Ajouter un extrait
Liste des extraits
— Pendant que tu traversais la lande, la Chose se déplaçait à la verticale, juste au-dessus de toi... Elle t'a sondé à ton insu, elle a emmagasiné toutes les images qui défilaient dans ta tête. Ce que tu as imaginé ce jour-là a engendré le bagne du père Noël. Elle a utilisé chaque élément en le détournant, en le pervertissant. Tu as été en quelque sorte le scénariste d'un dieu venu d'ailleurs. Un dieu qui s'est contenté de mettre en scène ton délire intérieur.
Afficher en entierLa CHOSE descendait du ciel en roulant bord sur bord, énorme poche protoplasmique où grouillait un fouillis d'organes étranges. David, statufié, la regardait sans y croire tandis que dans son esprit défilaient les images de mille feuilletons télévisés. Il voyait des soucoupes de métal argenté, des fusées en forme de vibromasseur, des rayons de lumière téléporteurs matérialisant un être difforme au bout de leur trajectoire... Mais pas ça ! Cette... CHOSE à demi liquide, molle, cette espèce de limace transparente, de crème gélatineuse qu'habitait un monceau d'entrailles aux imbrications labyrinthiques. Malgré sa terreur il était presque déçu. Il aurait tant aimé voir un scaphandre, un robot se déplaçant par saccades en crachant des étincelles, un monstre acceptable — au moins ! — pourvu d'écailles et de quelques cornes. Mais ce... truc ne ressemblait à rien !
Afficher en entierLa vue de cette bête malade dissipa la vague d'euphorie qui s'était emparée du garçon, et il songea à nouveau à ce « père Piqueux » qui concoctait des poisons à base de vieux médicaments périmés et qu'on payait d'un verre de gnôle. Il eut la vision fugitive du berger allemand empoisonné, se tordant sur le pavé de la cour en lâchant par saccades de longs jets de diarrhée. Pourquoi ne pas le tuer d'un coup de fusil s'il devait à tout prix mourir ?
« Non, ça se fait pas », aurait décrété oncle Jean d'une voix outragée, « tu nous prends pour des gangsters ou quoi ? »
Afficher en entierDavid ne releva pas, il n'avait aucune envie d'entamer une polémique avec ce gamin aux joues trop rouges, aux mains trop grosses. Mais il savait d'ores et déjà que la machine à ragots était en marche et qu'à partir d'aujourd'hui on insinuerait chaque fois que l'occasion se présenterait qu'un jour André Sarella avait bousculé un môme sur la route. Et l'on conclurait dans un murmure : « Il a été assez malin pour ne pas se faire prendre, c'est assez étonnant de sa part ! »
Afficher en entier[...] on avait décidé de fêter Noël avec quelques jours d'avance. Ce décalage donnait à l'événement l'allure artificielle et fausse d'une répétition. David avait la sensation d'être en train de jouer un rôle. De « faire comme si », tout en sachant que cette fête n'était qu'une tricherie. Il se sentait encore plus gauche que de coutume, et ses oncles, ses tantes, ses cousins, lui parurent presque étrangers.
Afficher en entierDavid s'ébroue, se détache de la vitre. Un instant Marie s'attend que la peau de son front reste collée sur le verre, mais rien de semblable n'arrive et elle retient un rire nerveux. Jadis, à l'époque de « Lumière antique », elle n'aurait jamais imaginé de semblables choses. Ils la corrompent, tous, eux, les auteurs de science-fiction. Ils la souillent. Quelque chose de leur maladie est en train de passer en elle. Elle ne devrait leur serrer la main qu'après avoir enfilé des gants de caoutchouc, leur parler au travers d'un masque chirurgical. Elle les trouve trop pâles, trop agités, précocement vieillis. Elle n'aime pas leurs yeux cernés, leur teint plombé par l'alcool. Parfois elle les trouve sales, négligés. Hagards.
Afficher en entierLe champs de bataille du magasin les avale. On se bat au coude à coude dans le grondement des haut-parleurs. Les rayons chargés de jouets sont devenus des barricades hérissées de cadavres. Les poupées empalées sur des tiges de fer regardent passer les enfants de leurs yeux morts, telles ces femmes qu'on asseyait sur des pieux au Moyen Âge, et qui jalonnaient les abords des villages dévastés par les soulards en maraude.
Afficher en entier1
Profitant de ce que la vendeuse vient de tourner la tête, Céline arrache le bras de la poupée. Le membre craque sans opposer de réelle résistance. Le bruit infime de la dislocation se perd dans le vacarme du grand magasin. La fillette se penche, lorgne dans l’ouverture corporelle ainsi pratiquée avec une excitation sourde, analogue à celle qui s’empare d’elle lorsqu’elle épie ses parents, le soir, par le trou de la serrure de la chambre à coucher. Mais il n’y a rien, la poupée est vide, désespérément creuse. La fillette se sent frustrée, flouée. Elle aurait voulu découvrir entre les flancs du jouet un amoncellement moite et secret. Une lourdeur viscérale charriant des fluides étranges. Parfois, lorsque sa mère prépare un poulet, Céline glisse ses petits doigts dans les blessures de la bête nue, dans le trou béant creusé par la décapitation. Elle touche l’intérieur du cadavre. Elle fouille au hasard dans cette architecture un peu gluante, elle force la plaie, enfouit sa main dans les entrailles de l’oiseau blême. Elle pose ses lèvres sur la chair blanche, grumeleuse, et se dit qu’on doit éprouver une sensation analogue quand on embrasse un cadavre. Elle s’entraîne ainsi, mine de rien, pour le jour où il lui faudra embrasser P’pa ou M’man sur leur lit de mort, comme cela arrive tout le temps dans les films.
Afficher en entier