La Ballerine de Kiev

Dans 𝙇𝙖 𝙗𝙖𝙡𝙡𝙚𝙧𝙞𝙣𝙚 𝙙𝙚 𝙆𝙞𝙚𝙫, on suit Dmytro et Svitlana, un couple de danseurs étoilés, au ballet de l’Opéra national de Kiev. Tout va pour le mieux dans leur vie : ils vivent un amour fou et sont au sommet de leur art. Ils ne le savent pas encore, mais le 23 février 2022 sera leur dernière représentation… La Russie a déclaré la guerre à l’Ukraine.

Sous la plume de Stéphanie Perez, grand reporter pour France Télévisions depuis plus de 25 ans et auteure, on suit ce couple depuis le début de cette guerre en Ukraine, et pendant 298 jours. Dmytro s’engage dans l’armée pour défendre son pays, tandis que Svitlana devient secouriste. Dans cet ouvrage, on est confronté à la dureté de la guerre, à l’amour et à la sensibilité de la danse. Stéphanie Perez maîtrise son sujet, à juste titre, puisque ce roman est le fruit d’un grand travail sur le sol ukrainien.

Si, de prime abord, j’étais assez réticente à lire un ouvrage sur ce conflit Russie/Ukraine, je suis ravie d’avoir lu cet ouvrage qui m’a beaucoup touché. L’histoire est bouleversante, remplie d’humanité, et de résilience.

Je vous conseille vivement de découvrir cet ouvrage, qui a reçu de nombreuses critiques élogieuses !

La ballerine de Kiev m'attire irrésistiblement avec sa sublime couverture.

Quelques billets de mes amis m'ont incitée à mettre ce livre dans mon pense-nouille sans fond et je ne l'ai pas regretté une seule seconde.

Hier soir, je l'ai fini, et depuis, je réfléchis à ce que je vais bien pouvoir écrire.

D'habitude, dans le cas de figure, je ne publie rien.

Mais celui-ci, je voudrais qu'il retienne votre attention, alors je vais essayer.

Kiev, le 23 février 2022

Svitlana et Dmytro, couple de danseurs étoiles sur scène comme dans la vie, exécutent magistralement Le lac des cygnes de Tchaikovski.

Petite parenthèse : La musique de Tchaikovski fut interdite en Ukraine dès le lendemain.

Le récit s'ouvre sur un prologue tiré du journal intime de Svitlana.

L'incipit de deux phrases m'a chopée et étreinte direct :

"C'est la dernière fois que nous dansons ensemble.

Mais nous ne le savons pas."

Le ballet se termine sous les applaudissements nourris des spectateurs enthousiastes.

Je les comprends. Tel que l'a décrit Svitlana, j'avais l'impression d'y être.

24 février

Les talentueux amoureux rentrent dans leur petit appartement de la banlieue de Kiev.

Depuis un moment, des bruits annonçant la guerre couraient dans les rues des villes d'Ukraine.

Mais personne n'y croyait.

Il était impossible que les Russes envahissent le pays voisin, où ils avaient de la famille, des amis.

Beaucoup d'Ukrainiens s'expriment essentiellement en russe... ce qui sera proscrit.

À 5 h 07 précisément, les premiers obus russes tordent le ciel.

S'ensuivront 297 jours (jusqu'au 17 décembre) au cours desquels Svitlana nous relatera la (sur)vie en Ukraine. À Kiev, mais pas que.

Sans recevoir le moindre appel, les Ukrainiens se mobilisent.

Les hommes partent au combat, s'investissant dans une guerre qu'ils n'ont ni choisie ni demandée, pour empêcher l'ennemi de s'emparer de leur ville.

Peu en reviendront.

Les femmes vont sur le terrain pour soigner les blessés, les conduire en sécurité (même si toute relative), à l'hôpital.

Je citerai aussi des héros discrets, les cheminots, qui n'ont jamais arrêté de travailler malgré le péril.

Beaucoup n'ont pas fui leur pays. D'autres sont partis, essentiellement en Pologne, dont la frontière leur était grande ouverte.

Ce n'est que la réalité, je ne juge personne, chacun ayant ses raisons d'agir d'une manière ou d'une autre.

J'allais dire que les personnages sont stupéfiants de réalisme, mais ce ne sont pas des personnages.

Et cette pensée s'est vrillée dans mon esprit tout au long du récit.

La guerre en Ukraine... on la vit au-travers de nos téléviseurs ou articles de journaux, mais lire ce livre est totalement différent.

L'autrice, une journaliste de terrain, par ses phrases frappantes et qui font mouche, nous embarque avec elle.

Je dis ça, mais ce n'est pas comme si je parlais de la Seconde Guerre mondiale, par exemple.

Cette guerre n'est pas finie, et ça fait toute la différence.

On peut s'immerger autant qu'on veut et dire que ça fait comme si on y était.

