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Extrait

Extrait ajouté par magaliB 2020-04-26T09:49:33+02:00

Un accueil glacial

— N'avancez pas, c'est dangereux !

Mais il était déjà trop tard lorsque j'entendis quelqu'un crier ces mots. Les planches du ponton s'affaissèrent sous mes pieds avant de céder. Elles se brisèrent, le bois pourri se cassa net, et je fis un plongeon de trois mètres dans l'océan glacé du Maine.

J'aurais peut-être pu, pendant une fraction de seconde, remarquer l'homme se précipiter sur le ponton en m'intimant de m'arrêter. Si mon corps s'était tourné de vingt degrés sur ma droite, il m'aurait été possible de le voir courir vers moi en agitant les bras. Mais j'avais le viseur de mon appareil photo Nikon collé contre mon œil et zoomais sur une forme face à la mer – la statue d'une femme dans une robe à volants, tenant ce qui ressemblait à un seau rempli de raisin.

Je me débattis pour remonter à la surface, luttant frénétiquement de tous mes membres. Mon cœur battait à tout rompre et mes dents claquaient à cause de l'eau froide. Je compris que je dérivais, et vite : un courant puissant, rapide, me faisait tournoyer et m'entraînait loin du ponton. Je refis surface en toussant, au milieu d'une mer agitée, écumante et pleine de sable. Je continuais de m'éloigner du rivage, heurtée par les vagues qui emplissaient ma bouche et mon nez d'eau salée. Prise de tremblements irrépressibles, je sentais mes bras et mes jambes s'engourdir. Comment l'océan pouvait-il être aussi froid en cette fin juin ?

Luttant contre le courant, je tentai de nager le crawl du mieux que je pouvais. Je battis des pieds et repoussai l'eau jusqu'à ce que mon corps devînt douloureux. Malgré cet effort, j'étais emportée toujours plus loin, poussée par une houle puissante.

Tu étais une bonne nageuse, quand tu étais à Exeter, me rappelai-je. Tu es capable de revenir. La petite voix dans ma tête essayait d'être confiante, mais ça ne fonctionnait pas. La panique m'envahit jusqu'au bout des doigts et des orteils. De l'eau avait coulé sous les ponts depuis ces années-là. J'avais passé trop de temps assise derrière un bureau, à gérer des dossiers judiciaires et des acquisitions, et pas assez à améliorer ma brasse papillon.

Brusquement, le courant qui m'avait emportée se calma. J'étais entourée d'un mur de flots noirs et de crêtes écumeuses. Devant moi s'étendait l'océan béant, sombre et infini. Je me tournai et, l'espace d'un instant, je ne vis rien d'autre que des montagnes d'eau. Puis je fus soulevée en haut d'une vague, et le ponton ainsi que la plage m'apparurent, terriblement loin et minuscules. Je repris le crawl en direction du rivage – respiration, battements, respiration, battements –, mais mes jambes, trop fatiguées pour avancer, me semblèrent atrocement lourdes.

Je nageai sur place. Mes bras étaient si épuisés que j'eus envie de pleurer. Une douleur aiguë me vrilla le menton et, quand je tâtai mon visage, mon doigt fut taché de sang. Je m'étais coupée, probablement pendant ma chute.

La chute. Je ne savais même pas comment cela s'était produit. J'avais eu envie de voir la ville depuis la mer, comme l'avait fait ma grand-mère lorsqu'elle était enfant ici, dans les années 1940. J'avais marché sur la plage, poussé une barrière et m'étais avancée sur cette plate-forme flottante. Quelques planches manquaient, une partie de la rambarde avait disparu, pourtant tout allait bien jusqu'à ce que je marche sur une latte un peu trop molle. À l'évocation de ce moment, je me sentis retomber en chute libre.

Une vague me gifla le visage et je bus la tasse. Entortillé autour du cou, mon Nikon cognait contre ma poitrine et, telle une pierre, me tirait vers le fond. L'appareil photo ne marcherait plus jamais, je le savais. D'une main tremblante, je passai la sangle par-dessus ma tête.

Un souvenir de mon dernier anniversaire me revint soudain en mémoire. Un dîner au May Fair, à Londres, mon fiancé Hayden qui me tendait une boîte emballée dans du papier argenté et une carte avec ces mots : Joyeux trente-cinq ans, Ellen. J'espère que cela rendra justice à ton talent extraordinaire. À l'intérieur de la boîte se trouvait le Nikon.

