La Dynastie des Danforth, Tome 3 : Un secret bien caché

Larissa Nielsen avait bien pensé revoir un jour Jacob Danforth. Mais jamais elle ne sʼétait imaginé quʼelle porterait ce jour-là son plus vieux caleçon long et un T-shirt délavé. Elle aurait préféré avoir le temps de soigner son apparence avant de venir. Toutefois, Jasmine Carmody, la journaliste du Savannah Morning News qui lʼavait appelée le matin même, ne lui avait pas laissé le choix. Larissa devait absolument parler à Jacob avant que Jasmine ne révèle aux habitants de Savannah quʼil était le père de Peter.

Assise dans sa voiture, garée devant la maison de Jacob, Larissa se sentait comme une ex-petite amie un peu trop collante. Elle aurait préféré se trouver chez elle à Riverside. Elle aurait préféré quʼaucun événement ne soit venu bouleverser son train-train matinal. Elle aurait préféré être avec son fils de trois ans, sur le ponton situé derrière chez elle, admirant le lever du jour sur la rivière Savannah.

A lʼaide dʼune petite lampe de poche, elle éclairait les pages du livre posé sur ses genoux. Combien de fois ce recueil de poèmes de Robert Frost lʼavait-il aidée à tenir le coup ? Combien de fois avait-elle lu ces pages pour échapper à la réalité, au chaos de ses pensées ?Quelquʼun frappa à la vitre. Elle distingua vaguement une silhouette masculine. Lorsque lʼhomme se baissa à sa hauteur, elle reconnut immédiatement son regard. Il la reconnut lui aussi, son visage sʼadoucit, il sourit. Larissa descendit de voiture.

Bien quʼelle ne soit pas du genre timide, elle se sentait soudain dans ses petits souliers. Ce quʼelle redoutait ? Elle connaissait parfaitement le tempérament que cachait Jacob sous des dehors aimables. Il allait entrer dans une colère noire lorsquʼil découvrirait quʼil était père dʼun enfant de trois ans.

Peter dormait tranquillement dans son siège auto. Avant de descendre de voiture, elle avait vérifié que sa couverture préférée était bien remontée jusquʼà son menton.

Lʼair était frais en ce matin de mars. Larissa se frictionna les bras tout en priant pour avoir le temps dʼannoncer la nouvelle à Jacob avant quʼil nʼaperçoive lʼenfant à travers les vitres teintées.

— Que fais-tu là, garée devant chez moi à 7 heures du matin ?

Jacob portait un short de sport et un T-shirt trempé de sueur. Il avait dû sortir faire son jogging avant quʼelle nʼarrive. Larissa mit un peu dʼordre dans sa chevelure.

Il était aussi beau que dans ses souvenirs.

Ressentirait-elle toujours le même plaisir entre ses bras ? Elle nʼen doutait pas un instant, bien quʼelle nʼait pas passé une seule nuit avec un homme depuis presque quatre ans. Elle dut se forcer à détacher les yeux de son torse musclé.

— Cʼest une longue histoire, dit-elle.

— Qui remonte à quatre ans ?

— Tu ne crois pas si bien dire.

— Dans ce cas, entrons nous mettre au chaud. Viens, je vais te préparer un café. Tu sais que je suis célèbre pour mon café !

Jacob faisait allusion à la chaîne de cafés, D & D, quʼil avait créée avec ses cousins, Ian et Adam Danforth, et qui les avait rendus millionnaires.

Larissa ne put sʼempêcher de sourire. Même à lʼépoque où ils étaient de simples amis, Jacob avait toujours eu le don de la dérider.

— En fait… jʼai quelque chose te dire.

— Tu ne peux pas me le dire à lʼintérieur de la maison ?

— Euh… non.

Larissa ne voulait pas laisser Peter seul dans la voiture. Adossée contre la portière, elle cherchait comment lui annoncer la nouvelle.

— Cʼest plus difficile que je ne lʼaurais cru.

— Jʼaimerais te venir en aide, mais nʼayant aucune idée de ce dont il sʼagit…

Larissa se ressaisit. Il fallait lui dire les choses simplement. Nʼétait-elle pas réputée pour son pragmatisme ?

— Tu te rappelles cette nuit après la réunion des élèves de lʼuniversité ?

— Comment pourrais-je lʼoublier ?

