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Ma mère était assez magicienne pour m’octroyer trois dons, ai-je dit, et il s’est instinctivement penché pour m’écouter. Le premier était la sagesse ; le deuxième, la beauté ; et le troisième… que ces talents passent inaperçus aux yeux des imbéciles.
Afficher en entierSpoiler(cliquez pour révéler) A côté de la grappe, un serviteur se tenait dans une telle immobilité qu'on l'aurait cru lui-même taillé dans la glace. Les yeux baissés, il portait un coussin blanc sur lequel reposait une haute couronne en argent [...]. Le Staryk s'est arrêté devant elle, son regard s'attardant un instant sur la délicatesse et la sophistication de l'ouvrage, puis il s'est tourné vers ses gens, le visage aussi impassible que la pierre. Sans me regarder, il a déclaré d'une voix glaciale. "Contemplez devant vous ma dame, votre reine."
Mon regard s'est porté sur la mer scintillante de ces visages impossiblement gelés, dont la désapprobation était palpable : eux non plus n'arrivaient pas à m'intégrer dans ce décor, et ils ne le souhaitaient pas. Il y avait bien quelques sourires dans les cercles les plus proches, mais cruels et tristement familiers: je côtoyais de tels sourires depuis ma plus tendre enfance, ceux qu'on m'adressait quand on me racontait l'histoire de la fille du meunier, ceux qu'on me réservait quand je venais frapper à la porte pour la première fois. Sauf que cette fois, je n'en étais pas la cible : j'étais trop insignifiante pour ça. C'est à lui qu'ils souriaient de la sorte, avec une pointe d'incrédulité. Tous ces nobles se délectent de voir leur propre roi s'abaisser à épouser ce petit bout brun de mortelle. Il s'est empressé de prendre la couronne, comme pour mettre fin à son humiliation le plus vite possible.
[...]
Mais quand le roi s'est tourné vers moi, la couronne entre les mains et au visage une expression de froid mécontentement, je n'ai pas attendu qu'il la laisse tomber lourdement sur ma tête : j'ai posé d'autorité les mains dessus. Il m'a jeté un regard consterné à défaut d'autre chose, auquel j'ai répondu par une noire détermination. La colère familière montait en moi, non pas froide, mais si chaude que paumes me démangeaient et que de la vapeur aurait pu s'élever de mes joues. La couronne s'est d'ailleurs échauffée au contact de mes mains, et tout autour de moi les sourires acérés se sont évanouis lorsque des filaments d'or se sont mis à fuser de sous mes doigts pour se mêler à l'argent, s'étendant progressivement à toute sa surface, s'enroulant autour de chacun des délicats motifs spiralés.
Le roi Staryk est resté immobile, les lèvres serrées tout au long de la transmutation, jusqu'à ce que la couronne entre nos mains brille d'une vive lueur solaire, incongrue sous ce ciel couvert. La foule a poussé un soupir collectif, à peine un murmure, une fois l'opération terminée. Il l'a tenue ainsi encore un moment, puis nous l'avons placée ensemble sur ma tête. [...] j'ai gardé la tête haute et me suis tournée pour leur faire face. Plus aucun sourire n'était visible, et la désapprobation avait laissé place à de la circonspection. J'ai scruté leurs froids visages et décidé qu'ici non plus, je ne m'excuserais pas.
Afficher en entierUn voleur qui se coupe avec le couteau qu'il a volé ne peut pas en tenir rigueur à la femme qui l'a aiguisé.
Afficher en entierPosant la main contre sa poitrine pour le tenir à distance, je l’ai observé dans la pénombre rose, le cœur battant soudain plus vite. « Eh bien, mon épouse adorée ? » a-t-il dit d’une voix amère et trop sonore, une parodie de tendresse à destination de notre public, et j’ai compris qu’il avait l’intention de consommer notre mariage. J’en suis restée sidérée, l’esprit totalement vide. Quatre serviteurs nous entouraient : si je disais non, si je disais pas encore, s’ils m’entendaient… Et puis sa main a froissé ma robe et a remonté le fin tissu sur mes cuisses, et ses doigts se sont attardés sur ma peau.
