La fille qui ne croyait plus à l'amour

Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous.

Paul Éluard

La pluie fouette les vitres du jacuzzi dans lequel je me prélasse. Il me semble qu’elle déverse sa colère, sa rage, contre ces morceaux de verre fumés, affirmant avec force sa présence. Le vent est de la partie, lui aussi. Il joue avec cette eau torrentielle, s’amuse de son humeur, fait dévier sa trajectoire, puis se calme, attend et reprend son jeu de plus belle.

Arabesque de vie, danse des éléments entre eux, sans besoin de personne.

Je me nourris de ce spectacle, confortablement installée dans le grand bain à remous. J’adore lorsque la nature se déchaîne, surtout quand je suis bien au chaud, à l’abri des intempéries. Ça me donne l’impression qu’elle veut me transmettre un message :

« Attention, Emma, reste où tu es… Si tu t’aventures à l’extérieur, tu ne sais pas où tu mets les pieds. »

Bien sûr que je ne sais pas où je mets les pieds. Mais j’essaie quand même. Je suis une battante. Je ne laisserai pas mon avenir m’échapper. La vie ne m’a pas épargnée, mais j’ai toujours essayé de transformer les épreuves qui m’étaient imposées en tremplins, pour rebondir et aller plus haut, plus loin. Jusque‑ là, j’y suis arrivée, et j’ai la ferme intention de continuer.

Le premier choc a été la mort de mes parents. Une mort à la fois si banale et si tragique qu’il était impossible d’imaginer que les deux puissent aller ensemble. Un accident de voiture, un camion contre leur petite voiture. Radical. Ils ont été tués sur le coup.

J’avais treize ans. Je commençais à m’intéresser aux garçons, j’essayais de comprendre comment ils fonctionnent, ces humains si différents de moi. Je commençais même à laisser mon cœur vagabonder en terrain inconnu, celui de l’amour. J’ai arrêté. Mes élans de jeune adolescente ont été brisés et mes émois ont pris un autre chemin. Un chemin tortueux, empli de peurs, de cauchemars,de pensées sombres et mélancoliques. De sentiments d’abandon, de colère, de culpabilité. Ai‑ je une part de responsabilité dans leur décès ? Ce jour‑ là, nous devions aller voir de la famille. J’avais refusé de les accompagner, préférant rester avec mes amis, chez mes grands‑ parents. Ils revenaient me chercher lorsque le drame est arrivé. Et si j’étais allée avec eux, auraient‑ ils quand même croisé ce poids lourd ? Me suis‑ je retrouvée orpheline à cause de ce trajet supplémentaire que je les ai forcés à faire ? La culpabilité, je la redoute particulièrement. Sinueuse, traîtresse, elle s’infiltre partout et étouffe la moindre étincelle de joie.

Aujourd’hui, mon cœur est comme la pluie épaisse de cette fin de journée. Lourd. Sombre.