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Il ne rêvait pas, il ne rêvait jamais ; et tout ça devait pourtant être un rêve, indubitablement. Il le fallait. La Fenice était désormais un endroit interdit, et Lucius ne tenait pas à désobéir aux consignes du primarque. En les temps qui avaient précédé leur éveil, une telle transgression aurait été imprudente. À présent, elle revenait à se condamner à mort.
Ça ne pouvait être qu’un rêve.
Du moins l’espérait-il.
Lucius était seul, et n’aimait pas être seul. Il se nourrissait ordinairement de l’admiration des autres et il n’y avait dans ce lieu plus personne pour l’admirer, hormis les morts. Des centaines de corps gisaient tout autour comme des poissons éventrés, désarticulés selon la façon dont ils étaient morts, et chacun des visages semblait démentir leurs mutilations et leurs profanations horribles.
Ils étaient morts dans la douleur, et avaient pourtant ouvert leurs bras à chaque contact de lame, à chaque main griffue qui leur avait crevé les yeux ou arraché la langue. Ce théâtre de dépouilles n’était pas néanmoins un décor déplaisant dans lequel marcher. Malgré les morts qui l’entouraient, La Fenice paraissait déserte. Elle paraissait noire et vide, comme un mausolée aux heures les plus sombres de la nuit. La vie avait autrefois paradé devant le public, sous la voûte de l’avant-scène ; sa chatoyance glorieuse avait été célébrée, ses grands héros avaient été loués et ses absurdités tournées en dérision. La Fenice n’était plus que le reflet sanglant de cette époque révolue.
La partie de la merveilleuse fresque de Serena d’Angelus peinte au plafond était devenue pratiquement invisible, ses scènes bizarres de débauche cachées derrière un voile de suie et foncées par la fumée. Des feux avaient brûlé ici. L’odeur de gras et de cheveux grillés restait accrochée dans l’air comme une fragrance. Lucius la remarquait à peine, presque entièrement dissipée et trop ténue pour réellement piquer son intérêt.
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