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Extrait ajouté par bridget 2014-05-23T17:36:31+02:00

Dans la lumière d'un début d'après-midi de juin, en cette heure vide qui suit le déjeuner, un homme et une femme étaient assis dans une pièce donnant sur la mer.

La femme écrivait avec la plus grande concentration. L'homme jouait du piano. Il tapotait un petit air avec la détermination d'une femme occupée à son tricot. Comme chez les tricoteuses, c'étaient ses mains affairées, plus que son visage, qui accaparaient l'attention. De ses mains et de son jeu se dégageait une impression de délicatesse, d'émotion maîtrisée. Pourtant le pli amer de la bouche venait démentir la délicatesse des mains et de la musique, tout comme les rides qu'une lutte, victorieuse ou perdue, avait creusées dans ce visage allongé ; seules subsistaient les traces du combat. Quelles qu'aient été ses souffrances, ses yeux noisette aux lourdes paupières exprimaient un parfait équilibre mental lorsque l'homme redressa la tête pour prêter une oreille complaisante à son propre jeu. Ses épaules maigres remuaient sous un épais pull-over de couleur rouille ; il se mit à chanter, et ce de manière épouvantable.

Exaspérée, la femme reposa bruyamment son stylo et pivota vers l'homme, le piano et la mer.

«Oliver, vous êtes vraiment obligé de chanter ? Vous savez que ça m'horripile.»

Il se retourna. Ses yeux se moquaient d'elle autant que de lui-même.

«Une voix de salon un peu haut perchée, certes, mais plutôt agréable, je trouve.»

Elle se leva et se dirigea vers lui : elle avait des seins et des fesses aussi ronds que quatre nids de grives de l'année, de longs flancs d'acier et des côtes étagées aussi impeccablement que les barreaux d'une cage à oiseaux. Elle opposait au temps qui passe un menton tellement haut que cela lui donnait parfois une allure stupide, comme si cette pose pleine d'assurance allait la faire basculer en arrière. Ses cheveux étaient blancs depuis ses vingt-neuf ans, décoloration spectaculaire à la mort de son mari. À quarante-sept ans, sa chevelure possédait une vigueur, une souplesse et un éclat véritablement étonnants.

«Pardonnez-moi, mon cher, dit-elle d'une voix moins glaciale, mais j'ai l'impression d'être un de ces horribles pingouins qui battent des ailes sans pouvoir avancer. Quelle heure est-il ?»

Lui ayant lancé un regard à la fois indulgent, réprobateur et désespéré, Oliver baissa les yeux sur sa montre.

«Vous me demandez ça toutes les dix minutes depuis le déjeuner.

- Quelle raseuse je fais. Mais répondez-moi quand même, insista-t-elle, tout en rectifiant énergiquement une pile de magazines.

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