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« L'enfant était d'une nature tranquille, méditative et d'une naïveté dont il conserva des traces toute sa vie. Ma grand'mère m'a raconté qu'il restait de longues heures un doigt dans sa bouche, absorbé, l'air presque bête. À six ans un vieux domestique qu'on appelait Pierre, s'amusant de ses innocences, lui disait quand il l'importunait : “Va voir... à la cuisine si j'y suis.” Et l'enfant s'en allait interroger la cuisinière : “Pierre m'a dit de venir voir s'il était là.” Il ne comprenait pas qu'on voulût le tromper et devant les rires restait rêveur, entrevoyant un mystère. »
Afficher en entierCe qui demeure vrai, c'est que les Flaubert sont soucieux. Longtemps Gustave n'a pu saisir les liaisons élémentaires qui font de deux lettres une syllabe, de plusieurs syllabes un mot. Ces difficultés en entraînaient d'autres : comment compter sans savoir lire ? Comment retenir les premiers éléments d'histoire et de géographie si l'enseignement reste oral ? On ne s'inquiète pas de cela aujourd'hui : les méthodes sont plus sûres et, surtout, on prend l'élève comme il est. À l'époque, il y avait un ordre à suivre et l'enfant devait s'y plier. Donc, Gustave était en retard sur toute la ligne.
Afficher en entier« Je dois mais je ne peux pas. » La seconde attitude suppose une relation agonistique entre l'enfant et ses parents. Caroline Commanville nous dit, comme en passant, qu'il y avait des scènes ; cela suffit. Ces scènes ne vinrent pas tout de suite. Il y eut le temps de la patience, puis celui de l'affliction, enfin, celui des reproches : au début, on incrimine la nature, plus tard on accuse le petit de mauvaise volonté. Il répond par forfanterie qu'il ne ressent pas le besoin d'apprendre à lire ; mais il est déjà vaincu, déjà truqué : il prétend expliquer son refus de s'instruire donc il l'admet ; les parents n'en demandent pas davantage et toutes leurs impatiences sont justifiées. L'humilité désarmée, l'orgueilleux dépit qui fait la victime reprendre à son compte le malin vouloir dont elle est faussement accusée, ces deux réactions sont séparées par plusieurs années. Il y eut, chez les Flaubert, un certain malaise quand Gustave, affronté aux premières tâches humaines, se montra dans l'incapacité de les remplir.
Afficher en entierCe mauvais rapport aux mots, nous verrons qu'il a décidé de sa carrière. Encore faut-il ajouter foi, dira-t-on, à la nièce de Flaubert. Et pourquoi pas ? Elle vivait dans l'intimité de son oncle et de sa grand-mère : c'est de celle-ci qu'elle tient ses renseignements. On sera détourné pourtant de lui faire entièrement crédit par le faux enjouement du récit. Caroline élague, expurge, adoucit ; si, par contre, l'incident raconté ne lui semble pas compromettant, elle le fignole, forçant sur la rigueur aux dépens de la vérité. Il suffit d'une lecture pour trouver la clé de ces déformations doubles et contraires : le but est de plaire sans quitter le ton de la bonne compagnie.
Afficher en entierQuand le petit Gustave Flaubert, égaré, encore « bestial » émerge du premier âge, les techniques l'attendent. Et les rôles. Le dressage commence : non sans succès, semble-t-il ; personne ne nous dit, par exemple, qu'il ait eu du mal à marcher. Au contraire nous savons que ce futur écrivain a buté quand il s'est agi de l'épreuve primordiale, de l'apprentissage des mots. Nous tenterons de voir, tout à l'heure, s'il eut, dès l'origine, des difficultés à parler.
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