L'Ombre du soupçon

Trois jours plus tôt

Au septième étage de l’hôtel Park Hyatt, les portes du patio étaient grandes ouvertes, comme pour souhaiter la bienvenue à cette magnifique soirée d’avril.

Nous nous sommes engouffrées dans ce nid urbain illuminé par les lumières de la ville.

— Enfin le printemps! me suis-je exclamée en respirant à pleins poumons. Je n’en pouvais plus de l’hiver.

Le problème, avec le printemps à Chicago, c’est qu’il est court et capricieux. En l’espace d’une nuit, la douceur de ce vendredi soir — il devait faire vingt degrés — pouvait très bien se transformer en un samedi matin frisquet, à la limite des gelées matinales. Voilà pourquoi ces soirées printanières sont toujours un événement pour les habitants de la ville. Voilà pourquoi elles peuvent vous conduire à faire des choses folles.

Le directeur de salle, un Français en costume noir parfaitement ajusté, s’est précipité vers nous en voyant la femme qui m’accompagnait.

— Quel plaisir de vous avoir parmi nous, madame Augustine!

Il s’est tourné vers moi.

— Et vous aussi, mademoiselle…

— Mlle Izzy McNeil, a dit Jane en décochant son parfait sourire de présentatrice télé. Si vous cherchez une avocate spécialisée en droit du divertissement, vous avez la meilleure devant vous!

L’homme a éclaté de rire tout en me reluquant discrètement. L’ébauche d’un sourire s’est formée sur ses lèvres.

— Une avocate, hein? Alors vous êtes non seulement jolie, mais intelligente?

— Pas assez pour me trouver du travail, en tout cas. Ça fait six mois que je suis au chômage.

— J’ai le sentiment que ça ne va pas durer, a lancé Jane avec un sourire entendu.

— Pourquoi est-ce que tu dis ça?

Jane a haussé les épaules avec une mimique mutine, tandis que le Français nous conduisait dans un coin tranquille du patio.

— La meilleure table pour la meilleure présentatrice, a-t-il dit en posant deux menus devant nous.

— Tu es reçue partout comme ça? ai-je demandé quand nous nous sommes retrouvées seules.

Jane a secoué la masse brillante de ses cheveux d’un mouvement de tête, avant de planter ses célèbres yeux bleu mauve dans les miens.

— Ce n’est pas à cause de moi qu’on a eu droit au grand jeu. Tu n’as pas vu que ce type en pince pour toi?

J’ai jeté un coup d’œil par-dessus mon épaule. Le directeur de salle nous regardait. Bon, d’accord, il semblait bien qu’il me regardait.

— Depuis que je suis redevenue célibataire, j’ai l’impression que je dégage une espèce de parfum qui attire les mâles.

Jane a éclaté de rire.

— Je connais une femme mariée qui ne peut pas s’empêcher de dégager ce même parfum!

J’ai observé Jane à la dérobée pendant qu’elle commandait deux verres de vin. Avec son long corps parfaitement mis en valeur dans un impeccable tailleur rouge, elle était l’archétype de la journaliste vedette. Mais plus je la fréquentais, plus j’étais intriguée par les nombreuses facettes que je lui découvrais. A l’époque où j’étais l’avocate principale de Pickett Enterprises, le groupe audiovisuel qui possédait la chaîne de télévision où officiait Jane, c’était moi qui avais négocié son contrat. Sa réputation de femme forte dotée d’un solide sens de la repartie et d’un aplomb à toute épreuve n’était pas usurpée, mais je décelais désormais d’étonnantes failles sous le vernis de cette assurance. Depuis que nous passions plus de temps ensemble, je percevais aussi chez elle une extraordinaire sensualité. Jane n’était pas seulement sexy; elle avait un côté charnel, lascif, qui m’avait échappé jusque-là.