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Spoiler(cliquez pour révéler)Je me recroquevillai sur moi-même, levant un bras au-dessus de ma tête, et implorai : "Por favor, no me mates." Il rit... Rien ne l'amusait plus qu'on le supplie avant de mourir. "Duu nk' echiida [Te voilà tout seul, Oeil-Blanc], lâcha-t-il, méprisant. Eres debil. Tu es une mauviette, Oeil-Blanc." Et finalement, franchement, la peur recula toute seule. Cet homme m'inspirait trop de haine maintenant pour que je le craigne. J'aurais préféré mourir moi-même, plutôt que le savoir chez le Peuple, où il pourrait violer Margaret ou Chidéh, voire, plus ignoble encore, s'en prendre à mon enfant à naître. Le courage n'avait rien à voir avec ça : je tenais soudainement une sale colère, motivée par l'outrage et par l'indignation ; je n'allais pas ramener monsieur Browning, ni Big Wade, ni le petit Geraldo, mais je pouvais venger les morts stupides qu'avait causées ce crétin bravache. Tout en me protégeant d'un bras, comme le parfait couard dont il se moquait, je dégainai de l'autre main le couteau plein sang que le gamin blessé avait à la ceinture. Je me ruai sur Juan et lui plantai la lame dans le ventre, une fois, deux fois, trois fois, de toutes mes forces, aussi profondément que possible. Titubant, il recula à chaque nouveau coup, lâcha enfin son fusil et s'affaissa, à genoux, avant de tomber à la renverse. Je ne suis pas d'un naturel violent, mais la rage appelait la vengeance, une vengeance froide qui me disait ceci : Indio Juan n'avait pa suffisamment payé ses crimes. Alors, avant que toute vie disparaisse de ses yeux, pour qu'il sache bien qu'il n'irait pas au pays de la Joie avec ses cheveux, j'empoignai sa tignasse et je tirai sur le cuir. Je l'ai pelé d'un geste et j'ai brandi son scalp sanglant en poussant un cri de triomphe, un cri fou et terrible que j'eus du mal à croire sorti de ma propre bouche.
Afficher en entierInutile d'en parler : nous savons tous deux qu'il faut revenir à la Rancheria. Cette nuit n'a existé que dans notre intimité, dans l'amour franc et le désir simple, et un tout petit espace qui n'appartient qu'à nous, ignoré des frontières de la vie extérieure. Je regrette de ne pouvoir y demeurer à jamais, ou ne serait-ce qu'un petit peu plus longtemps. Seulement, Margaret m'attend dans le monde réel. Et nous ne pouvons, ni Chidéh ni moi, nous détacher de nos races, ou peut-être pas encore. Tout est redevenu très compliqué à la lumière du jour : nous avons des amis, une famille ou les deux, et chacun nos responsabilités. Nos guerriers respectifs se préparent à l'affrontement, et, si nous ne pouvons rien faire pour les arrêter, nous ne pouvons pas non plus fermer les yeux.
Afficher en entierNous avons diné à l'entrée de la caverne, en regardant la vallée et le ciel. Sans cesse illuminés par les éclairs, les nuages bleu-noir, éventrés par les crêtes, ouvraient de longs rideaux de pluie, gris et mouvants. Et le tonnerre se rapprochait, profond, violent, comme libéré des entrailles de la Terre. J'eus l'étrange sentiment que nous étions ses ultimes habitants, que tous les autres étaient morts sur une piste, récurés par les charognards ; qu'il ne restait que nous, derniers devenus premiers ; Adam et Eve dans le jardin d'Eden ; une jeune Indienne, un garçon blanc. Il suffisait de rester ici, de produire une nouvelle race d'hommes, la nôtre. Et on tâcherait de faire mieux, cette fois.
