Extraits

"La Caste", la vraie, celle qui se partageait le haut de la pyramide, était constituée de Rapaces. Ils possédaient des fortunes et des moyens tels qu'ils avaient le pouvoir de survoler le Monde sans jamais y poser le pied. Ils n'étaient pas très nombreux. Quelques dizaines, tout au plus. Tous étaient membres de grandes familles ayant bâti leur influence et leur puissance sur plusieurs générations, et tous étaient donc nés au sommet. Il n'y avait pas de parvenus sur ces écrans. Et aucun d'eux n'imaginait un seul instant devoir fouler le sol un jour. Ils n'étaient pas faits pour le bas, ils se pensaient biologiquement impropre à cette vie-là. Ils étaient nés avec des ailes, et une vision élevée.

- Vous êtes un homme étrange, Monsieur Daleth... Les individus de votre espèce ont toujours été une énigme à mes yeux. J'ai beaucoup de mal à comprendre comment on peut vivre sans moralité. Même embryonnaire.

- Il suffit de s'y refuser.

- C'est là qu'est l'énigme: vous voulez rester un animal ?

- Ils ont le mérite de ne pas chercher à nuire juste parce que ça leur plaît.

Colporter des informations, les faire admettre comme valables et irréfutables, créer l'opinion publique et la maintenir sous contrôle n'était plus, et de loin, un objectif inaccessible. Le seul élément venant semer le chaos dans le grand rangement, c'était Internet ! Un outil extraordinaire, soi-disant primordial pour un contrôle total... et finalement, c'était le plus souvent à cause de lui que tout dégénérait !

A la tête de ces banques, aussi, se trouvent des hommes. Des hommes suffisamment malsains et dysfonctionnels pour avoir élaboré un système où 90% de l'argent mis en circulation n'existent même pas. Les sommes que vous déposez en tant qu'épargnants sont prêtées dix, voire trente fois... Réclamer tous ensemble vos économies, si modestes soient-elles, vous démontrerait rapidement à quel point les banques vendent du vent, à quel point elles bâtissent leur puissance sur du bluff... sur le virtuel.

La valeur humaine ou sociale n'est plus, c'est la productivité la priorité. Le patron de Disney considère ainsi comme "normal" de gagner, à titre personnel, plus de deux cents millions de dollars par an, tout en payant les Haïtiens fabriquant ses T-shirts, quelques centimes de l'heure. Sa vie toute entière ne lui permettra pas de dépenser sa fortune, pendant que ses "ouvriers" passeront la leur dans l'esclavagisme... Notre monde étant à présent régit par cette "loi" des marchés, les entreprises sont devenues... tentaculaires. Des hydres énormes dotées de succursales, de filiales, qui n'en finissent pas de battre des records d'obésité. Les mégafusions pulvérisent perpétuellement les plafonds de l'année précédente, les sociétés deviennent transcontinentales et, à la tête de ces monstres plus puissants que certains Etats... se trouvent des hommes... dont le compte en banque dépasse celui de plusieurs millions d'individus.

- L'Humanité n'est pas différente des autres espèces animales, Mina. L'ordre de préséance, les dominants et les dominés, tout ça constitue la base du fonctionnement de la Vie. Vous aspirez à un monde contre nature.

- Les dominants se détrônent.

- Plus maintenant. C'est trop tard.

Mina se pinça les lèvres.

- C'est pour vous qu'il est trop tard. Vous respirez encore, mais au fond... vous êtes déjà mort.

Il y avait souvent des rires, ici. On parlait d'avenir, ici. On disait "On fait", et non pas "Si on pouvait...". Récupérer leur dignité changeait les gens.

Tous deux considéraient que les peuples du monde occidental commençaient à descendre gentiment vers le niveau de vie de ceux du Tiers-Monde et que, bientôt, la pauvreté populaire serait la norme partout. Ils disaient qu'on en était revenu "à l'époque des serfs donnant à leurs souverains passifs et ventripotents le fruit de leur labeur et la nourriture de leurs enfants". Elle pensait même par moments qu'en fait... on n'en était jamais vraiment sorti.

- OK... Alors vous êtes dans quel camp ? Les gentils ou les méchants ?

Aten l'observa avec des yeux ronds, comme si elle lui avait parlé en mandarin.

- Vous êtes si naïve que ça ?

- Je sais pas... C'est naïf de penser qu'il y a des choses qui ne devraient pas exister ?

- Ça, c'est pas naïf, c'est vain. Quant au camp dont je fais partie, il est gris. Comme tous les autres.

Sa mère la tirait brutalement par la main. Âdhya ignorait si c’était pour la punir ou pour avancer plus vite, mais elle le faisait avec une colère qu’elle ne lui connaissait pas.

— Comment tu as pu faire une chose pareille ?! Tu es stupide !