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"Qu'est ce qui fait la valeur d'un photographe ? C'est la singularité du regard !
Afficher en entierEntre nous, l'amour est venu lentement. Notre cohabitation respectueuse s'est muée en complicité, puis en intimité. Mais tu as respecté ma part d'ombre, tu n'as rien dérangé. J'ai appris à t'aimer, comme on se coule dans la musique en la laissant étirer le cœur et l'âme vers d'infinies métamorphoses.
Afficher en entierJe ne peux pas être pessimiste, parce que je suis vivant.” Je crois que nous en sommes là. Tant que nous respirons, nous continuons à croire que nos pattes de fourmi peuvent infléchir les tragédies programmées, et qu’un peu d’amour et d’intelligence suffisent à éclairer la nuit.
Afficher en entierAu réveil, elle a oublié l’enchaînement des événements qui l’ont conduite dans cet hôtel miteux où elle s’efforce de se rendre invisible. Un bruit incongru la tire du sommeil, ou une odeur inexplicable. Elle se tourne sous le drap rêche, se cogne contre un mur. Que fait-il là, ce mur ? Elle ouvre les paupières, acclimatant sa vue à la pénombre, striée par les tranches de jour qui entrent par les vieilles persiennes. Le papier peint défraîchi la frappe comme une anomalie, réveille sa mémoire. Remontent tous les détails de sa fuite, le temps étiré, suspendu, précipité dans les battements du sang. Les veilles enroulée dans son imperméable, ses pieds brisés par les longues stations dans les escarpins, cette application à fuir les regards, donner le change, paraître savoir où elle allait.
Eliza Bergman, née trente et un ans plus tôt par une nuit de chaos, s’est évanouie dans les brumes du lac Michigan, qui escamotent les cadavres et les charognes. Tout ce qu’il est préférable de cacher.
Elle a longtemps différé sa fuite, tergiversé, dressant des arguments objectifs et des peurs irrationnelles contre son instinct. Elle a attendu de n’avoir plus le choix pour s’armer de courage, descendre dans les soubassements de la ville, affronter ceux qui pouvaient l’aider. Le genre d’amis qu’on préfère ne pas cultiver, qui font payer cher leurs services et ne vous laissent jamais quitte. Elle le savait déjà, à l’instant où le petit voyou italien lui a tendu le passeport au-dessus du comptoir d’un bistrot borgne. Elle l’a ouvert et étudié en silence, frappée par la ressemblance physique.
La propriétaire du passeport s’appelait Violet Lee. Elle était née le 11 mars 1919 à Chicago, quelques mois avant qu’Eliza ajoute son premier cri à ceux d’une ville à feu et à sang. Sur la photo, Violet a des yeux marron-vert, des cheveux châtains aux épaules: elles pourraient être jumelles. Pas très grande : un centimètre de plus qu’elle. Le passeport ne mentionne pas sa fin prématurée. Eliza ignore tout de celle dont elle porte le nom. Jusqu’aux circonstances d’une mort qui l’a frappée en pleine jeunesse, si tant est que ce mot ait eu un sens pour elle. Durant sa brève existence, Violet Lee devait ressembler à ces pauvres filles que la ville avale en bâillant, sans y prendre garde. Une gentille paumée accrochée à un rêve hors d’atteinte, ou qui ne rêvait pas plus loin qu’une paire de chaussures neuves, un prince de comptoir qui la traiterait un peu mieux que les autres. A-t-elle fini poignardée dans une ruelle du South Side, au coin d’un de ces rades où des truands minables échangent leurs dernières combines? Étranglée par un amant de fortune? L’a-t-on tuée pour quelques dollars, ou pour la violer plus commodément ? Pour ce qu’elle en sait, Violet Lee est peut-être morte de froid sur un banc de Jackson Park, ou d’une dose de trop pour survivre à la nuit. Son fantôme accapare les pensées d’Eliza. Comme si usurper son identité l’avait chargée d’une responsabilité à son égard, d’un mystérieux devoir qu’il lui incombe d’élucider.