J'ouvris la main et laissai la sangle s'échapper de mes doigts. J'observai l'appareil sombrer dans l'obscurité. Mon cœur se brisa en l'imaginant au fond de l'océan.

À cet instant, je me mis à penser que je n'allais pas m'en sortir. J'avais trop froid, j'étais à bout. Je fermai les yeux et laissai les ténèbres m'envelopper. J'entendis le frémissement des vagues tout autour de moi. Je songeai à ma mère, que je ne reverrais plus jamais. Comment pourrait-elle supporter la mort de deux êtres chers presque à une semaine d'intervalle – d'abord ma grand-mère, puis moi ?

Et qu'en serait-il de Hayden, à qui j'avais assuré avant mon départ ce matin-là que je ne resterais qu'une nuit à Beacon, deux tout au plus ? Il m'avait demandé de patienter un peu afin qu'il puisse m'accompagner. J'avais refusé, arguant que ce serait un voyage éclair. Rien d'important. Nous sommes mardi, lui avais-je dit, je serai de retour à Manhattan demain. Et à présent, trois mois seulement avant notre mariage, il découvrirait que je ne reviendrais pas.

Je sentis que je m'abandonnais, je laissais l'eau s'emparer de moi ; une impression de calme et d'apaisement me pénétra. L'image de ma grand-mère dans sa roseraie, un sécateur à la main, flotta dans mon esprit. Elle me souriait.

Surprise, j'ouvris les yeux. Au-delà des sombres collines d'eau mouvante, je pus distinguer le ponton. Il y avait aussi quelque chose... non, quelqu'un, un homme, qui se tenait au bord. Je le vis plonger. Il refit surface et commença à nager le crawl à vive allure dans ma direction, ses bras martelant les vagues.

C'est pour moi qu'il vient, me dis-je. Merci, mon Dieu, il vient pour moi. Quelqu'un est là-dehors et il va m'aider. Un petit coin de ma poitrine commença à se réchauffer. J'obligeai mes jambes à battre un peu plus fort et mes muscles se remirent à réagir. Afin qu'il pût me repérer, je tentai de lui faire un signe de la main.

Tandis que je le regardais se rapprocher, mes dents claquaient si fort que je pouvais à peine respirer. Je n'avais jamais vu de nageur si puissant. Il évoluait au milieu des vagues avec une aisance étonnante. Enfin, il fut suffisamment près de moi pour que je puisse l'entendre.

— Tenez bon ! cria-t-il.

Sa respiration était haletante, son visage rougi, et ses cheveux sombres étaient plaqués en arrière par la mer. Quand il me rejoignit, mes jambes m'avaient déjà lâchée et je flottais sur le dos.

— Je vais vous ramener, m'assura-t-il.

Il prit plusieurs respirations.

— Faites ce que je vous dis et surtout ne vous accrochez pas à moi, sinon nous allons couler tous les deux.

J'avais assez de bon sens pour ne pas m'agripper à lui, même si je ne m'étais jamais rendu compte à quel point une personne en train de se noyer peut facilement commettre cette erreur. Je hochai la tête pour lui signifier que j'avais compris. Nageant sur place, nous nous fîmes face. Je le regardai, et tout ce que je vis, ce furent ses yeux. Des yeux incroyablement bleus – bleu clair, presque bleu glacier, comme des aigues-marines.

Soudain, malgré mon épuisement, je fus submergée par un sentiment d'embarras. Je n'avais jamais été douée pour accepter l'aide d'autrui et, par une étrange règle inversement proportionnelle, plus la situation était extrême, plus il m'était difficile d'accepter quelque secours que ce soit. Ma mère aurait dit que c'était la faute de notre vieille lignée yankee. Hayden aurait répliqué que c'était juste de l'orgueil mal placé.

Toujours est-il qu'à cet instant, je me sentis complètement stupide. Une demoiselle en détresse passant au travers d'un ponton, emportée par les courants, incapable de regagner le rivage et de se prendre en charge.

— Je peux rentrer à la nage, proférai-je en claquant des dents, au moment où une vague s'écrasait sur mon visage. Je nagerai à côté de vous, ajoutai-je, mes jambes aussi lourdes que des blocs de béton.

L'homme secoua la tête.

— Non. Mauvaise idée. Les courants d'arrachement.

— Je faisais partie... de l'équipe de natation, parvins-je à prononcer alors que nous étions soulevés par la houle.

