Extraits

À voir sa fourrure hérissée le long de sa colonne, Griffe de Tigre comprit qu’elle mentait. Tous ces félins étaient terrifiés de voir Griffe de Tigre revenir d’entre les morts. Y compris Accroc, un ancien chat errant aux larges épaules et au poil moucheté, qui restait au fond de leur tanière de fortune et l’observait de ses yeux ambrés écarquillés. Ils savaient qu’ils avaient échoué, qu’ils s’étaient laissés ridiculiser par un groupe de reines et d’anciens, dans un camp laissé sans protection. Griffe de Tigre huma l’odeur de leur peur et frémit de satisfaction. Ceux-là lui obéiraient aveuglément. Il se força à garder ses griffes rentrées, à ravaler l’envie irrépressible de leur arracher les oreilles pour l’avoir laissé affronter seul ses anciens camarades. Ils constituaient ses uniques alliés, pour le moment. Tant qu’ils le craindraient, qu’ils auraient une dette envers lui, il pourrait les façonner comme il le voudrait.

Griffe de Tigre conduisit les cinq félins dans les herbes hautes qui poussaient entre la lisière des bois et le Chemin du Tonnerre, lisse et noir.

Patte Noire avait réussi à ramener presque tous les guerriers qui n'étaient pas atteints par le mal, y compris Feuille rousse et Dos Balafré.

- Les Clans ne sont plus mes rivaux, maintenant que je vis hors des frontières, répondit-il dans un haussement dépaules. Vos camarades mont aidé, il ny a pas si longtemps, et je leur en suis reconnaissant.

- Je ne sais pas ce quen penserait Étoile Noire, marmonna le vieux matou.

- Il dirait « la fierté ne remplira pas la réserve de gibier » ! rétorqua Orage du Matin avec humour. Griffe de Tigre, ton offre est généreuse et nous lacceptons.

- Mais vous navez pas besoin dapporter le gibier jusquau camp, ajouta Croc de Silex. Nous vous retrouverons ici demain matin, à laube, pour récupérer vos prises.

- Entendu, si vous le souhaitez. Puissiez-vous rejoindre votre camp sans encombre. Nous serons là demain. »

Il tourna les talons avant que les autres puissent répondre et senfonça dans les fougères.

La miséricorde est une preuve de grand pouvoir. Le lendemain, à laube, le Clan de lOmbre aurait une dette envers lui.

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Patte Noire fit un pas vers lui et Griffe de Tigre faillit reculer lorsqu’il constata que le matou blanc était aussi grand et massif que lui. « Nous n’avons rien fait de mal, insista Patte Noire. Nous voulions juste savoir pourquoi il y a si peu de patrouilles frontalières. Nous avons discuté avec Orage du Matin et Baie de Sorbe, qui chassaient seules. Un mal terrible a touché le Clan de l’Ombre et presque tous les guerriers ont été contaminés.

Sans patrouille de chasse, le Clan tout entier est en train de mourir de faim.

LA FRAÎCHEUR DU SOIR tomba sous les pins et Griffe de Tigre commença à sentir l’humidité se déposer sur sa fourrure. Il la lécha pour s’humidifier un peu la langue puis se hissa sur ses pattes. Il ne pouvait pas rester là ; la patrouille du soir allait bientôt arriver. Il ne voulait pas voir la pitié dans les yeux de ses camarades s’ils le découvraient là, blessé, à bout de forces, toujours sur le territoire du Clan du Tonnerre. Grimaçant à chaque pas, Griffe de Tigre claudiqua, s’enfonçant entre les pins. Il resta à bonne distance du territoire des Bipèdes, avec ses chats domestiques curieux et ses chiens errants. Il préféra se diriger vers la tanière en bois qui se trouvait derrière une barrière de troncs de pin, où venaient les Bipèdes qui coupaient les arbres dans la journée. Il se glissa entre deux poteaux de la palissade, laissant une trace de sang sur les rondins écorcés. Il y avait un trou de la taille d’un lapin sous la tanière en bois. Griffe de Tigre rampa dans l’ombre et s’étendit de tout son long sur la terre. Il perçut un fumet de souris, venu de plus loin sous la tanière, mais il n’avait pas la force de remonter la piste, et encore moins de traquer une proie frétillante.

— Coeur de Feu t’a bien battu, non ? protesta Plume Grise.

— Coeur de Feu… » Griffe de Tigre tourna doucement la tête vers le chat domestique roux. Un nom de guerrier ne fera jamais oublier que tu n’es pas né dans la forêt, malgré tout ce que tes camarades peuvent te dire ! « Si tu croises encore mon chemin, sac à puces, nous verrons qui est le plus fort. »

Coeur de Feu se leva d’un bond, la queue battante, un oeil si enflé après un coup de Griffe de Tigre qu’il ne pouvait plus l’ouvrir.

« C’est quand tu veux !

— Non, s’interposa leur chef. Plus de combats. Va-t’en, Griffe de

Tigre ! »

Ce dernier se força à se relever malgré les tremblements qui secouaient ses pattes. Sa blessure se rouvrit et du sang frais en suinta. Il ignora les cris horrifiés qui fusèrent autour de lui. La douleur n’est rien ! La défaite n’est rien !