce domaine.

Si son esprit fonctionnait mal ce soir, c’était peut-être parce que Qay ne cessait de penser au Captain Caféine, aux épais pectoraux qui déformaient le coton de son sweater, aux mains puissantes qui tenaient le mug de café, aux rides de tension qui marquaient les yeux gris pâle. Sans doute portait-il sous ses vêtements une cape et un collant en Spandex. Sans doute avait-il une voix sonore qui portait loin quand il luttait pour rétablir la vérité, la justice et le commerce équitable des grains arabica. Sans doute son plus grand problème dans la vie était-il de décider quelle partie de son corps il allait d’abord faire travailler lorsqu’il se rendait à la salle de gym.

D’accord, là, il se montait injuste. Captain Caféine avait vraiment eu l’air troublé. D’expérience, Qay savait que l’aspect physique ne signifiait pas tout et qu’un bel homme ne menait pas forcément une vie parfaite. Même un superhéros avait contre lui un ou deux ennemis prédestinés.

Qay décida que Jeremy était l’équivalent humain de son SUV : grand et puissant, flamboyant, mais solide malgré le côté bling-bling. Lui, par contre, était une vieille voiture d’occasion. Pas un tacot qui vous lâchait aux premiers kilomètres, plutôt un 4x4 avec beaucoup d’heures de route, des rayures et des bosses, des sièges éraflés et une carrosserie ternie. Il roulait encore – son moteur tournait –, mais il était du genre qu’on échangeait à la première occasion en espérant trouver mieux.

— L’amour ne suffit pas, Jer, il ne peut pas tout conquérir, mais c’est un allié très puissant pour marcher vers la victoire.