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a région où
eurent lieu ces premières attaques est à environ 50 kilomètres au sud de Saint-Privat-du-Fau. Mais il n'y avait pas de routes alors dans nos montagnes. Nous étions plus loin de Langogne que vous ne l'êtes aujourd'hui de
Clermont. Toutes ces horreurs nous épouvantaient. On s'armait partout. Je veux dire que personne ne sortait plus sans un coutelas emmanché au bout d'un long bâton. C'était alors l'instrument de défense chez tous les paysans de France.
On l'appelait la baïonnette parce que l'usage en était venu de la région de
Bayonne. Mon père avait solidement attaché au bout d'une gaule de frêne le couteau effilé de Thiers qu'il m'avait rapporté l'année précédente de la foire de Saint-Flour. J'étais très fier de ma baïonnette. Mais j'espérais bien n'avoir jamais à m'en servir. Langogne, Mende, c'était pour moi l'autre bout du monde ! Ce qui se passait là-bas était terrible. Mais c'était là-bas, si loin... Mes camarades et moi, nous nous racontions ces sanglantes aventures. Je crois que nous y trouvions quelque plaisir. « Si la Bête vient ici, disions-nous en brandissant nos armes, elle trouvera à qui parler. » Je crois même, Dieu me pardonne, que nous avons parfois joué à la Bête Sauvage. Nous ne savions pas alors ce qui nous attendait. L'un de nous, la tête couverte d'une peau de bique ou de renard, se cachait au coin d'un mur, quand la nuit tombait, et il faisait peur aux fillettes et aux plus petits. Même quand nous savions que c'était une farce, nous faisions semblant d'être terrifiés. Le plaisir d'avoir peur, ou d'en avoir l'air, est aussi un plaisir.
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