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L'Autre rive, tome 1 : Solémine



Description ajoutée par ikare 2015-01-05T19:57:38+01:00

Résumé

"L’enfer aussi est un pays."

Le garçon ne pouvait s’empêcher de fixer cette phrase. Elle était gravée dans la pierre à hauteur de ses yeux, précédent un nombre effroyable de bâtons: 121 au total, le garçon les avait comptés plusieurs fois. La lanterne posée sur les genoux, le menton enfoui dans le col de son pull, il regardait les muscles tremblants les mots écrits par un autre, au fond de ce trou, des mois, des années auparavant. L’enfer aussi est un pays.

Soudain, la trappe s’ouvrit et la tête d’un garde apparut:

"Remets la lanterne dans le seau" lança-t-il.

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extrait

Extrait ajouté par ikare 2015-01-05T19:58:49+01:00

L’enfer aussi est un pays

Le garçon ne pouvait s’empêcher de fixer cette phrase. Elle était gravée dans la pierre à hauteur de ses yeux, précédant un nombre effroyable de bâtons : 121 au total, le garçon les avait comptés plusieurs fois. La lanterne posée sur les genoux, le menton enfoui dans le col de son pull, il regardait les muscles tremblants les mots écrits par un autre, au fond de ce trou, des mois, des années auparavant. L’enfer aussi est un pays.

Soudain, la trappe s’ouvrit et la tête d’un garde apparut :

« Remets la lanterne dans le seau », lui lança-t-il.

Le garçon baissa les yeux un moment. La flamme de la bougie vacillait sur les petites parois en verre de la lanterne, et sa lumière vitale se balançait contre les murs. Le garçon eut un soupir, regarda une dernière fois l’inscription sur la pierre, puis déposa la lanterne dans le seau. Le garde tira sur la corde et remonta le seau, puis il referma la trappe et ce fut le noir.

Cinq jours de lumière, vingt jours de noir, tel était le règlement. Au-delà de trente jours, certains devenaient aveugles.

Le garçon laissa sa tête basculer contre le mur. Sous son crâne rasé, la pierre était froide. Il en avait pris pour un mois, un mois pour une simple erreur de timing, ou de jugement. Il y était presque cette fois-ci, un peu plus et c’était la liberté.

Le garçon se gratta le crâne longuement, puis il toussa et reposa sa tête sur la pierre. Les poux, le froid, et le noir pour un mois. Comment en était-il arrivé là ? À quel moment avait-il fait le mauvais choix, pris le mauvais chemin, parlé aux mauvaises personnes ? Tout s’était enchaîné tellement vite. Et tout avait paru tellement long. Bientôt cinq mois, cinq mois comme des années. Presque cinq mois depuis qu’il avait sauté de cette roulotte, cette nuit-là, qu’il avait pour la première fois vu les murs du fort, la porte en fer de Solémine.

Il s’en souviendrait toute sa vie.

Quatre mois et dix-neuf jours plus tôt

Quand il avait ouvert les yeux, son premier réflexe avait été de monter ses mains à sa tête, mais il avait senti la corde serrée autour de ses poignets, dans son dos. Il avait tiré une fois sans grande conviction, puis la fatigue l’avait submergé.

Il était assis contre une paroi, sur un sol en bois, et il faisait noir. Le froid avait été sa première sensation, un froid humide, collé à ses vêtements, rendant ses pieds durs et presque insensibles. Douloureusement, il les avait levés l’un après l’autre, avait bougé ses orteils dans ses chaussures. Puis il avait encore tiré sur ses bras.

Il pouvait sentir la paralysie dans ses muscles, la raideur de ses épaules, le lancinement de son cou. Cela devait faire des heures qu’il était assis dans cette pièce sombre, les bras attachés ensemble dans le dos. Des heures dont il ne se souvenait plus. Tout était flou et vague.

