La Brava

MAURICE poussa un soupir : il avait éveillé son intérêt.

— Il a le coup d’œil, Evelyn. Il a le sens instinctif de la photo. Je vais te dire autre chose : il a plus de talent après trois ans de métier que moi après soixante.

— Ça te fait combien, maintenant, Maury ? Toujours soixante-dix-neuf ans ?

— Pour une bonne dizaine d’années encore. Jusqu’à ce que j’en aie marre.

Maurice Zola : un mètre soixante-dix, cinquante-sept kilos, un doux accent de citadin du Sud avec des inflexions de vieux renard, des décennies passées à se composer un style canaille et à s’en servir, à tort ou à raison, avec une autorité désinvolte. Trente-cinq ans plus tôt, cette femme rousse avait travaillé pour lui quand il prenait des photos dans quelques-uns des grands hôtels et boîtes de nuit de Miami Beach. Evelyn Emerson. Il lui disait qu’il aimait le son de son nom, qu’il le trouvait lyrique ; il le lui chantait en la fourrant au lit, jamais sur le même air. Maintenant elle avait sa propre affaire, la Galerie Evelyn Emerson, dans Coconut Grove, et elle pesait trente kilos de plus que lui.