Ma voix devenait rauque.

— Au lycée.

Je toussai.

— Exeter. On a atteint... le niveau national.

Il était si proche que son bras effleura le haut de ma jambe.

— Je vais vous ramener sur la plage, lança-t-il en reprenant son souffle. Vous n'avez qu'à suivre mes instructions. Je m'appelle Roy.

— Et moi, Ellen, fis-je en haletant.

— Ellen, posez vos mains sur mes épaules.

Elles étaient larges, le genre de celles d'un travailleur, pas d'un sportif en salle. Il m'observa en plissant les yeux.

Non, pensai-je, tandis que mes mains engourdies continuaient de s'agiter dans l'eau. Je vais me débrouiller toute seule. Maintenant que j'ai quelqu'un à mes côtés, je peux y arriver.

— Merci, dis-je, mais ça ira si je...

— Posez vos mains sur mes épaules, me coupa-t-il en haussant le ton.

Cette fois, il ne me laissait pas le choix.

J'obtempérai.

— Maintenant, mettez-vous sur le dos et gardez vos bras tendus. Allongez les jambes et restez dans cette position. Je vais nager pour nous deux.

Je connaissais cette technique de sauvetage, celle où l'on porte le nageur épuisé, bien que je n'aie jamais été ce nageur-là. Je m'étendis, mes cheveux s'étalant autour de moi. Un timide rayon de soleil caressa mon visage. Nous roulâmes au gré des vagues, nos corps entraînés au sommet des crêtes.

Roy prit position au-dessus de moi et, suivant ses instructions, j'accrochai mes jambes autour de ses hanches. Il partit en brasse, tête hors de l'eau, et nous parvînmes à nous maintenir à la surface. Je commençai à me détendre et à me laisser porter. Ma tête était appuyée contre sa poitrine. Je fermai les yeux et sentis ses muscles se contracter sous sa chemise à chaque impulsion. Ses jambes étaient longues et puissantes, sa peau exhalait une odeur de sel et d'algues.

Tandis qu'il fendait l'eau, j'entendais chacun de ses mouvements et sentais la chaleur de son corps. J'ouvris les yeux. Nous avancions parallèlement à la plage. Je compris enfin ce qui s'était produit. J'avais été entraînée par un courant d'arrachement et, prise de panique, je ne m'en étais pas aperçue. En conséquence, je n'avais pas tenu compte de la règle la plus importante dans ce genre de situation : ne pas nager contre les courants ; nager parallèlement au rivage jusqu'à ce qu'on les ait contournés, puis regagner la côte.

Bientôt, nous pûmes tourner et nous diriger vers la plage où un attroupement s'était formé. On est presque arrivés, me dis-je, soulagée. J'avais hâte de toucher le sol, de savoir que j'avais fini de dériver dans l'obscurité.

Lorsque Roy eut pied, il me prit dans ses bras et me maintint contre lui. Sa respiration était saccadée. De là où je me tenais, la tête posée contre son torse, j'estimai qu'il devait mesurer au moins un mètre quatre-vingt-dix, soit vingt bons centimètres de plus que moi.

— Vous pouvez tenir debout, ici, me dit-il.

Des gouttelettes tombaient de ses cheveux. Je me dégageai doucement de son corps, pris la main qu'il me tendait et posai mes pieds par terre. J'avais de l'eau jusqu'à la poitrine. En touchant le sable, en m'ancrant de nouveau sur le sol, j'eus l'impression d'atteindre le paradis. Derrière moi, l'océan tourbillonnait et s'enfonçait dans les ténèbres, mais, à quelques pas devant moi, la plage étincelait comme une nouvelle promesse sous le soleil de fin d'après-midi. Mes muscles se relâchèrent et, l'espace d'un instant, je ne souffris plus du froid. Je me sentis en harmonie avec le monde autour de moi. Je suis toujours là, songeai-je. Je suis en sécurité, vivante.

Prise d'étourdissement, je me mis à rire. Je lâchai la main de Roy et commençai à tournoyer dans l'eau, telle une ballerine saisie de vertige. Je riais et tournais et agitais les bras sous son regard déconcerté. Pensait-il que j'avais perdu l'esprit ? Cela m'était bien égal. J'avais échappé au néant des eaux profondes et regagné la terre ferme. Rien au monde n'eût pu me paraître aussi merveilleux que ce moment-là.