Il n’y avait pas un bruit autour de lui, pas une seule lumière. Alors, lentement, il avait remonté le fil des évènements jusqu’à ses derniers souvenirs : la plage, avec Elliot et Mathias, la partie de foot près des falaises. Il avait dû se passer quelque chose, quelque chose entre ce moment-là et cette pièce sombre. En se concentrant davantage, le fil de la partie lui revenait : Mathias à garder son but, un espace de sable délimité par deux tas de pulls, juste devant une grande falaise. Elliot tentant de l’empêcher de marquer, puis la manière dont il avait tiré, de toutes ses forces, avant même qu’Elliot ait pu le bloquer. Le ballon avait volé, loin au-dessus des bras de Mathias, puis il avait disparu dans la falaise.

« C’est malin, lui avait dit Elliot. Va le chercher maintenant. »

Il se revoyait remonter la dune jusqu’au pied de la falaise, cherchant des yeux le ballon, sautant agilement entre les rochers, jusqu’à découvrir une cavité assez haute pour s’y faufiler. Il était entré dans cette grotte, avait clairement aperçu le blanc plastique du ballon de foot. Puis il s’était approché, et là, plus rien. Le trou noir.

La bobine était coupée entre la grotte et cette pièce sombre. Il avait beau recommencer depuis l’arrivée sur la plage, le film s’arrêtait toujours au même endroit.

Et maintenant il avait atrocement froid. Ne pas pouvoir utiliser ses bras pour se réchauffer n’arrangeait rien. Il allait tenter de manœuvrer ses doigts engourdis pour défaire la corde, quand un bruit le fit sursauter, juste derrière lui : une petite trappe coulissa et des yeux apparurent, dans un filet de lumière :

« Oh ? fit la voix d’un homme. C’est réveillé là-dedans ? »

Le garçon n’avait pas répondu tout de suite, d’abord, parce que son cœur battait trop vite, puis parce qu’il ne savait pas quoi répondre. Qui était cet homme, où était-il pour qu’il ne voie que ses yeux ? Après quelques secondes, il avait fini par parler, et sa voix lui avait paru faible et enrouée :

« Oui... Oui, je suis réveillé. »

La trappe s’était alors refermée violemment, dans un petit bruit sec. Il avait entendu la voix de l’homme reprendre : « Bon, cette fois on peut le descendre. Allez, viens. »

Le souffle coupé, le garçon avait tendu l’oreille, incapable du moindre mouvement. Le sol sous lui avait légèrement vacillé, puis des portières avaient claqué et il y avait eu des bruits de pas autour de lui, sur du gravier. Puis il avait entendu des voix sourdes, et le hennissement d’un cheval.

Où était-il ? Sans doute pas dans une pièce, comme il l’avait d’abord imaginé. S’il y avait un cheval, et des portières, ce ne pouvait être qu’une chose...

Une roulotte.

Soudain, une lumière pâle s’engouffra dans le petit espace où il était recroquevillé, et la silhouette d’un homme apparut. Le garçon l’observa, la bouche entrouverte et le souffle court.

La lune éclairait son uniforme bleu foncé, sa casquette. Il avait une moustache, une ceinture, et un bâton dans un étui. Il se tenait droit, une main sur la porte, et scrutait l’obscurité.

« Allez, lança-t-il, sors de là. »

Le garçon eut un regard autour de lui, comme pour vérifier qu’il ne parlait pas à quelqu’un d’autre. Il n’était pas sûr d’avoir assez de force pour mettre en marche ses muscles glacés.

« Oh ! reprit l’homme plus fort, en se penchant. Dépêche un peu, on a pas toute la nuit ! »

Le garçon réalisa qu’il avait raison : il faisait nuit. Quand il avait perdu le ballon dans les rochers, il n’était pas plus de 15 heures.

Le garçon sentait son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine. Il pouvait clairement voir l’expression de l’homme, impatient. Alors il se redressa sur ses genoux et tenta d’avancer. Il entendit un grincement tandis que le sol de la roulotte vacillait. Il avança comme un automate vers la porte.

