La Divine Géométrie

Mon indicateur nous trouva une table et embaucha l’une de ses connaissances comme troisième partenaire. J’en cherchais moi-même un quatrième quand un homme aux gencives noirâtres vint murmurer à l’oreille de mon compagnon. Alors, une fois n’est pas coutume, je vis poindre un sourire sur ce visage d’ordinaire impassible. Je m’assis, pris un des deux jeux de cartes que contenait l’étui posé sur la table, et le tassai en une pile bien nette.— De bonnes nouvelles ? m’enquis-je.— Tout dépend du point de vue, répondit l’inconnu.Mon espion s’assit à son tour, tapota la chaise à côté de lui pour inviter l’autre à s’asseoir, puis s’adressa à moi en ces termes :— Vous faites partie des amis du roi, n’est-ce pas, monsieur Larsson ?J’acquiesçai d’un hochement de tête. J’étais en effet un fervent royaliste, tout comme Mme Moineau, à en juger par les portraits de Gustave et de Louis XVI exposés dans le vestibule.L’homme me tendit la main et m’apprit son nom, que j’oubliai aussitôt, puis rapprocha sa chaise de la table.— La Maison des Nobles est en rébellion ouverte. Le roi Gustave a emprisonné vingt chefs parmi les Patriotes. Le général Pechlin, le vieux Von Fersen, et même Henrik Uzanne.— Ils ont dû faire quelque chose de sérieux pour une fois, dis-je en battant les cartes.— C’est plutôt ce qu’ils n’ont pas fait, monsieur Larsson, remarqua l’homme à l’immonde sourire, puis il se pencha par souci de discrétion. Enragée à l’idée que les droits et privilèges réservés à l’aristocratie puissent être accordés aux roturiers, la noblesse a refusé de signer l’Acte d’union et de sûreté édicté par le roi. Le coup d’État de Gustave a arrêté ces frondeurs avant que leur esprit de dissidence ne se répande et mette un frein à cette législation éclairée. Les trois bas États ont signé. Gustave a signé. Dorénavant l’Acte fait loi.Gardant toujours les cartes en main, j’observai mes trois partenaires caresser en esprit cette vision de la nouvelle Suède.