L'Héritier de l'eau (Novella), Tome 1 : L'Illusion

Chapitre 4

*** LUCAS ***

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

Je marche vite, très vite. Will a du mal à tenir le rythme. Je n'ai jamais été aussi pressé d'aller en cours. Sexe bordel ! J'avais tout bon jusque là. C'est de sa faute aussi… Elle était antipathique au début et tout à coup, Mademoiselle se décide à être chaleureuse. Elle m'a pris au dépourvu. J'étais noyé dans ses yeux et mes oreilles n'ont pas suivi. Quel crétin !

— Rien. Ça va pas le faire…

Will respire de plus en plus fort. Il trotte comme un petit chien pour se maintenir à mon niveau. Ce n'est pas un grand sportif.

— Ça va pas le faire ? Elle avait l'air de te manger dans la main pourtant.

— Tu parles !

— Bah si. De grands sourires… Elle t'a parlé en plus. Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

On passe enfin la porte du hall. Mon calvaire va bientôt s'arrêter. Est-ce qu'elle me regarde dans mon dos en ce moment même ? Elle doit me prendre pour un énorme obsédé.

— Juste son nom et qu'elle venait de New York.

— Et c'est quoi son nom ?

— Jessica Parker.

— Ah comme…

Je me retourne aussi sec vers Will et pose mon index sur ma bouche. Il saisit qu'il ne doit pas en dire plus. Je revis le cauchemar en boucle. Sexe, sexe, sexe…

On entre dans la salle de cours et je m'installe en vitesse à mon bureau. Will est assis à côté de moi. Il lutte pour ne pas continuer son interrogatoire. Je sens son regard bouillonnant sur moi.

— Tu lui as demandé si c'était du cachemire ?

Je fixais le tableau mais là… Je pivote la tête vers lui pour découvrir qu'il est mort de rire.

— Désolé, Lucas… Pas pu résister.

Quand Will rigole, son visage devient presque enfantin. Il a un rire très communicatif. Même si je ne suis pas d'humeur après mon humiliation, je ne peux pas m'en empêcher… Je ris avec lui. Je viens d'anéantir toutes mes chances de sortir avec la plus belle fille de Glenville. Hilarant, non ?

Et là, c'est le drame. En plus d'être un gros crétin, je suis complètement stupide. J'aurais dû m'en douter. C'est Jessica que je vois se pointer dans l'entrée de la salle. Elle regarde successivement un carnet, puis la porte. Elle doit vérifier que c'est le bon endroit. Le professeur Crane la remarque. Elle ne passe pas inaperçue… Il s'approche d'elle pour l'accueillir.

Will me donne un coup de coude.

— Mec, Jess est dans notre classe. Tu parles d'une coïncidence !

Je ne la quitte pas des yeux. Elle exerce un pouvoir d'attraction sur moi… C'est dingue ! Le prof l'a rassurée. Elle a le plus beau des sourires. Je craque, je fonds, je… Oh bordel, elle croise mon regard. Je détourne aussitôt les yeux, pris en flagrant délit. Comme tout bon pervers qui se respecte. Je suis incapable de garder la tête froide quand elle est dans les parages.

— Will, fais semblant de me parler.

— Quoi ?

Qu'est-ce qu'il peut m'énerver quand il fait ça ? Comme s'il n'avait pas capté que j'avais besoin d'une diversion !

— Dis moi n'importe quoi bon sang !

— Comme quoi ?

— Oh, laisse tomber…

Il hausse les épaules, totalement paumé.

— Lucas, je peux m'asseoir ici ?

Oh mon Dieu ! Je vais mourir. Je retourne la tête pour confirmer… Oui, c'est bien elle. Jessica Parker est en train de me demander si elle peut occuper le bureau à côté du mien. En même temps, elle n'a pas trop le choix. Il en reste un ou deux autres mais ils sont au premier rang. Elle préfère être à côté de moi que sous le nez du prof. C'est pas si mal, non ?

— Bien sûr. Pas de problème.

Mon cœur bat la chamade tandis qu'elle pose ses affaires sur le bureau. Elle a des manières très délicates. Avec ses différents mouvements, son parfum parvient jusqu'à mes narines. Elle sent très bon. Pour une fille comme elle, on ne s'attend pas à autre chose.

Will me donne de nouveau un coup de coude. Il me lance un clin d'œil complice. Lui et la discrétion…

Pendant tout le cours, je lutte pour ne pas la dévorer des yeux. Autant dire que je n'ai rien écouté de la leçon du jour. Ça parlait de théorème de je ne sais pas quoi. De mathématiques… Impossible pour mon cerveau de se concentrer. Je ne suis pas le seul dans ce cas. D'autres mecs se retournent assez régulièrement pour admirer la beauté de Jess.