Je m'approchai de Roy et plongeai mes yeux dans les siens. Je jetai alors mes bras autour de son cou et l'embrassai. Un baiser parce qu'il m'avait sauvé la vie, un baiser surgissant d'un endroit dont je ne connaissais pas l'existence. Et il me le rendit. Ses lèvres chaudes avaient le goût de la mer ; ses bras, forts et rassurants, me serrèrent comme si nous allions nous noyer. Je ne voulais rien d'autre que me perdre dans cette étreinte. Soudain, je me rendis compte de ce que j'avais fait et m'écartai vivement.

— Je suis désolée, m'excusai-je, le souffle court, découvrant brusquement que des gens nous observaient. Je... je dois y aller.

Je fis volte-face et j'avançai à grandes enjambées dans l'eau en direction de la plage. Je grelottais, mes vêtements étaient trempés, mes yeux me piquaient à cause du sel, et l'embarras qui m'avait saisie en mer n'était rien en comparaison de ce que je ressentais maintenant. Je ne comprenais pas ce qui m'avait pris, ce qui s'était emparé de moi pour que je l'embrasse.

— Ellen, attendez, m'interpella Roy tandis qu'il me rejoignait.

Il tenta d'attraper ma main, mais je me dégageai et continuai ma progression à travers les flots. Fais comme si ça n'était jamais arrivé, me dis-je. Ça n'est jamais arrivé.

J'aperçus alors deux hommes en jean qui couraient à notre rencontre. L'un d'eux était vêtu d'un T-shirt jaune, l'autre portait une casquette de base-ball des Red Sox et, autour de la taille, une ceinture à outils avec un niveau qui battait contre sa cuisse. Ils se précipitèrent dans la mer.

— Roy, ça va ? Elle va bien ? demanda l'homme au T-shirt jaune tout en m'aidant à regagner la plage.

— Je crois, répondit Roy en sortant péniblement de l'eau, son jean plaqué contre ses jambes.

L'homme à la casquette des Red Sox m'entoura de son bras.

— Vous allez bien, mademoiselle ?

J'essayai de hocher la tête, mais je tremblais si fort que je ne parvins pas à la bouger.

— Froid, parvins-je à articuler avec peine.

Un homme de forte carrure avec une barbe et les cheveux en brosse vint vers moi. Il portait une ceinture à outils et tenait un blouson de cuir marron. Il m'enfila le vêtement et en remonta la fermeture Éclair jusqu'en haut. Le blouson était pourvu d'une doublure aussi épaisse et confortable qu'une couverture en polaire. Je lui fus reconnaissante pour son geste.

— Vous voulez que j'appelle les secours pour qu'ils vous emmènent à l'hôpital de Calvert ? lança l'homme au T-shirt jaune. Ils seront là très vite.

Je ne savais absolument pas où se trouvait Calvert, mais la dernière chose dont j'avais envie, c'était de me retrouver aux urgences où le personnel voudrait probablement contacter ma mère (très mauvais) et Hayden (pire encore).

— S'il vous plaît, répondis-je en tremblant, je veux juste m'en aller.

Roy s'approcha de moi.

— Je vous ramène.

Oh, non ! pensai-je, sentant mes joues s'enflammer. Il faut que quelqu'un d'autre s'en charge, je ne peux pas partir avec lui. Je jetai un œil aux autres hommes, mais aucun n'intervint.

— Venez, fit Roy en me touchant l'épaule.

Je partis devant lui d'un pas rapide. Il me rattrapa et me guida en silence. Nous allâmes au bout de la plage, où j'aperçus le ponton et une maison en construction. Trois hommes fixaient des bardeaux sur le toit. Je suivis Roy jusqu'au parking en terre battue, devant la bâtisse, et il ouvrit la portière d'un pick-up Ford bleu.

— Désolé pour le désordre, dit-il en retirant du siège avant une boîte à outils, un mètre à ruban, un niveau et quelques pinceaux. Le matériel du charpentier, expliqua-t-il.

L'eau qui imbibait mes vêtements coula sous mes fesses lorsque je m'assis, et une petite flaque se forma sur le tapis de sol en caoutchouc. Je baissai les yeux sur mes pieds couverts d'une fine couche de sable.

— Je ne comprends pas ce qui m'est arrivé, dis-je dans un souffle. À un moment j'étais sur le ponton, la seconde suivante...

Je frissonnai et remontai le col du blouson sur ma nuque.

Roy mit le contact, la voiture toussa et crachota avant de démarrer.

