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Malgré la guerre, la ville offrait la nuit un spectacle merveilleux. Les avenues sillonnant en lacets le flanc des collines laissaient apparaître par intermittence bâtiments et illuminations ; c’était d’une beauté étrange. En s’accoutumant peu à peu à l’environnement et à la lumière, Xiao Mingming put bientôt distinguer les bordures des avenues : tout était délabré ; des arcades sombres en enfilade s’exhalait une odeur de poisson et d’autres produits locaux. Le chauffeur du taxi s’arrêta à l’adresse qu’elle lui avait indiquée, devant un immeuble. Xiao Mingming descendit et prit ses valises. Cette fois, elle était seule, mais cela ne lui faisait pas peur. Un bagage à chaque main, elle pénétra dans le hall de l’immeuble. Quiconque aurait vu cette demoiselle à la mode marcher avec grâce sur de hauts talons tout en portant deux lourdes valises aurait certainement été surpris. Dans le hall, un vieux monsieur l’arrêta. Il portait une chemise gris clair qui ressemblait à un uniforme, un short et des savates qui claquaient sur le carrelage. Il lui demanda qui elle venait voir. Xiao Mingming comprenait assez le cantonais pour être capable de prononcer quelques phrases ; elle lui donna le nom de la société qu’elle cherchait. Mais soudain tout lui devint obscur : elle eut beau répéter sa question et le vieux monsieur sa réponse, rien n’y fit ; son esprit se brouilla. Si, durant la semaine passée sur le bateau, elle n’avait pas eu le mal de mer, elle ne tenait maintenant plus debout. Elle lâcha ses valises et s’effondra brutalement sur l’une d’elles, complètement sonnée.
Afficher en entierUn vieux spectateur amoureux d’elle semblait avoir attendu qu’elle grandît pour la courtiser. Xiao Mingming ne le prenait bien sûr pas très au sérieux, sans pour autant le déconsidérer. Elle ne pouvait simplement pas décider de sa vie entière aussi aisément. Pour une jeune actrice, l’avenir est à la fois obscur et prometteur; un inconnu en somme, dont personne ne peut savoir ce qu’il vous réserve. Mais, le soir venu, après le spectacle, on l’attendait à la sortie des coulisses pour héler un pousse-pousse et l’emmener souper ; le dimanche, on l’accompagnait chez le tailleur pour se faire faire une robe traditionnelle et on réglait pour elle. Ils allaient au cinéma et mangeaient des glaces ; lui l’écoutait raconter les inconvénients des rôles de femmes. Après tout, n’était-ce pas flatteur ? Ainsi fut-elle un temps en bons termes avec lui. Dans l’immense foule humaine, qu’un homme l’eût en ligne de mire, qu’il lui fût dévoué, comment ne pas en être émue ? Mais s’ils s’enlaçaient, ils n’allaient jamais trop loin. Les actrices ne sont en effet guère aussi légères qu’on l’imagine, au contraire, elles défendraient plutôt leur vertu comme une pièce de jade. Vivant au milieu d’hommes et de femmes, habituées aux romances par le truchement des spectacles, elles savent bien que leur vie entière dépend de leur propre corps, qu’elles ne peuvent se permettre la moindre mésaventure – d’où leur prudence.
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