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Le camerlingue Honorius Benedetti était livide. Lui que la chaleur insupportait tant se sentait glacé jusqu'à la moelle.
Nicolas Boccasini, Benoît XI, haletait en serrant les doigts du prélat dans sa main moite.
Le devant de sa robe blanche disparaissait sous le rouge des vomissures. Les douleurs de ventre l'avaient ravagé toute la nuit, le laissant épuisé au petit matin. Arnaud de Villeneuve, l'un des plus éminents médecins de ce siècle aux idées un peu trop réformatrices au goût de l'Inquisition, n'avait pas quitté son chevet. Son diagnostic était tombé, sans l'ombre d'une hésitation : le pape se mourait d'enherbement, et nul antidote autre que la prière ne pourrait le sauver. On avait donc tenté sans grand espoir des fumigations d'encens, des prières et monsieur de Villeneuve s'était opposé à une saignée dont l'inefficacité vis-à-vis des empoisonnements était connue depuis monsieur Galien.
Benoît exigea d'un geste faible mais impatient qu'on le laissât seul en compagnie du camerlingue. Avant de quitter les appartements du pape agonisant, Villeneuve se retourna vers le prélat et murmura d'une voix que le chagrin altérait :
- Monseigneur aura, je le suppose, compris la nature de son inexplicable assoupissement d'hier.
Honorius lui jeta un regard d'incompréhension, Le praticien compléta
- Vous avez été drogué, et à votre état de confusion de l'après-midi, à vos surprenantes difficultés d'élocution, je parierais pour de la poudre d'opium. Il fallait vous écarter pour atteindre Sa Sainteté.
Honorius ferma les yeux en se signant.
- Vous n'y pouviez rien, Eminence. Ces damnés toxicatores parviennent presque toujours à leurs fins. Je suis désolé, du fond de mon âme.
Afficher en entierUn valet de ferme, affolé à l'annonce de son nom, lui avait indiqué en bredouillant la direction des bois où il trouverait la maîtresse du manoir.
Sentant l'indécision de son cavalier au relâchement des rênes et du mors, Ogier avançait d'un pas lent.
- Il est encore temps de tourner bride, murmura Arthus d'Authon, comme s'il quêtait l'approbation de sa monture. Quel ridicule enfantillage que cette visite. Bah....Tant pis, allons jusqu'au bout !
Ogier allongea sa foulée.
Eloigné d'une bonne quinzaine de toises, un rideau de fumée attira son regard. Deux silhouettes masculines s'activaient dans ses volutes, l'une lourde et haute, l'autre élancée. Deux paysans, à en juger par leur courte tunique pincée à la taille par une épaisse lanière de cuir et à leurs braies de grosse toile. Les deux hommes portaient des gants et une étrange coiffure, sorte de chapeau emmailloté d'un voile fin serré autour du cou.
Une nervosité soudaine du cheval alerta Artus. Qu'étaient toutes ces mouches à miel qui fonçaient dans leur direction ? Des ruches. Il pila et fit reculer Ogier de quelques pas avant de mettre pied à terre pour poursuivre seul son avancée.
Il ne se trouvait plus qu'à deux ou trois toises des serviteurs, pourtant, ceux-ci semblaient si absorbés dans leur tâche qu'ils ne s'étaient pas rendus compte de son approche. Sans doute leur étrange protection les gênait-elle pour entendre.
- Ohé ! cria-t-il pour signaler sa présence, repoussant d'une main gantée les mouches à miel qui l'environnaient.
La silhouette mince tourna son visage voilé dans sa direction. Une voix fraîche, celle d'un jeune garçon, lança d'un ton péremptoire qui sidéra le comte :
- Ecartez-vous, monsieur, elles sont énervées.
- Elles défendent leur miel ?
- Non, leur roi, et avec une âpreté et une abnégation que pourraient leur envier nombre de soldats, rétorqua la voix autoritaire. Reculez, vous dis-je. Leur venin est puissant.