— Vous n'êtes pas du coin, vous ? me demanda-t-il.

Les boutons du tableau de bord s'allumèrent et la radio s'illumina d'un bel éclat jaune.

— Non, marmonnai-je en secouant la tête.

— Les courants d'arrachement peuvent être très dangereux, par ici, expliqua Roy. Et le ponton est en sale état. Heureusement que je vous ai vue.

Je fermai les yeux, cherchant à repousser le souvenir du courant et du ponton, mais surtout celui du baiser. Une image de Hayden me traversa l'esprit – son sourire chaleureux, sa mèche de cheveux blonds retombant sur son front, le petit clin d'œil qu'il m'adressait lorsque quelque chose lui plaisait, ses yeux marron si doux, si confiants... Je ne pourrais jamais lui avouer ce qui s'était passé.

— Oui, heureusement, concédai-je.

Roy m'observa et je remarquai quelques légères rides sur son front. Ses sourcils étaient noirs, légèrement piquetés de gris.

— Merci... de m'avoir sauvée, déclarai-je.

Il pivota et démarra en marche arrière.

— De rien.

Il passa la première et nous roulâmes jusqu'à la sortie du parking. Pendant que nous attendions pour nous engager sur la route, il tapotait le volant de ses doigts.

— Vous étiez impressionnant en mer. Où avez-vous appris à nager comme ça ? questionnai-je après un long silence.

— C'est un sacré compliment, venant de quelqu'un qui a nagé au niveau... lequel, déjà ? Au niveau national.

Je me doutais qu'il plaisantait, mais il y avait à peine l'ombre d'un sourire sur son visage.

— Oh, eh bien, ça remonte à loin, répliquai-je.

Des gouttes d'eau tombaient de ses cheveux sur sa chemise. Ils étaient épais, sombres et ondulés, avec quelques mèches grises qui amélioraient encore son apparence. Je ne pus m'empêcher de me demander à quoi il ressemblerait en costume.

— Vous étiez sauveteur ?

Il s'engagea sur la route.

— Nan.

— Alors vous avez appris...

— Dans le coin, répondit-il en haussant les épaules, avant de se pencher pour allumer le chauffage. Où logez-vous ?

Dans le coin ? Comment quelqu'un pouvait-il apprendre à nager comme ça dans le coin ? Je mis mes mains devant la ventilation. Avec un peu d'entraînement, il aurait probablement pu participer aux Jeux olympiques.

— Vous logez où ?

— À l'hôtel Victory.

Je remarquai une petite cicatrice à côté de son nez, juste sous l'œil gauche.

— Chez Paula, fit-il en hochant la tête. Et vous restez en ville jusqu'à quand ?

— Pas longtemps. Pas longtemps du tout.

— Allez quand même faire examiner cette coupure.

— Quelle coupure ?

J'abaissai la visière, mais il n'y avait pas de miroir.

— Sur votre menton.

J'y posai la main. Elle fut tachée de sang.

Roy arrêta la voiture et mit son clignotant.

— Vous auriez besoin d'un ou deux points de suture. Je connais un médecin à North Haddam, je pourrais vous y conduire.

Mes joues s'embrasèrent, et je devinai qu'elles étaient écarlates.

— Non, non, répliquai-je. Ce n'est vraiment pas nécessaire.

L'idée qu'il m'emmène dans une autre ville pour consulter un docteur... eh bien, me déstabilisait. Je ne pouvais pas accepter.

— Ça ne me gêne pas, insista-t-il.

Il sourit, et je vis apparaître des fossettes.

— On était à l'école ensemble, et je suis sûr qu'il...

— Écoutez, l'interrompis-je, les mains levées en signe de protestation, j'apprécie énormément votre aide, mais il vaut peut-être mieux que je sorte de cette voiture et que je finisse à pied. Ce n'est pas loin, et j'ai assez abusé de votre temps.

Les légères rides sur son front se creusèrent.

— Vous ne marcherez nulle part. Je ne voulais pas me montrer insistant, il me semblait juste que vous devriez aller voir un médecin.

Il posa les doigts sur ma joue, abaissant mon menton pour mieux voir la coupure, et un frisson me parcourut le corps.

— Ça va aller, dis-je en m'asseyant droite comme un i. Je... hum... repars demain et... heu... j'irai voir un médecin à Manhattan dès mon retour.

Roy haussa de nouveau les épaules.