L’homme resta immobile à le regarder, sans même lui tendre la main. Quand le garçon fut au bord de la roulotte, il eut un geste énervé :

« Saute de là, dépêche-toi. »

En tentant de contenir ses tremblements, le garçon ramena ses jambes sous lui et les bascula en avant. Il faillit tomber en posant les pieds au sol, mais l’homme le rattrapa.

« Viens là » lui dit-il en le tirant vers lui.

Le garçon se retrouva à quelques centimètres de l’homme. Il put voir ses traits, crispés, la peau tirée par le froid, les yeux sombres. Sa moustache brune recouvrait en partie ses lèvres. Sa veste, boutonnée jusqu’au col, portait l’inscription « C.A » sur la poitrine.

« Tiens-le, que je procède à la fouille » lança-t-il à quelqu’un derrière lui.

Il y eut des pas dans le gravier, et une personne s’approcha du garçon, posa deux mains froides sur ses poignets encordés.

« Pour ce que la fouille va servir, dit une voix d’homme derrière lui. Il vient d’France, il y connaît rien de toute façon.

— Ouais, enfin, on n’est jamais trop prudent. C’est pas parce qu’il vient de France qu’il a pas un plan derrière la tête. Ils ont tous plus au moins un grain, ici, de toute façon. »

Le garçon sentit alors des mains lui parcourir le corps. Il eut un frisson incontrôlé et l’homme derrière lui le serra un peu plus fort :

« Tu restes calme, compris ? » souffla-t-il à son oreille.

Le garçon se tint immobile, les muscles raidis. Les mains lui tâtèrent les jambes, l’entrejambe, puis remontèrent sous son pull. On lui baissa la tête pour fouiller dans ses cheveux.

« Ça devrait être bon, dit le premier homme. De toute façon ils verront ça mieux demain. »

Le deuxième homme le lâcha alors, et apparut à sa gauche. Le garçon put voir qu’il était habillé exactement de la même manière que l’autre. Les deux hommes lui prirent alors un bras chacun et ils se mirent en marche.

Le garçon n’avait plus aucune capacité à réfléchir. Il était littéralement frigorifié, et sa tête tournait au ralenti. Il regarda d’un air hagard autour de lui.

Ils avançaient tous les trois sur un chemin de forêt, au milieu d’une rangée d’arbres dépouillés et squelettiques, et une brume épaisse semblait s’élever de terre, recouvrant tout autour d’eux à plus de deux mètres. Plus loin, il ne semblait n’y avoir que des arbres, blancs dans la nuit profonde. Le ciel était dégagé, les étoiles brillantes, le vent froid. Il y avait dans l’air une odeur de bois brûlé.

Ils avancèrent dans le noir pendant cinq bonnes minutes, puis une lueur se distingua à travers les branches. Des torches étaient plantées au bord du chemin, et, en avançant, le garçon put apercevoir derrière elles un immense mur de pierres blanches qui semblait disparaître dans la nuit, et une porte, une porte grillagée en fer, haute de plusieurs mètres. Il eut soudain une révélation : on l’emmenait en prison.

Il eut un mouvement pour se défaire de l’emprise des gardes, mais les deux hommes le tenaient fermement. Ils le poussèrent près du mur contre lequel il se tint inerte, les membres paralysés, la tête bourdonnante. Un des deux hommes resta près de lui pendant que l’autre s’approchait de la porte. Il y avait une corde et une petite cloche à droite, sur laquelle l’homme tira deux coups secs.

Un instant passa dans l’immobilité. La respiration du garçon se mêlait à celle des deux hommes dans une buée fragile.

On entendit encore un bruit sourd, une trappe coulissa et le visage d’un homme, casquette sur la tête, apparut dans l’ouverture.

« Gardien Savoyard et Gardien Lamy du Centre d’Accueil. On vous amène un nouveau colon.

— Je peux voir vos insignes et l’avis de transfert s’il vous plaît ? » répondit l’homme derrière la porte.

Le Gardien Savoyard sortit ses papiers, attrapa l’insigne que lui tendait le deuxième homme et les présenta devant l’ouverture. On entendit le cliquetis de clefs et plusieurs bruits de cadenas, puis on tourna une poignée et la porte s’ouvrit. Elle semblait tellement haute et tellement lourde que le garçon crut un instant qu’elle allait leur tomber dessus.