J’ai sursauté, prise d’un frisson involontaire, et mes joues se sont douloureusement colorées de rouge. Puis je me suis exclamée : « Oh, mon aimé », et j’ai posé les deux mains sur sa poitrine pour le repousser aussi fort que j'ai pu.
Il ne s’y était pas attendu ; en équilibre instable sur ses bras, il s’est affalé sur le lit ; il s’est redressé avec une expression outrée, car au fond il n’en avait pas plus envie que moi ; je me suis penchée en avant et j’ai murmuré avec férocité : « Faites rebondir le lit ! »
Il m’a dévisagée. Je me suis mise à gesticuler de telle sorte que le bois a protesté bruyamment, et il s’est joint à moi avec un regard à moitié incrédule, jusqu’à ce que je lâche un petit cri pour donner le change à notre public. Il a alors attrapé un oreiller et a plongé le visage dedans, secoué d’un rire si violent que je l’ai un instant cru de nouveau sous l’emprise du démon.
Afficher en entier"Un pouvoir revendiqué, mis au défi et par trois fois prouvé est vrai, c'est ainsi qu'il advient."
Afficher en entierAlors qu'elle laissait ses bras retomber le long de son corps et qu'elle se retournait, nos regards se sont croisés : nous n'avons pas prononcé un mot, mais l'espace d'un instant nous étions comme des sœurs, dont les vies étaient pareillement régies par d'autres. Elle n'avait probablement pas plus le choix que moi dans cette histoire
Afficher en entierLa tempête a redoublé derrière lui, et une lance d'aire gelé chargé de neige et de glace m'a frappé au visage. Un douloureux picotement a envahit mes joues. Je m'entendais à ce qu'il me brutalise, et c'est bien ce qui semblait vouloir faire, mais au lieu de ça, il a scandé, presque comme s'il s'agissait d'une chanson: "Trois fois, servante mortelle. Trois fois tu changeras l'argent en or pour moi, ou tu seras toi-même changée en glace."
Afficher en entierCHAPITRE PREMIER
La véritable histoire est loin d’être aussi belle que celle que vous avez entendue. La véritable histoire, la voici : la fille du meunier aux longs cheveux d’or veut séduire un seigneur, un prince, le fils d’un notable, aussi se rend-elle chez le prêteur et y emprunte-t-elle une bague, un collier, qui la feront paraître à son avantage à la fête du village. Et comme elle est resplendissante, le seigneur, le prince, le fils d’un notable la remarque, danse avec elle et la culbute dans un grenier à foin quand l’heure n’est plus à la danse. Après quoi il rentre chez lui et épouse la riche héritière que sa famille a choisie pour lui. Puis la fille du meunier spoliée raconte à tous que le prêteur est en affaires avec le diable, et les villageois le chassent, lui jettent même peut-être quelques pierres, ainsi peut-elle au moins garder les bijoux pour se constituer une dot et donner sa main au forgeron, avant que naisse son premier enfant au terme d’une grossesse un peu courte.
Tel est le sujet de la véritable histoire : comment on paie ses dettes. Ce n’est pas comme ça qu’on la raconte, mais moi, je la connais. Mon père était prêteur, voyez-vous.
Afficher en entier"Non. Il y aura bientôt un autre enfant dans la maison, et il portera une couronne d'hiver".
[Chapitre Vingt, P.395]
Afficher en entierMais ce qui était fait était fait, et je n'avais pas le pouvoir de revenir en arrière. Je n'étais personne ici. Juste une fille, une prêteuse dans un bourg sans importance, avec un peu d'or en banque, et ce qui m'avait autrefois semblé une fortune me paraissait être aujourd'hui une maigre poignée de pièces, pas de même quoi remplir un seul coffre des réserves de mon roi Staryk.
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