Jacob lui effleura le visage de sa main. Un frisson la parcourut. Il avait toujours eu le don de lʼenflammer même sans le vouloir.

— Moi non plus, je ne lʼai pas oubliée.

— Cʼest pour cela que tu es venue ?

Il se pencha vers elle, la baignant dans sa chaleur et son odeur. Voyant quʼil fixait sa bouche, Larissa ressentit des picotements et passa machinalement la langue sur ses lèvres, geste dont il ne perdit pas une miette. La situation était en train de lui échapper.

Jacob posa un doigt sur la bouche.

— Larissa Nielsen sur le pas de ma porte. Que fait-elle là ? Je nʼen ai pas la moindre idée. Et pourquoi aujourdʼhui ? Que viens-tu faire ici, Larissa ?

— Une journaliste mʼa appelée pour me parler de la candidature de ton oncle au Sénat.

La seule façon de lui avouer la vérité, cʼétait de lui narrer toute lʼhistoire. La raison pour laquelle elle lui avait caché la naissance de Peter tenait toujours et elle ne serait jamais venue sans cet appel de Jasmine

Carmody.

— Ces journalistes, ils ne nous laisseront donc jamais tranquilles ! dit Jacob en passant une main dans ses cheveux.

Peter faisait exactement le même geste lorsquʼil était sur le point de pleurer. Larissa savait à quel point Jacob tenait à sa vie privée et se rendait compte soudainement combien elle allait être bouleversée pour lui.

— Je suis désolée.

— Mais, mon chou, ce nʼest pas ta faute. Alors, quʼest-ce qui tʼamène ici ?

— Elle est au courant de notre aventure sans lendemain.

— Tu sais, jʼai toujours regretté quʼil en ait été ainsi. Jʼaurais aimé te revoir.

Larissa hocha la tête sans répondre. Elle se souvenait quʼil lʼavait rappelée plusieurs fois, mais elle nʼavait pas répondu. Pour finir, elle était partie vivre à Atlanta, chez une camarade de fac, afin que Jacob ne découvre jamais le fruit de cette unique nuit passée ensemble.

A lʼépoque, Jacob nʼétait pas prêt pour la paternité. D & D, la chaîne de cafés, était en plein essor. Larissa était malheureusement bien placée pour savoir quʼune femme qui piège un homme ne tarde pas à devenir encombrante. Or, elle sʼétait toujours promis de ne jamais encombrer personne.

— Si je ne suis pas venue te rejoindre, cʼest que jʼavais une bonne raison.

Elle se mordit la lèvre inférieure.

« Vas-y, dis-lui ! »

— Ce nʼest pas un drame si les journaux parlent de cette nuit que nous avons passée ensemble. Ne tʼen fais pas pour ça.

— Si, cʼest grave.

— Pourquoi ? Cette journaliste posséderait-elle des photos compromettantes ? dit Jacob avec un sourire suggestif.

Son sourire lui rappela cette soirée comme si cʼétait hier. Au cours de cette nuit très chaude entre ses bras, elle sʼétait soudain sentie la plus désirable des femmes.

— Oui, mais ce ne sont pas des photos de nous.

— Alors quʼy a-t-il sur ces photos ? sʼimpatienta Jacob.

— Notre fils.

Jacob eu un mouvement de recul.

— Tu plaisantes ?

— Non. Il sʼappelle Peter, Jacob. Il a trois ans. Je, euh… Il est dans la voiture en train de dormir.

Jacob essaya dʼouvrir la portière arrière.

— Déverrouille cette porte.

Larissa sʼexécuta. Jacob découvrit son fils endormi. Peter avait les mêmes cheveux noirs et bouclés que lui. Après un mouvement dʼhésitation, Jacob lui caressa la tête avec une telle douceur que Larissa se demanda si elle avait bien fait de ne pas lui parler plus tôt.

Néanmoins, la vie lui avait appris une amère leçon. Elle désirait tellement que son existence se déroule selon un scénario parfait. La vraie vie était pourtant tout autre. Lorsque Jacob releva les yeux vers elle, toutes les excuses quʼelle sʼétait forgées pendant trois ans lui parurent soudain artificielles et elle eut le sentiment quʼil serait du même avis.

— Mon fils, dit-il en contemplant Peter.

Son regard était chargé dʼun flot dʼémotions dont elle ne lʼaurait pas cru capable.