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Je l'entends demander, depuis le pas de la porte :
- Vous êtes réveillée ?
Je ne dis rien. Je reste tournée vers le mur et fais semblant de dormir, j'essaie de respirer plus bruyamment, mais mes lèvres tremblent tellement. Une larme coule sur ma joue.
- Content que vous soyez de retour, murmure-t-il.
J'ai envie de hurler, mais je ne peux pas bouger. Que veut-il dire ? Je voudrais que Laura monte. J'essaie d'être courageuse, mais je meurs de trouille, ici.
Je ne me rappelle pas mon propre prénom.
Afficher en entierJe ne me rappelle pas mon propre prénom.
Je me répète ces mots comme un mantra, m’efforçant de rester calme, de comprendre leur pleine signification. Détachée des amarres de mon ancienne vie, je ne peux maintenant être guidée que par le présent.
Je descends du train, j’emplis mes poumons de l’air frais de la campagne tout en avançant en zigzags en direction de la rue, suivant une file d’usagers à l’air las. Devrais-je en reconnaître certains ? C’est le tout début de l’heure de pointe. À ma gauche, une rivière traverse un pré, ses eaux peu profondes scintillant dans le soleil d’été. Des moutons bêlent au loin, des acclamations s’élèvent du terrain de cricket, à côté de l’église. Au-delà s’étendent des champs de colza, couleur de la moutarde anglaise. Plus loin encore se trouve le canal, avec des rangées de péniches aux couleurs vives amarrées le long du chemin de halage.
Le village n’est qu’à une heure de train de Londres, mais l’atmosphère y est très champêtre. Pastorale. J’emprunte le pont du chemin de fer et me dirige vers la rue principale, passe devant une boîte aux lettres, essayant de réfléchir. Je sais que je fais le bon choix. L’amnésie temporaire peut être provoquée par toutes sortes de choses – la drogue, l’alcool, peut-être les deux – mais le stress lié au travail en est l’une des causes les plus communes ; les voies neuronales usées sont coupées, bloquées par les débris d’une vie trépidante. Et dans de telles circonstances, le mieux est d’être chez soi. Le courrier sur le paillasson, des lettres avec un nom sur les enveloppes.
Au Slaughtered Lamb, je tourne à droite dans une ruelle bordée de vieilles maisons aux toits de chaume. Je devrais être soulagée d’être presque arrivée au bout de la rue où se trouve un petit cottage couvert de glycine, à la porte bleu canard, mais je ne le suis pas.
Je suis terrifiée.
J’essaie de m’imaginer en train de refermer la porte d’entrée derrière moi, puis de m’affaler sur le canapé avec un grand verre de sauvignon blanc et de regarder quelque chose de nul à la télévision. Sauf que je n’ai pas de clef. Devant la maison, je jette un coup d’œil d’un côté et de l’autre dans la rue, et j’entends soudain une voix derrière la porte d’entrée. Un accent américain. Je suis parcourue d’un frisson. Je m’avance vers la fenêtre et regarde à l’intérieur. Il y a deux personnes dans la cuisine. À contre-jour, leurs silhouettes se détachent sur la faible lumière qui tombe obliquement à travers la porte donnant sur le jardin, derrière elles. Je les regarde fixement, le souffle coupé. Mes yeux se posent sur un homme en train de hacher de la salade, sur l’îlot central, avec un grand couteau en acier dont la lame reflète la lumière. J’ai envie de tourner les talons, de remonter la rue en courant, mais je m’oblige à continuer à le regarder. Derrière lui, une jeune femme se tient devant l’évier et remplit une casserole d’eau.
Je retourne à la porte d’entrée, vérifie le numéro. C’est la bonne maison. Mes doigts tremblent trop pour que j’appuie sur la sonnette. Je referme les deux mains autour du heurtoir en fer forgé et j’en donne plusieurs coups sur la porte, la tête penchée en avant comme une suppliante en prière. Om mani padme hum1. Pas de réponse. Je frappe de plus belle.
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