— Comme vous voulez.

Il tourna à gauche en direction de l'hôtel.

Je regardai par la vitre, me demandant si je devais mentionner le baiser et m'excuser. Après tout, je n'avais pas envie qu'il pense que... Je n'avais pas envie qu'il pense quoi que ce soit.

— Je suis désolée pour ce qui s'est passé là-bas.

Il me jeta un coup d'œil étonné.

— Vous n'avez pas à vous excuser. Ce genre de courant est dangereux. On peut facilement se retrouver en difficulté.

— Non, je ne parlais pas du courant, le coupai-je. Je voulais dire...

Je fus incapable de poursuivre.

Il actionna le levier de vitesse pour se garer, se cala sur son siège et passa la main sur le volant.

— Oh, ne vous en faites pas pour ça, répliqua-t-il. Ce n'était qu'un baiser.

Si c'était censé me soulager, c'était raté. Je me sentais insultée. Ça ne lui avait donc fait aucun effet ?

— Vous savez, les gens dans le Maine devraient mieux entretenir leurs pontons, rétorquai-je, ma voix montant dans les aigus sans que je puisse me contrôler. J'aurais pu être gravement blessée en tombant à travers ce truc.

Roy me regarda, surpris, avant de me répondre :

— Je suis content que vous n'ayez pas été blessée – une nageuse confirmée comme vous. Et je suis content, aussi, d'avoir été là pour vous secourir.

Le soleil de fin d'après-midi éclairait l'avant de l'habitacle d'une nuance dorée. Roy abaissa sa visière.

Je pensais qu'il se moquait encore de moi, jusqu'à ce que je remarque le sérieux de son expression.

— Cela dit, continua-t-il en souriant à présent, s'il y a une chose que les gens du Maine savent faire, c'est lire. Alors, si vous aviez lu le panneau..

Mais de quoi parlait-il ? Les gens du Maine qui lisent ? Quel panneau ?

— Évidemment que je sais lire, répondis-je sur la défensive, avec une voix de plus en plus perçante. J'ai passé quatre ans à l'université et trois à la fac de droit. J'ai lu des tonnes de bouquins.

— La fac de droit.

Roy hocha lentement la tête, comme s'il venait de comprendre quelque chose.

— Tout à fait, confirmai-je en scrutant son profil.

Il avait une barbe d'un jour que j'aurais pu trouver séduisante en d'autres circonstances, lorsque j'étais encore célibataire. Mais à cet instant, il me tapait franchement sur les nerfs.

— Alors, comme ça, vous êtes avocate ? me demanda-t-il.

— Oui.

— Et quelle est votre... heu, spécialité ?

— Je suis avocate en droit immobilier.

— Hmm.

Il se gratta le menton.

— Et l'intrusion dans une propriété privée, vous vous y connaissez bien ?

Évidemment que je connaissais, mais ce n'était pas un domaine légal auquel j'avais souvent affaire.

— En effet, dis-je en me raidissant davantage sur mon siège. Je connais tout sur le sujet. En ce qui concerne la loi sur l'intrusion dans une propriété privée, c'est moi l'experte du cabinet. Je m'occupe de tous les cas sur la question.

Une Toyota s'arrêta en face de nous et Roy fit signe au conducteur de passer.

— Une experte dans le domaine, appuya-t-il en haussant les sourcils. Il faut passer un diplôme spécifique pour ça ?

Un diplôme spécifique ? Quelle question idiote !

— Non, bien sûr que vous n'avez pas à...

Je m'interrompis, car l'étincelle que je vis briller dans ses yeux m'indiqua qu'il se moquait ouvertement de moi cette fois.

— D'accord. Alors, avec toutes vos études, toutes vos lectures, et votre expertise en intrusion dans une propriété privée et tout, pourquoi n'avez-vous pas lu le panneau DÉFENSE D'ENTRER devant le ponton ? Ou, si vous l'avez lu, pourquoi y être allée ?

De quel panneau parlait-il, et pourquoi me faisait-il passer un interrogatoire ? Je sentis un filet d'eau couler le long de mon dos. À y repenser, je me souvenais vaguement d'avoir aperçu un panneau sur la plage, près du ponton. Y était-il écrit DÉFENSE D'ENTRER ? Était-ce possible ? Non, sûrement pas, me dis-je. Sinon, je m'étais mise dans de sales draps. Il avait tous les droits de penser que j'étais complètement stupide.

