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C'était pas du chagrin. Ça n'avait pas de nom, ça ne se consolait pas, ça ne s'oubliait pas, c'était moi toute entière.
Afficher en entierJ'ai eu la sensation physique d'avoir grandi d'un coup et de pas aimer ça, mais alors pas du tout, c'était comme d'être plongé dans un magma informe, brûlant et glacial à la fois, où le sentiment de responsabilité était collé à de l'incertitude.
Afficher en entierQuand on est arrivés devant les toilettes, j'ai dit à Samuel de rejoindre ses camarades de classe. J'ai fermé cette porte et je me suis approché.
J'ai d’abord vu sa main qui gisait inerte sur le sol et dans son sang. J'ai repoussé aussi loin qui j'ai pu la panique que j'ai sentie monter, j'étais pris de vertiges, j'ai sorti le petit canif que j'ai toujours sur moi et je l'ai glissé dans la chambranle de la porte pour faire sauter le loquet. Je n'arrêtais pas de parler, de l'appeler, de lui dire de ne pas s'inquiéter, que je m'occupais de tout, je m'entendais respirer, souffler, mon coeur cognait dans la poitrine, dans ma tête, mes mains tremblaient contre ma volonté. Il m'a fallu enlever la porte des charnières, le corps de Louise bloquait l'entrée. Je l'ai fait, je l'ai posée dans un coin, je me suis retournée et puis j'ai vu.
Cette petite chose qu'elle avait sur son ventre.
Un bébé.
Afficher en entierMais celle qu'il a violée, c'est toi, qu'est-ce que toi tu peux faire avec ça ? Tu n'es pas elle, et pourtant elle, c'est toi. Tu es là, tu n'es pas là, il t'a coupée en deux... en trois... en mille morceaux. Tu n'es plus rien, il n'est plus rien, tu n'es pas là, c'est ça qu'il t'a donné, cette absence à toi-même.
Afficher en entierPendant des jours et des nuits, je t'ai regardé vivre, émerveillée. Je n'arrivais plus à te quitter des yeux. J'ai eu l'impression de me nourrir de chacun de tes gestes, du grain de ta peau, si douce, de ton odeur et de ton regard. Comme si toi, si petit, tu parvenais à me contenir toute entière à l'intérieur de toi.
Et puis nous allions nous promener. Et je te racontais le monde, tout ce que je voyais, les bruits, les sons, les voix, mes mains, les tiennes... Tu n'aimais pas le violon. Ça te faisait immédiatement couiner, ça t'affolait je crois.Il n'y a que les voix qui t'apaisaient. En boucle, nuit et jour, nous avons écouté Pergolèse.
Afficher en entierCe n'est pas à toi qu'il parlait, c'était à une image, c'est pas ça que tu voulais, il ne t'aimait pas, toi, il aimait quelqu'un d'autre. [...]Tu n'es pas elle, et pourtant elle, c'est toi. Tu es là, tu n'es pas là, il t'a coupée en deux...en trois...en mille morceaux. Tu n'es plus rien , il n'est plus rien, tu n'es plus là, c'est ça qu'il t'a donné, cette absence à toi-même.
Afficher en entier"Arrête de jouer avec ta tête, Louise ! Il faut que tu joues avec tes tripes, sinon il ne se passe RIEN ! Il faut que tu lâches, tu comprends ça ?"
Je me souviens, elle m'a pris le violon des mains, avec ce calme cette patience, cette douceur que je lui ai toujours connus, déterminée à me mener là où elle voulait me conduire, si obstinée et sûre d'elle que je n'ai jamais eu qu'à la suivre, à me plier à sa volonté pendant neuf ans, répéter dix, vingt, cent fois la même mesure, fournir l'effort demandé, obtenir les résultats escomptés, du travail encore et encore, première mention et félicitations du jury, année après année, pour en arriver là, ce jour -là, quand elle m'a ôté l'instrument des mains, qu'elle m'a prise dans ses bras pour me secouer, ses yeux plongés dans les miens où j'ai lu de la colère, une vraie colère mais froide une col!re déçue comme si tous ses espoirs après toutes ces années étaient en train de s'envoler, "arrête de jouer avc ta tête", je la regarde étonnée, je ne comprends pas ce qu'elle dit, elle le sent, reprend, "oui, tu joues juste, tu es en rythme, c'est parfait mais c'est lisse, Louise, totalement lisse , et ça je n'y peux rien, il faut que ça vienne de toi"...
Afficher en entierElise Montapas, psychologue
Elle est revenue à elle, je m'approche, elle m'entend, j'imagine qu'elle a ouvert les yeux, je pose ma main sur son épaule, elle ne réagit pas, je ne dis rien, je veux juste qu'elle sache que je ne suis pas partie, elle se dégage brusquement, la sensation de ma main lui est insupportable, je suis ce qu'elle refuse, ce qui n'existe pas, je suis ce bébé qu'elle n'a pas mis au monde,elle me hait, ça frémit sous le drap, elle pourrait, elle en rêve, m'étrangler ou m'arracher les yeux, elle pourrait, il faut bien qu'elle se défende, ça l'étouffe, ça l'écrase, ça l'empêche d'être en vie, elle s'agite dans son lit, se tourne de l'autre côté, le drap ne suffit plus à cacher ce qu'elle sent, il faut qu'elle me tourne le dos, encore un peu de temps, me dit-elle en silence, encore un peu pour elle, il faut qu'elle se rassemble, son souffle est régulier, elle ne pleure plus, quelque chose à changé, je le vois malgré le drap qui la cache, ce n'est plus le même corps, je m'assois au bord de son lit, elle l'accepte, je lui dis :
- C'est normal, tu sais, tout ce à quoi tu penses, toute cette colère et cette violence, puisque tu ne savais pas, c'est monstrueux, cette chose que tu n'as pas voulue, comment faire avec ça ?
Afficher en entierEt soudain quelqu'un a mis de la musique. [...] Je m'était mis malgré moi à battre en rythme du bout des pieds, en fredonnant les paroles. [...] Je me suis approché, désormais on chantait à tue-tête, quatre gamines déchaînées, les petits couraient dans tous les sens, et Noé souriait.
J'ai posé un baiser sur son front.
Afficher en entierLes larmes coulaient le long de mes joues, je les essuyais du dos de ma main, je ne voulais plus pleurer. Il fallait au contraire attiser cette rage qui m'agitait toute entière, l'entretenir, la laisser se déployer, m'appuyer sur elle et continuer debout. (...)
Je venais de retrouver en moi, fragile, si fragile, ma volonté de vivre.
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