Ouais, comme si... sauf que non.

On est là, tranquilles, en France, et on mesure la chance qu'on a.

... pour le moment, je suis d'accord.

Stéphanie Pérez est une autrice exceptionnelle.

Ne passez pas à côté de ce récit. 200 pages qu'on met du temps à digérer.

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"Chacun s'arrange comme il peut avec le chaos"

La ballerine de Kiev, nouveau roman de Stéphanie Perez, commence sur le dernier tableau du ballet du Lac des cygnes de Tchaïkovski, dansé par Dimytro et Svitlana au sommet de leur art. Ils sont mariés à la ville et là, sur la scène de l’opéra de Kiev, ils brillent de mille feux.

Quelques heures plus tard, cette beauté laisse la place à la peur où le présent, unique référence, se rétrécit. Ce 24 février 2022, la Russie vient d’envahir l’Ukraine.

Les images du pont d’Irpin et ses réfugiés ont fait le tour du monde. Ici, ce sont les yeux de Svitlana qui vont raconter la peur, la rébellion, la longue attente dans les abris, l’aide auprès des blessés, le retour au travail de la danseuse, la réouverture de l’Opéra de Kiev, mais aussi les visites aux blessés, les fleurs au cimetière, le retour des prisons russes, l’exode de certains, le retour d’autres, la peur de la mobilisation. En fait, le vécu des habitants de Kiev du début de la guerre au jour 298. Le journal écrit parallèlement par la danseuse est adressé à la jeunesse, celle qui ne sait pas encore qu’on se relève de tout !

Brins d’histoire

La littérature peut faire ce que les images n’arrivent plus, tellement nous sommes assiégés par les douleurs du monde. Ainsi les mots choisis, en réveillant nos émotions, tentent de conserver cette part d’humanité à ressentir, dans notre chair, la souffrance éprouvée par d’autres. Stéphanie Perez y arrive parfaitement.

La ballerine de Kiev célèbre le pouvoir de l’art. L’oubli pour la durée de l’écoute du violon de Yaroslav ou dans les caves de Kyiv, la vision du corps de Svitlana se dépliant harmonieusement sur ses pointes roses. Il permet de ne plus entendre le bruit des bombes à l’extérieur. « Tant que l’art est en vie, nous aussi. » Offrir cette réconciliation, cette communion, prouve la force du groupe et l’espoir qu’il véhicule. Les images sont fortes. Elles portent l’espoir.

Beautés et atrocités mêlées

Stéphanie Perez n’oublie pas de dénoncer les atrocités : les mines papillon interdites par un traité international de 1997, « les femmes violées puis brûlées, pas complètement consumées », la guerre de tranchées poisseuse et insalubre que l’on pensait à jamais oublier…

Néanmoins, Stéphanie Perez sait aussi utiliser les ressorts de l’intrigue en incorporant dans son roman les éléments indispensables d’un grand récit : trahison, mensonge, amour, éternité et sacrifice. Car au-delà de l’ode à la résistance d’un peuple pour sauver sa liberté, sa culture et son histoire, La ballerine de Kiev est une histoire d’amour, de celle qui survit au-dessus du chaos, de celles qui transcendent, de celles qu’on ne peut pas oublier.

Grand reporter à France Télévisions, actuellement en poste à Washington, Stéphanie Perez avait ému avec Le gardien de Téhéran. Elle récidive avec ce portrait de jeune femme que l’adversité va complètement transfigurer. Comme son jeune gardien, l’environnement insoutenable va aider à la révélation de sa personnalité.

Roman bouleversant

Stéphanie Perez a choisi la littérature pour, peut-être, exorciser son vécu en missions, comme ici dans l’Ukraine en guerre. Et, la manière dont elle fait vivre ses personnages renvoie au lecteur les émotions qu’elle a, elle-même, sans doute éprouvées. Les moments sont nombreux où le livre est posé, le souffle court. Elle raconte parfaitement la solidarité des Ukrainiens devenant des héros du quotidien. Cet élan qui surprit tellement le monde, a permis au « Tsar » de ne pas triompher !

Voilà, plus de deux ans que cette guerre a lieu et la lassitude se fait sentir. De plus, la position politique internationale et les combats à l’Est et au Donbass laissent présager un retour à la table de négociations où « les ogres » risquent de dicter leur loi. Néanmoins, Combien de générations faudra-t-il pour que nous puissions échanger de nouveau ?

Décidément, cette rentrée littéraire réserve de bien belles surprises. Ce second roman de Stéphanie Perez est une réussite d’intelligence, de vécu, de connaissances géopolitiques et bien évidemment d’humanisme. Encore, un vrai coup de cœur !

Chronique illustrée ici https://vagabondageautourdesoi.com/2024/07/22/st-perez-la-ballerine-de-kiev/