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Effectivement, je suis devenue folle. Sept ans de souffrance physique et mentale. Une hospitalisation en institut psychiatrique de six mois. Des cachetons… des tonnes de cachetons, et puis le retour à la vie. Mais la vie ne m’avait pas attendue. Martin était parti et avait demandé le divorce sans m’en parler. Enfin, il l’avait peut-être fait après tout… En tout cas, il l’avait obtenu sans que j’aie mon mot à dire.
Sans me regarder, elle se saisit de la cinquième et avant-dernière carte. Quand la figure apparaît sur la table, elle a un mouvement de recul.
Afficher en entierDix minutes plus tard, malgré mon scepticisme, j’ai pris place sur un tabouret matelassé et l’observe, les coudes posés sur la petite table en bois. Elle a revêtu un grand châle en soie qui lui couvre le crâne et qui descend jusqu’aux épaules. Elle brasse les cartes dans une série de mouvements parfaitement coordonnés.
Tarot de Marseille. Elle va lire mon avenir.
T’es vraiment dingue, ma pauvre. Tu te rends compte que c’est n’importe quoi ? !
Après un dernier battage, elle pose les cartes sur le tapis et plante son regard de braise dans le mien.
Afficher en entierC’est un électrochoc. La pancarte lumineuse est une révélation. Cela fait des années que je m’entête, que je cherche une solution pour retrouver les pièces manquantes de mon passé, mais je n’avais jamais envisagé la voyance.
Pourtant…
Est-ce un signe du destin ?
Et pourquoi pas ?
Je me mords la joue puis tâche d’ordonner mes pensées, aussi bordéliques que mon sac à main. Je suis en train de dérailler. Mon entêtement à vouloir connaître la vérité à tout prix me joue des tours.
Arrête ! Tu sais très bien que ce sont des charlatans.
Mais l’idée reste ancrée et refuse de s’évanouir.
Qu’est-ce que tu risques ?
Malgré ma conscience, qui me serine de ne pas aller plus loin, j’appuie sur l’interphone, soumise à une irrésistible attraction.
Afficher en entierJ’évite de justesse le lampadaire qui a surgi devant moi sans crier gare puis m’engage dans la petite rue qui part en oblique vers les quais du Rhône. Les trottoirs ont fini par se vider de la masse informe de la foule et étalent leur bitume détrempé par la neige fondue qui tombe sans discontinuer sous les lumières artificielles.
Je marche lentement et laisse mon regard vagabonder au gré des vitrines.
Une agence bancaire. Un commerce de meubles importés du Bangladesh. Une boutique de lingerie que j’ai eu l’habitude de fréquenter il y a quelques années, quand il me restait encore un semblant de féminité, quand je faisais encore attention à mon aspect extérieur et à mon pouvoir de séduction.
Afficher en entierLa nuit est tombée et un froid glacial s’est abattu sur la ville. La séance de psychanalyse est terminée et mes espoirs se sont évanouis avec elle.
Je marche dans la rue, hagarde, encore sonnée par mes visions.
À chaque fois, cela me fait le même effet. Pourtant, ce n’est pas faute de m’y être préparée. Affronter mes vieux démons, les matérialiser pour mieux les terrasser, cela fait partie de ma thérapie. Mais, visiblement, brasser les souvenirs relève toujours pour moi d’une expérience extrêmement douloureuse.
Ces images, ces images terribles, baignent encore mon inconscient malgré les années. Je suis marquée au fer rouge – le sceau du diable – pour l’éternité.
Afficher en entierQuinze ans que cela s’est passé. Quinze ans que cela dure.
La scène se répète invariablement, même si ces derniers temps, grâce à notre travail, elle devient de plus en plus précise, presque réelle.
J’ai perdu une partie de moi ce jour-là. Je veux la retrouver.
Je suis persuadée que ma mémoire en détient la clé. Quelque chose qu’elle a capté à mon insu et qui m’aidera dans ma quête.
C’est ma dernière volonté : qu’il me rende ma fille, l’amour de ma vie. La seule raison qui me reste dans cette existence de détresse.
Afficher en entierMais je ne me laisse pas convaincre. J’ai toujours été une battante. Un peu trop d’ailleurs. Trait de caractère qui a renforcé mon côté masculin, au désarroi de mes proches. Martin me le disait souvent. Mais comment faire autrement quand on a été fille unique au milieu d’un monde d’hommes ? Pas vraiment le choix. Ma mère nous a quittés bien trop tôt, nous laissant tous les quatre : mon père, mes deux frères et moi.
Un vrai garçon manqué, disait mon paternel. Il n’avait pas tort. Je le suis restée, aujourd’hui encore. Féminine dans mon aspect physique mais avec un caractère en acier trempé. C’est sans doute pour cette raison que je suis entrée dans la police. Y trouvant certainement un univers en adéquation avec ce que j’avais vécu pendant mon enfance : peuplé de machos protecteurs et bornés.
Afficher en entierIl se lève, fait le tour du bureau en faisant craquer ses longs doigts osseux puis s’arrête pour me jeter un regard qui en dit long sur ses interrogations.
Les traits de son visage sont tendus comme un arc sur le point de rompre. Malgré cela, il réussit à ouvrir la bouche. Une bouche d’ailleurs plutôt pulpeuse pour un homme, détonnant radicalement avec la petite moustache qui la surplombe et la calvitie qui s’est installée sur son crâne, au point de le dénuder aux trois quarts.
Afficher en entierLui, c’est le docteur Pérusa, psychiatre de son état. Un homme grand, mince, presque maigre. Un costume haute couture, coupé avec soin et certainement réalisé sur mesure. Un carré de soie planté dans sa poche de son veston.
Bref, un homme coquet, un brin suranné. C’est d’ailleurs ce qui m’avait frappée quand j’étais entrée dans son cabinet pour la toute première fois.
Afficher en entier– Ne faites pas ça. Je vous en prie. Non ! ne faites pas ça !
Je hurle à m’en décrocher la mâchoire, mais il n’en a que faire. Avec habileté, il plonge la lame étincelante entre la chair et le derme de la jeune femme qui se débat à quelques mètres de moi.
– Vous… Vous n’êtes qu’un monstre ! !
Le sang perle des blessures qu’il vient d’occasionner. Rapidement, les soubresauts deviennent convulsions et les sillons, des rivières pourpres. J’assiste à une barbarie sans nom. C’est terrible. Mon estomac se contracte. Rien qu’à imaginer les souffrances de la fille étendue sur cette planche, j’ai envie de recracher tout ce que j’ai avalé ce matin. Le pire, c’est l’absence de cris, comme si le bâillon retenait la douleur. Mais j’en suis certaine, elle souffre. À un point inimaginable. Ses yeux… Ses yeux qui m’implorent, qui me supplient de l’aider, sont à la dérive. Elle n’est plus qu’une âme en perdition s’accrochant désespérément à la vie.
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