Extraits

– Marta ! » Minou agita la main. « Il est très imprudent de te pencher ainsi dans le vide ; rentre vite.

– Alors dépêchez-vous de venir.

– Nous serons là dans un instant. »

Minou se retourna vers Piet.

« Vraiment, Marta est trop hardie. Une vraie tête brûlée. » Elle posa la main sur sa joue, sentant sous ses doigts le chaume bien taillé de sa barbe rousse désormais grisonnante. « Que voulais-tu me dire, mon cœur ? »

Piet sourit.

« Peu importe. Cela peut attendre. Notre présence est requise !

– Mademoiselle Marta peut bien patienter encore quelques minutes, répondit Minou avec un rire.

– Je n’oserais éprouver davantage sa patience pour toutes les violettes de Toulouse. Nous ferions mieux de rentrer. »

Dans les mois et les années interminables qui allaient suivre, en repensant à cet instant, Minou verrait dans ce premier défaut de communication le moment charnière où tout avait basculé : cet instant fugace où, Marta n’eût-elle appelé, une histoire différente aurait pu être contée.

Mais en ce jour de juin, au côté de son Piet dans la haute cour du château de Puivert, Minou n’aurait jamais pu imaginer que toutes les peines et les souffrances qu’elle avait endurées par le passé ne seraient rien comparées au chagrin et au désespoir à venir.

Dix ans avaient passé. La forêt avait repris vie. De jeunes pousses vertes avaient remplacé les troncs noirs et calcinés, mouchetant d’une douce lumière les nouveaux chemins entre les arbres. Un tapis de fleurs des bois roses et jaunes s’épanouissait à leur pied au printemps. Mais si la terre ne portait plus les traces de la tragédie, c’était une autre histoire pour Minou. Elle gardait profondément en elle l’horreur de ce qu’elle avait vu, telle une esquille de verre remuant dans sa chair. Elle n’avait jamais oublié combien la Mort les avait côtoyés de près. Comment son haleine lui avait brûlé la joue.

C’était pour cela qu’elle avait invité toute sa famille à un service commémoratif dans la chapelle, pour marquer l’anniversaire des événements et enterrer le passé une bonne fois pour toutes. Après cela, elle était allée toute seule dans les bois déposer des fleurs sur la tombe, cachée sous la végétation, de la précédente châtelaine de Puivert. Elle y avait trouvé d’autres tributs, des poèmes, des bouts de ruban. Une prière en latin. Car si le château était désormais une enclave huguenote, beaucoup dans la campagne environnante restaient fidèles à la vieille foi catholique. La prospère église Saint-Marcel dans le village de Puivert en attestait.