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Comme si exposer son enfant à la nature revenait à le livrer à un ennemi. La nature est devenue étrangère à l’homme. Il s’en sépare de plus en plus et en vient à la considérer comme un milieu hostile et inadapté à l’éducation d’un enfant !
On s’inquiétait des dangers que rencontrerait notre enfant à vivre dans la nature pendant un an mais on ne s’interroge plus, par exemple, sur les menaces que constituent les heures d’intoxication télévisuelle auxquelles sont aujourd’hui confrontés les enfants dès leur plus jeune âge. Étrange paradoxe que celui de l’homme moderne coupé de la nature n’hésitant pas à juger ceux qui parviennent encore à y vivre.
Afficher en entierCes chevaux, nous avons ratissé deux jours durant les environs de Prince George pour les sélectionner avec un rancher du coin. Nous en avons vu une douzaine, choisis par ce dernier selon les critères que je lui avais transmis de France : « Des chevaux calmes, très calmes, quitte à ce qu’ils soient un peu âgés, avec une expérience de bâtage, surtout avec de l’expérience » et j’avais bien insisté, « packing horses », afin de ne pas revivre une vieille et fâcheuse histoire qui m’avait fait utiliser des chevaux n’ayant jamais porté de bât sur leur dos. Très amusant certes, mais un peu dangereux… Ce dressage n’est guère possible, à moins d’être carrément fou, avec un bébé dans la caravane. Et l’ensemble de l’expédition, jusque dans ses moindres détails, a été conçu de manière à réduire à presque zéro les risques pour l’enfant. Mais j’étais le seul à ne pas en douter… et nous étions deux à vouloir le prouver !
Afficher en entierJe passe une mauvaise nuit. La pluie ne cesse de crépiter sur la toile avec une régularité décourageante et Montaine, à force de bouger en tous sens, finit toujours par sortir de son sac de couchage, risquant d’attraper froid. Alors je veille sur elle tout en noircissant dans ma tête embuée le tableau offert par notre première journée d’expédition.
Enfin, l’aube apparaît. Une faible luminescence filtre au travers de la grisaille et de la pluie. J’enfile un pantalon humide et sors. Les montagnes noyées dans la brume n’apparaissent pas, tant et si bien que l’on pourrait se croire en pays plat. Partout, l’eau. Dans le ciel, sur le sol, dégoulinant le long des arbres et sur l’herbe, partout.
Afficher en entierMontaine, Montaine, Montaine ! Une heure que nous sommes partis et déjà je prends conscience de l’énormité de notre entreprise. Certes, nous avions imaginé les difficultés que nous allions rencontrer mais la réalité, occultée par des années de rêves dorés, apparaît soudain froidement, sans fard. Deux chevaux apeurés, quelques ruades, des pleurs, la pluie et la grisaille. Telle est la vérité ! Nous imaginions un soleil radieux, des vallées verdoyantes où les chevaux marcheraient d’un bon pas tranquille, Montaine riant aux éclats en montrant de ses petites mains dorées les papillons et les écureuils s’enfuyant devant Otchum galopant joyeusement devant nous. Mais non ! rien de tout cela. Même Otchum affiche une mine triste, mouillée, nous regardant d’un air fatigué, couché en boule à l’abri d’un sapin touffu.
Afficher en entierSi bien que cinq minutes plus tard, alors que nous frôlons la rivière sur une pente rocailleuse surplombée par de jeunes épicéas, le dernier cheval, chargé de soixante kilos de matériel et de nourriture, s’emballe brusquement. Il me dépasse au galop en ruant plusieurs fois, entraînant dans sa course effrénée mon cheval et celui qui porte Diane et l’enfant. Affolée, Montaine se met à hurler. Bonne cavalière, Diane réussit à maîtriser sa monture tandis que les deux chevaux bâtés s’enfuient au grand galop, semant derrière eux casseroles, sacs de nourriture, fusil, cordes et cartouches.
Afficher en entierNous ne sommes pas partis depuis plus d’une demi-heure, et Montaine pleure déjà, mal à l’aise sur la selle biplace à laquelle nous l’avons pourtant bien habituée chez nous en Sologne.
— Elle en a marre ?
— On dirait qu’elle a peur.
Diane efface rapidement de son visage un sourire forcé.
En effet, nous n’éprouvons pas cette joie ou ce bonheur qui devrait être le nôtre au premier jour d’une aventure à laquelle nous rêvions avant même la naissance de Montaine, un an et demi plus tôt.
Afficher en entierDevant, monté sur de larges raquettes, un homme tasse la neige épaisse et floconneuse. Derrière le traîneau, une femme marche elle aussi en raquettes, pesant de temps à autre de tout son poids d’un côté ou de l’autre du chargement afin qu’il reste bien dans la trace.
À l’arrière du traîneau, emmitouflée dans d’épaisses fourrures, elle-même engoncée dans de chauds vêtements en castor et en renard, une petite fille dort. Son souffle se condense dans l’air glacial et forme une buée qui se mêle à celles des chiens et de sa mère qui, derrière elle, la surveille d’un œil attentif. Ils avancent sans parler, tout à leur effort, avares de leur souffle. Une progression lente et silencieuse, à l’image du pays qui les entoure, minuscules fourmis à l’œuvre dans un univers de géants.
Afficher en entierDes montagnes et encore des montagnes. Jusqu’aux limites de l’horizon, un océan de cimes. Et le blanc que l’on aperçoit indéfiniment, le disputant à peine au vert de la forêt nichée tout au fond des vallées endormies. Un silence total, oppressant, ayant en lui quelque chose d’inhumain tant il exclut le mouvement et la chaleur, essence même de la vie.
Oui, tout est immobile, silencieux et glacial comme la mort. Les rivières et les torrents qui animaient de leur danse argentée le paysage dorment eux aussi. L’hiver a gelé jusqu’aux entrailles les terres du Grand Nord recouvertes d’un ineffable linceul de neige. Pas une piste, pas une seule lueur dans la lumière blafarde du crépuscule.
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