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Elle trouva les lectures de la Bible et des textes affreusement longues. Le sermon de la mère abbesse lui parut interminable. Enfin, elle fit un signe à la moniale chantre pour que débute l'Ave Maria. Les voix prirent possession des lieux, des stalles jusqu'aux voûtes, s'élevant dans toute la nef et jaillissant avec une puissance atténuée par le mur sur les hôtes et les familiers dans le narthex. Portée par l'émotion, grisée par la beauté des chants, comme investie par une force d'espoir, la voix d’Éléonore s'éleva au-dessus de toutes les autres et la chantre finit même par lui laisser chanter un solo qu'elle plaça haut, qui résonna dans toute l'abbatiale. Les moniales étaient conquises, observant Éléonore avec des yeux pleins de ferveur et de prières. Derrière le mur, des hôtes étaient tombés à genoux. D'autres se signaient sans cesse, touchés par ce chant venu de derrière le jubé, de derrière les regards, venu comme du Ciel. Les chants grégoriens qui suivirent laissèrent échapper la voix d’Éléonore, volontairement. La chantre ne rectifiait rien. L'abbesse écoutait, sidérée. Elle avait un sourire à peine perceptible. Elle savait que la comtesse serait satisfaite. Et Éléonore redoublait de talents, de vivacité, d'efficacité. À la fin de la messe, avant que l'assemblée ne sorte après le dernier Notre Père, Éléonore prit la liberté d'entonner un Te Deum qu'elle avait travaillé seule, dans la sacristie, avec une partition de la chantre. L'effet fut exceptionnel. Marie-Danielle avait des larmes d'exaltation. Des moniales fixaient le crucifix au-dessus de l'autel dans un état de passion absolu. Un frisson partagé gagnait l'assemblée et on percevait des soupirs derrière le mur. Éléonore avait conquis. Éléonore avait séduit. Elle mesura brièvement son emprise et crut que la Vierge l'avait enfin entendue.
Afficher en entierLa nuit tombait sur les terres de l'abbaye des Pierres Plantées. Il faisait encore chaud. C'était un début d'été plein de promesses, en l'an de grâce 1716 : le vent s'était adouci, les fleurs parsemaient les prés, les champs étaient couverts de seigle et de blé ondulants. Éléonore aimait ces journées de soleil, tellement rares sur le plateau. Son linge séchait vite, elle en profitait pour laver les grosses couvertures en laine des paillasses des dortoirs. La nature paraissait travailler pour elle. Tout était simple, beau. De l'église, les chants des moines semblaient s'élever plus haut que de coutume, plus puissamment, comme attirés par le ciel limpide et clair. Éléonore aimait les entendre en travaillant, au loin, comme une litanie calme et rassurante, celle de son enfance, comme la voix du cadre de sa vie.
Afficher en entier"- Chante! lui cria-t-il en rapprochant son visage du sien. C'est bien pour chanter que tu te terres comme une voleuse dans l'église du Seigneur, non?
Elle tenta de reprendre son calme, respira profondément, commença un Ave Maria.
- Applique-toi! ordonna l'abbé. Éléonore sut que sa voix pouvait l'aider. C'était sans doute la seule façon de calmer l'abbé et de s'en faire pardonner. En lui prouvant qu'elle ne cherchait pas à fauter mais à honorer Dieu en entrant chaque nuit dans l'abbaye. Elle parvint à mettre de la puissance dans sa voix, de la sensibilité, de la vérité. Elle ne put bientôt plus s'arrêter, heureuse de pouvoir chanter seule, à voix haute, avec quelqu'un qui l'écoutait."
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