Artus s'exécuta. Il ne s'agissait pas d'un jeune garçon, mais d'une femme, admirablement tournée en dépit de son étrange déguisement. Ainsi Agnès de Souarcy se transformait-elle au besoin en apicultrice. Monge de Brineux avait raison : la lynx était courageuse, car ces mouches à miel, attaquant en légion, pouvaient se révéler mortelles.
Afficher en entierLe village de Souarcy était juché en haut d'une motte. Des ruelles bordées de maisons montaient à l'assaut du manoir en serpentant de façon bien mal aisée, au point que les charrettes de foin devaient faire preuve d'une grande habileté pour ne pas écorner le toit des bâtisses au détour d'un nouveau méandre. Nulle imagination particulière n'avait présidé à ce semis d'habitations, pourtant, on eut dit qu'elles s'étaient tassées les unes contre les autres en bord de rues comme pour se rassurer. Souarcy, à l'instar des autres manoirs, n'avait pas droit d'armement.
Afficher en entierIl passa son humeur dangereuse sur le page qui s’endormait sur sa monture et menaçait de s’affaler contre l’encolure du hongre : — Secoue-toi ! Tu es une vraie pucelle ! Et si tu es bien une pucelle, je sais comment les déniaiser. La menace produisit son effet. Le jeune garçon se redressa comme sous un coup de fouet
Afficher en entier— Comme c’est vrai, madame. Alors seulement Agnès remarqua le carré d’étamine de laine violine qui couvrait ses épaules. Elle ne lui avait jamais vu auparavant. Rétribution pour services rendus ou pour charmes concédés ? — Laisse dormir un peu Mathilde. Elle a veillé fort tard. Clément m’accompagnera... s’il reparaît
Afficher en entier— Vous nous gâtez trop, mon frère. — Bah, une babiole, rien de plus. Passons aux choses sérieuses. Ah, ah, que vois-je dessus ma caisse... cinq aunes* de soie de Gènes... Le cadeau était digne d’une princesse. Agnès dut se souvenir de ce que dissimulait l’extrême prodigalité de son demi-frère pour ne pas se ruer sur l’étoffe jaune safran afin de la tâter. Pourtant, elle ne put retenir son exclamation
Afficher en entierLe large poitrail fonça vers lui. Un mur de fureur. Il sembla au jeune moine qu’il demeurait planté là durant une éternité, à contempler les muscles parfaits sous la robe noire collée de sueur. Pourtant, le cheval n’avait fait que quelques pas. La voix résonna à nouveau : — La lettre, où se trouve la lettre ? Donne-la-moi ! Je te laisserai la vie sauve
Afficher en entier— Voulez-vous m’octroyer grande faveur, ma mignonne ? — Rien ne me plairait davantage, mon oncle. — Courez donc voir ce que devient ce paresseux de page. Il met bien longtemps à débâter son cheval et à m’apporter ce que j’attends. Mathilde virevolta et fonça vers la cour. Eudes reprit d’un ton douloureux
Afficher en entierQuel dommage que nous soyons mercredi, jour maigre[9]. Enfin, si mon maître restait demain, nous avons quelques beaux faisans qui feront son délice. Ce soir, il lui faudra se contenter d’une porée verte aux blettes mais sans porc, de champignons sautés aux épices et d’un taillis aux fruits
Afficher en entierUn hoquet, un sanglot, un interminable soupir, les jambes osseuses de sa demoiselle se détendirent. Était-ce déjà la mort ? Était-ce si simple ? Il sembla à Agnès qu’une éternité s’était écoulée avant que son corps ne fléchisse vers l’avant. La pierre gelée l’accueillit sans compassion. D’abord la chair de son ventre se rebella, mais elle la fit taire. Elle étendit ses bras en croix et demeura là. Il n’existait aucun autre endroit où se rendre
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