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Sans doute peut-on parler d'évolution personnelle quand ce que nous devenons correspond à ce que notre mémoire contenait déjà. J'avais douze ou treize ans, le corps encore tremblant d'avoir grandi trop vite, et mon oncle, marchand de bois, m'avait emmené avec lui dans des visites qu'il rendait à des bûcherons, pensant à les engager pour des coupes d'épicéas aux sèves rentrées de l'hiver.
L'un d'eux vivait non loin d'Arbrefontaine, le village aux toits d'ardoises et aux fossés envahis par les menthes. Un homme sec, ramassé sur lui-même, à demi édenté, et qui chiquait du tabac. Il cracha un jus noirâtre, hocha la tête en guise d'acquiescement aux propositions de l'oncle, puis, comme nous allions partir, il nous lança un «Venez voir» et nous entraîna à l'arrière de sa maison. Là, animé par une passion particulière, il avait aménagé en secret une serre aux papillons ; il nous y fit entrer sans mot dire, refermant le voilage derrière nous.
C'était à un moment d'éclosion. Les papillons surgissaient de toutes parts, échappés de la toile florale, sortis de nulle part et de partout, virevoltant par myriades, décrivant chacun une valse enchantée dans les airs, un papillonnement, justement, comme de paupières colorées qui clignent. Les ailes miroitaient à la lumière par intermittence, en scintillements de soie, et l'on eût dit aussi des pétales de fleur soudés par deux et détachés de leurs tiges, à la dérive, dans l'ivre liberté.
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