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Grisonnant, marqué comme une gargouille, les jambes torses. Vingt-cinq ans de Centrale, plusieurs meurtres sur une ardoise secrète. Patron en sous-main de trois boîtes aux Champs, des intérêts à Bogota, à Rio. Un os.
Afficher en entierPour lui, le coup venait du Viennois. Jocelyne empruntait la même route chaque soir. Le Cascadeur avait attendu son passage avant de lâcher la grosse américaine, et l’impact avait été d’une violence fantastique. En vérité, et Manu l’avait appris par la suite, Jocelyne était morte avant qu’on ne la transporte à l’hôpital Foch, tête littéralement éclatée…
Afficher en entierManu s’assit, alluma nerveusement une cigarette qu’il écrasa immédiatement sous son talon. Autour de lui, on circulait énormément, mais personne ne le regardait. Il quitta son siège, déambula à travers la salle, mâchoire soudée, ventre tordu. Une ambulance stoppa dans la cour. Deux hommes se précipitèrent, emmenèrent une civière sur laquelle une forme humaine se débattait en hurlant. Manu se boucha les oreilles, ferma les yeux. Il avait la sensation d’entendre hurler Jocelyne.
Afficher en entierManu raccrocha, rafla son manteau, se retrouva dans sa voiture avant de l’avoir décidé. Il démarra en trombe, traversa Paris dans un brouillard opaque, reprit conscience dans le Bois de Boulogne en voyant le camion-grue dégager la chaussée. La M.G.B. de Jocelyne n’était plus qu’un amas de ferraille maculé de sang. L’autre voiture, une grosse américaine, était presque intacte. Le choc avait eu lieu à un croisement. Au premier coup d’œil, on comprenait que la M.G.B. avait été victime d’un refus de priorité.
Afficher en entierA une heure, Jocelyne enfila son vison et dit :
— Je rentre.
— Va doucement, conseilla Manu.
Elle lui bisa le nez, se serra un peu contre lui.
— Ne traîne pas après la fermeture, et fais attention.
Elle employait des mots simples, mais ils suffisaient amplement à dévoiler sa profonde anxiété. Manu lui sourit.
— Allez, va ! Et regarde Nathalie de près. Elle dort la bouche ouverte, comme si ses narines étaient bouchées…
Jocelyne lui ferma les lèvres de la paume.
— Ne noie pas le poisson, Manu ! Je sais que je ne dormirai pas tant que tu ne seras pas couché à mes côtés ! Je n’aime pas la façon dont tu surveilles rentrée. Tout à l’heure, ce n’était pas un fournisseur, hein ?
— Ecrase, ma belle, plaisanta-t-il lourdement, et va t’occuper des enfants. Les histoires de mauvais garçons n’intéressent pas les petites filles.
Elle sut que Manu ne dirait rien, renonça, tourna les talons.
Afficher en entierManu roulait en tête, le 45 à portée de sa main, épiant les ombres louches qui hantent le Bois de Boulogne dès que tombe la nuit. Entre les filles en rupture de maison, et les pédérastes, un homme du Viennois pouvait se payer une rafale de mitraillette, genre attentat du Petit-Clamart ! Mais rien ne se produisit et la rue Blanche fut atteinte dans les temps.
Afficher en entierLa journée avait été calme, routinière. Manu s’était levé vers midi, avait déjeuné tout seul. Finalement, être patron de cabaret imposait un mode de vie bizarre, hors du commun. On ne voyait jamais les petits matins blêmes et frais. On partait au travail quand les autres se couchaient. En ce qui concernait les enfants, les vraies difficultés commenceraient lorsqu’ils iraient à l’école, et peut-être que Jocelyne devrait un : peu lâcher « La pomme d’Eve » pour devenir tout à fait une mère de famille.
Afficher en entierManu grinça des dents. Dix ans plus tôt, il aurait quand même enfoncé la clé, par bravade, pour voir. Aujourd’hui, il ne pouvait se le permettre. Jocelyne, Jean-Marc, Elisabeth et Nathalie avaient besoin de lui…
Il quitta son siège, souleva le capot, regarda sous le châssis. Un pain de plastic, ça saute à l’œil lorsqu’on a un peu d’entraînement. Manu ne vit rien de suspect, reprit place derrière le volant, mit le contact, l’estomac crispé comme un poing de bébé endormi. Le moteur ronfla tout de suite, et la DS démarra en souplesse. Plus loin, Manu épongea son front mouillé de sueur. Dominique aurait mieux fait de se taire…
Afficher en entierJo l’Aixois ne savait pas où il était. Croché à Lyon, tout de suite endormi pour le compte, il s’était réveillé en fin de journée dans cette pièce silencieuse. Une fenêtre grande comme une lunette de W.C., et par laquelle filtrait une clarté parcimonieuse, lui avait révélé un mobilier sommaire : une table, une chaise cannée, et le lit de camp auquel il était solidement attaché par une chaîne. Sa position n’était pas confortable. Il ignorait quel serait son sort mais, en pensant à ce que l’on préparait contre Manuel Rossi, son poil se hérissait et il éprouvait la sensation d’avoir soudain un bloc de glace à la place du cœur…
Afficher en entierDans son job, ça valait mieux. Puis, ancienne danseuse, Jocelyne connaissait la musique et n’aurait pas laissé Manu chatouiller un strip sans faire sauter la caisse.
Vers 1 h 02, un homme maigre, blême, au regard de loup, pénétra dans le cabaret. Il abandonna son poil de chameau au vestiaire, descendit les marches, marcha directement vers le bar. Là, il se percha sur un tabouret, observant d’un œil gelé la large carrure de Manu qui lui tournait le dos.
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