« Allez-y » fit l’homme derrière la grille en leur ouvrant le passage.

Les deux gardes s’approchèrent du garçon et l’empoignèrent de nouveau par les deux bras, puis ils franchirent la porte de Solémine.

Ils entrèrent dans un couloir, éclairé par plusieurs torches. Deux portes fermées à gauche, trois à droite. À part le gardien à la grille, il semblait n’y avoir absolument personne, et le silence était lourd, l’air glacé et moite. Le garçon n’avait plus de contrôle sur rien, il se laissait pousser par les deux hommes sans oser même respirer.

Il fallut encore ouvrir quatre cadenas.

Puis ce fut la cour.

Le garçon dut avoir un bref instant de stupéfaction, car les gardes le poussèrent un peu plus violemment pour qu’il avance.

Dans la nuit noire, le garçon put voir les gigantesques parois en pierre blanche, montant vers le ciel, et, à chaque étage, le chemin de ronde, courant le long du fort, égrainant sur sa route la lueur orangée de dizaines de torches. Il devait y avoir plus de mille fenêtres, se dit le garçon, mille fenêtres aux barreaux serrés, ouvertes sur le noir comme des mâchoires muselées. Il avança tant bien que mal au rythme des deux hommes, mais il ne pouvait quitter des yeux la silhouette du fort, l’encerclant entièrement, et au loin, surplombant ses quatre étages, le mirador dont la lumière dansait sur les murs blancs.

Ils dépassèrent des rangées de tables en bois, au milieu de la cour, recouvertes d’une fine couche de gel. Cette vision rappela le garçon à la réalité. C’était pourtant le mois de Juin... Du moins en France, puisqu’il semblait qu’il n’était plus en France. Il eut soudain la sensation vertigineuse d’être au-dessus d’un gouffre, de n’avoir, pour la première fois de sa vie, plus d’emprise ni sur son corps, ni sur son esprit.

Deux grandes portes en bois étaient ouvertes au rez-de-chaussée du fort. Il y entra avec ses deux gardiens. La nuit était officiellement commencée. Toutes les bougies étaient éteintes, le silence régnait, aucun bruit n’était toléré. Seule une lanterne posée sur un bureau projetait une faible lumière autour d’eux. Derrière le bureau, il y avait un homme, habillé du même costume bleu foncé, de la même casquette. Seule changeait l’inscription cousue sur sa veste : un « S » majuscule. Il avait une barbe brune, de larges épaules et le regard noir.

« Salut, Gio, lui lança l’un des gardes qui escortaient le garçon.

— Salut, Savoyard.

— Ça se passe bien ?

— Ouais, pas de problème.

Le garde, Gio, marqua un temps d’arrêt en regardant vers le gar-

çon :

— Un nouveau ?

— Oui, un du Centre.

Cette phrase semblait lourde de sens et Gio agrandit les yeux en fixant le garçon.

— Hmm, je vois, dit-il en ouvrant un livre posé sur une pile de documents. C’était un livre particulièrement épais, en cuir marron.

— Bon, on te le laisse, dit Savoyard en lâchant le bras du garçon.

— Ça marche. À plus, les gars. »

Savoyard et Lamy disparurent comme ils étaient apparus, dans l’obscurité de la cour. Le garçon se retrouva seul face à l’homme aux épaules carrées, au nez proéminent. Il feuilletait avec empressement l’énorme livre, qui contenait déjà plus de mille feuillets remplis d’une écriture fine et serrée.

Le garçon n’osait pas faire un geste. Sans tourner la tête, il regarda l’entrée du fort. Il vit à sa droite une pièce sans porte, très sombre, et devant lui un long couloir, et ce qui lui sembla être des barreaux : des cellules, au moins trois, alignées de chaque côté derrière le bureau. Des cellules, pour quoi faire ? Qu’est-ce qu’il venait faire, lui, dans cet endroit ? Avait-il été arrêté, dans cet espace de mémoire volée qu’il ne parvenait pas à reconstituer ?