Si elles s’étaient croisées par hasard, qu’auraient-elles pensé l’une de l’autre? Violet Lee aurait sans doute envié son allure, celle d’une femme dont le moindre accessoire représentait deux mois de salaire d’une vendeuse de chez Marshall Field. Au premier coup d’œil, elle aurait mesuré la distance entre leurs mondes: l’abîme qui sépare les manoirs de la Gold Coast des meublés crasseux de Wicker Park.
« Si tu me voyais maintenant, Violet..., sourit Eliza du fond de son refuge aux murs lézardés. En héritant ton nom, j’ai dû hériter la vie qui va avec... »
Désormais, elle doit oublier jusqu’à son prénom. Sans se retourner, trancher les émotions et les souvenirs qui s’y rattachent.
Au pied du lit étroit, son imperméable froissé témoigne du chemin parcouru. Le cuir de ses escarpins est marqué de cicatrices. Mais dans le double fond de sa valise dorment des bijoux que peu de fugueuses peuvent s’offrir. De quoi tenir un temps, si elle arrive à les revendre. Pour l’instant, ils constituent un butin encombrant pour une femme qui ne doit pas se faire remarquer. Sur la table, un Rolleiflex l’observe de ses yeux éteints. Son bien le plus précieux, avec la photo de son fils.
C’est étrange, pendant des années elle a rêvé que la maison prenait feu, qu’elle devait fuir, décider en quelques secondes de ce qu’elle emportait. Elle se précipitait dans la chambre de l’enfant et l’arrachait au sommeil, trésor brûlant contre sa poitrine. Mais toujours elle revenait sur ses pas dans le couloir aveuglé de fumée, au risque de rester prisonnière, retournait dans sa chambre et tâtonnait à la recherche de son appareil photo.
Elle ne l’a pas oublié dans sa fuite, mais elle a laissé le petit derrière elle. Cette pensée lui coupe le souffle et les jambes. Il faut la repousser tout de suite le plus loin possible. Respirer.
Ou la laisser tout incendier, et ne plus jamais dormir.
Afficher en entier— C’est étonnant, ce que vous mettez en lumière, observa Dellinger. Sur les premières photos, ce qui saute aux yeux, c’est la dispersion, les différences. Les jeunes restent par petits groupes, ricanent pendant les discours, certains ont l’air d’être juste venus prendre du bon temps… Mais regardez comme ils changent au fil des prises de vue : ils se rapprochent, se parlent, se rassurent, se consolent… Sur les derniers clichés, on ne peut plus vraiment les distinguer. La violence a fait plus que tous les discours. Elle les a soudés
Afficher en entierComment lui faire comprendre que la beauté dépasse l'esthétique ? Pour moi, elle est l'émotion qui naît d'une parcelle de vérité éphémère. Elle n'a pas d'âge, de couleur de peau, de classe sociale. Elle peut être marquée, tatouée, indéchiffrable.
Afficher en entierOn nous présente le mariage comme la seule issue possible. Moi, il me suffit de regarder ma mère. Avant d'épouser mon père, elle était drôle, elle avait un charme fou. Elle peignait des aquarelles et voulait faire les Beaux-Arts...Mais tu vois, c'est comme si le mariage éteignait toute la lumière qu'on a en soi.
Afficher en entierQuand j’ai eu pleuré tout mon soûl, je me suis détachée à regret de ces bras qui me ramenaient en enfance. Même si le personnel acceptait de servir les Noirs, notre couple s’attirait une attention malveillante. Henry m’a tendu un mouchoir.
— Je veux tout savoir, ai-je dit. Je veux rencontrer les locataires d’Adam, je veux voir les taudis qu’il leur loue si cher. J’ai besoin de toi. Si j’y vais seule, ils refuseront de me parler.
— Tu es sûre ? m’a demandé Henry. Tu as vécu des années sur une planète éloignée, tu y as bâti une famille. Es-tu prête à risquer de la perdre ? Je veux que tu y réfléchisses. Que tu pèses les conséquences… As-tu des enfants ?
— Un petit garçon
Afficher en entier« La vérité est que j'ai choisi de me sauver avant Tim, parce que l'emmener avec moi était trop risqué. Cela va à l'encontre de tout ce qu'on nous apprend, que les mères sont faites pour se sacrifier, que c'est leur destin depuis le fond des âges. »
Afficher en entier"Il me manque à en hurler."
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