Ajouter un extrait
Liste des extraits
"Si la voix d'une femme qui raconte des histoires a le pouvoir de mettre des enfants au monde, il est vrai aussi qu'un enfant peut donner vie à des contes. On dit qu'un homme deviendrait fou s'il ne pouvait rêver la nuit. De même, si on ne permet pas à un enfant de pénétrer dans l'imaginaire, il ne pourra jamais affronter le réel."
Afficher en entierS'il reste dans sa chambre pendant un laps de temps suffisant, il réussit généralement à la remplir de ses pensées, ce qui lui donne l'illusion d'en dissiper l'atmosphère lugubre, ou lui permet d'en avoir moins conscience. Chaque fois qu'il sort, il emporte ses pensées et, en son absence, la pièce se débarrasse progressivement des efforts qu'il avait fournis pour l'habiter. Quand il rentre, tout le processus est à recommencer et cela demande du travail, un vrai travail spirituel. Compte tenu de sa condition physique après cette ascension (les poumons tels des soufflets de forge, les jambes aussi raides et lourdes que des troncs d'arbre), il lui faut d'autant plus longtemps pour engager cette lutte intérieur. Dans l'intervalle, dans ce néant qui sépare l'instant où il ouvre la porte de celui où commence sa reconquête du vide, son esprit se débat en une panique sans nom. C'est comme s'il était obligé d'assister à sa propre disparition, comme si, en franchissant le seuil de cette chambre, il pénétrait dans une autre dimension, comme s'il s'installait à l'intérieur d'un trou noir."
Afficher en entier"En dépit des excuses que je me suis trouvées, je comprends ce qui se passe. Plus j'approche de la fin de ce que je suis capable d'exprimer, moins j'ai envie de dire quoi que ce soit. Je souhaite retarder le terme et je me berce ainsi de l'illusion que je viens à peine de commencer, que la meilleure partie de mon histoire est encore à venir. Si inutiles que paraissent ces mots, ils m'ont néanmoins protégé d'un silence qui continue de me terrifier. Quand j'entrerai dans ce silence, cela signifiera que mon père a disparu pour toujours."
Afficher en entier"Il s'est rendu compte qu'il n'y avait pour Ponge aucune séparation entre le fait d'écrire et celui de regarder. Car on ne peut pas écrire un seul mot sans l'avoir d'abord vu, et avant de trouver le chemin de la page, un mot doit d'abord avoir fait partie du corps, présence physique avec laquelle on vit de la même façon qu'on vit avec son coeur, son estomac et son cerveau."
Afficher en entierIl se souvient que les vêtements de son père étaient rangés dans l'armoire de sa chambre et qu'il était réveillé le matin par le cliquetis des cintres. Il revoit son père qui lui dit, tout en nouant sa cravate : Lève-toi et brille, petit homme.
Afficher en entierCette vie lui convenait et je comprends qu’il y soit retourné après la rupture de son mariage. Pour quelqu’un qui ne trouve la vie tolérable qu’à la condition d’en effleurer seulement la surface, il est naturel de se contenter, dans ses échanges avec les autres, de rapports superficiels. Peu d’exigences à satisfaire, aucune obligation de s’engager. Le mariage, au contraire, c’est une porte qui se ferme. Confiné dans un espace étriqué, il faut constamment manifester sa personnalité et par conséquent s’observer, s’analyser en profondeur. Porte ouverte, il n’y a pas de problème : on peut toujours s’échapper. On peut esquiver toute confrontation désagréable, avec soi-même comme avec autrui, rien qu’en sortant
Afficher en entierJ’avais perdu mon père. Mais dans le même temps je le découvrais. Tant que je gardais ces images devant mes yeux, tant que je continuais à les étudier de toute mon attention, c’était comme si, même disparu, il était encore vivant. Ou, sinon vivant, du moins pas mort. Plutôt en suspens, bloqué dans un univers qui n’avait rien à voir avec la mort, où jamais elle n’aurait accès
Afficher en entierÀ l’homme la mort prend son corps. Vivant, l’individu est synonyme de son corps. Ensuite il y a lui, et il y a sa dépouille. On dit : “Voici le corps de X”, comme si ce corps, qui un jour a été l’homme lui-même, non sa représentation ni sa propriété, mais l’homme même connu sous le nom de X, soudain n’avait plus d’importance.
Afficher en entierÀ un moment donné elle a pris le téléphone et entamé une conversation imaginaire, puis s’est tournée vers moi en disant : “Paul, c’est ton père, il veut te parler”. C’était affreux. J’ai pensé : Il y a un fantôme au bout de la ligne, et il tient réellement à s’entretenir avec moi. Plusieurs instants se sont écoulés avant que je parvienne à balbutier : “Non, ça ne peut pas être mon père. Pas aujourd’hui. Il est ailleurs”. J’ai attendu qu’elle raccroche le combiné et j’ai quitté la pièce
Afficher en entierIl y en avait bien une centaine, et beaucoup me rappelaient mon enfance : leurs dessins, leurs couleurs, leurs formes étaient inscrits dans le tréfonds de ma conscience aussi clairement que le visage de mon père. Me voir les jeter comme de quelconques vieilleries m’était intolérable et c’est au moment précis où je les lançais dans le camion que j’ai été le plus près de pleurer. Plus que la vision du cercueil descendu dans la terre, le fait de jeter ces cravates m’a paru concrétiser l’idée de l’ensevelissement. Je comprenais enfin que mon père était mort
Afficher en entier