La voix de l’homme le tira de sa rêverie dans un sursaut :

« Bon alors, comment tu t’appelles ? demanda-t-il d’un ton sec, et d’une voix bourrue.

— Euh, Tom, Tom Nichols », répondit le garçon.

L’homme trempa sa plume dans un petit récipient rempli d’encre posé à côté de lui. Il l’égoutta au-dessus d’un chiffon puis se pencha sur le livre avec minutie.

« Tom Ni... quoi ?

— Nichols. N-i-c-h-o-l-s, épela Tom.

— Et Tom c’est T-o-m-e ?

— Non, T-o-m. »

Le garde tira la langue et s’appliqua à tracer le nom de Tom dans la première colonne de son tableau.

« C’est de quelle nationalité ?

— Euh... Américaine. Mon père est d’origine américaine, mais on vit en France.

Tom eut une seconde d’absence. « Enfin, on vivait » se dit-il. Il eut un frisson et serra les dents.

Le garde fit une tâche d’encre en traçant le F de « Français » et il l’essuya en maugréant. « Saloperie de truc à la con », dit-il en passant la plume sur le chiffon.

Tom le regarda, abasourdi.

« Bon... reprit Gio après quelques instants, ton matricule... »

Il remonta son doigt vers le haut du tableau. « Tu es le... dou- zième du mois... ça nous fait... »

Il leva les yeux au ciel un instant, trempa la plume dans l’encrier puis griffonna sept chiffres dans la quatrième colonne :

« 143.06.12, puis il passa à la colonne suivante : entrée, première entrée. Cellule d’affectation : cellule 24. Parrain désigné... Oleg Bakthine. Relevé par, Aman Gio, garde de sa fonction, de... sa...

fonction... signature. »

Il signa dans la dernière colonne puis referma le livre d’un geste brusque. Il se leva et s’approcha de Tom, puis il défit la corde qui lui enserrait les poignets. Enfin, il attrapa la lanterne et fit signe à Tom :

« Suis-moi. »

Le garçon eut une nouvelle seconde d’hésitation. Il observa le couloir sombre dans lequel l’homme s’avançait, son esprit travailla dans le vide quelques instants, puis il pressa le pas et rejoignit « Gio ».

Ils s’enfoncèrent dans le couloir, l’homme d’1 m 90 avec sa casquette, son bâton à la ceinture et sa lanterne, et le garçon de treize ans pâle comme un cadavre. La lumière de la bougie vacillait sur les murs et sur les barreaux.

Tom vit dans les cellules des silhouettes couchées à même le sol sous des couvertures grises. C’était des enfants, manifestement. Puis ils tournèrent à gauche, et cette fois ce fut une trentaine de ces cellules que Tom contempla, le sang glacé. Elles couraient le long du mur, les unes à côté des autres, serrées et fermées.

Tom avançait sans réfléchir quand le garde l’arrêta en l’attrapant par le bras. Tom eut un geste de recul, et quand le garde le lâcha enfin, il se frotta le poignet un long moment. Il n’avait pas pressenti ce geste, pas comme avec les deux gardes de la roulotte. Quelque chose en lui avait été bousculé par ce contact, ce premier contact forcé qui serait bientôt la marque quotidienne de sa nouvelle vie.

Gio posa la lanterne, sortit un trousseau de clefs de sa poche et le bruit ramena Tom à la réalité. Dans la cellule, un garçon était couché sur la gauche, tourné vers le mur. Tom ne savait pas qu’il allait partager cette cellule avec quelqu’un ; il ne savait d’ailleurs pas non plus avant d’arriver dans ce couloir qu’il allait passer la nuit dans une cellule. En fin de compte, il ne savait rien sur rien. Se retournant un instant vers le garde, il ouvrit la bouche pour parler, croisa le regard de l’homme, se tut et baissa les yeux.