— Je n'ai pas vu de panneau, lui répondis-je. Il n'y en avait pas. Je l'aurais remarqué.

Roy retira un morceau d'algue de la jambe de son jean et le jeta par la fenêtre.

— Eh bien, vous n'avez pas dû le voir, mais il y en avait bien un. Vous avez remarqué la maison en construction ? En fait, j'y travaille. Le ponton et la maison sont sur la même propriété. Ce panneau a été placé pour que les gens n'y pénètrent pas.

Il me lança un regard.

— En particulier sur le ponton.

Je contemplai à nouveau mes pieds sableux pataugeant dans une flaque d'eau et essayai de mettre de l'ordre dans mes idées. Je tentai de me représenter le ponton et la plage. Oui, je me souvenais du panneau, blanc avec des lettres noires. Qu'était-il écrit ? Oh ! mon Dieu, je crois que c'était bien : DÉFENSE D'ENTRER. Je me sentis nauséeuse. Je n'y avais prêté aucune attention. Comment avais-je fait pour passer devant et monter sur le ponton ? J'étais mortifiée. En tant que nageuse, je n'aurais pas dû me laisser prendre dans un courant, et en tant qu'avocate, je n'aurais pas dû entrer dans une propriété privée. Je détachai brusquement ma ceinture de sécurité. Je n'allais rien lui dire. Je ne pourrais jamais admettre ce que j'avais fait.

— Vous savez quoi ? déclarai-je, consciente que ma voix tremblait et qu'elle venait de monter d'une octave. Vous devriez conseiller au propriétaire de mieux entretenir son terrain.

Je me revis plonger dans l'océan et ma gorge se serra.

— Il a de la chance que je n'aie pas été blessée.

Je marquai une pause.

— Ou tuée.

J'agitai un doigt en direction de Roy.

— On pourrait le poursuivre en justice pour ce ponton. Il devrait être démoli.

Voilà qui était bien dit, pensai-je, au moment où une motte de sable se détachait de mes cheveux pour tomber sur mes genoux.

L'expression de Roy changea à peine, mais ce que je perçus dans son regard et au coin de sa bouche m'indiqua qu'il trouvait la situation extrêmement drôle. Je balayai le sable de mon short et le laissai tomber sur le tapis de sol. Il regarda par terre, puis ses yeux se reposèrent sur moi.

— Le ponton va être démoli. C'est pour cette raison qu'il y a une barrière.

— Très bien, mais elle n'est pas cadenassée.

La coupure au menton me faisait à présent vraiment souffrir.

— Elle est censée l'être.

— Oui, eh bien, elle ne l'était pas. Sinon, comment aurais-je pu me retrouver là-bas ?

Je crus qu'il allait me répondre, mais je ne lui en laissai pas le temps.

— Autre chose. Vous pourriez peut-être conseiller au propriétaire de faire mettre le panneau sur le ponton, et non pas dans le sable.

Excellente remarque, me dis-je. Ils auraient dû le placer à un endroit utile.

Il se tourna vers moi et, cette fois, il n'y eut aucun doute possible. Il souriait – un petit sourire ironique qui me donna le sentiment d'être devenue la souris de son chat.

— Oh, donc vous avez vu le panneau.

Mon Dieu, prise à mon propre piège ! Cet homme était odieux, exécrable et insupportable. Une impression de chaleur se diffusa derrière mes yeux, et je sus que j'allais me mettre à pleurer. Je ne le laisserais pas assister à ça. J'ouvris la portière et descendis de la voiture. Le siège était imbibé d'eau.

— Merci de m'avoir raccompagnée.

Je m'efforçai de parler sèchement afin de ne pas fondre en larmes. Je claquai la portière et j'entrepris de marcher jusqu'à l'hôtel. C'est alors que j'entendis Roy m'appeler.

— Ellen ! lança-t-il la tête penchée par la vitre du côté passager. Hé, Ellen !

Le ton de sa voix était sérieux, son regard grave. Je ne vis plus trace de ce petit éclat que j'avais remarqué lorsqu'il se moquait de moi. Très bien, pensai-je, écoutons ce qu'il a à dire. Je me rapprochai de la voiture.

— J'imaginais que ça pourrait vous intéresser, commença-t-il. Ils font des soldes chez Bennett, le magasin d'équipement nautique.

Il souriait à présent, et ses yeux s'éclairèrent.

— Les gilets de sauvetage sont à moins trente pour cent.

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