Afficher en entierJe repensai à haute voix : "Tu as tué des soldats, là-bas ?" Je me demandai aussitôt pourquoi j'y attachais de l'importance. Étais-je en train d'essayer de "civiliser" ma nouvelle amie, qui ne voit rien d'immoral, sans doute, à écorcher ses ennemis ? Avais-je besoin d'être rassuré, de la croire incapable de commettre de tels actes, ma féroce petite guerrière ? Capable, elle l'est, bien sûr. Qu'est-ce que ça change ? Le fort élégant Carillo, instruit, bien élevé, avec son bel uniforme et ses cheveux pommadés, tuerait Chidéh sans hésiter à la première occasion, il la scalperait même pour quémander sa récompense. Ma propre race, tout comme les Mexicains, assassine les Apaches depuis des siècles. Combien de bébés indiens, par exemple, ont-ils été massacrés par nos soldats ? Seules les atrocités des rebelles sont qualifiées de crimes. Alors que celle des conquérants, ceux qui écrivent les livres d'histoire, sont reconnues comme nécessaires, héroïques même. Pire, elles illustrent une prétendue volonté divine. Quelle différence y a-t-il, en fin de compte, entre les soi-disant civilisés et les barbares ?
Afficher en entierLe martèlement des tambours s'est frayé un chemin vers un être primitif, à l'intérieur de nous, qui, d'instinct, a trouvé les bons pas, et la danse nous a dévorés. Margaret affirme qu'elle est la première forme de communication humaine, d'art et de spectacle. Elle dit que, dès la formation de l'espèce, l'Homo sapiens a dansé pour célébrer la guerre, l'amour, avec un éventail de fêtes entre les deux ; qu'étant la seule activité commune à nos cultures, elle est universelle. Absorbés par les sons et les mouvements, nous avons tout oublié, jusqu'au fait que, malgré ce bref répit, malgré ces pulsations effrénées et jouissives, nos vies étaient menacées.
Afficher en entierIls avaient commencé à danser. Nous n'avions jamais rien vu de tel : une sorte de pavane hachée, avec quelque chose de convulsif, de déphasé, mais qui épouse parfaitement leur musique dissonante. Alors, devant l'éclat des brasiers, et sous cette lune pleine, orange... Au bout de ce haut défilé dans la rocaille, lorsque nous sommes enfin arrivés dans cette vallée, je savais bien que nous avions franchi le seul d'un autre monde, un monde doté d'un autre soleil, d'autres planètes, le monde d'une race différente.
Afficher en entierTout est calme. sauf que la petite doit avoir un cauchemar, car il parvient de son wigwam un curieux ululement, une plainte glaçante à vous briser le coeur, une lamentation d'un autre temps dans une langue d'une autre ère.
Afficher en entierPar-dessus les hautes flammes brillaient des milliards d'étoiles, vapeur tumultueuse d'infimes étincelles dans la noirceur du ciel. Malgré nos vastes différences d'éducation et d'origine, de sexe, de race et de nationalité, nous paraissons plus près les uns des autres depuis qu'on nous a confié la nina bronca. Nous avons assisté à sa renaissance dans l'eau, doublée en somme d'un vrai baptême, et c'est comme si nous étions devenus sa famille adoptive. j'essaie d'imaginer la vie sauvage et archaique qu'elle mène avec son peuple dans les profondeurs secrètes de ces redoutables montagnes auxquelles nous la rendons.
Afficher en entierJe n'arrive pas à la chasser de mon esprit; quand je ferme les yeux, son image continue de me hanter. Je dois comprendre qu'elle va mourir ainsi, que la chambre noire ne peut rien faire pour elle, sinon garder une trace de l'horrible vérité.
Afficher en entierLa place est dominée par une énorme église d'un baroque incongru. Tout en brique d'adobe, elle a été construite au siècle dernier par des missionnaires franciscains, ou par les indigènes, plutôt, qui étaient leurs esclaves. La présence de cet édifice au milieu du village est carrément sinistre, angoissante. Mais, à peine éclairé par les cierges et las appliques murales, l'intérieur était frais et sombre. j'ai entendu le prêtre dire la messe du matin. Dans cette obscurité, je le devinais seulement.
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