Inconsciemment, comme s’il savait que s’il ne le faisait pas, on allait encore l’y pousser par la force, Tom entra dans la cellule, veillant à ne pas marcher sur la couverture qui recouvrait le garçon endormi. C’est qu’il y avait à peine la place entre ces murs pour se tenir à deux. Sur le côté droit, Tom vit un autre tapis.

Il eut l’esprit tout à coup vide entièrement. Ce qu’il faisait ici, ce qui allait se passer, cette nuit, cet endroit, le matin à venir, tout ça était tellement inconnu, improbable, impossible. Le néant.

Encore une fois, ce fut le bruit affreux des clefs, puis de la grille qui se referme en grinçant, qui le ramena en un tiers de seconde debout au centre de cette cellule de deux mètres carrés, dans ce fort, près d’une rangée d’arbres dépouillés et d’un chemin de terre plongé dans le brouillard. Il était en prison, c’était sa nouvelle réalité.

Le temps d’une respiration, le garde avait disparu dans le corridor, emportant avec lui la dernière source de lumière, abandonnant cet espace de trois murs au seul éclairage livide de la lune. En cette même fraction de seconde, le froid revint à Tom, et avec lui un sentiment gigantesque de désarroi. La solitude et l’incompréhension s’abattirent sur lui de tout leur poids et il eut l’impression d’être cloué au sol. Son corps fut ébranlé d’un grand frisson. Le garçon allongé face à lui eut un soupir, bougea légèrement puis remonta sur lui la couverture. Tom le regarda, le regarda longuement.

Comme chaque geste semblait absurde, Tom finit par s’asseoir sur le tapis, une sorte de petit matelas en paille tissé, dur et étroit. Il dégagea la couverture et la posa sur ses genoux. Elle était froide elle aussi.

Le garçon face à lui émettait un léger sifflement quand il respirait. Tom ne pouvait voir de lui que l’arrière de son crâne, rasé, aux che- veux clairs, et une épaule qui dépassait de sa couverture.

Il dut s’écouler un long quart d’heure avant que Tom ne décide de se coucher sur la paillasse. Il se mit sur le dos, s’emmitoufla dans la couverture et ne bougea plus. Un silence particulier habitait la cellule. Il semblait peser sur tous les bruits comme pour les étouffer. La fenêtre à barreaux donnait directement sur l’extérieur, mais elle était bouchée par un morceau de tissu accroché à des clous dans le mur par une simple cordelette. Le vent sifflait par intermittence dans le tissu, le soulevait sans pouvoir l’arracher, et les morceaux de cordes volaient dans l’air avant de se poser à nouveau.

Tom n’était pas sûr de lui, mais il lui semblait entendre la mer au loin, aller et venir sur des rochers. C’était peut-être un fort en plein milieu de la mer, peut-être une île, peut-être l’autre bout du monde.

Les respirations autour de lui s’élevaient presque à l’unisson. Parfois, quelqu’un brisait l’harmonie en toussant, en éternuant ou en gémissant. Son voisin, lui, sifflait toujours. Il entendait aussi d’autres bruits autour de lui, des présences cachées, des esprits dans les murs. C’était, mais il ne le savait pas encore, des grilles que l’on ferme, des pas au premier étage – ceux de la ronde d’une heure – des cliquetis de clefs, des pages tournées au bureau du Veilleur, des bris de bouteilles, quelques cris échappés de cauchemars voisins.

Et ce bruit régulier, s’évanouissant puis revenant sans cesse, ce bruit métallique comme de l’eau qui tombe sur un tuyau... Tom pouvait l’entendre se faire de plus en plus fort, bien que presque imperceptible. Ça approchait.

Il y avait des pas avec, des pas et le bruit de tissu que font les jambes d’un pantalon qui frottent entre elles. Sans même s’en rendre compte, Tom remonta la couverture jusqu’à son menton.

Le bruit avançait toujours, et peu à peu venait vers lui. C’était un claquement fort et monotone, clac-clac-clac-clac-clac, puis un temps d’arrêt, et de nouveau cinq chocs. Le bruit résonnait dans les couloirs avant d’être happé par le silence.

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