De mon côté, c'est comme si j'étais en apnée. Je ne bouge pas un muscle de peur de faire quelque chose de travers. A la fin du cours, Jess se lève, me sourit et quitte la salle. Moi, je reste figé sur place. Je lui ai souri aussi. Enfin, j'espère que ça ressemblait plus à un sourire qu'à une grimace.

— Qu'est-ce que tu fais, Lucas ? me demande Will.

Hormis le prof, on est les derniers dans la salle. Je suis épuisé. Ce cours a pompé toute mon énergie. J'ai besoin de me ressourcer… de reprendre mes marques.

— J'arrive.

Will plisse les yeux. Il ne comprend pas ce qui m'arrive. Et moi donc ! C'est comme si j'avais été envoûté. Cette fille m'a jeté un sort. Je l'ai dans la peau…

C'est au tour du prof de me regarder bizarrement. Je finis par me lever pour éviter de me faire trop remarquer.

— Lucas Miller ?

Il ne manquait plus que ça ! C'est le prof qui m'interpelle alors que j'étais sur le point de sortir. Est-ce qu'il a vu que je n'avais rien écouté de son cours ? Je vais avoir droit à des heures de colle. Eh merde !

— Je t'attends dehors, me dit Will avant de s'éclipser.

Je m'arrête devant le bureau du professeur Crane. Je pose mon sac à dos au sol.

— Lucas, pas de panique !

Il lit en moi comme dans un livre. J'ai tenté de me maîtriser pour ne pas suer à grosses gouttes mais apparemment, ça n'a servi à rien. Je suis nerveux comme jamais et il l'a vu. Pas si bête que ça ce type en fin de compte.

— Je veux juste savoir comment tu te sens…

Quoi ? Comment je me sens ? D'où il sort ce prof ?

— Pardon ?

— Comment ça va pour toi ces derniers temps ?

Où il veut en venir ?

— Comme pour tout le monde, je suppose…

Il veut que je lui parle de la pluie et du beau temps ?

— Toujours pas décidé à aller de l'avant ? "

Cette conversation devient de plus en plus étrange. Derrière ses petites lunettes et sa veste étriquée, il paraît suspendu à mes lèvres. Comme si ma réponse était très importante pour lui. C'est quoi ce cirque ?

— Aller de l'avant ?

— Passer à autre chose, je veux dire.

— Comment aller de l'avant quand le temps est toujours figé ? Ce n'est pas comme si on avait le choix…

— On a toujours le choix, Lucas.

Visiblement, il ne m'a pas retenu pour me coller. C'est déjà ça de gagner. Par contre, aucune idée du chemin sur lequel il essaie de me conduire. Je décide de répondre à sa toute première question. Peut-être qu'il me laissera partir après ça.

— Tout va bien, Monsieur Crane. Aucun souci…

— Et pour Vincent ?

Qu'est-ce qu'il me chante ?

— Vincent ? Je ne vois pas de qui vous voulez parler. Je ne connais pas de Vincent. Vous êtes sûr que vous ne me confondez pas avec quelqu'un d'autre ?

Je ne vois que ça comme explication. On n'est pourtant pas très nombreux dans sa classe mais il a dû se mélanger avec…

— Je vois, se contente-t-il de répondre.

Il ne dit pas avoir fait une erreur. Au contraire, il semble toujours aussi sûr de lui. Alors pourquoi est-ce qu'il n'insiste pas ?

— Lucas, quand tu seras prêt à en discuter avec moi, tu sais où me trouver.

Même si ça me démange de l'interroger davantage, il vient de me tendre une perche pour partir. Je n'ai pas l'intention de moisir ici plus longtemps alors je la saisis.

— Merci, Monsieur.

Je me précipite vers la sortie comme si je venais d'être libéré de prison. Au détour d'un couloir, je manque de peu de percuter une étudiante.

— Pardon, je suis désolé.

Elle me jette un regard glaçant. Je finis par la reconnaître. C'est Natalie. Elle est pâle comme la mort. Qu'est-ce qui lui est arrivé ? Et surtout, qu'est-ce qu'elle fait ici ? Elle a quitté le lycée il y a un an. Je n'ai pas l'occasion de la questionner puisqu'elle déguerpit sans ouvrir la bouche. Est-ce que cette journée peut devenir encore plus bizarre ?