L’Europe des Parrains

Résumé

L'Europe politique n'existera pas avant longtemps. L'Europe des mafias est une réalité. L'immense mérite de l'ouvrage de Calvi est de nous en dresser un portrait précis, détaillé, froid, puisé aux meilleures sources. Livre pleinement politique — même s'il ne donne pas de recettes et décrit davantage qu'il n'explique ni ne propose —, il pourrait conduire le lecteur au découragement. Il semble par moment que, malgré le ressaisissement apparent de la démocratie italienne, tout soit déjà joué et que l'Europe de l'État de droit ait déjà perdu la guerre. Car ce qui ressort, c'est d'abord l'incapacité des pays de l'Europe à marquer des points décisifs: la description des cafouillages des services français notamment est saisissante — toujours la guerre des polices et sa rivalité avec la magistrature —, de l'incapacité des institutions européennes à lutter contre la fraude aux subventions versées par les fonds européens et, finalement, d'une certaine sous-estimation de la gravité du phénomène. Et encore, l'auteur ne parle-t-il pas des pays de l'Est — parce que, si demain il sera trop tard, il est trop tôt aujourd'hui pour en dire quelque chose.

Au détour d'une citation de Leonardo Sciascia qu'on aurait pu entendre dans la bouche d'intellectuels français — «l'antimafia est un instrument de pouvoir qui n'autorise ni doute ni dissension ni critique» —, apparaît la nécessité désormais d'écrire un autre ouvrage: Machiavel et Cosa Nostra. Dans une démocratie, la première politique est celle de la sûreté et, devant l'existence du crime organisé, la priorité est celle-là. Contaminés par l'absence de guerre — malgré la Yougoslavie —, écartant loin des centres des cités les phénomènes de désagrégation du tissu social — et sans qu'il soit possible de tout ramener à la corruption —, les politiques paraissent avoir oublié la dimension machiavélienne de leur art. Celle-ci n'est pas seulement organisation de la paix, établissement de la prospérité, gestion de problèmes à la marge, mais parfois guerre sans merci pour établir et, aujourd'hui, pour sauver l'État. Nous attendons donc un Que faire? qui puisse nous l'expliquer.