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Comment résister encore ?
Mon univers n’est plus qu’une sphère d’obscurité froide, qui se resserre sans cesse. À l’intérieur, la souffrance et rien d’autre. Au-delà, seulement la nuit vorace. Je ne vois rien. La neige s’est accumulée dans mes orbites, mes larmes ont gelé sur mes joues. J’essaie de respirer, mais chaque bouffée d’air, si ténue soit-elle, me déchire les poumons comme une poignée de lames de rasoir. Je ne sens plus mes mains. Peu à peu, l’engourdissement me gagne. Il me semble que je suis sur le sol, recroquevillé sur la glace, et je tremble un peu moins fort à chaque battement de cœur.
La bête ne doit plus être très loin. Elle ne se découragera pas, et mon sang est là pour lui marquer la piste.
Mon sang.
Je saigne encore, je crois. La blessure n’est pas grosse, une entaille au mollet, c’est tout, mais elle me tuera aussi bien qu’une autre. J’ai laissé une longue trace rouge à travers les dunes de glace. J’ai fait de mon mieux pour ignorer la douleur, l’engourdissement, et ne pas m’arrêter. J’ai échoué. Le froid s’empare de moi, il ne me lâchera pas, et la bête aura ce qu’il lui laissera.
Je n’en peux plus.
Je n’avais aucune chance de réussir. Je ne suis pas assez fort.
Autour de moi, le monde s’assombrit et la douleur s’estompe.
Une voix crie, du fond des ténèbres. J’essaie de comprendre ce qu’elle dit, mais elle est trop loin.
Des mains se posent sur mon visage. Elles serrent. Une douleur fulgurante me traverse le crâne. Je hurle. Des doigts me forcent à ouvrir les paupières.
— Alexis, il faut que tu bouges. » Je distingue un visage encadré de fourrure encroûtée de gel. Des yeux bleus, aussi bleus que la glace. Helias. C’est Helias, mon frère. Il est encore là, avec moi. Derrière lui, le blizzard emplit le ciel étoilé de tourbillons d’échardes blanches.
— Avance. Il faut que tu avances. » Je le sens qui m’attrape par les bras, qui me remet sur pieds. Une douleur brûlante me crucifie, acérée, grinçante, elle me déchire à chaque mouvement. Je pousse un nouveau hurlement.
— Si tu as mal, c’est que tu es encore vivant, » braille Helias pour se faire entendre malgré le vent. Je bats des paupières, j’essaie d’y voir plus clair. La sensibilité me revient peu à peu ; je sens à nouveau mes bras et mes jambes. Mais cela ne me procure aucun réconfort. J’ai juste envie de me laisser tomber, de m’allonger et de laisser mon sang geler.
Nous sommes debout sur une corniche étroite. De chaque côté, des crevasses, et au-dessus, une ondulation de neige poudreuse sculptée par le vent. Autour de nous, des pics de glace acérée trouent le blizzard, comme des échardes criblées d’impuretés, bleu sombre à la lueur des étoiles. La fausse clarté des lunes-forteresses nous nargue, derrière les voiles vert émeraude des aurores boréales. Nous sommes dans les Landes Fracturées, la face d’Inwit éternellement baignée de nuit, que le soleil n’a jamais effleurée. Le froid y est aussi perpétuel que l’obscurité. Les guerriers de la caste des glaces ne s’y aventurent qu’en scaphandre de protection, mais ceux qui veulent se joindre à la légion doivent traverser cette désolation seulement vêtus de fourrures pourrissantes et de guenilles. C’est un test, une odyssée à travers un royaume obscur de souffrance. C’est moi qui ai choisi de l’accomplir, mais je n’en verrai pas le terme.
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